AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Sur le rapport de M. le conseiller SOUPPE, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, de la société civile professionnelle PEIGNOT et GARREAU, de la société civile professionnelle VIER et BARTHELEMY et de Me BROUCHOT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBOUBAN ;
Statuant sur les pourvois formés par :
E... Michel,
B... Pierre,
Y... Jean-Pierre,
G... Roger,
X... Jean-Charles,
prévenus,
LA BANQUE POUYANNE,
LA CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU SUD-OUEST,
civilement responsables, d
F... Daniel,
Z... Jean,
parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PAU, chambre correctionnelle, en date du 5 septembre 1989, qui a condamné :
1°) pour complicité de banqueroute par emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds :
Jean Y..., à 10 mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 francs d'amende,
Roger G..., à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et 20 000 francs d'amende,
Jean-Charles X..., à 10 mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 francs d'amende,
2°) pour complicité du même délit et pour complicité de tentative d'escroquerie :
Michel E..., à 13 mois d'emprisonnement avec sursis et 50 000 francs d'amende,
Pierre B..., à 13 mois d'emprisonnement avec sursis et 50 000 francs d'amende,
a déclaré la banque POUYANNE et la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel du Sud-Ouest, civilement responsables de leurs préposés respectifs, E... et B... d'une part, Y... et G... d'autre part, et a prononcé sur les réparations civiles ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen
de cassation proposé en commun par les demandeurs Laumont, B... et la banque Pouyanne et pris de la violation des articles 127-3 de la loi du 13 juillet 1967, 238 de la loi du 25 janvier 1985,
60,
402 et
403 du Code pénal,
591 et
593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
d "en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Laumont et B... respectivement directeur et chef d'agence de la banque Pouyanne, coupables de complicité de banqueroute par emploi de moyens ruineux
commis par les époux D... et a retenu la banque Pouyanne en qualité de civilement responsable de ces deux préposés ;
"aux motifs que leur culpabilité résulte des déclarations de D... affirmant que B... était au courant du système qu'il avait mis en place ayant accepté d'escompter des effets qui concernaient des livraisons futures et que s'il avait refusé des effets tirés sur des agriculteurs sur lesquels il n'avait pas de bons renseignements, il l'avait invité à regrouper le montant de plusieurs factures sur une seule traite acceptée par un tiré solvable ; des constatations faites sur les premières lettres de change remises à l'escompte fin 1985 et début 1983 qui portaient la date de création, l'échéance et la mention manuscrite d'une date de livraison postérieure à la date de création de l'effet ; de la progression rapide des effets escomptés ; des mouvements importants de chèques entre les comptes ouverts par D... dans les différentes banques : banque Pouyanne, Crédit Agricole BBSO, Banque d'Aquitaine, mouvements destinés à compenser les opérations de cavalerie ; de la connaissance qu'un banquier doit avoir de ses clients et de leur activité, la banque Pouyanne ne pouvait ignorer que D... avait débuté sans aucune trésorerie ; que les traites consenties à l'escompte par D..., si elles avaient correspondu à des livraisons effectives, concernaient des quantités sans rapport avec l'activité d'un gaveur auquel il faut au minimum deux heures de temps par jour pour gaver 100 canards ; de la connaissance par la banque Pouyanne de transferts de fonds qui n'avaient pas de rapport avec l'objet commercial de l'activité de D... ; qu'à ce titre, en mai 1984 a tiré trois chèques du compte de la banque Pouyanne au bénéfice de la société d'Aquitaine Gastronomie qu'il gérait et qui était domiciliée à la Banque de l'Aquitaine à Bayonne ; que les comptes ouverts auprès de la banque Pouyanne n'étant pas suffisamment approvisionnés, B... a adressé un courrier à D... pour le mettre en garde "à la suite de dépassements importants non autorisés" et qu'il y a lieu de noter que le brouillon de cette lettre retrouvé au cours de la perquisition comportait cette phrase supprimée par la suite "dépassement important... correspondant à des transferts de fonds n'ayant pas de rapport avec l'objet commercial de votre activité", tandis que début juin ces deux chèques étaient débités du compte Pouyanne et crédités à la Banque de d l'Aquitaine ; que l'ensemble de ces éléments établit que B... et Laumont avaient eu connaissance des mouvements irréguliers sur les comptes ; qu'ils ont accepté de payer les chèques après entretien téléphonique avec la Banque d'Aquitaine alors qu'ils ne pouvaient ignorer que la société Aquitaine Gastronomie était gérée par D... et que cette société devant écouler les marchandises que fabriquait la Ferme du Sauvage, elle ne pouvait dès lors se trouver créancière de celle-ci ;
"qu'ainsi en ce qui concerne B... (arrêt p. 27), il est établi que connaissant la situation de D... et notamment la liquidation de biens de la SA Sodola dont celuici avait été le président-directeur général, il n'a pas hésité à ouvrir un compte au nom de la Ferme du Sauvage sans la moindre garantie et a accepté de faire bénéficier D... d'escomptes sur les traites, procédé qu'il avait lui-même suggéré selon les déclarations de D..., ce qui était extrêmement onéreux pour la société eu égard à l'importance des agios ; qu'il a accepté d'escompter des traites se rapportant à des livraisons
ultérieures, de conseiller à D... de regrouper le montant de plusieurs factures sur une seule traite acceptée par un tiré solvable ;
"qu'il a ainsi apporté délibérément son soutien à D... dans son mécanisme de trésorerie factice et, ce faisant, pour accumuler les agios ruineux et répétés profitables à la banque dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire ;
"qu'en ce qui concerne Laumont (arrêt p. 7), il avait l'obligation de contrôler ses chefs d'agences dont Labaste ; que la progression rapide des effets escomptés, l'importance des mouvements de chèques entre les comptes ouverts par D... dans sa propre banque et d'autres banques, mouvements destinés à compenser les opérations de cavalerie, étaient révélatrices pour un professionnel en matière cambière du stratagème financier élaboré par D... avec la complaisance du chef de l'agence B... ; que Laumont a ainsi non seulement laissé se perpétuer cette pratique onéreuse mais l'a cautionnée, B... ayant déclaré devant le juge d'instruction le 27 octobre 1987 qu'il avait demandé l'accord de sa direction pour escompter les effets amenés par D... et que lorsqu'il les recevait, il les portait ou les faisait porter auprès du siège où ils étaient visés par un membre de la direction ; qu'il est donc établi que Laumont connaissait les expédiants d constitués par l'escompte des traites de complaisance ; qu'en effet, la disparité entre le chiffre d'affaires et les concours financiers ne pouvait à cet égard échapper à l'attention d'un banquier de bonne foi qui aurait dû, dès qu'il s'en est aperçu, supprimer de nouveaux avantages ruineux audit commerce ;
"alors que, d'une part, en vertu du devoir de non-ingérence dans le fonctionnement des comptes de ses clients qui est le sien, un banquier ne saurait en l'absence de toute anomalie apparente dans le fonctionnement d'un compte donné se voir reprocher de ne pas avoir décelé des irrégularités de fond affectant les opérations passées audit compte, il s'ensuit que la Cour qui, pour retenir en l'espèce la culpabilité de Laumont et de B..., s'est fondée sur des éléments ou opérations ponctuels relevés de leur contexte en délaissant précisément sur ce point l'intégralité de l'argumentation de Laumont et de B..., qui invoquaient l'apparence de régularité du fonctionnement du compte des époux D... en faisant valoir notamment l'absence de tout incident jusqu'au mois de mai 1984 soit pendant plus de vingt mois, la réalité du commerce exercé par les époux D..., les excellents renseignements obtenus auprès des autres banques, sur les différents tirés imputés dans ce trafic d'effets fictifs et dont aucun n'avait de compte auprès de la Banque Pouyanne ainsi que compte tenu de cette dernière circonstance et de l'habileté manifestée par les époux D..., de l'extrême difficulté d'effectuer des rapprochements entre les différentes opérations susceptibles de permettre de déceler tant la cavalerie que les effets de complaisance, n'a pas, par ce défaut de réponse à conclusions, caractérisé l'existence d'anomalies apparentes dont la tolérance se trouvait en matière de complicité de banqueroute reprochée à un banquier, élément indispensable quoique non suffisant à caractériser la mauvaise foi de ce dernier ;
"alors que, d'autre part, une lettre de change pouvant être
valablement créée et remise à l'escompte pour des marchandises devant être livrées ultérieurement, la Cour qui a prétendu y voir cependant une anomalie de nature à éveiller l'attention d'un banquier normalement vigilant pour en déduire la connaissance par B... et Laumont du circuit de traites de complaisance mis en place par les consorts D... avec le concours actif de plusieurs éleveurs et gaveurs en affirmant de surcroît de manière tout aussi arbitraire qu'inexacte qu'ils ne pouvaient ignorer l'absence de cause des effets litigieux nonobstant les d éléments de l'enquête démontrant la réalité du commerce effectué par les époux D... sans qu'il puisse être sérieusement fait grief à leur banquier d'avoir ignoré qu'il était matériellement impossible aux tirés d'avoir pu assurer le gavage du nombre de volailles auquel correspondait le montant des lettres de change, n'a pas légalement justifié sa décision ;
"alors qu'enfin les trois incidents de chèques constatés par les responsables de la Banque Pouyanne en mai 1984, soit deux mois avant que le tribunal de commerce de Dax ne soit saisi de l'affaire de la Ferme du Sauvage pour tenter dans un premier temps de trouver une solution de sauvetage de cette entreprise ne pouvait davantage établir la mauvaise foi du chef d'agence et du directeur de la Banque Pouyanne d'autant que comme le faisaient valoir leurs conclusions là encore entièrement délaissées par la Cour, il s'avérait qu'en refusant le paiement de ces chèques, ils avaient fait preuve de toute la prudence nécessaire ainsi qu'en témoigne le brouillon de la lettre destinée à D... et retrouvée au cours de l'enquête préliminaire dont il ressortait que le rejet de ces chèques était en outre motivé par la crainte de ces responsables bancaires qu'il s'agisse là d'opérations étrangères à l'activité des époux C... ce qui au demeurant était une crainte vaine puisqu'ils étaient destinés à une société effectivement créancière de la Ferme du Sauvage" ;
Sur le deuxième moyen
de cassation proposé par les mêmes demandeurs et pris de la violation des articles
405 du Code pénal,
591 et
593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motif et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Laumont et B... coupables de complicité tentative, de complicité d'escroquerie au détriment de la Banque Hypothécaire Européenne ;
"aux motifs que D... a été contraint par la Banque Pouyane de contracter un prêt immobilier de 300 000 francs qui en réalité devait servir à éponger le découvert qu'il avait sur le compte et qu'un agent d'affaire peu scrupuleux, Martial, a formalisé un dossier destiné à la Banque Hypothécaire Européenne comprenant un rapport d'estimation des travaux à effectuer établi par lui-même, un devis d'architecte, une demande de déblocage des fonds attestant que les travaux étaient terminés alors qu'aucun travail n'avait été entrepris sur la maison de Lahet ; d
"que, comme Martial l'a reconnu, le prêt immobilier était déguisé et qu'en fait il importait d'obtenir un prêt de trésorerie susceptible de colmater le découvert de la Banque Pouyanne ;
"qu'ils ont formellement mis en cause Laumont et B... comme étant les inspirateurs de ces manoeuvres frauduleuses, accusations qu'ils ont réitérées tout au long de la procédure et qui sont
confortées par les renseignements de compétence et de moralité fournis par B... à la Banque Hypothécaire Européenne sur le compte de D... et par la demande faite par celui-là même à Mme D... de donner des ordres au notaire pour qu'il verse les fonds obtenus à la Banque Pouyanne ;
"qu'ainsi, ils se sont rendus coupables de complicité en donnant des instructions pour l'obtention du prêt immobilier au bénéfice de la Banque Pouyanne et en aidant les époux D... pour le détourner de son objet, l'infraction principale devant être requalifiée en tentative d'escroquerie, le but de ces manoeuvres n'ayant pas abouti aux résultats espérés par suite de circonstances indépendantes de la volonté de leurs auteurs, en l'occurrence la découverte de la supercherie par la Banque Hypothécaire Européenne ;
"alors que, d'une part, il ne peut y avoir d'escroquerie que s'il est établi que la remise a été extorquée à la victime effectivement abusée, ce qui en l'état des énonciations du juge du fond ne se trouve nullement caractérisé puisqu'il n'est pas constaté que la Banque Hypothécaire Européenne prétendue victime qui n'a au demeurant déposé aucune plainte, ait été effectivement abusée sur la destination du prêt qualifié d'immobilier consenti aux époux D... ;
"alors que, d'autre part, la Cour qui a déclaré Laumont et B... coupables de complicité par instructions données en prétendant se fonder sur les déclarations des coprévenus D... et Martial sans aucunement répondre aux arguments péremptoires des conclusions de Laumont et B... faisant valoir que non seulement ils n'avaient donné qu'un simple conseil de recourir à un prêt hypothécaire et nullement immobilier et que de plus, les déclarations successives de Martial et de D... étaient entachées de contradictions et non corroborées par les autres témoins, n'a pas légalement justifié sa décision ;
d "et alors qu'enfin le seul fait à le supposer établi d'avoir donné à un prêt octroyé une autre destination que celle initialement prévue ne saurait en tout état de cause légalement caractériser un acte de complicité par aide ou assistance lequel pour être pénalement répréhensible doit être antérieur ou concomitant à la commission de l'infraction principale" ;
Sur le premier moyen
de cassation proposé par la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel du Sud-Ouest et par Y... et pris de la violation des articles 127-3° de la loi du 13 juillet 1967, 197-1er de la loi du 25 janvier 1985,
59,
60,
402,
403 du Code pénal,
593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les prévenus G... et Y... coupables de complicité du délit de banqueroute par moyen ruineux de se procurer du crédit et condamné solidairement le Crédit Agricole, leur employeur, à des réparations civiles ;
"aux motifs, sur le délit principal, que les époux D... ont toujours reconnu et reconnaissent encore devant la cour d'appel, avoir commis le délit qui leur est reproché et que leurs aveux et les données de la procédure établissaient leur intention de le commettre ;
"alors que ces motifs qui n'explicitent ni quels ont été les moyens utilisés par les auteurs du délit principal pour se procurer du crédit, ni pourquoi ces moyens avaient un caractère ruineux, ne
justifient ni la déclaration de culpabilité sur le délit principal, ni la déclaration de culpabilité du chef de complicité, ni par conséquent la condamnation solidaire du Crédit Agricole employeur des deux prétendus complices" ;
Sur le troisième moyen
de cassation proposé par les mêmes demandeurs et pris de la violation des articles
59 et
60 du Code pénal,
593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu Y... coupable de complicité de banqueroute par moyens ruineux de se procurer du crédit reprochée aux époux D... et condamné le Crédit Agricole en sa qualité de civilement responsable à réparer les dommages résultant des agissements de ce dernier ; d
"aux seuls motifs que l'ensemble des mouvements de fonds suspects a été porté à la connaissance de Jean-Pierre Y..., chef d'agence ; que les apports considérables sur les comptes (160 % sur 6 mois pour Z...) ne pouvaient pas échapper à sa vigilance et qu'en tolérant cette pratique qu'il connaissait pour en avoir été informé, il avait concrètement aidé les époux D... dans leurs manoeuvres répréhensibles ;
"alors, d'une part, qu'il n'y a de complicité punissable que si la complicité a, par l'un des moyens énumérés par l'article
60 du Code pénal, provoqué à l'action ou donné des instructions pour la commettre, fourni en connaissance de cause les moyens nécessaires à l'action ou aidé ou assisté, avec connaissance, l'auteur de l'infraction dans les faits qui l'ont préparée ou facilitée, ou dans ceux qui l'ont consommée ; qu'en l'espèce, aucune des énonciations de l'arrêt attaqué n'a caractérisé à la charge du prévenu l'un des agissements positifs limitativement énumérés par l'article 60 ; qu'il s'ensuit que la déclaration de culpabilité n'est pas légalement justifiée non plus que la condamnation solidaire du Crédit Agricole à des réparations civiles ;
"alors, d'autre part, que l'abstention n'est pas un acte de complicité ; que les seules énonciations de l'arrêt qui démontrent que le prévenu qui a toléré des mouvements de fonds prétendument suspects s'est abstenu d'agir ne caractérisent pas un acte de complicité punissable justifiant la condamnation solidaire du Crédit Agricole à des réparations civiles ;
"alors, de troisième part, qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que le prévenu aurait toléré des mouvements de fonds suspects sur le compte d'une personne qui ne fait l'objet d'aucune poursuite mais qui est constituée partie civile ; que, par conséquent, en l'absence d'infraction punissable reprochée au titulaire du compte, aucune complicité ne pouvait être reprochée ni retenue contre le prévenu ; qu'il s'ensuit que la condamnation du Crédit Agricole à des réparations civiles n'est pas justifiée ;
"alors, enfin, que la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions du prévenu qui faisaient valoir que les époux D... n'étant pas clients de la CRCAM du Sud-Ouest, Y... était dans l'impossibilité de déceler la cavalerie entre le compte de ces derniers ouvert dans une autre banque, et celui de ses propres clients, d contrepartiste des effets de cavalerie" ;
Sur le premier moyen
de cassation proposé par X... et pris de la violation des articles 127-3° de la loi du 13 juillet 1967, 197-1°
de la loi du 25 janvier 1985,
59 et
60 du Code pénal,
591 et
593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse à conclusions ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X... coupable du délit de complicité de banqueroute par fourniture de moyens ruineux de se procurer des fonds ;
"aux motifs que "la SA Comet Grain de Bayonne dont le président-directeur général est Jean-Charles X..., connu depuis longtemps de Robert D..., qui y avait même été embauché, était le principal fournisseur de la "Ferme du Sauvage", pour la fourniture de l'alimentation des canards ;
"que lorsque "la Ferme du Sauvage" a rencontré des difficultés financières en avril 1984, Robert D..., pour renflouer sa trésorerie, s'est adressé à Jean-Charles X..., qui s'est comporté comme un véritable banquier ; qu'en effet à cette époque, D... qui vivait dans les meilleurs termes avec X..., imaginait d'endosser à son bénéfice des lettres de change tirées par des gaveurs au motif que la banque avait limité le plafond de l'escompte ;
"que c'est dans ces conditions que X... consentait à D... en juin d'une avance de 350 000 francs et en juillet de 400 000 francs et ce, en échange de traites, et que, par cette opération, X... avait en fait encaissé des traites pour un montant du double des avances accordées (1 500 000 francs au lieu de 750 000 francs) réalisant ainsi une opération fructueuse pour lui mais désastreuse pour la Ferme du Sauvage ;
"qu'agissant ainsi, X... percevait nettement les difficultés financières de la Ferme du Sauvage et contribuait sciemment par son intervention intéressée, à précipiter son déclin au lieu d'en assurer la survie ;
"que les déclarations de X... arguant de sa bonne foi parce qu'il n'avait aucun intérêt à ce que la Ferme du Sauvage dépose son bilan, se heurte tout simplement à la plus élémentaire évidence qui résulte des faits d'autant plus qu'il s'agit là de sa part d'un aveu de faire survivre à tout prix le commerce D... d quels qu'en soient les moyens ruineux (arrêt p. 29 alinéas 8 et 9 et p. 30 alinéas 1 à 3) ;
"alors que, dans ses conclusions d'appel, X... avait fait valoir qu'à la date d'émission des traites, il se trouvait déjà créancier de la Ferme du Sauvage d'une somme de 758 733,64 francs correspondant à 11 factures de fourniture d'aliments, portant en définitive sa créance à 1 508 733,64 francs que ne couvraient même pas lesdites traites en sorte que tombait l'élément déterminant de la poursuite, fondé, en réalité, sur une erreur comptable ; qu'en se dispensant de répondre à ce chef péremptoire des écritures du prévenu comme, par voie de conséquence, d'examiner les factures régulièrement produites par celui-ci, la cour d'appel a violé l'article
593 du Code de procédure pénale" ;
Et sur le moyen
unique de cassation proposé par G... et pris de la violation des articles
59 et
60 du Code pénal,
592 et
593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, défaut de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Roger G... coupable de complicité par aide et assistance, de banqueroute avec emploi de moyens ruineux, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis
et 20 000 francs d'amende et au paiement solidaire avec les autres prévenus hormi les époux D... des dommages-intérêts demandés par les parties civiles ;
"aux motifs que "Roger G... connaissait de longue date Robert D..., qui était client de toujours du Crédit Agricole tant dans le cadre de son activité personnelle que dans le cadre de la SA SODELA qu'il avait créée ; qu'en effet, Mme G... exerçait le métier d'éleveur-gaveur et était en rapport d'affaires avec D... ; que G... confesse que quand il a appris que la Banque Pouyanne avait consenti à ouvrir une ligne d'escompte à D..., il en avait été très surpris eu égard à ses déboires commerciaux passés, "l'escompte devant être particulièrement ruineux pour lui et rémunérateur pour la banque", suivant sa propre expression ; que malgré cette constatation G..., employé de l'agence du Crédit Agricole de Pouillon a assisté Robert D... dans ses opérations de traites de cavaleries, particulièrement en rassurant un des gaveurs, client de sa banque, Z... qui déplorait devant lui les pratiques peu orthodoxes imposées par D..., et notamment des effets acceptés sans livraison d réelle ; que les gaveurs qui signaient des traites possédaient leurs comptes dans cette agence ; que l'ensemble des mouvements de fonds suspect a été porté à la connaissance de Jean-Pierre Y..., chef d'agence et de G..." ;
"alors que, d'une part, la complicité ne peut être retenue que si le complice a eu connaissance de l'infraction au moment où il y porte aide et assistance ; qu'en l'espèce, dans le procès-verbal d'interrogatoire du 10 octobre 1987 il est indiqué "Ceci (l'escompte) était ruineux pour D... et cela devait être particulièrement gratifiant pour la banque, car j'ai appris par la suite quand j'ai eu connaissances des déclarations de D..., qu'une année il a payé 120 000 francs d'intérêts" (cf. p. 3 PV 3) ; que la cour d'appel ne pouvait déduire de cette déclaration que G... avait eu connaissance de ce que l'escompte était "ruineux" pour D... et le déclarer coupable de banqueroute ;
"alors que, d'autre part, la complicité d'un employé de banque pour une banqueroute simple due à la pratique de l'escompte comme moyen ruineux de retarder la procédure de redressement judiciaire, suppose d'une part que celui-ci ait aidé à cette pratique, alors qu'il savait que les effets escomptés étaient sans cause et d'autre part que les effets soient tirés par une entreprise dont l'intéressé connaissait personnellement la situation irrémédiablement compromise ; qu'en l'espèce la cour d'appel, se bornant à constater que G... connaissait personnellement D..., qu'il avait rassuré un des émetteurs de traites escomptées et qu'il voyait l'ensemble des mouvements de fonds, n'a pas caractérisé l'intention coupable du demandeur" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que l'ensemble des énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme sur les déclarations de culpabilité, pour partie reprises aux moyens eux-mêmes, mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que les juges du fond, qui n'avaient pas à répondre mieux qu'ils l'ont fait aux conclusions dont ils étaient saisis, ont caractérisé, sans insuffisance, tous les éléments constitutifs, matériels et intentionnel, tant du délit principal de banqueroute par emploi de moyens ruineux dont ils ont déclaré les
cinq prévenus complices que de cette complicité elle-même ; qu'il en est de même pour la complicité de tentative d'escroquerie retenue en outre à la charge des deux d prévenus Laumont et B... ;
Que les moyens qui se bornent à remettre en question les faits et circonstances de la cause souverainement appréciés après débats contradictoires par les juges du fond ne sauraient être admis ;
Mais sur le troisième moyen
de cassation proposé en commun par les demandeurs Laumont, B... et la Banque Pouyanne et pris de la violation des articles
2,
3,
591 et
593 du Code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevables les constitutions de partie civile de Lesbarreres et Z... et a condamné solidairement avec les autres prévenus puis Laumont et B... ainsi que la Banque Pouyanne civilement responsable de ceux-ci à leur payer diverses sommes ;
"aux motifs que même si les parties civiles ont participé au mécanisme ruineux mis en place par D..., ce qui n'est pas établi, la règle "nemo auditur" ne trouve pas son application en matière pénale pour les intérêts civils de sorte que les parties civiles sont parfaitement responsables ;
"que le préjudice subi par celles-ci est établi par la procédure, que la Cour confirme sur ce point le jugement attaqué ainsi que les indemnités allouées appréciées ex aequo et bono par les premiers juges ;
"alors que, d'une part, est nécessairement irrecevable l'action civile tendant à la réparation d'un préjudice prenant sa source dans un concert frauduleux auquel a délibérément participé la victime de l'infraction ; que la Cour ne pouvait sans entacher sa décision d'un manque de base légale déclarer recevables les constitutions de parties civiles de Lesbarreres et Z... en l'état de ses propres énonciations dont il ressort que ces deux éleveurs-gaveurs avaient de manière répétée accepté des effets de complaisance aux termes d'un concert frauduleux mis en place avec D... ;
"et alors que, d'autre part, la recevabilité de l'action civile devant la juridiction répressive supposant l'existence d'un préjudice direct et certain, les juges du fond qui ont fait droit à la demande en réparation de Lesbarreres et Z... sans nullement s'expliquer sur la nature et l'étendue de leur préjudice d ne met pas la chambre criminelle en mesure d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision ainsi prononcée" ;
Sur le quatrième moyen
de cassation proposé par les mêmes demandeurs et pris de la violation des articles
2,
3,
591 et
593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré recevable la constitution de partie civile de Hassan et a condamné solidairement avec d'autres prévenus, B..., Laumont ainsi que la Banque Pouyanne civilement responsables de ceux-ci à lui verser la somme de 20 000 francs ;
"alors qu'en l'absence de toutes énonciations concernant la nature et l'étendue du préjudice dont il est ainsi accordé réparation, cette décision, dépourvue de tout motif, est nécessairement dépourvue de base légale" ;
Sur le quatrième moyen
de cassation proposé par la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel du Sud-Ouest et par Y... et pris de la
violation des articles
2 et
593 du Code de procédure pénale,
1384 du Code civil, défaut de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les constitutions de partie civile recevables et condamné solidairement le Crédit Agricole civilement responsable de ses préposés Y... et G... à des réparations civiles ;
"aux motifs que même si les parties civiles avaient participé au mécanisme ruineux mis en place par D..., la règle "nemo auditur" ne trouvait pas son application en matière pénale pour les intérêts civils ; que leur préjudice était établi par la procédure ;
"alors, d'une part, qu'est irrecevable la constitution de partie civile de celui qui a frauduleusement et de concert avec l'auteur principal participé à la mise en place du mécanisme ruineux pour se procurer du crédit ; qu'en rejetant la fin de non-recevoir opposée par le Crédit Agricole pour les seuls motifs susénoncés cependant qu'il résultait d'autres énonciations que les parties civiles et en particulier Z... avaient participé consciemment au mécanisme ruineux mis en place par les époux D..., d la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"alors, d'autre part, qu'en refusant de s'expliquer sur la faute commise par les parties civiles expressément invoquée par le Crédit Agricole et d'opérer au moins un partage de responsabilité permettant de laisser à leur charge une partie de leur préjudice, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale" ;
Sur le cinquième moyen
de cassation proposé par les mêmes demandeurs et pris de la violation des articles
2 et
593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné solidairement les prévenus et le Crédit Agricole à payer aux parties civiles les sommes de 50 000 francs et de 20 000 francs à titre de dommages-intérêts ;
"alors qu'en se bornant à confirmer le jugement sans répondre aux conclusions du Crédit Agricole faisant valoir que le préjudice allégué ne résultait pas directement des agissements imputés aux préposés du Crédit Agricole, la cour d'appel n'a donné aucune base légale à sa décision" ;
Sur le second moyen
de cassation proposé par X... et pris de la violation de l'article
1382 du Code civil,
591 et
593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué, accueillant les constitutions des trois parties civiles, Lesbarreres, Z... et Hassan, a condamné X..., solidairement avec les autres coprévenus, à leur payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts ;
"aux motifs propres que "le préjudice subi par les parties civiles est établi par la procédure ;
"que la Cour confirme sur ce point le jugement attaqué ainsi que les indemnités allouées appréciées ex aequo et bono par les premiers juges et rejette toutes prétentions contraires ou plus amples" (arrêt p. 32, alinéas 7 et 8) ;
"et aux motifs adoptés des premiers juges que "les dommages dont Lesbarreres et Z... demandent d aujourd'hui réparation prennent directement leur source dans les délits de banqueroute et de complicité de banqueroute reprochés aux prévenus" (jugement
p. 11) ;
"alors, d'une part, qu'en statuant par ces motifs de pure forme sans examiner concrètement ni la nature ni l'étendue des préjudices allégués par les parties civiles, la cour d'appel a entaché son arrêt d'un véritable défaut de motifs, en violation de l'article
593 du Code de procédure pénale ;
"alors, d'autre part, qu'en statuant par les motifs susvisés totalement étrangers à M. A..., dont seule la constitution de partie civile a été déclarée recevable, la cour d'appel a, en toute hypothèse, entaché son arrêt d'un véritable défaut de motifs quant à la condamnation prononcée au profit de cette partie civile" ;
Les moyens étant réunis ;
Vu les articles visés aux moyens ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que pour faire droit à l'action civile exercée par Lesbarrères, Z... et Hassan contre Laumont, B..., Y..., G... et X... reconnus coupables de complicité de banqueroute par emploi de moyens ruineux et contre les commettants de certains de ces prévenus, déclarés civilement responsables, les juges du fond se bornent à énoncer que les dommages dont les parties civiles demandent réparation prennent directement leur source dans le délit reproché qu'elles en ont personnellement souffert et que le préjudice subi est établi par la procédure ;
Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, la cour d'appel qui s'est abstenue de préciser la nature et les éléments du préjudice dont elle ordonnait la réparation et notamment de rechercher si le préjudice allégué ne se confondait pas avec celui résultant de non-paiement de créances, n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision au regard de l'ensemble des dispositions civiles remises en question par le pourvoi ;
D'où il suit
que la cassation est encourue de d ce chef ;
Par ces motifs
, et sans qu'il y ait lieu d'examiner ni les moyens proposés par les parties civiles Lesbarrères et Z... ni le deuxième moyen présenté par la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel du Sud-Ouest, et par Y..., auquel ces demandeurs ont déclaré expressément renoncer, ni le moyen additionnel proposé par eux,
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Pau, en date du 5 septembre 1989, mais en ses seules dispositions civiles concernant les demandeurs aux pourvois, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Toulouse, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Pau, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que
dessus ;
Où étaient présents : M. Tacchella conseiller le plus ancien faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Souppe conseiller rapporteur, MM. Gondre, Hébrard, Hecquard, Culié conseillers de la chambre, MM. Bayet, de Mordant de Massiac conseillers référendaires, M. Libouban avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;