Chronologie de l'affaire
Tribunal administratif de Nantes 25 octobre 2021
Cour administrative d'appel de Nantes 07 mars 2023

Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 7 mars 2023, 21NT03140

Mots clés visa · recours · produits · enfants · subsidiaire · protection · actes · familial · filiation · possession d'état · requête · intérieur · acte · identité · commission

Synthèse

Juridiction : Cour administrative d'appel de Nantes
Numéro affaire : 21NT03140
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Nantes, 25 octobre 2021, N° 2104615
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur : M. Alexis FRANK
Rapporteur public : M. MAS
Avocat(s) : LE FLOCH

Chronologie de l'affaire

Tribunal administratif de Nantes 25 octobre 2021
Cour administrative d'appel de Nantes 07 mars 2023

Texte

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... H... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 1er juillet 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours, formé contre la décision du 23 décembre 2019 des autorités consulaires françaises à Douala (Cameroun) refusant de délivrer un visa de long séjour aux enfants I... D... C... E... et G... A... en qualité de membres de famille de bénéficiaire de la protection subsidiaire.

Par un jugement n° 2104615 du 25 octobre 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les refus de visas d'entrée en France du 1er juillet 2020 et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour aux enfants I... D... C... E... et G... A... dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 novembre 2021, et des pièces produites le 29 décembre 2021, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 25 octobre 2021 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme H... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- les actes d'état-civil produits ne sont pas probants et ne permettent d'établir ni l'identité des demandeurs de visa, ni le lien familial avec Mme H... ; le lien familial n'est pas mieux démontré par les éléments de possession d'état ;

- les autres moyens soulevés à l'appui de la demande de première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 janvier 2022, Mme H..., représentée par Me Le Floch, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.

Mme H... a été maintenue de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 décembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.


Considérant ce qui suit

:

1. Mme F... H..., ressortissante Camerounaise née le 21 juillet 1982, a été admise au bénéfice de la protection subsidiaire par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 20 décembre 2016. Ses enfants allégués D... C... E..., née le 18 mars 2005, et Ryan Wabo A..., né le 15 décembre 2014, ont sollicité la délivrance de visas de long séjour en qualité de membres de famille de bénéficiaire de la protection subsidiaire. Par une décision du 23 décembre 2019, l'autorité consulaire française à Douala (Cameroun) a refusé de délivrer les visas sollicités. Par une décision du 1er janvier 2020, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision consulaire. Par un jugement du 25 octobre 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer aux enfants D... C... E... et G... A... les visas sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, et dont les dispositions ont été reprises aux articles L. 561-2 à L. 561-5 du même code : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II.- (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ". L'article L. 411-2 de ce code alors en vigueur dispose : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". L'article L. 411-3 du même code alors en vigueur prévoit : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne bénéficiaire de la protection subsidiaire ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.

3. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, aujourd'hui repris à l'article L. 811-2 du même code, prévoit en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

4. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

5. Il ressort des pièces du dossier que pour refuser de délivrer les visas sollicités, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que l'identité des demandeurs de visa, et partant, leur lien familial à l'égard de Mme H..., n'étaient pas établis.

6. Pour justifier de l'identité des enfants D... C... E... et G... A..., ont été initialement produits deux actes de naissance n°043/2005 et n°2014/CE/8833/N216, respectivement dressés le 2 avril 2005 par l'officier d'état civil du centre d'Etoa Yaoundé, et le 30 décembre 2014 par l'officier d'état civil du centre d'Odza-Yaoundé. Pour remettre en cause le caractère authentique et probant de ces documents, le ministre de l'intérieur relève que les levées d'actes diligentées auprès des autorités locales ont révélé que ces actes n'existaient pas dans les registres d'état-civil. Toutefois, la requérante a produit, à l'appui de la demande de première instance, un jugement supplétif d'acte de naissance n°1736/DCL, rendu par le tribunal de premier degré de Yaoundé le 27 août 2020, ainsi que les actes de naissance n°2020/CE7207/N/141 et 2020/CE7207/N/142 des enfants I... D... C... E... et G... A... dressés le 24 novembre 2020 en transcription de ce jugement. Le jugement du 27 août 2020 mentionne les prénom et nom des enfants, leurs date et lieu de naissance et le nom et prénom de la mère, et permet ainsi de déterminer l'identité des personnes qui y figurent ainsi que le lien de filiation allégué. Contrairement à ce qu'indique le ministre, la circonstance que les actes initialement produits seraient inauthentiques ne suffit pas à établir que les actes dressés le 24 novembre 2020 seraient irréguliers, falsifiés, que les faits qui y sont déclarés ne correspondraient pas à la réalité, ou que le jugement supplétif d'acte de naissance du 27 août 2020 présenterait un caractère frauduleux. Par ailleurs, les énonciations contenues dans ce jugement et les actes d'état civil dressés en transcription sont conformes aux différentes déclarations faites par Mme H... devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Dès lors, c'est par une inexacte application des dispositions précitées que la commission a rejeté la demande de visa litigieuse au motif que l'identité des intéressés et leur lien familial allégué avec Mme H... n'étaient pas établis.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme H..., la décision du 1er juillet 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours, formé contre la décision des autorités consulaires françaises à Douala du 23 décembre 2019 refusant de délivrer un visa de long séjour aux enfants I... D... C... E... et G... A... en qualité de membres de famille de bénéficiaire de la protection subsidiaire.

Sur les frais liés au litige :

8. Mme H... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Le Floch dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :



Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Le Floch une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... H... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 10 février 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- M. Frank, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 mars 2023.

Le rapporteur,

A. B...Le président,

J. FRANCFORT

La greffière,

H. EL HAMIANI

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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No 21NT03140