Chronologie de l'affaire
Tribunal administratif de Marseille 18 septembre 2017
Cour administrative d'appel de Marseille 11 avril 2019

Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 11 avril 2019, 17MA04091

Mots clés responsabilité de la puissance publique · patient · réparation · médical · intervention · requête · rapport · risque · service · solidarité · décès · dommage · expertise · indemnisation · perte de chance · preuve

Synthèse

Juridiction : Cour administrative d'appel de Marseille
Numéro affaire : 17MA04091
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Marseille, 18 septembre 2017, N° 1601764
Président : Mme JORDA-LECROQ
Rapporteur : Mme Agnes BOURJADE
Rapporteur public : M. ARGOUD
Avocat(s) : BELLAIS

Chronologie de l'affaire

Tribunal administratif de Marseille 18 septembre 2017
Cour administrative d'appel de Marseille 11 avril 2019

Texte

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... D...et Mme F... G...ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille (AP- HM) à leur verser, en leur qualité d'ayants droit de M. B... G..., la somme de 85 000 euros, ainsi que la somme de 60 000 euros chacune ou, à défaut, de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) la somme de 30 000 euros chacune en réparation des préjudices résultant du décès de M. G... et d'ordonner une expertise médicale.

Par un jugement n° 1601764 du 18 septembre 2017, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 16 octobre 2017, Mmes D...etG..., représentées par Me A..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 18 septembre 2017 ;

2°) à titre principal, de condamner l'AP-HM à leur verser, en leur qualité d'ayants droit de M. G..., la somme de 85 000 euros et, à titre personnel, la somme de 60 000 euros chacune ainsi que les intérêts au taux légal à compter de la date de la première demande d'indemnisation et la capitalisation de ces intérêts ;

3°) à titre subsidiaire, de mettre à la charge de l'ONIAM le versement de la somme de 30 000 euros à chacune ;

4°) d'ordonner une expertise médicale ;

5°) de mettre à la charge de l'AP-HM la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le patient n'a pas été informé des risques encourus concernant la première intervention, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, alors que cette intervention ne présentait pas un caractère urgent ;

- lors de la première intervention, une plaque inadaptée a été posée ;

- le choix d'un vissage uni-cortical lors de la seconde intervention était discutable compte tenu de l'état de santé de M. G... ;

- le décès du patient est lié à la prise en charge par l'établissement de soins ;

- la condition d'anormalité est remplie dès lors que l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 août 2018, l'ONIAM, représenté par la SELARL De La Grange et Fitoussi Avocats, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable en l'absence de critique du jugement attaqué ;

- le dommage de M. G... n'est pas anormal au sens de l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique ;

- la complication survenue n'est pas exceptionnelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er octobre 2018, l'AP-HM, représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- aucun manquement au devoir d'information ne peut lui être reproché ;

- les interventions étaient impérieusement requises ;

- les soins prodigués ont été dispensés dans les règles de l'art ;

- le choix thérapeutique est conforme aux données actuelles de la science ;

- à défaut d'indemnisation totale, la perte de chance doit être indemnisée ;

- le déficit fonctionnel permanent n'est pas justifié ;

- les sommes demandées sont excessives ;

- la demande d'expertise ne présente pas d'utilité.

La requête a été communiquée à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la Cour a désigné Mme Jorda-Lecroq, présidente-assesseure de la 2ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bourjade-Mascarenhas,

- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant Mme D... et Mme G..., et de Me C..., substituant Me E... représentant l'AP-HM.


Considérant ce qui suit

:

1. M. B... G..., âgé de soixante-quatorze ans, qui présentait une spondylarthrite ankylosante, a été victime le 12 mai 2012 d'un accident sur la voie publique à la suite duquel il a fait l'objet d'une ostéosynthèse cervicale par plaque antérieure le 16 mai 2012 à l'hôpital de la Conception, relevant de l'AP-HM. Alors qu'il a souffert d'une détresse respiratoire le 19 mai puis le 29 mai 2012, son état a nécessité une intubation orotrachéale et une nouvelle admission en réanimation. Des signes de tétraplégie sont apparus au réveil du patient, indiquant une mobilisation du matériel d'ostéosynthèse cervicale. Une intervention pour laminectomie et fixation occipito-cervicale par voie postérieure n'a pas permis d'améliorer l'état neurologique de M. G.... Celui-ci a été hospitalisé à la clinique Saint Martin à Marseille du 6 août 2012 au 15 octobre 2012 puis à son domicile où il est décédé le 15 juin 2013 d'une défaillance multiviscérale. Mme D... et Mme G..., respectivement épouse et fille de la victime, relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Marseille du 18 septembre 2017 rejetant leurs demandes de condamnation de l'AP-HM, ou à défaut de l'ONIAM, à les indemniser des préjudices consécutifs au décès de leur époux et père.

Sur la responsabilité de l'AP-HM :

En ce qui concerne le défaut d'information :

2. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. ".

3. Lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé. Si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les médecins de leur obligation. Un manquement des médecins à leur obligation d'information engage la responsabilité de l'hôpital dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée. C'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent nier l'existence d'une perte de chance.

4. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise diligentée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux Provence -Alpes-Côte d'Azur, que la réduction de la fracture cervicale dont Charles G... a été victime réalisée le 16 mai 2012 était impérieusement requise. M. G... ne disposait pas de possibilité raisonnable de refus. Par suite, le défaut d'information sur les risques de cette première intervention ne peut être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme lui ayant fait perdre une chance d'échapper aux complications qui sont survenues.

5. Dans ces conditions, Mmes D...et G...ne sauraient davantage rechercher en appel qu'en première instance la responsabilité de l'AP-HM pour défaut d'information.

En ce qui concerne les fautes médicales :

6. Le I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique prévoit que la responsabilité de tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins peut être engagée en cas de faute. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé, n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue. En outre, une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service public hospitalier engage la responsabilité de celui-ci envers la victime.

7. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que, d'une part, l'ostéosynthèse cervicale par voie antérieure est la technique recommandée pour le traitement chirurgical d'une fracture cervicale. L'indication opératoire du 16 mai 2012 était ainsi médicalement justifiée. Les requérantes ne produisent aucun document médical de nature à remettre en cause l'analyse documentée de l'expert sur ce point ou à démontrer que l'AP-HM a commis une faute dans la pose d'une plaque inadaptée lors de la première intervention chirurgicale. D'autre part, s'agissant de la seconde opération pratiquée le 1er juin 2012, réalisée dans un contexte de tétraplégie avec instabilité cervicale antérieure sur un patient porteur d'une spondylarthrite ankylosante, le choix technique d'un vissage uni-cortical de la plaque cervicale, et non d'un vissage bi-cortical, est conforme aux données actuelles de la science et n'est pas constitutif d'une faute contrairement à ce qui est allégué par Mmes D... etG..., qui ne communiquent au demeurant aucune littérature médicale susceptible de remettre en cause les conclusions étayées de l'expertise sur la justification médicale de la technique opératoire ainsi mise en oeuvre.

8. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu l'absence de faute dans la survenance du décès de Charles G...de nature à engager la responsabilité de l'AP-HM.

Sur l'obligation d'indemnisation à la charge de l'ONIAM :

9. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I (...) n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ".

10. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.

11. D'une part, il résulte de l'instruction que, ainsi que cela a été exposé précédemment, que M. G...souffrait de spondylarthrite ankylosante depuis 40 ans. En l'absence d'intervention pour réduire la fracture cervicale, M. G... était exposé à un risque de tétraplégie brutale et définitive à très court terme. Le risque de démontage du matériel d'ostéosynthèse est évalué de 1 à 2 % par l'expert. En outre, le taux de mortalité des patients porteurs d'une spondylarthrite ankylosante et victimes d'une fracture cervicale compliquée d'une tétraplégie est de 100 % à un an. Dans ces conditions, les deux interventions chirurgicales pratiquées n'ont pas entraîné de conséquences notablement plus graves que celles auxquelles M. G... était exposé en l'absence de réduction de la fracture.

12. D'autre part, le décès au bout d'un an d'un patient atteint de spondylarthrite ankylosante étant estimé à 100 % en cas de fracture cervicale compliquée d'une tétraplégie, ainsi que cela a été exposé au point précédent, la survenance du dommage ne présentait pas une probabilité faible. Par suite, les conséquences des interventions chirurgicales ne présentent pas un caractère anormal au sens des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique. Elles ne sont dès lors pas susceptibles d'ouvrir droit à réparation au titre de la solidarité nationale comme l'ont estimé à bon droit les premiers juges.

13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu d'examiner la fin de non -recevoir opposée par l'ONIAM ni d'ordonner une expertise, que Mmes D...et G...ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leurs demandes.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'AP-HM, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse quelque somme que ce soit à Mmes D...et G...au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.

D É C I D E :



Article 1er : La requête de Mmes D...et G...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H...D..., à Mme F... G..., à l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 28 mars 2019 où siégeaient :

- Mme Jorda-Lecroq, présidente-assesseure, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Bourjade-Mascarenhas, première conseillère,

- M. Merenne, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 11 avril 2019.

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N° 17MA04091