Tribunal de grande instance de Paris, 4 avril 2003, 2001/18544

Synthèse

  • Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
  • Numéro de pourvoi :
    2001/18544
  • Domaine de propriété intellectuelle : MARQUE
  • Marques : SISLEY ; ELESIS PARIS
  • Classification pour les marques : CL03
  • Numéros d'enregistrement : 1199308 ; 1494861 ; 98733365 ; 98733366
  • Parties : CFEB SISLEY SA c.; HANKOOK COSMETICS Co. Ltd (Corée-du-Sud) ; LA BEAUTÉ INTERNATIONAL SARL

Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2007-04-03
Cour d'appel de Paris
2005-01-12
Tribunal de grande instance de Paris
2003-04-04

Texte intégral

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS 3ème chambre 2ème section JUGEMENT rendu le 04 Avril 2003 № RG : 01/18544 DEMANDERESSE S.A. C.F.E.B. SISLEY [...] V 75008 PARIS représentée par Me Anne LAKITS-JOSSE, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire R 17 DÉFENDERESSES Société de droit coréen HANKOOK COSMETICS CO LTD 88 Suhrin-Dong, Chongro-Ku SEOUL COREE DU SUD représentée par la SELARL B ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, avocats postulant, vestiaire LUI S.A.R.L. LA BEAUTE INTERNATIONAL [...] 75002 PARIS représentée par Me BOURGEOIS ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire LUI COMPOSITION DU TRIBUNAL M. G, Vice-Président Mme S, Vice-Présidente Mme DARBOIS, Vice-Présidente assistés de Annie VENARD-COMBES, Greffier DEBATS A l'audience du 27 février 2003, tenue publiquement devant Mr G et Mme DARBOIS, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 786 du Nouveau code de procédure civile. JUGEMENT Prononcé en audience publique Contradictoire en premier ressort La société C.F.E.B. S1SLEY, qui indique commercialiser des produits cosmétiques à base de plantes et d'huiles essentielles sous l'appellation SISLEY PARIS et, pour la plupart d'entre eux, dans des conditionnements blanc et argent comportant souvent un groupe de rayures argentées, est propriétaire - de la marque semi-figurative SISLEY déposée à l'INPI le 21 novembre 1978 pour désigner les produits de la classe 3 ; cette marque a fait l'objet d'un renouvellement le 21 octobre 1988, enregistré sous le numéro 1 494 861, puis le 20 août 1998;- de la marque SISLEY déposée à l'INPI le 23 mars 1982 et enregistrée sous le numéro 1 199 308 ; cette marque, qui désigne les produits de la classe 3 et a été renouvelée le 21 février 1992, a en outre fait l'objet d'un enregistrement international sous le numéro 497 472 du 23 octobre 1985 selon inscription des 20 décembre 1990/21 janvier 1991. Elle expose avoir découvert la vente à PARIS, sous la marque ELESIS PARIS, de produits de beauté fabriqués par la société LA BEAUTÉ INTERNATIONAL et présentés dans des conditionnements blanc et argent comportant, pour certains, des groupes de rayures argent ; elle déclare avoir appris, à cette occasion, que la société de droit coréen HANKOOK COSMETICS était titulaire des marques complexes ELESIS enregistrées le 20 mai 1998 sous les numéros 98 733 365 et 98 733 366 pour désigner les produits de la classe , Aux motifs que la marque ELESIS constitue "en quelque sorte" l'anagramme de la marque SISLEY, de sa dénomination sociale et de son nom commercial, que le risque de rapprochement entre les deux dénominations est renforcé par le fait que les produits sont présentés à la clientèle dans des conditionnements similaires et que la volonté d'association entre les deux marques est certaine et voulue, la société C.F.E.B. SISLEY a, par actes d'huissier des 2 et 21 novembre 2001, fait assigner les sociétés HANKOOK COSMETICS et LA BEAUTÉ INTERNATIONAL, sur le fondement des articles L. 713-1, L. 713-3 et L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle, en contrefaçon de la marque SISLEY et usurpation de dénomination sociale et de nom commercial ; Elle a, en conséquence, conclu à la nullité des enregistrements des marques n° 98 733 365 et 98 733 366 et sollicité to utes mesures d'interdiction, de confiscation et de publication d'usage ainsi que la condamnation des défenderesses à lui verser la somme de 50 000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, le tout, sous le bénéfice de l'exécution provisoire. Les défenderesses ont, en premier lieu, opposé une demande en "déchéance de la marque" n°1 199 308 en application de l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle ; Elles ont en outre conclu au rejet des demandes aux motifs, en substance, que ni la comparaison des marques dans leur exacte apparence, ni la comparaison d'extraits desdites marques, qu'elle soit phonétique, graphique ou sémantique, n'est susceptible d'engendrer un risque de confusion, et qu'il n'existe pas non plus de risque de confusion, dans l'esprit du public, avec la dénomination commerciale réelle et complète de la demanderesse ; elles ont ajouté que les critères extérieurs aux marques ne devaient pas être pris en considération, et qu'en tout état de cause, cette présentation des emballages était répandue dans le domaine des produits cosmétiques, que le risque de confusion devait être apprécié sur le territoire français, que les éléments de communication commerciale concernant leurs produits respectifs étaient différents et que la demanderesse ne pouvait revendiquer de droits sur l'apposition de l'origine "PARIS" ; Elles ont enfin formé une demande reconventionnelle en paiement à chacune de la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La demanderesse a conclu au rejet de la demande en déchéance aux motifs que l'usage régulier en lettres minuscules, dont elle justifie en ce qui concerne la marque dénominative, n'en a pas altéré le caractère distinctif et qu'elle justifie d'un usage régulier de la marque complexe; Elle a en outre répliqué qu'il appartient au tribunal d'apprécier la contrefaçon au regard des actes d'usage de la dénomination ELESIS, prise telle qu'elle est exploitée ; elle a, en conséquence, conclu au rejet des arguments opposés en défense et maintenu ses demandes initiales. L'instance a été clôturée le 8 novembre 2002.

MOTIFS

: Sur la demande en déchéance : Attendu que la marque n° 1 199 308, déposée pour dé signer les produits de parfumerie, de beauté, savonnerie, fards, huiles essentielles, cosmétiques, produits pour la chevelure et dentifrices de la classe 3, est une marque verbale composée du mot SISLEY en lettres majuscules ; que seuls sont en l'espèce opposés les produits cosmétiques ; que les sociétés HANKOOK COSMETICS et LA BEAUTÉ INTERNATIONAL demandent au tribunal de prononcer "la déchéance de la marque" dont s'agit aux motifs que la preuve n'est pas rapportée de l'usage de cette marque sous cette forme particulière de lettrage et que la demanderesse ne peut invoquer les preuves de l'usage de la marque complexe n°1 494 861 pour tent er de justifier de l'usage de la marque n° 1 199 308 alors que celles-ci sont différ entes ; Attendu qu'en vertu de l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle, "Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l'enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans" ; qu'est "assimilé à un tel usage : (...) b) L'usage de la marque sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif : " ; que "L'usage sérieux de la marque commencé ou repris postérieurement à la période de cinq ans ... n'y fait pas obstacle s'il a été entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire a eu connaissance de l'éventualité de cette demande " ; Attendu que pour s'opposer à la demande en déchéance, la société C.F.E.B. SISLEY verse aux débats : - des extraits de magazines parmi lesquels, notamment, les numéros du magazine "madame F" datés des 21 février, 9 mai et 4 juillet 1998, 20 février, 10 avril, 4 septembre et 25 septembre 1999, 3 juin et 4 novembre 2000, 4 mai, 24 novembre et 1er décembre 2001, le numéro daté du 11 mars 1999 du magazine "MARIE F", le numéro daté du 22 mars 1999 du magazine "ELLE", le numéro daté du 6 septembre 1999 du magazine "Femme Actuelle", les numéros de février, mars et novembre 2001 du magazine "FEMME", les numéros de janvier 2001 des magazines 'TENDANCES" et "Génération Santé", ainsi que le numéro de décembre 2000-janvier 2001 de la revue "Cosmétiques" destinée aux professionnels, reproduisant des publicités de divers produits cosmétiques et de beauté, de produits de maquillage, d'une eau de parfum et d'un savon comportant la marque "sisley" ; - son catalogue "programme beauté" paru au mois de janvier 2001 sur lequel figure la reproduction de plusieurs produits cosmétiques et de beauté, produits pour la chevelure, produits de maquillage et un savon, à base de plantes et d'huiles essentielles, comportant la marque "sisley" ; qu'il ressort de l'examen de ces reproductions que la seule modification apportée à la marque a été l'emploi de lettres minuscules ; qu'elle n'a ainsi en aucune façon altéré le caractère distinctif de ladite marque pour désigner les produits de la classe 3 ; qu'en conséquence, l'ensemble de ces éléments attestent, en ce qui concerne les produits cosmétiques, d'un usage sérieux de la marque SISLEY n°1 199 308 dans des conditions qui font obstacle à la demande en déchéance, laquelle a été formulée pour la première fois par les défenderesses dans leurs conclusions signifiées le 22 mars 2002. Sur la contrefaçon : Attendu que la société C. F. E. B. SISLEY invoque la contrefaçon par imitation de la marque n°1 199 308 décrite ci-dessu s et de la marque semi-figurative n°1494 861 suivante, déposée pour désigner notammen t les produits cosmétiques de la classe 3 : qu'elle fait en effet respectivement grief aux sociétés HANKOOK COSMETICS et LA BEAUTÉ INTERNATIONAL de fabriquer et de commercialiser en France et à l'étranger, particulièrement dans les pays asiatiques, des produits cosmétiques sous la marque ELESIS ce qui, ajouté à leur composition à base de plantes et d'huiles essentielles et à leur présentation dans des conditionnements similaires, aurait déjà, selon elle, engendré une confusion dans l'esprit du public ; que les défenderesses lui opposent le fait que les marques doivent être comparées dans leur exacte apparence et sans prise en considération de critères extérieurs. Attendu en application de l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, que "Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public : (...) b) L'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement." ; Attendu qu'il n'est pas contesté en l'espèce que la société HANKOOK COSMETICS fabrique notamment des produits cosmétiques à base de plantes et d'huiles essentielles qu'elle commercialise sous la marque ELESIS PARIS et ce, en ce qui concerne la France, par l'intermédiaire de la société LA BEAUTÉ INTERNATIONAL ; qu'elle a d'ailleurs déposé à l'INPI le 20 mai 1998 les marques suivantes : que ces marques ont été déposées en couleurs pour désigner les savons, produits de parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, préparations cosmétiques pour le bronzage de la peau, lotions pour les cheveux, dentifrices de la classe 3 ; qu'elles ont été enregistrées sous les numéros 98 733 366 et 98 733 367 ; qu'il n'est dans ces conditions pas contesté que les produits sont identiques à ceux désignés par la demanderesse dans l'enregistrement de ses marques. Attendu qu'il est soutenu, en demande, que l'imitation est caractérisée par le fait que le mot ELESIS constitue "en quelque sorte" l'anagramme de SISLEY en ce qu'on y retrouve des sonorités très proches mais dans un ordre inverse ; que la demanderesse fait à cet égard valoir que les marques sont toutes deux composées de six lettres ; que le groupe de lettres SIS est "très caractéristique et inhabituel", et qu'il "frappe immédiatement l'oeil" ; qu'il constitue la première syllabe de la marque SISLEY et se trouve reproduit à l'identique dans la "seconde" syllabe de la marque ELESIS tandis que la "première syllabe" de celle-ci présente une "consonance proche" de la seconde syllabe de la marque SISLEY ; que les défenderesses se fondent au contraire sur les conclusions, au demeurant non contestées par la société C.F.E.B. SISLEY, de l'analyse comparative effectuée à leur requête par le Professeur S, de l'Université Paris-Sorbonne, pour contester toute imitation. Attendu qu'il convient au préalable de rappeler que l'imitation alléguée doit être appréciée au regard de la clientèle française ; que dans ces conditions, les attestations émanant de Corée et d'Italie ne présentent pas d'intérêt et seront écartées ; que par ailleurs les ressemblances seront examinées en fonction des critères de la langue française. Attendu en effet que les termes dont s'agit comportent chacun six lettres dont cinq sont identiques parmi lesquelles trois constituent une même syllabe, à savoir SIS, reprise avec inversion de son emplacement puisqu'elle constitue la syllabe d'attaque du terme SISLEY tandis qu'elle constitue la syllabe finale du terme ELESIS. Mais attendu, contrairement aux allégations de la demanderesse, que le groupe de lettres SIS se retrouve dans un grand nombre de mots de la langue française, notamment en syllabe d'attaque ou en syllabe finale ; que par ailleurs cette syllabe se prononce en l'espèce différemment en raison de son emplacement ; qu'en outre ces termes sont composés de deux syllabes pour SISLEY et de trois syllabes pour ELESIS, et qu'ainsi, à la prononciation rapide et tranchante de l'un s'oppose la prononciation longue et coulante de l'autre ; qu'enfin ces termes ont une structure vocalique opposée allant respectivement du fermé à l'ouvert dans SISLEY et de l'ouvert au fermé dans ELESIS ; qu'il n'existe ainsi aucune similitude phonétique ni rythmique dans la prononciation française des termes dont s'agit. Attendu en outre que le terme ELESIS a une graphie qui s'intègre naturellement dans la langue française alors qu'en raison de sa lettre finale, le mot SISLEY est emprunté au graphisme anglais ; qu'il n'existe en conséquence aucune similitude visuelle entre ces deux termes. Attendu enfin qu'il n'existe aucune analogie entre les deux termes en ce que SISLEY est un nom propre qui évoque l'Angleterre à travers le peintre impressionniste du XIXème siècle, tandis que ELESIS constitue un néologisme qui renvoie aux mystères d'Eleusis, culte féminin voué à la déesse de la fécondité dans la Grèce antique ; que la similitude intellectuelle n'est donc pas davantage caractérisée. Attendu dans ces conditions que l'impression d'ensemble produite tant par l'audition que par la lecture de ces deux marques suggère au client, même assez peu attentif, des représentations très différentes ; qu'en conséquence, le consommateur ne sera pas amené, même en procédant à une lecture par inversion de la marque ELESIS, à effectuer un rapprochement avec la marque SISLEY dont il aurait gardé un souvenir général ; que la contrefaçon par imitation n'est donc pas caractérisée en l'espèce. Sur l'atteinte à la dénomination sociale et au nom commercial: Attendu que l'article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle dispose que "Ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment (...) b) A une dénomination ou raison sociale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public : с) A un тип commercial ou à une enseigne connus sur l'ensemble du territoire national, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ; (...) " ; Attendu que la demanderesse a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS le 20 janvier 1972 sous la dénomination sociale C.F.E.B. SISLEY ; qu'il n'est en outre pas contesté qu'elle commercialise ses produits sous le nom commercial SISLEY et ce, sur l'ensemble de la France ; qu'elle justifie en conséquence d'une antériorité par rapport au dépôt, par la société HANKOOK COSMETICS, de ses marques. Mais attendu qu'il a ci-dessus été relevé qu'il n'existait aucun risque de confusion dans l'esprit du public entre les termes SISLEY et ELESIS: que l'action en nullité des marques n° 98 733 366 e t 98 733 367 sera donc également rejetée. Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts : Attendu qu'il n'est pas démontré qu'en engageant la présente instance, la demanderesse ait abusé de son droit d'ester en justice pour assurer la protection de ses marques ; que la demande reconventionnelle sera donc rejetée. Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile : Attendu que l'équité commande d'allouer aux défenderesses ensemble la somme de 2 800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile tandis que la demanderesse, qui succombe, sera condamnée aux dépens et ne peut se prévaloir du bénéfice de cet article. Sur l'exécution provisoire : Attendu que la solution apportée au litige rend la demande d'exécution provisoire sans objet.

PAR CES MOTIFS

: Le tribunal, Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort; Rejette la demande en déchéance des droits de la société C.F.EB. SISLEY sur la marque n°1 199 308. Déboute la société C.F.E.B. SISLEY de toutes ses demandes. Déboute les sociétés HANKOOK COSMETICS et LA BEAUTÉ INTERNATIONAL de leur demande reconventionnelle de dommages-intérêts. Condamne la société C.F.E.B. SISLEY à payer aux sociétés HANKOOK COSMETICS et LA BEAUTÉ INTERNATIONAL ensemble la somme de 2 800 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne la société C.F.E.B. SISLEY aux dépens dont recouvrement direct par le Cabinet BOURGEOIS ASSOCIÉS, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.