Vu la procédure suivante
:
La société Biométal a demandé au tribunal administratif de Fort-de-France, d'une part, d'annuler les deux décisions du 25 juin 2012 du préfet de la Martinique en tant qu'elles ne lui attribuent pas, au titre de l'aide au fret, le taux de subvention maximal pour les années 2010 à 2012 et lui refusent toute subvention pour l'année 2013, ainsi que la décision du 3 octobre 2012 par laquelle le préfet a rejeté sa demande de réexamen de ces décisions, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Martinique de réexaminer ses demandes. Par un jugement n° 1201071 du 15 juillet 2013, le tribunal administratif de Fort-de-France a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 13BX02624 du 23 juin 2015, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la société Biométal contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 septembre et 17 décembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Biométal demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 ;
- le décret n° 2010-1687 du 29 décembre 2010 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Simon Chassard, auditeur,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la société Biometal SAS ;
Considérant ce qui suit
:
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Biométal, qui exerce une activité de métallurgie, a déposé, le 21 novembre 2011, auprès du préfet de la région Martinique, un dossier de demande de subvention pour les années 2010 à 2013 au titre du dispositif d'aide au fret, en sollicitant une aide au taux maximum prévu pour ce dispositif, égal à 75% de ses dépenses éligibles. Par deux décisions du 25 juin 2012, le préfet de la région Martinique a, d'une part, attribué à la société Biométal une aide au taux de 37,5% au titre des années 2010 à 2012 et, d'autre part, rejeté sa demande au titre de l'année 2013. Par une décision du 3 octobre 2012, le préfet de la région Martinique a ensuite rejeté le recours gracieux de la société Biométal contre ces décisions. Par un jugement du 15 juin 2013, le tribunal administratif de Fort-de-France a rejeté la demande de la société Biométal tendant à l'annulation des deux décisions du 25 juin 2012 et de la décision du 3 octobre 2012 rejetant son recours gracieux. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 23 juin 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a confirmé ce jugement.
2. Aux termes de l'article 24 de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer : " Il est créé une aide aux entreprises situées dans les départements d'outre-mer (...) destinée à abaisser le coût du fret des matières premières ou produits : /- importés dans ces départements (...) pour y entrer dans un cycle de production ; /- ou exportés vers l'Union européenne après un cycle de production dans ces départements (...). Le montant de l'aide mentionnée au premier alinéa est fixé chaque année en loi de finances. (...) ". Aux termes de l'article 4 du décret du 29 décembre 2010 relatif à l'aide au fret accordée aux entreprises des départements d'outre-mer, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Mayotte, de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Wallis-et-Futuna : " Le montant de l'aide apportée par l'Etat ne peut avoir pour effet de porter le niveau de compensation des coûts de transport au-delà de 75 % de la base éligible (...) Ce plafond tient compte de la part de financement supportée par l'allocation additionnelle spécifique de compensation des surcoûts liés aux handicaps des régions ultrapériphériques prévue par le Fonds européen de développement régional. Le taux d'aide apportée par l'Etat au fret ne peut dépasser 25 % du coût total éligible. (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une lettre du 10 mai 2012 adressée au président de l'Association Martiniquaise pour la Promotion de l'Industrie (AMPI), le préfet de la région Martinique a fait connaître aux entreprises concernées les modalités selon lesquelles seraient examinées et octroyées, à compter de cette date, les demandes de subventions adressées à ses services, eu égard à l'insuffisance des crédits disponibles pour satisfaire l'ensemble des demandes qui lui étaient présentées. Il a notamment indiqué que les financements accordés seraient limités à 25% des dépenses éligibles pour l'ensemble des demandes en cours d'instruction. En outre, il a précisé que les nouvelles demandes ne seraient admises, au-delà des aides déjà programmées, que jusqu'au 30 juin 2012, que seuls les dossiers déposés ou en cours d'instruction seraient effectivement examinés et que les demandes pour l'année 2013 ne seraient pas instruites mais leur examen renvoyé au prochain programme opérationnel 2014-2020 du FEDER. Si le ministre soutient en défense que le préfet de la région Martinique se serait ainsi borné à énoncer des lignes directrices relatives à l'instruction des demandes d'aide au fret par les services placés sous son autorité, il ressort des termes de la lettre du 10 mai 2012 qu'elle fixe des conditions et limites pour l'obtention des subventions au fret, en ne ménageant en outre aucune marge d'appréciation aux services instructeurs. Il ressort ainsi des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le préfet de la région Martinique a pris des dispositions réglementaires, qui sont entachées d'incompétence.
4. Si le moyen tiré de ce que les décisions attaquées auraient été prises sur le fondement d'une décision entachée d'incompétence n'a pas été soulevé devant la cour administrative d'appel de Bordeaux, la lettre du 10 mai 2012 figurait au dossier qui lui était soumis et les termes de ce document sont, au demeurant, rappelés par son arrêt. En conséquence, la société Biométal est fondée à soutenir que la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit en s'abstenant de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de l'incompétence du préfet pour édicter les dispositions réglementaires sur le fondement desquelles ont été prises les décisions qu'elle attaquait. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article
L. 821-2 du code de justice administrative.
6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 que les décisions attaquées sont fondées sur une décision entachée d'incompétence. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, la société Biométal est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Fort-de-France a rejeté sa demande.
7. La présente décision implique nécessairement que le préfet de la région Martinique procède à un réexamen de la demande de subvention de la société Biométal. Il y a lieu dès lors, en vertu de l'article
L. 911-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la région Martinique de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, pour l'ensemble de la procédure, la somme de 5 000 euros à verser à la société Biométal au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 23 juin 2015 et le jugement du tribunal administratif de Fort-de-France du 15 juillet 2013 sont annulés.
Article 2 : Les deux décisions du 25 juin 2012 et la décision du 3 octobre 2012 du par préfet de la région Martinique sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la région Martinique de réexaminer la demande de subvention de la société Biométal dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 4 : L'Etat versera à la société Biométal une somme de 5 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Biométal et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.