N° RG 22/02774 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OHWU
Décision duTribunal d'Instance de Villefrance-sur-Saône au fond du 16 décembre 2019 n°11-19-577
[T]
C/
[E]
E.P.I.C. OPAC DU [Localité 6]
COUR D'APPEL DE LYON
8ème chambre
ORDONNANCE DU CONSEILLER
DE LA MISE EN ETAT DU 30 Novembre 2022
APPELANT :
M. [P] [T]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Demandeur à l'incident
Représenté par Me Mehdi CHEBEL, avocat au barreau de LYON, toque : 1509
(bénéficiaire d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2021/032323 du 06/01/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)
INTIMÉS :
L'Office Public de l'Habitat du Département du [Localité 6], établissement public à caractère industriel et commercial sous l'enseigne OPAC DU [Localité 6], enregistré au RCS de LYON sous le numéro B 779 859 297, dont le siège social est situé [Adresse 2],
agissant poursuites et diligences de son Directeur général domicilié es qualité à son siège
Représenté par Me Laure POUTARD, avocat au barreau de LYON, toque : 964
Mme [I] [E]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
Défaillante
Audience tenue par Karen STELLA, magistrat chargé de la mise en état de la 8ème chambre de la cour d'appel de Lyon, assisté de William BOUKADIA, greffier,
Les conseils des parties entendus ou appelés à notre audience du 16 Novembre 2022, ceux-ci ayant eu connaissance de la date du délibéré au 30 Novembre 2022 ;
ORDONNANCE :
Signée par Karen STELLA, magistrat chargé de la mise en état de la 8ème chambre de la cour d'appel de Lyon, assisté de William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Suivant déclaration électronique du 14 avril 2022, le conseil de [P] [T] a interjeté appel du jugement du tribunal d'instance de VILLEFRANCHE SUR SAONE du 16 décembre 2019 en ce qu'il a notamment constaté la recevabilité de l'action de l'Office public de l'habitat du département du [Localité 6], constaté la résiliation de plein droit du bail le 24 juillet 2019 aux torts de Monsieur et Madame [T] en le condamnant solidairement à payer une indemnité d'occupation mensuelle, un arriéré de loyer et charges, et en autorisant l'expulsion du couple au besoin avec la force publique, outre condamnation solidaire à des frais irrépétibles et aux dépens.
L'exécution provisoire a été ordonnée.
L'affaire a été orientée à la mise en état.
Le jugement a été signifié le 20 janvier 2020 à domicile par acte d'huissier à chacun des consorts [T].
Suivant conclusions d'incident notifiées par RPVA le 12 juillet 2022, [P] [T] demande au conseiller de la mise en état de':
Vu les articles 114,
654 à
656,
693 du code de procédure civile , article 6 de la convention européenne des droits de l'homme,
In limine litis,
juger que l'huissier n'a pas accompli les vérifications nécessaires lors de la signification du jugement du 16 décembre 2019,
juger que cette irrégularité lui a causé un grief en ce qu'il n'a pas pu interjeter appel dans le délai légal d'un mois à compte de l'acte de signification,
annuler l'action de signification du 22 janvier 2020 relatif au jugement du 16 décembre 2019.
En conséquence,
juger son appel recevable,
condamner l'OPAC du [Localité 6] à lui payer 1 000 euros sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Il expose en substance que l'huissier n'a accompli qu'une seule diligence pour s'assurer de son domicile à savoir sa confirmation par la régie locative. Or, il faut faire plusieurs vérifications. Cette diligence est au surplus imprécise quant au contenu de la vérification. Par comparaison, pour Madame [E], il a été procédé à plusieurs démarches quant au nom sur l'interphone, sur la boîte aux lettres et sur la porte du domicile. Cela aurait d'ailleurs dû alerter l'huissier de justice sur la difficulté quant au domicile de Monsieur [T]. En outre, une fois le délai d'appel expiré, l'OPAC a trouvé son adresse aux fins de lui dénoncer une mesure d'exécution forcée.
En réalité, il n'a résidé avec son ex-épouse que trois mois, de septembre à décembre 2011. En octobre 2013, il a quitté la région pour la région parisienne. Il s'est installé à [Localité 3]. Il a ensuite déménagé à [Localité 4] et y vit toujours depuis le 21 juin 2019. Il n'a jamais vécu à l'adresse où le jugement a été signifié.
Suivant conclusions en réponse sur incident notifiées par voie électronique le 20 octobre 2022, l'Office public de l'habitat du département du [Localité 6] demande au conseiller de la mise en état de':
Vu l'article
540,
473 et
478 du code de procédure civile notamment,
A titre principal,
constater la forclusion de l'appel de Monsieur [T].
A titre subsidiaire,
constater que l'huissier de justice a accompli les diligences nécessaires lors de la signification du jugement le 22 janvier 2020,
que la signification du jugement est recevable,
débouter Monsieur [T] de sa demande d'annulation de l'acte de signification du jugement accompli le 22 janvier 2020.
A titre infiniment subsidiaire si la nullité de l'acte était prononcée,
constater que Monsieur [T] n'a pas formalisé de relevé de forclusion dans les délais et les conditions fixées par le code de procédure civile,
déclarer l'appel irrecevable,
le débouter de l'intégralité de ses demandes,
le débouter de toutes conclusions fins et prétentions contraires,
ordonner l'exécution provisoire,
condamner Monsieur [T] à lui régler 1 000 euros en application de l'article
700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
L'OPAC a notamment rappelé que le bail avait été conclu le 8 décembre 2011 avec Madame et Monsieur [T], locataires mariés. Un commandement de payer les loyers et une sommation de justifier de l'occupation du logement ont été délivrés aux locataires par acte d'huissier le 24 mai 2019. L'acte a été remis à Madame [T] qui a refusé de prendre celui destiné à son époux. Ainsi, cet acte a été remis en l'étude. Madame [T] n'a pas précisé l'adresse de son ex-époux. L'OPAC n'a pas su que le couple était divorcé. Le délai de 2 mois n'ayant pas permis de satisfaire aux causes du commandement, une assignation a été délivrée le 8 août 2019 au domicile de Monsieur et de Madame [T]. Monsieur [T] n'a pas retiré sa convocation. Madame [T] a reçu la sienne à personne mais ne s'est pas rendue à l'audience ni n'a été représentée. Le jugement réputé contradictoire a été signifié conformément à l'article
478 du code de procédure civile. Le délai d'appel expirait le 22 février 2020.
L'OPAC n'a pas failli et ne pouvait pas deviner que le couple ne vivait plus au lieu du bail. Les changements de situation personnelle doivent être mentionnés au bailleur par les locataires en cours de bail.
Si la signification était déclarée nulle, Monsieur [T] aurait dû agir en relevé de forclusion au plus tard le 7 mars 2022 dès lors qu'il a eu connaissance de la procédure lors de la saisie-attribution dénoncée le 5 novembre 2021 et que son aide juridictionnelle lui a été accordée le 6 janvier 2022 à titre partiel.
Suivant conclusions d'incident n°2, notifiées le 10 novembre 2022, Monsieur [T] demande au conseiller de la mise en état, en ajoutant à ses demandes initiales, de':
juger que l'huissier de justice n'a accompli qu'une seule diligence pour vérifier son domicile,
débouter l'OPAC du [Localité 6] de l'ensemble de ses demandes,
le condamner à lui payer 1 500 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile en sus des dépens.
Monsieur [T] a rappelé que le 5 novembre 2021 il a fait l'objet d'une saisie-attribution sur ses comptes, procédure lui ayant permis de connaître le jugement dont appel. Le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de RENNES a été saisi. Il a rendu un jugement le 13 novembre 2022 dans le sens de l'annulation de la signification du jugement et de la mesure de saisie-attribution.
Le délai d'appel ne peut courir qu'à compter d'une signification régulière d'un jugement, la nullité entraînant son anéantissement rétroactivement.
L'huissier de justice a l'obligation de faire des vérifications en application de l'article
656 du code de procédure civile. C'est prescrit à peine de nullité. Il ne revenait pas à son ex-épouse de donner sa nouvelle adresse et informer de leur divorce. L'OPAC sait que Monsieur [T] n'a pas signé le bail. Le seul point en débat est les diligences de l'huissier de justice lequel n'a même pas interrogé Madame [E] sur ce point.
L'article
540 du code de procédure civile est inapplicable. L'OPAC fait une confusion. Un acte nul est censé n'avoir jamais existé et le délai d'appel n'a jamais couru. Il n'y a pas lieu de solliciter un relevé de forclusion. L'application de ce texte suppose que l'on admette que le délai d'appel est expiré.
L'incident a été plaidé le 16 novembre 2022 à 14h00 puis l'affaire a été mise en délibéré, après dépôt des dossiers, au 30 novembre 2022.
MOTIFS
Sur la recevabilité de l'appel
En matière contentieuse, en application des articles
528 et
538 du code de procédure civile, l'appel n'est recevable que s'il est effectué dans le mois suivant la signification du jugement.
Selon l'article
528 du code de procédure civile, «'le délai à l'expiration duquel un recours ne peut plus être exercé court à compter de la notification du jugement à moins que ce délai n'ait commencé à courir en vertu de la loi dès la date du jugement'». Le délai court même à l'encontre de celui qui notifie. Ce délai ne court cependant que si la signification est régulière.
En application de l'article
914 du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état est seul compétent pour statuer, jusqu'à la clôture de l'instruction, sur l'irrecevabilité de l'appel en tranchant à cette occasion toutes les questions ayant trait à la recevabilité de l'appel.
Contrairement à ce que soutient l'OPAC du [Localité 6], il n'appartenait pas à Monsieur [T] de solliciter le relevé de forclusion, le texte de l'article
540 du code de procédure civile n'étant applicable qu'en cas de signification régulière du jugement où l'appelant aurait été empêché d'agir dans les délais. En l'espèce, Monsieur [T] soutient que la signification du jugement est irrégulière, qu'elle doit être déclarée nulle, l'acte annulé rétroactivement n'ayant jamais pu faire courir le délai d'appel, rendant ainsi son appel recevable et non tardif.
L'OPAC du [Localité 6] a fait signifier le jugement du 16 décembre 20
19 à Monsieur [T] le 22 janvier 2020 à la résidence [Adresse 5]. La signification s'est faite selon les prescriptions de l'article
656 et
658 du code de procédure civile.
En principe, la signification doit être faite à personne selon les articles
654 et
689 alinéa
1 du code de procédure civile. Si cela est impossible, l'huissier de justice doit relater dans l'acte ses diligences et les circonstances caractérisant l'impossibilité d'une signification à personne.
Si personne ne veut ou ne peut recevoir la copie de l'acte et si les vérifications montrent que le destinataire demeure bien à cette adresse, la signification est faite à domicile selon l'article
656 du code précité.
Il est laissé au domicile ou à la résidence un avis de passage conforme à l'article 655 dernier alinéa du code de procédure civile qui mentionne que la copie de l'acte doit être retirée dans le plus bref délai à l'étude contre récépissé ou émargement par l'intéressé ou toute personne mandatée. Lorsque l'acte n'a pas été délivré à personne, l'huissier mentionne sur la copie les conditions dans lesquelles la remise a été effectuée. La copie de l'acte signifié doit être placée dans une enveloppe fermée ne portant que l'indication des nom et adresse du destinataire de l'acte et le cachet de l'huissier est apposé sur la fermeture du pli.
Selon l'article
693 du code de procédure civile, ce qui est prescrit aux articles 654 à 659 est à peine de nullité.
La nullité des actes d'huissier de justice, selon l'article
649 du code de procédure civile, est régie par les dispositions qui gouvernent la nullité des actes de procédures.
Selon l'article
114 alinéa
2 du code de procédure civile, la nullité pour vice de forme ne peut être prononcée qu'à charge pour la partie qui l'invoque de prouver le grief que lui cause cette irrégularité.
Monsieur [T] soutient que l'huissier de justice n'a pas accompli les vérifications suffisantes exigées par le texte de l'article
656 du code de procédure civile l'empêchant de pouvoir interjeter appel dans les délais, ce qui constitue son grief.
En l'espèce, dans l'acte de signification, il est seulement indiqué que l'adresse est confirmée par la régie locative, la non-signification à la personne du destinataire s'avérant impossible du fait de son absence momentanée.
Or; par acte du même jour, l'huissier de justice a indiqué pour Madame [T] née [E] que son adresse a pu être confirmée en raison de son nom sur l'interphone, sur la boîte aux lettres et la porte du domicile.
Il s'infère nécessairement de la comparaison de ces deux significations qui ont eu lieu le même jour par le même huissier de justice au même endroit que le nom de [T] ne figurait pas sur la boîte aux lettres, l'interphone et la porte et que la seule vérification à laquelle l'huissier de justice a procédé l'a été auprès de son mandant, la régie locative qui a confirmé le domicile alors même que le bail n'a été signé que par un seul locataire sans savoir lequel au demeurant.
S'il appartient à tout locataire de signaler au bailleur tout changement de situation et d'adresse, cet argument n'est pas opérant lorsque le débat porte sur la régularité d'un acte de d'huissier. Dans ce débat précis, seules vérifications de l'huissier de justice lui-même pour établir la réalité du domicile d'une personne sont à examiner.
Ainsi, le fait que l'ex-épouse n'ait pas signalé la nouvelle adresse de Monsieur [T] ou qu'elle était divorcée de lui n'a à l'évidence aucune conséquence juridique quant à l'appréciation de la teneur des vérification de l'huissier de justice lorsqu'il procède à une signification de jugement au domicile d'une personne.
En conséquence, la signification du jugement dont appel n'est pas régulière et a causé un grief à Monsieur [T] au regard du délai d'appel qui a couru à son insu d'autant qu'il a produit suffisamment de pièces pour démontrer qu'il résidait ailleurs depuis 2011.
D'ailleurs, c'est en ce sens que le juge de l'exécution de RENNES a par un jugement revêtu de l'exécution provisoire de droit, notamment annulé la signification du jugement.
Ainsi, il y a lieu de rejeter l'exception d'irrecevabilité de l'appel de Monsieur [T], de prononcer la nullité de la signification du jugement dont appel par acte d'huissier du 20 janvier 2022, de dire que le délai d'appel n'a pas couru et de dire que Monsieur [T] est recevable en son appel.
Sur les demandes accessoires
L'OPAC du [Localité 6] succombant doit supporter les entiers dépens de l'incident.
En équité, il y a lieu de condamner l'OPAC du [Localité 6] à payer à [P] [T] une indemnité au titre de l'article
700 du code de procédure civile dans le cadre de l'incident en la limitant à 800 euros.
Corrélativement, l'OPAC du [Localité 6] est déboutée de ses demandes accessoires.
PAR CES MOTIFS
Nous, Karen STELLA, conseiller de la mise en état,
Rejetons l'exception d'irrecevabilité de l'appel de Monsieur [T],
Constatons l'irrégularité de la signification du jugement du tribunal d'instance de VILLEFRANCHE SUR SAONE du 16 décembre 2019,
Annulons ladite signification qui n'a pas pu faire courir le délai d'appel de Monsieur [T],
Déclarons recevable l'appel de Monsieur [T] à l'encontre du jugement,
Condamnons l'OPAC du [Localité 6] aux entiers dépens de l'incident,
Condamnons l'OPAC du [Localité 6] à payer à [P] [T] la somme de 800 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile,
Déboutons l'OPAC du [Localité 6] de ses demandes au titre des dépens et des frais irrépétibles,
Rappelons que la présente ordonnance est susceptible de déféré dans les 15 jours de son prononcé dans les conditions de l'article
916 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE CONSEILLER DE LA MISE EN ETAT