CJUE, Arrêt du Tribunal de première instance (quatrième chambre), 1 décembre 1994, T-46/93

Mots clés épreuve · orale · concours · pouvoir · requis · candidats · écrites · ressort · procès-verbal · recours · aptitude · jury · rapport · remarque · détournement

Synthèse

Juridiction : CJUE
Numéro affaire : T-46/93
Date de dépôt : 15 juillet 1993
Titre : Fonctionnaires - Concours interne de passage de la catégorie C à la catégorie B - Décision du jury de concours de ne pas inscrire le nom de la requérante sur la liste d'aptitude.
Président : Mme Deshayes
Identifiant européen : ECLI:EU:T:1994:285

Texte

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

1er décembre 1994 ( *1 )

«Fonctionnaires — Concours interne de passage de la catégorie C à la catégorie B — Décision du jury de concours de ne pas inscrire le nom de la requérante sur la liste d'aptitude»

Dans l'affaire T-46/93,

Fotini Michaël-Chiou, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles, représentée par Mc Georges Vandersanden, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 1, rue Glesener,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Wc Ana Maria Alves Vieira, membre du service juridique, en qualité d'agent, assistée de Me Denis Waelbroeck, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Georgios Kremlis, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet l'annulation de la décision du jury du concours interne COM/B/4/92 de ne pas inscrire le nom de la requérante sur la liste d'aptitude,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de MM. C. P. Briët, président, H. Kirschner et C. W. Bellamy, juges,

greffier: M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 22 juin 1994,

rend le présent

Arrêt

Les faits à l'origine du litige

1

La requérante est actuellement fonctionnaire de grade C 3 à la Commission, où elle est responsable de la salle de lecture de la bibliothèque de la direction générale Télécommunications, marché de l'information et valorisation de la recherche (DG XIII). Elle est entrée au service de la Commission au grade C 5, le 1er janvier 1984, après avoir travaillé pendant deux ans au Conseil. Elle a été promue au grade C 4 en 1985.

2

Entre les mois de février 1990 et de janvier 1992, elle a eu des échanges de correspondance avec l'administration (notamment avec Mme Aujean, actuellement Mme Deshayes, présidente du comité de promotion pour la catégorie C et chef de l'unité «personnel B, C et D» à la direction du personnel), dans le cadre des exercices annuels de promotion. Dans cette correspondance, notamment par lettres du 12 février 1990, du 8 janvier 1991 et du 19 décembre 1991, elle a demandé à plusieurs reprises à être considérée pour une promotion. Par lettres du 27 février 1990, du 11 janvier 1991 et du 17 janvier 1991, Mme Aujean l'a assurée que son cas serait pris en considération. Par la suite, elle a été promue au grade C 3, le 1er avril 1992.

3

Tout en travaillant à la Commission, la requérante a obtenu divers diplômes de l'enseignement supérieur, en lettres, histoire et études européennes, à l'université de Lyon II, à l'université de Lille III et à l'université libre de Bruxelles, où elle prépare actuellement un doctorat à la faculté des sciences politiques.

4

En septembre 1992, la requérante a participé au concours interne sur épreuves COM/B/4/92, permettant le passage de fonctionnaires de catégorie C à la catégorie B. La présidente du jury était Mme Aujean.

5

Ce concours se composait de deux épreuves écrites et d'une épreuve orale. L'avis de concours précisait, notamment:



que le jury devait essentiellement «prendre en compte l'aptitude démontrée par les candidats à s'adapter à des tâches nouvelles exercées au niveau supérieur plutôt que de contrôler un niveau de connaissances théoriques»;



que les épreuves écrites comprendraient une épreuve éliminatoire (questions à choix multiple), notée sur 20 (minimum requis 10 points), et une épreuve rédactionnelle (traitement d'un dossier), notée sur 40 (minimum requis 20 points), et que les candidats ayant obtenu un total d'au moins 36 points dans ces deux épreuves et le minimum requis dans chacune d'elles seraient admis à l'épreuve orale;



que l'épreuve orale consisterait en un entretien visant à apprécier, en fonction des éléments s'étant dégagés des épreuves écrites, «la capacité d'expression orale et d'aptitude des candidat(e)s à l'exercice de fonctions de la catégorie B» et serait notée sur 40 (minimum requis 20 points);



que la liste d'aptitude comprendrait «au maximum les 40 meilleurs candidat(e)s. Ceux-ci doivent avoir obtenu un minimum de 60 points pour l'ensemble des épreuves du concours, ainsi que le minimum requis pour chacune des épreuves»;



que les candidats devaient préciser la langue communautaire dans laquelle ils souhaitaient passer les épreuves, avec la possibilité de choisir une langue différente pour les épreuves écrites et pour l'épreuve orale.

6

La requérante a choisi de passer les épreuves écrites en grec, sa langue maternelle, et l'épreuve orale, à laquelle elle a été admise, en français.

7

Selon les chiffres produits par la défenderesse, 1245 candidats ont été convoqués aux épreuves écrites, dont 937 ont participé à l'épreuve éliminatoire. Parmi ces 937, 262 ont été retenus pour la correction de la deuxième épreuve et 65 ont été admis à l'épreuve orale.

8

L'épreuve orale de la requérante, d'une durée d'environ 50 mn, s'est déroulée le 23 septembre 1992.

9

A l'issue des épreuves orales, le jury a établi une liste d'aptitude de 31 candidats. Le rapport du jury a été signé le 13 octobre 1992.

10

Par lettre de la Commission du 16 octobre 1992, la requérante a été informée qu'elle avait reçu les notes de 17,55/20 pour l'épreuve éliminatoire, de 33,75/40 pour l'épreuve rédactionnelle et de 18/40 pour l'épreuve orale. Par conséquent, son nom n'avait pas pu être inscrit sur la liste d'aptitude puisqu'elle n'avait pas obtenu le minimum de points requis à l'épreuve orale.

11

Le 9 novembre 1992, la requérante a écrit au directeur général du personnel et de l'administration en lui exprimant son étonnement quant au résultat, en contestant l'impartialité de la présidente du jury et en demandant un réexamen du déroulement du concours. Le directeur général du personnel et de l'administration a répondu, par lettre du 27 novembre 1992, en informant la requérante qu'il ne lui appartenait pas de commenter ou de réexaminer la décision du jury et en regrettant ses allégations de partialité.

12

Le 16 décembre 1992, la requérante a introduit une réclamation alléguant une erreur manifeste du jury dans son appréciation de l'épreuve orale et demandant un réexamen et une révision de cette appréciation.

13

La requérante a été entendue lors d'une réunion du groupe interservices le 4 février 1993. Elle a précisé, au cours de cene réunion, que sa réclamation était fondée également sur l'allégation d'un détournement de pouvoir.

14

Dans sa réponse du 26 avril 1993, la Commission a estimé qu'il n'existait aucun élément objectif permettant de conclure soit à une erreur manifeste d'appréciation soit à un détournement de pouvoir.

15

Le 16 juin 1993, M. Konstantatos, un membre suppléant du jury de concours COM/B/4/92, a envoyé une note au président du comité local du personnel, au sujet d'un problème qui, selon lui, s'était posé à la fin de ce concours, quant à la possibilité pour un membre suppléant d'un jury d'inscrire au procès-verbal ses observations, comme le prévoit l'annexe III du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut»).

La procédure

16

La requérante a introduit le présent recours par requête déposée le 15 juillet 1993. Par lettre séparée, elle a demandé l'audition comme témoin de M. Konstantatos. A l'appui de sa demande, elle a fait valoir qu'il ressort de la note de celui-ci du 16 juin 1993 que la présidente du jury n'était pas exempte de partialité à son égard.

17

Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Toutefois, la requérante a été priée de fournir une description écrite du déroulement de son épreuve orale et les deux parties ont été invitées à répondre par écrit à certaines questions portant sur la possibilité d'entendre comme témoins les membres du jury. A la lumière des réponses des parties, déposées respectivement les 21 et 24 mars 1994, le Tribunal a décidé d'ordonner la comparution personnelle de la partie requérante et d'entendre comme témoins Mme Aujean-Deshayes et trois autres membres du jury, à savoir M. Konstantatos, M. le Goff et Mme Casado Salinas, sur le déroulement des épreuves orales du concours, y compris sur celui de l'épreuve de la requérante, ainsi que sur les circonstances dans lesquelles a été établi le rapport du jury de concours.

18

La partie requérante et les témoins ont été entendus lors de l'audience qui s'est déroulée le 22 juin 1994.

Conclusions des parties

19

La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:



annuler la décision de la Commission du 16 octobre 1992 refusant de l'inscrire parmi les lauréats du concours COM/B/4/92;



condamner la défenderesse à l'ensemble des dépens.

20

La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:



rejeter le recours

comme irrecevable en ce qui concerne le troisième moyen, tiré d'une prétendue violation de la procédure de concours, et en tout cas comme non fondé,

comme recevable mais non fondé en ce qui concerne les autres moyens;



condamner la requérante à ses propres dépens.

Sur le fond

21

La requérante soulève quatre moyens tirés, respectivement, d'un détournement de pouvoir, d'une erreur manifeste d'appréciation, d'une violation de l'avis de concours et d'une violation de l'article 5, sixième alinéa, de l'annexe III du statut.

Sur le moyen tiré d'un détournement de pouvoir

Arguments des parties

22

La requérante fait valoir, dans ses mémoires, que la présidente du jury, Mme Aujean-Deshayes, n'était pas impartiale. Elle aurait manifesté de l'hostilité envers elle ainsi que la volonté d'empêcher sa promotion, à la fois avant le concours et pendant le déroulement de l'épreuve orale de celui-ci. Elle aurait abusé de son pouvoir et influencé les autres membres du jury afin de faire échouer la requérante.

23

La requérante soutient que, lors de ses démarches en vue d'obtenir une promotion au grade C 3, Mme Aujean-Deshayes, en sa qualité de chef du personnel pour les catégories B, C et D, s'est montrée peu coopérante et cela, apparemment, en raison des diplômes universitaires que la requérante avait obtenus. Elle estime injuste d'avoir dû suivre une «carrière lente» à cause de Mme Aujean-Deshayes. A cet égard, elle renvoie à la correspondance qu'elle a entretenue avec Mmc Aujean-Deshayes ainsi qu'avec le directeur de celle-ci à l'époque en cause.

24

Pour ce qui est du déroulement de l'épreuve orale, la requérante affirme que Mme Aujean-Deshayes s'est montrée hostile, ironique et déplaisante à son égard et estime qu'elle a pu exercer son influence sur les autres membres du jury, non seulement en sa qualité de présidente mais également parce qu'elle était chef du personnel et présidente du comité de promotion pour les catégories dont relevaient ceux-ci. La requérante souligne, à cet égard, la note du lojuin 1993, adressée par M. Konstantatos au président du comité local du personnel (point 15, ci-dessus), qui démontrerait qu'une divergence d'opinion a existé au sein du jury mais n'a pas été mentionnée au procès-verbal. Elle estime que la divergence entre les notes qu'elle a obtenues à l'écrit et à l'oral fait partie de cette série d'éléments tendant à prouver un détournement de pouvoir de la part de Mmc Aujean-Deshayes.

25

En réponse à la demande du Tribunal de fournir une description écrite du déroulement de son épreuve orale, la requérante a souligné, notamment, l'atmosphère tendue qui aurait régné et qui aurait été volontairement entretenue par la présidente du jury, en faisant des remarques désobligeantes, moqueuses et même dénigrantes, en adoptant une attitude de méfiance et d'ironie et en essayant de semer des doutes sur les réponses de la requérante afin de la troubler et de l'abaisser aux yeux des autres membres du jury. Elle estime avoir répondu correctement, abondamment et sans difficulté aux questions posées, mais avoir eu l'impression que la présidente voulait la faire échouer en influençant les autres membres du jury. Elle allègue, notamment, que la présidente du jury a fait au moins deux remarques spécifiques désobligeantes et dénigrantes, à savoir:



au début de l'épreuve, après que la requérante eut confirmé qu'elle utiliserait le français, Mme Aujean-Deshayes aurait dit: «Vous avez choisi le français parce que le grec est une langue barbare?»



après que la requérante eut présenté son curriculum vitae, Mme Aujean-Deshayes lui aurait demandé: «A quoi servent vos diplômes?»

26

La défenderesse, pour sa part, rappelle que, selon une jurisprudence établie, une décision n'est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées, et estime que la requérante n'a apporté aucun élément de preuve, se limitant à des allégations gratuites.

27

Pour ce qui est de la période antérieure au concours, il résulterait de la correspondance produite que la requérante ne s'est pas plainte de l'attitude de Mme Aujean-Deshayes, mais seulement de celle de ses supérieurs hiérarchiques de l'époque. En ce qui concerne le déroulement de l'épreuve orale, la défenderesse nie expressément les allégations de la requérante quant à l'attitude et au comportement de Mme Aujean-Deshayes et relève que la note de M. Konstantatos ne contient aucune indication d'une irrégularité quelconque à l'égard de la requérante. Quant à la divergence entre les notes de la requérante à l'écrit et à l'oral, elle fait valoir qu'une telle variation d'appréciation ne saurait constituer, en soi, l'indice d'un détournement de pouvoir.

Résumé des déclarations et dépositions lors de l'audience

28

Afin d'établir les faits de l'espèce, le Tribunal a entendu la requérante sur ses allégations et a également entendu les témoins déjà mentionnés. Leurs déclarations et dépositions peuvent être résumées en substance comme suit.

29

Lors de son audition, la requérante a maintenu toutes les allégations déjà résumées ci-dessus, tout en affirmant qu'elle avait le sentiment qu'elle avait bien répondu à toutes les questions posées pendant son épreuve orale. Elle a spécifiquement affirmé que Mme Aujean-Deshayes avait posé, entre autres, les questions suivantes: «Vous avez choisi le français parce que le grec est une langue barbare?» et «A quoi servent vos diplômes» (déclaration, p. 5 à 7). Elle a également précisé que, pour la deuxième épreuve écrite du concours, elle avait choisi la partie technique, dont elle avait une connaissance particulière, plutôt que la partie administrative (ibidem p. 9).

30

M. Konstantatos, pour sa part, a affirmé, notamment, que Mme Aujean-Deshayes avait demandé si la requérante parlait en français «parce que la langue grecque est une langue barbare?» (déposition p. 7). Il a également affirmé que l'atmosphère de l'épreuve orale était plutôt tendue, que l'examen oral de la requérante avait été «assez dur», «qu'on (avait été) plus dur avec elle qu'avec les autres» et que la présidente «était assez agressive dans ses questions». Il en a conclu que l'épreuve orale de la requérante ne s'est pas déroulée dans des conditions équitables (ibidem p. 11 à 14).

31

Quant à sa note, M. Konstantatos a précisé que, à la fin des travaux du jury, il ne s'était pas rendu compte que le procès-verbal avait été signé le 13 octobre 1992 et que, à cette occasion-là, il n'avait pas demandé à ajouter ses propres observations au rapport du jury. Ce serait le lendemain, le 14 octobre 1993, qu'il a écrit une lettre à Mme Aujean-Deshayes, dans laquelle il faisait savoir qu'il n'était pas d'accord avec la décision du jury concernant la requérante et se plaignait du comportement de la présidente. Mme Aujean-Deshayes lui aurait répondu, entre autres, que la décision du jury était définitive.

32

M. Le Goff a affirmé qu'il n'avait pas le souvenir de la prétendue remarque de la présidente concernant la langue grecque (déposition p. 4 et 15), ni d'une question telle que «à quoi servent vos diplômes?» (ibidem p. 8). Selon lui, il n'y aurait pas eu de différence entre les conditions dans lesquelles s'est déroulée l'épreuve orale de la requérante et celles dans lesquelles se sont déroulées les épreuves des autres candidats. Toutefois, il a ajouté que, les prestations de la requérante à l'épreuve orale n'étant pas bonnes, le jury lui avait posé plus de questions de manière à essayer de la «récupérer», parce qu'elle avait obtenu une très bonne note à l'écrit (ibidem p. 6, 9 et 16). Il a précisé les raisons pour lesquelles il a considéré que les prestations de la requérante n'étaient pas bonnes (ibidem p. 5, 7, 14 et 16) et a nié les allégations de la requérante concernant l'attitude et le comportement de la présidente du jury (ibidem p. 10 à 11). Selon lui, le jury n'a pas abordé la question de savoir si M. Konstantatos pouvait ajouter quelque chose au procès-verbal (ibidem p. 13).

33

Mme Casado Salinas a affirmé qu'elle n'avait aucun souvenir des prétendues remarques de la présidente concernant la langue grecque ou les diplômes de la requérante (déposition p. 7 à 9). Elle a précisé que les réponses de la requérante avaient démontré certaines faiblesses lors de son épreuve orale (ibidem p. 5, 17). En conséquence, le jury lui aurait posé des questions de façon intensive, mais cela aurait été également le cas pour d'autres candidats et la requérante n'aurait pas été traitée de manière moins favorable (ibidem p. 9, 11, 13 et 14). Quant aux allégations concernant l'attitude et le comportement de la présidente, Mme Casado Salinas a affirmé qu'elle n'acceptait pas la description faite par la requérante. La présidente du jury aurait posé ses questions d'une manière incisive, mais pas d'une manière hostile ni agressive (ibidem p. 12, 13). M. Konstantatos n'aurait pas demandé à ce que ses réserves soient actées au procès-verbal avant la signature de celui-ci (ibidem, p. 15, 16).

34

Mme Aujean-Deshayes a affirmé, d'abord, qu'elle avait probablement demandé à la requérante pourquoi elle avait choisi le français, mais qu'elle n'avait pas fait de remarque telle que «parce que le grec est une langue barbare?» (déposition p. 6, 7). Elle a ajouté qu'elle ne pouvait pas jurer ne pas avoir posé cette question, parce qu'elle ne s'en souvenait pas et qu'elle ne pouvait jurer de choses dont elle n'était pas sûre à 100 % (ibidem p. 8, 10). Elle a également affirmé qu'elle avait demandé à la requérante pourquoi elle avait passé ses diplômes, mais qu'elle n'avait pas utilisé les mots «à quoi servent vos diplômes?» (ibidem p. 9). Elle a admis que l'ambiance de l'épreuve orale n'était pas détendue, mais elle a nié absolument toutes les allégations de la requérante concernant ses prétendus manque d'impartialité et comportement vexant, hostile ou ironique (ibidem p. 11, 12, 21,22). Elle a souligné que, lors de la deuxième épreuve écrite, la requérante avait fort bien traité un sujet technique, mais que, lors de l'épreuve orale, le jury s'était concentré sur ses aptitudes administratives. A cet égard, elle a précisé certaines des faiblesses apparues dans les réponses de la requérante pendant l'épreuve orale (ibidem p. 13, 14, 17). Elle a également affirmé qu'elle n'avait aucun préjugé envers la requérante (ibidem p. 20). Enfin, elle a déclaré qu'elle n'avait pas refusé que M. Konstantatos ajoute quelque chose au procès-verbal le 13 octobre 1992, parce qu'il n'aurait pas demandé à le faire, mais elle a confirmé qu'elle avait refusé les demandes de M. Konstantatos contenues dans sa lettre du lendemain, le 14 octobre.

Appréciation du Tribunal

35

Liminairement, il y a lieu de rappeler, d'une part, que la notion de détournement de pouvoir a une portée précise qui se réfère au fait pour une autorité administrative d'avoir usé de ses pouvoirs dans un but autre que celui en vue duquel ils lui ont été conférés et, d'autre part, que, selon une jurisprudence constante, une décision n'est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées (arrêt du Tribunal du 16 décembre 1993, Turner/Commission, T-80/92, Rec. p. II-1465, point 70; voir aussi l'arrêt du Tribunal du 9 février 1994, Lacruz Bassols/Cour de justice, T-109/92, Rec. p. II-105, point 52).

36

Dans le cas d'espèce, la requérante allègue, en substance, que la présidente du jury, Mme Aujean-Deshayes, n'a pas eu un comportement impartial envers elle et a dirigé le déroulement de son épreuve orale de façon hostile et déplaisante afin d'influencer les autres membres du jury et de la faire échouer.

37

Le Tribunal constate, d'abord, que le fait que Mme Aujean-Deshayes était à la fois présidente du jury, chef du personnel pour les catégories B, C et D et présidente du comité de promotion pour ces catégories ne fournit, à lui seul, aucun indice d'un détournement de pouvoir. En outre, le Tribunal constate que la correspondance antérieure entre la requérante et l'administration, représentée, notamment, par Mme Aujean-Deshayes, au sujet de la promotion de la requérante ne révèle aucun élément démontrant un manque d'impartialité ou une hostilité de la part de Mme Aujean-Deshayes envers la requérante.

38

Le Tribunal estime, ensuite, à la lumière de l'ensemble des déclarations et dépositions qu'il a entendues, que l'épreuve orale de la requérante ne s'est pas déroulée de façon inéquitable. Certes, le Tribunal considère qu'il est suffisamment établi que l'atmosphère dans laquelle s'est déroulée cette épreuve orale n'était pas détendue et que le jury, dirigé par Mme Aujean-Deshayes, a interrogé la requérante de façon intensive. Toutefois, de telles circonstances résultent nécessairement du fait que le but d'une telle épreuve orale est de tester le candidat d'une manière approfondie afin que le jury puisse s'assurer que le candidat satisfait aux exigences de l'avis du concours. En l'espèce, le Tribunal considère que la présidente du jury n'a pas dépassé les limites appropriées à un tel examen oral. En outre, le Tribunal constate qu'aucune preuve quelconque d'une animosité personnelle ou d'un manque d'impartialité de la part de la présidente du jury envers la requérante n'a été rapportée.

39

En ce qui concerne l'allégation de la requérante selon laquelle la présidente du jury a fait une remarque telle que «vous avez choisi le français parce que le grec est une langue barbare?», la requérante et M. Konstantatos ont affirmé qu'une telle remarque a été faite, tandis que les autres témoins n'ont pas pu affirmer, de manière catégorique, qu'une telle remarque n'a pas été faite. Dans ces circonstances, le Tribunal est parvenu à la conclusion qu'une remarque de cette teneur a été faite par la présidente du jury au début de l'épreuve orale.

40

Néanmoins, aussi regrettable qu'une telle remarque puisse être, le Tribunal considère que la remarque en cause était tout au plus maladroite et n'impliquait pas une intention dénigrante. Étant donné, d'une part, que l'épreuve orale de la requérante a duré environ 50 mn et, d'autre part, que la requérante a toujours affirmé qu'elle n'avait pas eu de difficulté à répondre aux questions du jury, le Tribunal considère que la circonstance qu'une telle remarque a été faite au début de l'épreuve n'est pas de nature à établir une intention, de la part de la présidente du jury, d'exclure le nom de la requérante de la liste d'aptitude.

41

En ce qui concerne l'allégation de la requérante selon laquelle la présidente du jury a fait une remarque telle que «à quoi servent vos diplômes?», le Tribunal estime que c'est à juste titre que la présidente du jury a interrogé la requérante sur les raisons pour lesquelles elle avait passé des diplômes universitaires. Dans un tel contexte, le Tribunal ne peut exclure la possibilité d'un malentendu entre les parties et estime que la remarque alléguée ne peut être retenue comme un indice pertinent tendant à établir le bien-fondé des allégations de la requérante quant à un détournement de pouvoir.

42

Pour ce qui est de l'écart entre les notes obtenues par la requérante à l'écrit et à l'oral, un tel écart n'est pas, en soi, un indice pertinent d'un détournement de pouvoir (voir l'arrêt du Tribunal du 21 octobre 1992, Maurissen/Cour des comptes, T-23/91, Rec. p. II-2377, point 31). En outre, il ressort des déclarations et dépositions que le Tribunal a entendues, d'une part, que pour la deuxième épreuve écrite la requérante n'avait pas choisi la partie administrative, mais un sujet technique dont elle avait une connaissance particulière. D'autre part, trois membres du jury entendus par le Tribunal ont été en mesure d'identifier certains points faibles chez la requérante qui, selon eux, sont apparus lors de son épreuve orale (voir, ci-dessus, points 32 à 34).

43

S'agissant, enfin, de la note de M. Konstantatos du 16 juin 1993, il ressort des mêmes déclarations et dépositions que le procès-verbal du jury a été signé le 13 octobre 1992, sans que M. Konstantatos ait demandé à ajouter ses propres observations. Le fait que M. Konstantatos n'était pas d'accord avec cette décision et le fait qu'il a réagi le lendemain, 14 octobre, par une lettre critiquant à la fois cette décision et le comportement de la présidente du jury n'est pas, non plus, de nature à établir le détournement de pouvoir allégué par la requérante.

44

De même, une violation des formes substantielles destinées à garantir un déroulement impartial de l'épreuve orale de la requérante n'a-t-elle pas été établie. Il en résulte que le présent moyen doit être rejeté.

Sur le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation

Arguments des parties

45

La requérante estime incompréhensible qu'elle ait pu mériter une note aussi basse que 18/40 pour l'épreuve orale compte tenu, notamment, de ses excellentes notes aux épreuves écrites, de son profil professionnel et scientifique et, particulièrement, de ses diplômes universitaires, pour lesquels elle aurait passé des épreuves orales en français; du fait qu'elle se souvient n'avoir eu aucune difficulté pour répondre aux questions posées lors de son épreuve orale; du fait qu'elle est, depuis février 1992, responsable de la salle de lecture de la bibliothèque de la DG XIII, fonctions dans lesquelles elle est assistée par trois personnes; et du fait que son rapport de notation pour la période 1989/1991 a été rédigé en termes élogieux, faisant ressortir ses capacités d'initiative et de conception.

46

Elle fait valoir que ces éléments font présumer qu'elle possède une bonne capacité d'expression et qu'elle a les qualités nécessaires pour assumer des fonctions de la catégorie B, et que, par conséquent, son résultat ne peut s'expliquer que par une erreur d'appréciation. Elle souligne également que la présidente du jury s'est comportée envers elle de manière désagréable (voir ci-après).

47

La défenderesse souligne d'abord que le bien-fondé de l'appréciation portée par l'administration sur les aptitudes professionnelles d'un fonctionnaire, comportant des jugements de valeur complexes, n'est pas susceptible d'un contrôle juridictionnel et cite, à cet égard, l'arrêt de la Cour du 17 mars 1971, Marcato/Commission (29/70, Rec. p. 243). Elle rappelle ensuite la différence de nature et de finalité entre les épreuves écrites et orales du concours et considère que les éléments invoqués par la requérante ne permettent pas d'en tirer la conclusion que le jury a commis une erreur manifeste d'appréciation. Bien que la requérante soit titulaire de divers diplômes universitaires, la défenderesse estime qu'aucun des faits allégués ne démontre, chez l'intéressée, une capacité à organiser le travail administratif essentielle pour un fonctionnaire de catégorie B.

Appréciation du Tribunal

48

Selon une jurisprudence constante, un jury de concours dispose d'un large pouvoir d'appréciation et le bien-fondé de ses jugements de valeur ne saurait être contrôlé par le juge communautaire qu'en cas de violation des règles qui président aux travaux du jury (voir notamment les arrêts du Tribunal du 15 juillet 1993, Cámara Alloisio e.a./Commission, T-17/90, T-28/91 et T-17/92, Rec. p. II-841, point 90, et du 15 juin 1994, Pérez Jiménez/Commission, T-6/93, RecFP p. II-497, point 42).

49

Il ressort de l'appréciation du Tribunal aux points 33 à 43 ci-dessus que la requérante n'a pas apporté la preuve d'une violation des règles qui président aux travaux du jury. Il s'ensuit que le bien-fondé de l'appréciation portée par le jury sur l'épreuve orale de la requérante est soustraite au contrôle du Tribunal.

50

A supposer même que le Tribunal puisse considérer la question de savoir si l'appréciation par le jury de l'épreuve orale de la requérante a été entachée d'une erreur manifeste, aucune des circonstances invoquées par la requérante, notamment les borníes notes qu'elle a obtenues aux épreuves écrites et le fait qu'elle possède plusieurs diplômes universitaires, ne suffit à établir une telle erreur manifeste d'appréciation (voir également ci-dessus point 42).

51

Il y a donc lieu d'écarter ce moyen.

Sur le moyen tiré de la violation de l'avis de concours

Arguments des parties

52

Pour la requérante, le point VIII de l'avis de concours signifie que la liste devait contenir 40 noms et pas un de plus. A l'appui de cette interprétation, elle fait valoir que l'administration a pris l'engagement formel de réserver 40 postes de catégorie B pour les fonctionnaires de catégorie C ayant réussi un concours interne. Elle produit à cet égard une communication du comité local du personnel à Bruxelles qui affirme: «La dotation en postes pour 1992 est maintenant de 40 contre 17 à l'origine. L'administration s'est engagée à recruter les lauréats à ces postes.» En établissant une liste de seulement 31 noms, le jury se serait donc écarté de sa mission et aurait procédé à une interprétation erronée de l'avis de concours, compte tenu de l'esprit dans lequel il aurait été rédigé.

53

Pour la défenderesse, le point VIII de l'avis de concours doit être interprété en ce sens que les 40 meilleurs candidats devaient figurer sur la liste à condition d'avoir obtenu le minimum requis. Toutefois, l'administration ne se serait jamais engagée à promouvoir 40 candidats en tout état de cause. En l'espèce, seuls 31 candidats auraient atteint le seuil requis. Il n'y aurait donc aucune violation ni du point VIII de l'avis de concours ni des engagements pris par la Commission.

Appréciation du Tribunal

54

Le point VIII de l'avis de concours précise: «Le jury arrête la liste d'aptitude comprenant au maximum les 40 meilleurs candidat(e)s. Ceux-ci doivent avoir obtenu un minimum de 60 points pour l'ensemble des épreuves du concours, ainsi que le minimum requis pour chacune des épreuves.»

55

Le Tribunal considère qu'il ressort des termes mêmes de cette disposition que l'établissement d'une liste d'aptitude comprenant moins de 40 candidats n'est pas exclu. Il en ressort, en outre, que chaque candidat inscrit sur cette liste doit avoir obtenu le minimum de points spécifié, y compris le minimum requis pour chacune des épreuves.

56

Il s'ensuit que le fait que la liste d'aptitude comprenne 31 candidats, les seuls à avoir obtenu le minimum de points requis, ne constitue pas une violation de l'avis de concours.

57

Quant à la communication du comité local du personnel à Bruxelles à laquelle la requérante a fait référence, ce document ne saurait être interprété comme un engagement pris par l'administration de recruter 40 candidats sur la liste d'aptitude, quelle que soit l'issue du concours, mais comme indiquant tout au plus la volonté de l'administration de recruter des lauréats du concours pour pourvoir les postes en cause. En tout état de cause, un tel engagement de la part de l'administration ne saurait affecter le devoir du jury, agissant en toute indépendance, de décider, selon son propre pouvoir d'appréciation, du nombre de candidats ayant satisfait aux exigences du concours.

58

Il en résulte que ce moyen doit être rejeté.

Sur le moyen tiré de la violation de la procédure de concours

Arguments des parties

59

La requérante invoque une violation de l'article 5, cinquième alinéa, de l'annexe III du statut, qui prévoit que le jury établit la liste d'aptitude et que «dans toute la mesure du possible cette liste doit comporter un nombre de candidats au moins double du nombre des emplois mis en concours».

60

Pour la requérante, s'il y avait 40 postes disponibles, il aurait fallu une liste de 80 noms, faute de quoi il y aurait eu une méconnaissance de l'annexe III du statut. Si, en revanche, la liste devait comporter 40 noms, cela signifiait qu'il y avait tout au plus 20 postes à pourvoir et donc une méconnaissance, par la Commission, de ses engagements envers le personnel, méconnaissance plus patente encore si le chiffre de 40 constituait un maximum permettant l'établissement d'une liste plus courte.

61

Pour la défenderesse, ce moyen est irrecevable, n'ayant pas été soulevé ni dans la réclamation ni lors de la réunion du groupe interservices, qui a examiné la réclamation en présence de la requérante et de son conseil. Quant au fond, la défenderesse souligne surtout la présence, dans la disposition pertinente de l'annexe III du statut, des mots «dans toute la mesure du possible», ce qui n'exclurait pas une liste moins longue. Par ailleurs, elle rappelle que le recours concerne la décision de ne pas inscrire la requérante sur la liste d'aptitude et non pas les termes de l'avis de concours.

62

La requérante considère que l'exception d'irrecevabilité soulevée par la défenderesse fait preuve d'un formalisme excessif. Elle se souvient avoir évoqué ce point à la réunion interservices, ce qui aurait été également le cas de son moyen tiré d'un détournement du pouvoir, qui n'a pas été considéré comme irrecevable par la Commission.

Appréciation du Tribunal

63

Le Tribunal rappelle que l'objet du présent recours est l'annulation de la décision du jury de ne pas inscrire le nom de la requérante sur la liste d'aptitude et non pas l'annulation des termes de l'avis de concours. Ayant échoué à l'épreuve orale, la requérante n'avait pas vocation à être inscrite sur la liste d'aptitude, quel que soit le nombre des candidats que le jury aurait dû retenir conformément à l'article 5, cinquième alinéa, de l'annexe III du statut. Il s'ensuit que, sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur sa recevabilité, ce moyen doit être rejeté comme étant sans pertinence eu égard à l'objet du recours.

64

Il ressort de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

65

Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci.

Par ces motifs

,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

1)

Le recours est rejeté.

2)

Chaque partie supportera ses propres dépens.


Briët

Kirschner

Bellamy

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er décembre 1994.



Le greffier

H. Jung



Le président

C. P. Briët





( *1 ) Langue de procédure: le français.