CIV.3
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 31 mars 2016
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 420 F-D
Pourvoi n° J 15-14.075
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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Statuant sur le pourvoi formé par M. [T] [C], domicilié [Adresse 1],
contre le jugement rendu le 30 octobre 2014 par la juridiction de proximité de Lyon, dans le litige l'opposant à la société Gestion et patrimoine Lescuyer, exerçant sous l'enseigne Lescuyer Properties, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 23 février 2016, où étaient présents : M. Chauvin, président, Mme Collomp, conseiller référendaire rapporteur, Mme Fossaert, conseiller doyen, M. Dupont, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Collomp, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [C], et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon le jugement attaqué
(juridiction de proximité de Lyon, 30 octobre 2014), rendu en dernier ressort, que, postérieurement à la résiliation du contrat de bail d'habitation consenti par la SCI Ylang, représentée par son mandataire, la société Gestion et patrimoine Lescuyer (la société Lescuyer), à M. [C], celui-ci, n'ayant pas obtenu la restitution de l'intégralité de son dépôt de garantie, a, après avoir en vain demandé communication de l'adresse du bailleur non mentionnée dans le contrat de bail, fait convoquer la société Lescuyer en paiement d'une somme de 164,90 euros ;
Sur le premier moyen
:
Vu
l'article
1382 du code civil ;
Attendu que, pour limiter
le préjudice de M. [C] résultant du non-respect par la société Lescuyer de l'obligation de mentionner le domicile ou le siège social du bailleur dans le contrat de bail, la juridiction de proximité retient que le demandeur n'apporte pas la preuve des conséquences réelles et préjudiciables en lien avec cette faute au-delà de la somme de 100 euros, le surplus n'étant qu'un préjudice hypothétique qui dépend très précisément de la bonne ou mauvaise exécution du contrat par la société Ylang qui n'est pas à la procédure ;
Qu'en statuant ainsi
, alors que le préjudice de M. [C], tenant à l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de solliciter la restitution du dépôt de garantie auprès du bailleur, débiteur de l'obligation de restitution sauf à justifier des retenues le cas échéant opérées, est certain, la juridiction de proximité a violé le texte susvisé ;
Et sur le second moyen
:
Vu
les articles
846 et
446-1 du code de procédure civile ;
Attendu que, pour rejeter
la demande de M. [C] au titre des dépens, la juridiction de proximité retient que celui-ci ne peut demander le paiement des dépens à la société Ylang comme il le fait dans son acte introductif, d'autant que cette société n'est pas partie à l'instance ;
Qu'en statuant ainsi
, alors qu'il ressortait de ses constatations qu'à l'audience, M. [C] ne s'était pas référé aux termes de sa requête mais à des écritures établies postérieurement dans lesquelles il avait modifié ses demandes initiales, la juridiction de proximité a violé le texte susvisé ;
Et sur le troisième moyen
:
Vu
l'article
624 du code de procédure civile ;
Attendu que la cassation sur le deuxième moyen entraîne l'annulation, par voie de conséquence, des dispositions qui sont critiquées par ce moyen ;
PAR CES MOTIFS
:
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 30 octobre 2014, entre les parties, par la juridiction de proximité de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant la juridiction de proximité de Villeurbanne ;
Condamne la société Gestion et patrimoine Lescuyer aux dépens ;
Vu l'article
700 du code de procédure civile, condamne la société Gestion et patrimoine Lescuyer à payer à M. [C] une somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un mars deux mille seize.
MOYENS ANNEXES
au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. [C]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF au jugement attaqué d'avoir condamné la société Gestion et patrimoine Lescuyer à verser à M. [T] [C] la seule somme de 100 euros à titre de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE le demandeur n'apporte pas la preuve des conséquences réelles et préjudiciables en lien avec cette faute au-delà de la somme de 100 €, le surplus n'étant qu'un préjudice hypothétique qui dépend très précisément de la bonne ou mauvaise exécution du contrat par la société YLANG qui n'est pas dans la procédure ;
ALORS, DE PREMIERE PART, QUE le mandataire qui, maniant les fonds transitant entre son mandant et le cocontractant de son mandat, refuse de divulguer à ce cocontractant les coordonnées de son mandant, l'empêchant ainsi de faire valoir ses droits et notamment son droit à restitution du montant lui restant dû sur la somme remise à titre de dépôt de garantie, doit être tenu à l'entier paiement de cette somme ; qu'en l'espèce, il était constant, d'une part, que la société Gestion et patrimoine maniait les fonds remis ou versés par M. [T] [C] à la société Ylang à titre de loyers et de charges, et, d'autre part, qu'elle avait dissimulé à M. [T] [C] les coordonnées de la SCI Ylang, l'empêchant ainsi d'obtenir de cette dernière la restitution du montant lui restant dû sur le dépôt de garantie ; qu'en condamnant toutefois la société Gestion et patrimoine Lescuyer, au titre d'une telle dissimulation, à verser à M. [T] [C] la seule somme de 100 euros, sur le fondement d'une simple perte de chance, le juge de proximité a violé l'article
1382 du code civil ;
ALORS, DE DEUXIEME PART, QUE le mandataire qui, maniant les fonds transitant entre son mandant et le cocontractant de son mandat, refuse de divulguer à ce cocontractant les coordonnées de son mandant, l'empêchant ainsi de faire valoir ses droits et notamment son droit à restitution du montant lui restant dû sur la somme remise à titre de dépôt de garantie, doit être tenu à l'entier paiement de cette somme ; que le juge saisi d'une demande de ce tiers tendant à voir prononcer une telle condamnation à son profit, doit déterminer le montant exact de cette somme ; qu'en l'espèce, la société Gestion et patrimoine Lescuyer ne fournissait aucune explication et ne donnait aucune cause à la retenue exercée à laquelle s'opposait M. [C], qu'en indemnisant qu'une prétendue perte de chance, quand l'intégralité du dépôt de garantie devait être restitué, faute de justification de la retenue effectuée, le juge de proximité a violé l'article
1382 du code civil ;
ALORS, DE TROISIEME PART, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE la perte de chance se définit comme un préjudice certain consistant dans la disparition certaine d'une éventualité favorable ; qu'en retenant, pour limiter à 100 euros la condamnation de la société Gestion et patrimoine Lescuyer à l'égard de M. [T] [C], pour avoir dissimulé les coordonnées de la SCI Ylang, qu'audelà d'une telle somme, le préjudice subi n'était qu'hypothétique en ce qu'il dépendait de la bonne ou mauvaise exécution du contrat par la SCI Ylang, quand la perte du solde du dépôt de garantie était certain, faute de la moindre justification de la retenue exercée, le juge de proximité a violé l'article
1382 du code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF au jugement attaqué d'avoir débouté M. [T] [C] de sa demande de condamnation au titre des dépens ;
AUX MOTIFS QUE le demandeur ne peut demander le paiement des dépens à la société YLANG comme il le fait dans son acte introductif d'autant que cette société n'est pas partie à l'instance ; qu'en conséquence, Monsieur [C] sera débouté de sa demande et conservera les dépens à sa charge ;
ALORS, D'UNE PART, QUE devant la juridiction de proximité, la procédure est orale et seules les prétentions des parties formulées au cours de l'audience saisissent le juge ; qu'en l'espèce, en retenant, au vu de l'acte introductif d'instance, que c'est à l'encontre de la SCI Ylang que M. [T] [C] formait une demande de condamnation aux dépens, quand il aurait dû se référer aux prétentions oralement soutenues par celui-ci, lors de l'audience, ou contenues dans un écrit auquel il se référait, le juge de proximité a violé les articles
446-1, alinéa 1er, et
843 du code de procédure civile ;
ALORS, D'AUTRE PART ET EN TOUTE HYPOTHESE, QUE la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie ;
qu'en l'espèce, en s'abstenant de condamner aux dépens la société Gestion et patrimoine Lescuyer, qui succombait pourtant dans ses prétentions, le juge de proximité a violé l'article
696 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF au jugement attaqué d'avoir débouté M. [T] [C] de sa demande de condamnation au titre de l'article
700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE l'indemnité réclamée au titre de l'article
700 du code de procédure civile ne pouvant être mise à la charge de la personne condamnée aux dépens, la demande de Monsieur [C] de ce chef ne saurait prospérer ;
ALORS, D'UNE PART, QUE le juge de proximité s'est fondé, pour rejeter la demande de M. [T] [C] tendant à la condamnation de la société Gestion et patrimoine Lescuyer au titre des frais irrépétibles, sur la circonstance qu'aucune condamnation n'avait été prononcée au titre des dépens ; que le chef du jugement ayant débouté M. [T] [C] de sa demande au titre des frais irrépétibles est ainsi dans la dépendance de celui ayant rejeté sa demande au titre des dépens ; qu'en application de l'article
624 du code de procédure civile, la cassation qui sera prononcée sur le deuxième moyen entraînera donc la cassation du chef du jugement visé à travers le troisième moyen ;
ALORS, D'AUTRE PART ET EN TOUTE HYPOTHESE, QUE la circonstance qu'aucune des parties n'ait été condamnée aux dépens ne fait pas obstacle à la condamnation de la partie perdante à payer à l'autre partie les frais exposés par elle et non compris dans ces dépens ; qu'en l'espèce, en se fondant, pour rejeter la demande de M. [T] [C] tendant à la condamnation de la société Gestion et patrimoine Lescuyer au titre des frais irrépétibles, sur la circonstance qu'aucune condamnation n'avait été prononcée au titre des dépens, le juge de proximité a violé l'article
700 du code de procédure civile.