Tribunal de Grande Instance de Paris, 13 mars 2009, 2007/09467

Mots clés validité de la marque · marque communautaire · droit communautaire · marque figurative · forme géométrique · forme du produit · caractère distinctif · forme imposée par la nature du produit · forme imposée par la fonction du produit · représentation nécessaire · représentation usuelle · fonction d'identification · contrefaçon de marque · imitation · similitude visuelle · adjonction d'une marque · protection du modèle · validité du dépôt · pièce détachée · caractère apparent · appréciation lors de l'utilisation · appréciation au regard de l'utilisateur final · protection au titre du droit d'auteur · originalité · preuve · décision de justice · concurrence déloyale · imitation du produit · couleur des produits · effet de gamme · risque de confusion · parasitisme · volonté de s'inscrire dans le sillage d'autrui · succès commercial · volonté de profiter des investissements d'autrui · préjudice · atteinte aux droits privatifs · préjudice commercial · absence de préjudice · absence d'exploitation de la marque contrefaite

Synthèse

Juridiction : Tribunal de Grande Instance de Paris
Numéro affaire : 2007/09467
Domaine de propriété intellectuelle : MARQUE ; DESSIN ET MODELE
Classification pour les marques : CL09
Numéros d'enregistrement : 2991974 ; 025858
Parties : ALBRIGHT FRANCE SARL ; ALBRIGHT INTERNATIONAL Ltd (Royaume-Uni) / SCHALTBAU FRANCE SARL (anciennement dénommée TA TECHNOLOGIES)

Texte

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS JUGEMENT rendu le 13 Mars 2009

3ème chambre 2ème section

N°RG: 07/09467

DEMANDERESSES

S.A.R.L. ALBRIGHT FRANCE [...]

Société ALBRIGHT INTERNATIONAL LIMITED ASHLEY hOUSE 136 The Brooadway, Subiton, Surrey, KT6-7LA ROYAUME UNI

représentées par Me Emmanuel GOUGE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire J027

DEFENDERESSE

S.A.R.L. SCHALTBAU FRANCE- anciennement dénommée TA TECHNOLOGIES [...]

représentée par Me Marie-Christine CIMADEVILLA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D 316

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Véronique R. Vice-Président, signataire de la décision

Sophie CANAS, Juge Florence GOUACHE, Juge

assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision

DEBATS

A l'audience du 09 Janvier 2009

tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé par remise de la décision au greffe Contradictoire en premier ressort

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES La société de droit anglais ALBRIGHT INTERNATIONAL LIMITED, ci-après la société ALBRIGHT INTERNATIONAL, est spécialisée dans le domaine industriel des contacteurs à courant continu à usage intensif.

Sa filiale française, la société ALBRIGHT FRANCE est propriétaire d'un modèle de contacteurs et de capots de contacteurs comportant notamment la représentation de cinq contacteurs, déposé auprès de l'INPI le 30 septembre 2002, enregistré sous le n° 02 5858 et publié sous les n° 682 794 à 682 878.

Ce modèle est commercialisé par la société ALBRIGHT FRANCE sous les références SW60, SW80, SW180, SW200 et SW600.

La société ALBRIGHT FRANCE est également titulaire d'une marque communautaire figurative dite "losange" déposée le 30 décembre 2002 et enregistrée sous le n° 002991974 en classe 9.

Indiquant avoir eu connaissance que la société SCHALTB AU FRANCE anciennement dénommée TA TECHNOLOGIES, détient en vue de la vente, offre en vente et vend, notamment sur Internet, des contacteurs référencés C100/80, C100/120, C100/200, C100/320, C200/60, C200/100, C200/150, C200/250 et C200/600 qui reproduiraient selon elles les caractéristiques du modèle et de la marque précités, et après avoir fait procéder le 2 juillet 2007 à un constat sur Internet par Maître PU AUX, huissier de Justice associé à Paris, et le 18 juin 2007, après autorisation du Président du Tribunal de Grande Instance de Pontoise, à une saisie-contrefaçon par Maître P huissier de justice associé à Argenteuil (95), dans les locaux de la société SCHALTBAU, la société ALBRIGHT FRANCE et la société ALBRIGHT INTERNATIONAL ont, selon acte d'huissier en date du 3 juillet 2007, fait assigner la société SCHALTBAU FRANCE , ci-après la société SCHALTBAU devant le Tribunal de Grande Instance de PARIS en contrefaçon de modèle déposé, de marque et de droits d'auteur ainsi qu'en concurrence déloyale et parasitisme aux fins d'obtenir, outre des mesures d'interdiction sous astreinte, de destruction et de publication, réparation de leurs préjudices et paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, le tout au bénéfice de l'exécution provisoire.

Par dernières écritures signifiées le 2 décembre 2008, auxquelles il est expressément référé, la société ALBRIGHT FRANCE et la société ALBRIGHT INTERNATIONAL demandent au Tribunal de :

- dire et juger que la marque communautaire n° 002991974 de la société ALBRIGHT FRANCE est protégeable au titre du Règlement (CE) n°40/94 du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire, - dire et juger que les dessins et modèles français n°02 5858 de la société ALBRIGHT FRANCE sont protégeables au titre du Livre V du Code de la Propriété Intellectuelle,

- dire et juger que les modèles des contacteurs ALBRIGHT référencés S W60, S W80, SW 180, S W200 et S W600 sont protégeables au titre du Livre I du Code de la Propriété Intellectuelle,

- dire et juger que la société SCHALTBAU a commis des actes de contrefaçon de la marque communautaire n° 002991974 en détenant en vue de la vente, en offrant en vente et en vendant des modèles de contacteurs reproduisant ladite marque, en particulier les modèles de contacteurs SCHALTBAU référencés C100/120, C100/200, C100/320, C 200/100, C200/150 et C200/250,

- dire et juger que la société SCHALTBAU a commis des actes de contrefaçon des droits de dessins et modèles n°02 5858 en détenant en vue de la vente, en offrant en vente et en vendant des modèles de contacteurs reproduisant les caractéristiques desdits dessins et modèles, en particulier les modèles de contacteurs SCHALTBAU référencés C100/80, C100/120, C100/200, C100/320, C200/60, C200/100, C200/150, C200/250 et C200/600,

- dire et juger que la société SCHALTBAU a commis des actes de contrefaçon des droits d'auteur de la société ALBRIGHT FRANCE en détenant en vue de la vente, en offrant en vente et en vendant des modèles de contacteurs reproduisant les caractéristiques originales des contacteurs ALBRIGHT référencés SW60, SW80, SW180, SW200 et SW600, en particulier les modèles de contacteurs SCHALTBAU référencés C100/80, C100/120, C100/200, C100/320, C200/60, C200/100, C200/150, C200/250 et C200/600,

- dire et juger que la société SCHALTBAU a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaires à rencontre des sociétés ALBRIGHT FRANCE et ALBRIGHT INTERNATIONAL,

en conséquence,

- interdire à la société SCHALTBAU de diffuser directement ou indirectement des produits reprenant les caractéristiques de la marque communautaire n°002991974, en particulier les modèles de contacteurs référencés C100/120, C100/200, C100/320, C 200/100, C200/150, C200/250 et C200/600, sous astreinte de 1.000 euros par contacteur et par infraction constatée, à compter du prononcé du jugement à intervenir,

- interdire à la société SCHALTBAU de diffuser directement ou indirectement des produits reprenant les caractéristiques ornementales des modèles de contacteurs ALBRIGHT, en particulier les modèles de contacteurs référencés Cl00/80, Cl00/120, Cl00/200, Cl00/320, C200/60, C200/100, C200/150, C200/250 et C200/600, sous astreinte de 1.000 euros par contacteur et par infraction constatée, à compter du prononcé du jugement à intervenir,

- ordonner la destruction, sous contrôle d'huissier, de l'intégralité des stocks de produits contrefaisants et de toute documentation commerciale sur laquelle lesdits produits contrefaisants figurent, aux frais de la société SCHALTBAU,

- condamner la société SCHALTBAU à payer à la société ALBRIGHT FRANCE la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte à son droit sur la marque communautaire n°002991974,

- condamner la société SCHALTBAU à payer à la société ALBRIGHT FRANCE la somme de 70.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte à son droit sur les dessins et modèles n°02 5858,

- condamner la société SCHALTBAU FRANCE à payer à la société ALBRIGHT FRANCE la somme de 60.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte à ses droits d'auteur, - condamner la société SCHALTBAU FRANCE à payer à la société ALBRIGHT FRANCE la somme de 150.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial à valoir sur l'indemnisation de son préjudice au titre de la contrefaçon,

- condamner la société SCHALTBAU FRANCE à payer aux sociétés ALBRIGHT FRANCE et ALBRIGHT INTERNATIONAL la somme de 150.000 euros à titre dédommages et intérêts à valoir sur l'indemnisation de leur préjudice au titre des actes de concurrence déloyale,

- ordonner la publication du jugement à intervenir dans 5 journaux ou revues aux frais de la société SCHALTBAU FRANCE et au choix de la société ALBRIGHT FRANCE, sans que le coût de chacune de ces insertions ne puisse dépasser la somme de 5.000 euros H.T.,

- ordonner en outre la publication du jugement à intervenir dans son intégralité sur le site Internet www.schaltbau.fr, et ce avec un lien hypertexte apparent sur la première page dans une police d'une taille de vingt points au moins mentionnant : "La société SCHALTBAU FRANCE a été condamnée pour contrefaçon des droits de propriété intellectuelle de la société ALBRIGHT FRANCE et pour concurrence déloyale à l’encontre de cette dernière et de la société ALBRIGHT INTERNATIONAL", pendant une durée de six mois, aux seuls frais de la société SCHALTBAU FRANCE, et sous astreinte de 500 euros par jour de retard dès la signification du jugement à intervenir,

- nommer un expert avec pour mission de fournir tous éléments au tribunal concernant l'intégralité de la masse contrefaisante et le montant global des dommages et intérêts correspondant à l'entier préjudice subi par les sociétés ALBRIGHT FRANCE et ALBRIGHT INTERNATIONAL,

- condamner la société SCHALTBAU FRANCE à leur payer une somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir, - dire que le tribunal se réservera le pouvoir de liquider les astreintes qu'il pourrait ordonner,

- condamner la société SCHALTBAU FRANCE aux entiers dépens, dont distraction au profit de leur conseil.

Par dernières écritures signifiées le 5 septembre 2008, la société SCHALTBAU FRANCE demande au Tribunal de

- déclarer nuls les dessins et modèles déposés à l'INPI par ALBRIGHT FRANCE et enregistrés sous le n° 02 5858,

- déclarer nulle la marque communautaire figurative enregistrée sous le n° 2 991 974,

- débouter les sociétés ALBRIGHT FRANCE et ALBRIGHT INTERNATIONAL de toutes leurs demandes,

- les condamner à lui verser la somme de 150.000 euros pour abus de position dominante et concurrence déloyale à son égard,

- condamner les sociétés ALBRIGHT FRANCE et ALBRIGHT INTERNATIONAL aux entiers dépens et à lui payer la somme de 40.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile. L'ordonnance de clôture a été prononcée le 19 décembre 2008.

Le même jour la société SCHALTBAU a signifié de nouvelles écritures et communiqué 12 nouvelles pièces.

Par conclusions signifiées le 29 décembre 2008, les sociétés ALBRIGHT FRANCE et ALBRIGHT INTERNATIONAL ont sollicité le rejet des conclusions adverses signifiées le 19 décembre 2008 ainsi que des pièces n° 8 à 19 qui y sont annexées.

Par dernières conclusions signifiées le 9 janvier 2009, la société SCHALTBAU a sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture aux fins de voir déclarer recevables ses dernières conclusions.


MOTIFS DE LA DÉCISION :


Sur la demande de rejet des écritures de la société SCHALTBAU signifiées le 19 décembre 2008

Attendu que l'assignation a été délivrée à la société SCHALTBAU anciennement dénommée TA TECHNOLOGIES le 3 juillet 2007 ;

que l'affaire a fait l'objet de dix appels à la mise en état, de trois injonctions de conclure à la société défenderesse et d'un calendrier de procédure le 5 septembre 2008 fixant la clôture au 12 décembre 2008 et celle des plaidoiries au 9 janvier 2009 ;

que la société SCHALTBAU ayant conclu le 5 septembre 2008, l'affaire a été renvoyée au 17 octobre suivant pour dernières écritures des demanderesses ;

que celles-ci ayant conclu le 17 octobre 2008 et le 2 décembre 2008 en communiquant à cette date une nouvelle pièce, l'affaire a été renvoyée au 28 novembre 2008 puis au 12 décembre 2008, pour conclusions de la société SCHALTBAU, le dernier renvoi contenant une injonction ;

qu'en l'absence de conclusions en défense le 12 décembre 2008, l'affaire a été renvoyée au 19 décembre suivant pour clôture, la date de plaidoiries étant maintenue au 9 janvier 2009 ;

Attendu dans ces conditions, que les conclusions de la société SCHALTBAU signifiées le jour de la clôture alors qu'elles contiennent une nouvelle demande de sursis à statuer et 12 nouvelles pièces, ne respectent pas le principe du contradictoire et doivent être rejetées ;

Sur la validité de la marque communautaire figurative enregistrée sous le n° 2 991 974

Attendu qu'il a été dit que la société ALBRIGHT FRANCE est titulaire de la marque communautaire figurative dite "losange" déposée le 30 décembre 2002 et enregistrée sous le n° 002991974 pour désigner, en classe 9, les appareils électriques, électromécaniques, appareils et instruments pour la conduite, la distribution, la transformation, l'accumulation, le réglage ou la commande du courant électrique, les contacteurs, appareils électriques de contrôle et les interrupteurs ; que cette marque est ainsi représentée :

que pour en contester la validité, la société SCHALTBAU fait valoir que cette marque ne serait pas distinctive et donc de nature à garantir au consommateur l'origine des produits en cause, et qu'elle serait constituée exclusivement par la forme imposée par la nature même du produit ou par la forme du produit nécessaire à l'obtention d'un résultat technique ;

Attendu qu'aux termes de l'article 4 du règlement n° 40/94 du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire, peuvent constituer des marques communautaires tous signes susceptibles d'une représentation graphique, notamment les mots (...), les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou services d'une entreprise d'une autre entreprise ;

que selon l'article 7-1 b) et e) du même règlement sont refusés à l'enregistrement les signes qui sont dépourvus de caractère distinctif et les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature même du produit ou par la forme du produit nécessaire à l'obtention d'un résultat technique ou par la forme qui donne une valeur substantielle au produit ;

qu'en l'espèce, l'utilisation d'un losange aux pointes arrondies, apposé sur la face supérieure des contacteurs de la société ALBRIGHT, n'est pas d'un usage courant dans le domaine considéré, ni ne constitue la forme nécessaire des contacteurs en cause ;

qu'étant à toutes fins rappelé que la marque litigieuse est une marque figurative et non pas tridimensionnelle, sa représentation n'est pas plus imposée par la forme desdits contacteurs dès lors que la société défenderesse reconnaît elle-même que des produits similaires sont également commercialisés par les sociétés ALBRIGHT sous une forme différente à capot rectangulaire, ou encore par le nombre de boulons à vis que comporte le produit, ces caractéristiques n'étant pas revendiquées par le dépôt de la marque ;

que le signe concerné, qui n'est ni nécessaire, ni banal, mais au contraire aisément mémorisable et identifiable, possède en conséquence un caractère distinctif de nature à permettre au consommateur de l'identifier par rapport aux autres produits du marché et est donc valable au regard des textes susvisés, de sorte que la demande en nullité de la société SCHALTBAU doit être rejetée ;

qu'en effet il importe peu que la marque litigieuse ne figure pas sur tous les produits de la société ALBRIGHT, que cette dernière soit également titulaire d'une marque verbale ou que la marque litigieuse soit reproduite avec ou sans l'autorisation de son titulaire sur des produit concurrents ;

Sur la contrefaçon de la marque n° 2 991 974

Attendu que l'huissier instrumentaire indique dans son procès-verbal de saisie-contrefaçon en date du 18 juin 2007 que "concernant les modèles Cl00/120, C200/100 et Cl00/320, il s'agit de contacteurs électriques comportant une partie en forme de capot. La face supérieure du capot est généralement plane et présente une forme en relief. Cette forme est limitée par un losange dont les pointes sont tronquées. Les côtés formés par les pointes tronquées sont situés dans le prolongement des faces latérales des capots. Il y a deux parties filetées perpendiculaires à la face supérieure du capot qui est de couleur noire, et la partie inférieure est métallisée. Cette description est la même pour les trois contacteurs de tailles différentes. Sur le plus grand des trois contacteurs, la partie inférieure présente un rebord facial. Je constate que ces trois produits ont une forme globalement proche et ne différent que par leur taille. Concernant le modèle Cl00/80, il s'agit d'un contacteur simple présentant une partie supérieure parallélépipède rectangle muni d'un évidement abritant le contact ; les parties inférieures et supérieures sont de couleur noire";

que les signes en présence étant différents, c'est au regard de l'article 9, § 1 du règlement (CE) n° 40/94 du 20 décembre 1993, selon lequel " la marque communautaire confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, défaire usage dans la vie des affaires :(...) b) d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque communautaire et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou services couverts par la marque communautaire et le signe, il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque"qu'il convient d'apprécier la demande en contrefaçon ;

qu'il y a lieu plus particulièrement de rechercher si, au regard d'une appréciation des degrés de similitude entre les signes et entre les produits désignés, il existe un risque de confusion dans l'esprit du public concerné ;

que les produits fournis par la société SCHALTBAU sont identiques, ou à tout le moins similaires, aux produits visés dans l'enregistrement de la marque n° 2 991 974 en ce qu'ils désignent des contacteurs ;

que l'appréciation de la similitude visuelle des signes doit être fondée sur l'impression d'ensemble produite par ceux-ci, en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants ;

que d'un point de vue visuel, la partie supérieure des contacteurs SCHALTBAU reproduit un losange dont les pointes sont coupées ;

Attendu qu'il en résulte que l'identité ou la similarité des produits concernés, alliée à la forte similitude entre les signes en cause pris dans leur ensemble entraîne un risque de confusion, que l'identification SCHALTBAU n'est pas de nature à supprimer, le public concerné étant amené à attribuer aux produits proposés une origine commune ; que la contrefaçon par imitation est ainsi caractérisée ;

Sur la validité du modèle de contacteurs n° 02 5858

Attendu qu'il a été dit que la société ALBRIGHT FRANCE est propriétaire d'un modèle n° 02 5858 déposé le 30 septembre 2002 auprès de l'INPI comportant notamment la représentation de cinq contacteurs numérotés 682 794 à 682 878 ;

que pour contester la validité de ce, ou de ces modèles, la société SCHALTBAU fait valoir qu'ils ne sont pas visibles pour l'utilisateur final pour être incorporés dans des produits complexes tels les chariots élévateurs et qu'ils présentent des formes qui ne sont pas séparables de leurs résultats industriels et aucun caractère ornemental ;

que les sociétés demanderesses répliquent qu'aucune preuve du caractère non visible des modèles en cause n'est produite, que les contacteurs sont des produits en tant que tels et ne sont pas nécessairement des pièces incorporées dans des produits complexes, et qu'ils sont en tout état de cause utilisés dans des conditions telles qu'ils sont visibles de l'utilisateur final ; qu'elles ajoutent que la forme des modèles n'a pas un caractère fonctionnel ;

Attendu qu'aux termes de l'article L 511-2 du Code de la Propriété Intellectuelle applicable en l'espèce, seul peut être protégé le dessin ou modèle qui est nouveau et présente un caractère propre ;

que l'article L 511-5 du même Code ajoute que le dessin ou modèle d'une pièce d'un produit complexe n'est regardé comme nouveau et présentant un caractère propre que dans la mesure où la pièce une fois incorporée dans le produit complexe, reste visible lors d'une utilisation normale de ce produit par l'utilisateur final, à l'exception de l'entretien, du service ou de la réparation (...) Est considéré comme un produit complexe un produit composé de pièces multiples qui peuvent être remplacées ;

que selon l'article L 511-8 du Code de la Propriété Intellectuelle, n'est pas susceptible de protection :

1° l'apparence dont les caractéristiques sont exclusivement imposées par la fonction technique du produit,

2° l'apparence d'un produit dont la forme et la dimension exactes doivent être nécessairement reproduites pour qu'il puisse être mécaniquement associé à un autre produit par une mise en contact, un raccordement, un placement à l'intérieur ou à l'extérieur dans des conditions permettant à chacun de ses produits de remplir sa fonction ;

Attendu qu'en l'espèce, les sociétés ALBRIGHT reconnaissent dans leurs écritures que les contacteurs objets du litige sont utilisés dans les domaines industriels des véhicules électriques, systèmes de téléphonie, machine à souder, chariots élévateurs de manutentions, chargeurs de batterie, propulseurs d'étrave, auto-tamponneuses et voitures de golf;

qu'il résulte en outre des pièces versées aux débats à titre d'exemple de produits complexes (installations électriques de train, compresseurs, ventilateurs, chariots de manutention ou groupes de soudure), et notamment des dévidoirs à soudure présentés à la barre, ainsi que du procès verbal de constat établi le 26 mai 2008 à la demande de la société SCHALTBAU par Maître B, huissier de justice à Argenteuil (95), que le modèle revendiqué est incorporé dans des produits complexes, et n'est pas, pour des raisons évidentes de sécurité liées à sa nature électrique, visible lors d'une utilisation normale par l'utilisateur dudit produit en dehors des opérations de maintenance ;

qu'il en résulte que le modèle n° 02 5858 est dépourvu de caractère nouveau et de caractère propre au sens des dispositions précitées et doit être annulé par application combinée des articles L 511-2, L 511-5 et L 512-4 du Code de la Propriété Intellectuelle ;

Attendu que le second moyen de nullité devient sans objet ;

Attendu que le modèle n° 02 5858 étant annulé, l'action en contrefaçon de ce chef ne peut prospérer ;

Sur la contrefaçon de droits d'auteur

Attendu que les dispositions de l'article L 112-1 du Code de la Propriété Intellectuelle protègent par le droit d'auteur toutes les oeuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination, pourvu qu'elles soient des créations originales ;

que selon l'article L 112-2 10°du même Code, sont considérées comme oeuvres de l'esprit les oeuvres des arts appliqués ;

Attendu ainsi, qu’il appartient à la demanderesse de démontrer que les contacteurs qu'elle revendique sont des oeuvres originales ouvrant droit comme telles à la protection au titre des droits d'auteur, la présomption instaurée par l'article L 113-1 du Code de la Propriété Intellectuelle concernant la titularité des droits de celui sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée mais en aucun cas l'originalité de cette oeuvre qu'il appartiendrait à la défenderesse de combattre;

que la société ALBRIGHT expose que la combinaison des différents éléments composants les contacteurs SW60, SW80, SW180, SW200 et SW600 qu'elle commercialise est originale et procède d'un choix esthétique arbitraire ;

que la société défenderesse conteste l'originalité de ces contacteurs en arguant du caractère strictement nécessaire et technique de leurs formes, imposées par leurs fonctions ;

Attendu qu'à l'appui de ses prétentions, la demanderesse se réfère exclusivement à une décision de la Cour d'appel de Paris rendue le 7 novembre 2007 selon laquelle lesdits contacteurs sont protégeables au titre des droits d'auteur dans la mesure ou ces derniers sont caractérisés par une physionomie propre résultant d'un effort créatif et non pas d'une contrainte fonctionnelle et expriment le parti pris de leur auteur ;

Or attendu que si des contacteurs, qui répondent en droit aux critères précédemment exposés par le demandeur, sont susceptibles de bénéficier de la protection par le droit d'auteur instituée par le Livre I du Code de la Propriété Intellectuelle, encore faut-il que la demanderesse démontre en quoi en l'espèce les différents éléments qui caractérisent chacun d'eux seraient originaux et traduiraient un parti pris esthétique et l'empreinte de la personnalité de leur auteur, dont elle serait cessionnaire, en dehors de considération d'ordre général et de la simple référence à une décision judiciaire intervenue dans un litige auquel la société SCHALTBAU n'était pas partie ;

Attendu dès lors que ses demandes formulées au titre de la contrefaçon des droits d'auteur doivent être rejetées, étant précisé qu'il n'appartient pas au tribunal d'examiner lui-même lesdits supports en dehors de toute description par le demandeur de chacune des oeuvres revendiquées dans ses écritures ;

Sur la concurrence déloyale et le parasitisme

Attendu que les sociétés ALBRIGHT FRANCE et ALBRIGHT INTERNATIONAL reprochent à ce titre à la société SCHALTBAU d'avoir copié servilement ses produits jusqu'à les rendre interchangeables et d'avoir repris sa ligne de produits pour créer un effet de gamme, cherchant ainsi à détourner sa clientèle et à profiter de ses investissements et de sa notoriété, enfin de pratiquer des prix inférieurs ;

que la société défenderesse fait valoir que le grief de copie servile n'est pas un grief distinct de ceux allégués au titre de la contrefaçon, la reproduction a l'identique étant imposée par des raisons techniques, qu'aucune preuve de prix inférieurs n'est rapportée, que ses produits sont parfaitement identifiables, enfin que disposant elle-même d'un savoir faire dans le domaine des contacteurs ferroviaires, elle a pu développer ses propres produits dans le domaine industriel ;

Mais attendu que la mise sur le marché de modèles dont il n'est pas contesté qu'ils reprennent les combinaisons des contacteurs ALBRIGHT selon la même déclinaison et des couleurs identiques, et dont la forme n'est pas imposée par des raisons techniques, ne procède pas de l'exercice de la libre concurrence mais traduit la volonté délibérée de la société défenderesse d'entretenir la confusion dans l'esprit de la clientèle entre les produits en cause et constitue dès lors un acte de concurrence déloyale ;

que par ailleurs, la société ALBRIGHTFRANCE justifie de l'importance de ses investissements publicitaires relatifs aux produits en cause, par la production de son catalogue et d'extraits du site Internet albright-france.com ; que la défenderesse qui ne justifie quant à elle d'aucun élément de nature à établir ses propres efforts de création et de promotion des modèles incriminés, a ainsi manifesté sa volonté délibérée de se placer dans le sillage de la demanderesse pour bénéficier du succès rencontré auprès de la clientèle par ses modèles ;

qu'il suit que les sociétés ALBRIGHT FRANCE est bien fondée à invoquer des actes de parasitisme commis à son encontre par la défenderesse en ce qui concerne les contacteurs litigieux ;

Sur les mesures réparatrices

Attendu qu'il sera fait droit à la mesure d'interdiction sollicitée dans les conditions énoncées au dispositif de la présente décision ;

que cette mesure étant suffisante à faire cesser les actes illicites, il n'y a pas lieu de faire droit en outre à la demande de destruction des stocks de produits contrefaisants et de la documentation commerciale ; Attendu que les opérations de saisie-contrefaçon du 18 juin 2007 ont révélé que concernant la période 2006 - juin 2007, la société SCHALTBAU a commandé à son fournisseur une quantité de 56.488 contacteurs à un prix moyen de 11 euros, excepté pour le modèle Cl00/120 acheté en 6 exemplaires à 150 euros, et en a vendu à ses clients 54.488 pièces pour un prix unitaire moyen de 15 à 20 euros ;

qu’il y a lieu, compte tenu de ces éléments non contestes d allouer a la société ALBRIGHT FRANCE la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts du fait des atteintes portées à la marque communautaire n° 002991974 dont elle est titulaire ;

qu'il sera alloué en outre à la société ALBRIGHT FRANCE, qui commercialise en France des contacteurs électriques revêtus de la marque contrefaite, la somme de 40.000 euros en réparation de son préjudice commercial ainsi que celle de 50.000 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes distincts de concurrence déloyale commis à son préjudice, sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure d'expertise ;

que la société ALBRIGHT INTERNATIONAL qui ne justifie pas commercialiser en France les produits concernés sera déboutée de ses demandes indemnitaires ;

Attendu qu'il convient, à titre de complément d'indemnisation, d'autoriser la publication du dispositif du présent jugement selon les modalités ci-dessous précisées ;

Sur les demandes reconventionnelles

Attendu que la société SCHALTBAU condamnée pour contrefaçon de marque et concurrence déloyale ne saurait voir prospérer sa demande de dommages-intérêts pour abus de position dominante des sociétés ALBRIGHT et concurrence déloyale exercée par ces dernières ;

Sur les autres demandes

Attendu que la nature de l'affaire et l'ancienneté du litige justifient l'exécution provisoire de la présente décision ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société ALBRIGHT FRANCE la totalité des frais irrépétibles et qu'il convient de lui allouer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

qu'il n'apparaît en revanche pas inéquitable de laisser à la société ALBRIGHT INTERNATIONAL la charge de ses propres frais irrépétibles ;

que la société SCHALTBAU sera condamnée aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

PAR CES MOTIFS

:

Le Tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,

- Rejette des débats les conclusions de la société SCHALTBAU FRANCE signifiées le 19 décembre 2008. - Rejette la demande de nullité de la marque communautaire n° 00299191A dont est titulaire la société ALBRIGHT FRANCE.

- Annule le modèle de contacteurs et capots de contacteurs n° 02 5858 déposé le 30 septembre 2002 à l'INPI par la société ALBRIGHT FRANCE.

- Rejette en conséquence l'ensemble des demandes relatives à la contrefaçon de dessins et modèles.

- Rejette l'ensemble des demandes relatives à la contrefaçon de droits d'auteur.

- Dit qu'en détenant en vue de la vente, en offrant en vente et en vendant des modèles de contacteurs objets du procès verbal de constat du 2 juillet 2007 et du procès verbal de saisie- contrefaçon du 18 juin 2007, la société SCHALTBAU a commis des actes de contrefaçon de la marque communautaire n° 002991974 au préjudice de la société ALBRIGHT FRANCE.

- Dit que la société SCHALTBAU a en outre commis des actes de concurrence déloyale et parasitaires à rencontre de la société ALBRIGHT FRANCE.

En conséquence,

- Interdit à la société SCHALTBAU FRANCE la poursuite de ces agissements, sous astreinte de 150 euros par infraction constatée passé le délai de 8 jours à compter de la signification d la présente décision.

- Condamne la société SCHALTBAU FRANCE à payer à la société ALBRIGHT FRANCE la somme de 10.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte à son droit sur la marque communautaire n°002991974.

- Condamne la société SCHALTBAU FRANCE à payer à la société ALBRIGHT FRANCE la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial résultant des actes au de contrefaçon.

- Condamne la société SCHALTBAU FRANCE à payer à la société ALBRIGHT FRANCE la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale commis à son encontre.

- Autorise la publication du dispositif de la présente décision dans 3 journaux ou revues aux frais de la société SCHALTBAU FRANCE et au choix de la société ALBRIGHT FRANCE, sans que le coût de chacune de ces insertions ne puisse dépasser la somme de 3.500 euros H.T.

- Ordonne la publication sur la première page du site Internet www.schaltbau.fr, dans une police suffisamment lisible la mention : " La société SCHALTBAU FRANCE a été condamnée pour contrefaçon de la marque communautaire n° 02 5858 de la société ALBRIGHT FRANCE et pour concurrence déloyale à l'encontre de cette dernière ", pendant une durée d'un mois, aux seuls frais de la société SCHALTBAU FRANCE, et sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai de 10 jours après la signification de la présente décision.

- Se réserve la liquidation des astreintes prononcées.

- Condamne la société SCHALTBAU FRANCE à payer à la société SCHALTBAU FRANCE la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile. - Ordonne l'exécution provisoire.

- Rejette le surplus des demandes.

- Condamne la société SCHALTBAU FRANCE aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.