AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-deux septembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller THIN et les observations de la société civile professionnelle de CHAISEMARTIN et COURJON, avocat en la Cour ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Mokhtar,
- X... Fatiha, parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de POITIERS, chambre correctionnelle, en date du 5 septembre 2003, qui les a déboutés de leurs demandes, après relaxe de Jacques Y..., des chefs, notamment, d'abus de confiance, faux et usage de faux ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire produit commun aux demandeurs ;
Sur le premier moyen
de cassation, pris de la violation des articles
314-1 du Code pénal,
591 et
593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Jacques Y... du chef d'abus de confiance ;
"aux motifs que le contrat de dépôt-vente argué par les plaignants n'est pas établi, comme l'a relevé le premier juge ; qu'au contraire, Fatiha X... a signé le 20 octobre 1998 une "déclaration de cession d'un véhicule" visant la FIAT ; que cette "déclaration" pour le moins jette un doute sérieux quant à l'existence d'un dépôt-vente ; que faute de dépôt-vente ou de mission de réparation ou de vente pour le compte des consorts X..., l'un des éléments du délit d'abus de confiance exigés par l'article
314-1 du Code pénal, à savoir la "charge de faire un usage déterminé" de la chose, fait défaut ; que, faute d'établir cette charge, les plaignants, qui ne se sont souciés de la FIAT qu'en janvier 2000, ne sauraient soutenir qu'il y a eu détournement ni abus de confiance ; ( ) ; et aux motifs, sur le faux et l'usage, que Jacques Y... a fini par reconnaître avoir signé du nom de X... Mokhtar et Fatiha un certificat de cession de la FIAT au bénéfice de Louis Z..., certificat daté du 20 octobre 1998, mais établi en janvier 2000 ;
"alors que l'abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a accepté à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt que la vente en janvier 2000 du véhicule FIAT litigieux par Jacques Y..., garagiste, à Louis Z... a donné lieu à l'établissement par ce garagiste d'un faux certificat de cession en faveur de l'acquéreur portant le nom des consorts X... et une imitation de leur signature ; qu'il se déduisait nécessairement de cette constatation que le garagiste n'était que dépositaire du véhicule, resté propriété des consorts X..., ce qui était de nature à caractériser le détournement, élément constitutif de l'abus de confiance ; qu'en relaxant néanmoins Jacques Y... du chef de ce délit au motif que les consorts X... ne rapportaient pas la preuve de ce que le véhicule avait été laissé en dépôt- vente ou aux fins de réparation chez le garagiste, la cour d'appel s'est contredite et a violé les textes susvisés" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la preuve des infractions reprochées n'était pas rapportée à la charge du prévenu, en l'état des éléments soumis à son examen, et a ainsi justifié sa décision déboutant la partie civile de ses prétentions ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Mais
sur le second moyen
de cassation, pris de la violation des articles
441-1 du Code pénal,
591 et
593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Jacques Y... du chef de faux et usage ;
"aux motifs que Jacques Y... a fini par reconnaître avoir signé du nom de X... Mokhtar et Fatiha un certificat de cession de la FIAT au bénéfice de Louis Z..., certificat daté du 20 octobre 1998, mais établi en janvier 2000 ; que si le faux est matériellement constitué et reconnu, il n'en reste pas moins que le certificat ainsi rempli est identique, avec le nom de l'acquéreur en plus, à celui signé par Fatiha X... en octobre 1998 ; qu'il manque donc, pour que le délit soit constitué en tous ses éléments, l'intention frauduleuse et le risque de préjudice à autrui puisque lorsque Jacques Y... a signé le certificat de cession, Fatiha X... avait plus d'un an auparavant manifesté son intention de céder le véhicule ;
"alors, d'une part, que l'altération frauduleuse de la vérité dans un écrit susceptible de servir à des fins probatoires ou de créer des obligations indues est nécessairement de nature à causer un préjudice ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt que Jacques Y..., garagiste, lorsqu'il a vendu le véhicule litigieux à Louis Z... en janvier 2000, a établi et signé au nom des consorts X... un certificat de cession en faveur de l'acquéreur antidaté au 20 octobre 1998 ; que ce faux, commis sur un document à usage administratif et susceptible de servir à des fins probatoires, était nécessairement de nature à causer un préjudice ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
"alors, d'autre part, que l'élément intentionnel du délit de faux se définit comme la conscience chez l'auteur de l'infraction de ce que l'altération de la vérité est susceptible de causer un préjudice à autrui ; que l'établissement en connaissance de cause d'un faux document qui, de par sa nature même, est susceptible de causer un préjudice à autrui, caractérise l'élément intentionnel de l'infraction ; qu'en décidant que la preuve de l'élément intentionnel de l'infraction de faux et usage n'était pas rapportée pour relaxer Jacques Y... du chef de ce délit, la cour d'appel s'est contredite et a violé les textes susvisés" ;
Vu l'article
441-1 du Code pénal ;
Attendu que constitue un faux toute altération de la vérité, de nature à causer un préjudice dans un écrit qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, que Jacques Y... a établi, en janvier 2000, au profit d'un client de son établissement, un certificat de cession du véhicule automobile appartenant à Mokhtar et Fatiha X... dont il a imité la signature ;
Attendu que, pour le relaxer des chefs de faux et usage de faux, la cour d'appel relève que le document incriminé est identique à un autre certificat signé en octobre 1998 par Fatiha X... dont il ne différait que par la mention du nom de l'acquéreur et qu'il ne pouvait ainsi préjudicier à la plaignante qui avait manifesté un an auparavant son intention de céder le véhicule ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que le certificat de cession constatait à la date à laquelle il était établi l'existence d'une relation contractuelle n'ayant jamais existé entre les parties et que son auteur ne pouvait exclure l'éventualité d'un préjudice en résultant pour les plaignants, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs
,
CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions portant relaxe des chefs de faux et usage de faux, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Poitiers, en date du 5 septembre 2003, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Angers, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Poitiers et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article
L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Thin conseiller rapporteur, M. Pibouleau conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;