Tribunal administratif de Martinique, 1ère Chambre, 8 juillet 2024, 2300584

Mots clés
requête • préjudice • solidarité • statuer • rapport • réparation • saisie • provision • recours • condamnation • rejet • requis • ressort • serment

Synthèse

  • Juridiction : Tribunal administratif de Martinique
  • Numéro d'affaire :
    2300584
  • Type de recours : Plein contentieux
  • Dispositif : Renvoi au Tribunal des conflits
  • Nature : Décision
  • Rapporteur : M. Lancelot
  • Avocat(s) : SCP D AVOCATS SAIDJI ET MOREAU
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Résumé

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Texte intégral

Vu la procédure suivante

: Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 septembre 2023 et le 8 février 2024, Mme C A, représentée par Me Vieyra, demande au tribunal : 1°) de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à lui verser à titre provisionnel la somme de 102 502,50 euros sur le fondement de la solidarité nationale, en réparation des préjudices résultant des accidents médicaux non fautifs dont elle a été victime, assortie de la capitalisation de ces intérêts à compter de l'introduction de sa requête ; 2°) d'ordonner une expertise psychiatrique portant sur les préjudices qu'elle subit des suites des accidents médicaux non fautifs dont elle a été victime ; 3°) de mettre les dépens à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ; 4°) de mettre la somme de 4 000 euros à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - elle a été victime de deux accidents médicaux non fautifs, à savoir l'apparition d'une fistule vésico-vaginale et un syndrome de la douleur vésicale, lui ouvrant droit à une indemnisation sur le fondement de la solidarité nationale ; - elle est fondée à demander, s'agissant de ses préjudices temporaires, le versement d'une provision d'un montant de 2 560 euros au titre de l'assistance par tierce personne, de 2 942,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, de 8 000 euros au titre des souffrances physiques et morales endurées, et de 2 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ; - elle est fondée à demander, s'agissant de ses préjudices permanents, le versement d'une provision d'un montant de 60 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, de 18 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, de 5 000 euros au titre du préjudice d'agrément et de 4 000 euros au titre du préjudice sexuel ; - une expertise psychiatrique est utile afin de déterminer l'ampleur de ses souffrances psychologiques en lien avec les accidents médicaux non fautifs. Par un mémoire en défense, enregistré le 4 janvier 2024, et un mémoire du 11 juin 2024 qui n'a pas été communiqué, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par la SCP Saidji et Moreau, conclut : - à ce que la somme mise à sa charge soit ramenée à de plus justes proportions ; - à ce qu'il lui soit donné acte de ce qu'il formule ses protestations et réserves quant à sa mise en cause à l'expertise psychiatrique et à ce que les missions de l'expert soient complétées ; - au rejet du surplus des conclusions de la requête. Il fait valoir que : - il ne conteste pas l'engagement de sa responsabilité sur le fondement de la solidarité nationale, au titre des deux accidents médicaux non fautifs dont la requérante a été victime ; - les préjudices subis par Mme A ne peuvent ouvrir droit à une indemnisation supérieure à la somme totale de 18 392,50 euros ; - il ne s'oppose pas à la désignation d'un expert psychiatre afin qu'il se prononce sur le lien de causalité entre les accidents médicaux non fautifs et les préjudices allégués par Mme A. Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ; - le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme Monnier-Besombes, - et les conclusions de M. Lancelot, rapporteur public.

Considérant ce qui suit

: 1. Mme A, alors âgée de 47 ans, a bénéficié d'une hystérectomie totale avec annexectomie gauche par laparotomie, réalisée le 14 novembre 2017 à la clinique Saint-Paul. L'intéressée ayant présenté d'importantes douleurs abdominales et des fuites urinaires dans les suites de cette intervention, une fistule vésico-vaginale lui est diagnostiquée le 1er décembre 2017 et une sonde urinaire est posée. Faute de cicatrisation malgré le sondage à demeure pendant plus de quatre mois, une cure de la fistule vésico-vaginale par laparotomie est réalisée au centre hospitalier universitaire de Martinique le 10 avril 2018. Mme A a toutefois souffert d'hyperactivité vésicale et de pollakiurie douloureuse des suites de cette seconde intervention, évocatrices d'un syndrome de la douleur vésicale. L'intéressée a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales de Martinique, qui a ordonné une expertise médicale confiée à une gynécologue obstétricien et à un urologue, réalisée le 13 janvier 2022. Le 20 mars 2023, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales a formulé une offre d'indemnisation transactionnelle à Mme A, qui l'a toutefois refusée. Par la présente requête, Mme A demande au tribunal, d'une part, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à lui verser à titre provisionnel la somme de 102 502,50 euros sur le fondement de la solidarité nationale, en réparation des préjudices résultant des accidents médicaux non fautifs dont elle a été victime et, d'autre part, d'ordonner une expertise psychiatrique. Sur les conclusions indemnitaires : 2. Aux termes de l'article 35 du décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles : " Lorsqu'une juridiction est saisie d'un litige qui présente à juger, soit sur l'action introduite, soit sur une exception, une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des ordres de juridiction, elle peut, par une décision motivée qui n'est susceptible d'aucun recours, renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence. / La juridiction saisie transmet sa décision et les mémoires ou conclusions des parties au Tribunal des conflits. / L'instance est suspendue jusqu'à la décision du Tribunal des conflits ". 3. L'article L. 1142-17 du code de la santé publique dispose que : " Lorsque la commission régionale estime que le dommage est indemnisable au titre du II de l'article L. 1142-1, ou au titre de l'article L. 1142-1-1 l'office adresse à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l'avis, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis () ". Et l'article L. 1142-20 du même code dispose que : " La victime, ou ses ayants droit, dispose du droit d'action en justice contre l'office si aucune offre ne lui a été présentée ou si elle n'a pas accepté l'offre qui lui a été faite. / L'action en indemnisation est intentée devant la juridiction compétente selon la nature du fait générateur du dommage ". 4. En l'espèce, Mme A expose avoir été successivement victime d'un accident médical non fautif, survenu le 14 novembre 2017, lors de l'hystérectomie réalisée à la clinique Saint-Paul, établissement de santé privé, puis d'un second accident médical non fautif, survenu lors de sa prise en charge au centre hospitalier universitaire de Martinique, établissement public de santé, à compter du 9 avril 2018. Elle demande ainsi la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à l'indemniser, sur le fondement de la solidarité nationale, au titre de l'ensemble de ses préjudices résultant de ces deux aléas thérapeutiques successifs. 5. Le litige né de l'action indemnitaire de Mme A présente à juger une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et de nature à justifier le recours à la procédure prévue par l'article 35 du décret du 27 février 2015. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Tribunal des conflits la question de savoir si l'action introduite par Mme A relève ou non de la compétence de la juridiction administrative, ou bien seulement s'agissant du second aléa thérapeutique ou pour l'ensemble d'entre eux, et de surseoir à statuer sur ces conclusions jusqu'à la décision de ce tribunal. Sur la demande d'expertise : 6. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision () ". Il appartient au demandeur qui engage une action en responsabilité à l'encontre d'une personne morale de droit public d'apporter tous éléments de nature à établir devant le juge la réalité du préjudice subi et le lien de causalité entre ces préjudices et le fait de l'administration. Il incombe alors, en principe, au juge de statuer au vu des pièces du dossier, le cas échéant après avoir demandé aux parties les éléments complémentaires qu'il juge nécessaires à son appréciation. Il ne lui revient d'ordonner une expertise que lorsqu'il n'est pas en mesure de se prononcer au vu des pièces et éléments qu'il a recueillis et que l'expertise présente ainsi un caractère utile. 7. Pour solliciter une expertise médicale complémentaire, Mme A soutient que le syndrome anxiodépressif dont elle souffre est la conséquence directe des séquelles consécutives aux deux accidents médicaux non fautifs dont elle a été victime, et que les préjudices résultant de ce syndrome anxiodépressif doivent dès lors être indemnisés. Elle considère ainsi que l'offre d'indemnisation, présentée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales le 20 mars 2023, ne prend pas en compte l'intégralité de ses préjudices. Dans le rapport d'expertise du 13 janvier 2022, les experts, qui ont relevé d'une part l'existence d'antécédents psychiatriques et un long passé d'algies pelviennes et, d'autre part, le délai important qui s'est écoulé entre l'apparition du syndrome de la douleur vésicale et la survenue du syndrome anxiodépressif de l'intéressée, n'ont toutefois pas été en mesure de se prononcer sur le lien de causalité entre la dégradation de l'état de santé mentale de Mme A et les aléas thérapeutiques dont elle a été victime. Dans la présente instance, la requérante produit des certificats médicaux dont il ressort que son état dépressif, apparu dans un contexte de conjugopathie, peut également s'expliquer par son état de santé, résultant des accidents médicaux non fautifs mais également de sa tumeur du colon. L'état du dossier ne permet pas au tribunal administratif d'apprécier l'existence d'un lien de causalité entre les troubles urologiques et la dégradation de l'état de santé mentale de l'intéressée, en particulier la part strictement imputable aux aléas thérapeutiques dans la survenue de son syndrome anxiodépressif, ni l'étendue des préjudices qui en découlent. Dès lors, il y a lieu, avant de statuer sur la demande de Mme A, d'ordonner une expertise sur ces points.

D E C I D E :

Article 1er : Les conclusions indemnitaires de la requête de Mme A sont renvoyées au Tribunal des conflits. Article 2 : Il est sursis à statuer sur les conclusions de Mme A mentionnées à l'article précédent jusqu'à ce que le Tribunal des conflits ait tranché les questions posées au point 5 du présent jugement. Article 3 : Il sera, avant de statuer sur le surplus des conclusions de la requête de Mme A, procédé par un expert psychiatre, désigné par le président du tribunal administratif, à une expertise avec pour mission de : 1°) se faire communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de Mme A et, notamment, tous documents relatifs au suivi médical, aux actes de soins, et aux diagnostics pratiqués sur elle en lien avec le syndrome dépressif qu'elle expose subir ; convoquer et entendre les parties et tous sachants ; procéder à l'examen clinique de Mme A ; 2°) décrire l'état de santé mentale de Mme A et les soins et prescriptions antérieurs à l'hystérectomie, les conditions dans lesquelles elle a été prise en charge et soignée sur le plan psychologique ; 3°) donner son avis sur le point de savoir si le dommage éventuellement constaté sur le plan psychologique a un rapport avec l'état initial de Mme A, ou l'évolution prévisible de cet état ; le cas échéant, déterminer la part du préjudice présentant un lien de causalité direct, certain et exclusif avec la survenue de chacun des accidents médicaux non fautifs (la fistule vésico-vaginale apparue à la suite de l'hystérectomie réalisée le 14 novembre 2017, et le syndrome de la douleur vésicale survenu des suites de la cure chirurgicale de la fistule, le 10 avril 2018), en excluant la part des séquelles à mettre en relation avec la pathologie initiale, son évolution ou toute autre cause extérieure ; 4°) donner son avis sur l'existence de préjudices liés à l'état de santé mentale de l'intéressée (souffrances endurées, déficit fonctionnel permanent, etc.) et le cas échéant, en évaluer l'importance, en distinguant la part imputable à chacun des aléas thérapeutiques de celle ayant pour origine toute autre cause ou pathologie, eu égard, notamment, aux antécédents médicaux de l'intéressée. Article 4 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef du tribunal. L'expert déposera son rapport au greffe du tribunal en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par le président du tribunal dans sa décision le désignant. Article 5 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance. Article 6 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent jugement, sont réservés jusqu'en fin d'instance. Article 7 : Le présent jugement sera notifié à Mme C A, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse générale de sécurité sociale de la Martinique et à la rectrice de l'académie de Martinique. Délibéré après l'audience du 20 juin 2024, à laquelle siégeaient : M. Laso, président, M. de Palmaert, premier conseiller, Mme Monnier-Besombes, conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 juillet 2024. La rapporteure, A. Monnier-BesombesLe président, J.-M. Laso La greffière, M. B La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. 2