Chronologie de l'affaire
Tribunal administratif de Nantes 13 avril 2021
Cour administrative d'appel de Nantes 07 mars 2023

Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 7 mars 2023, 21NT03052

Mots clés visa · recours · entrée · filiation · produits · commission · enfants · ministre · intérieur · possession d'état · subsidiaire · actes · séjour · familial · autorité

Synthèse

Juridiction : Cour administrative d'appel de Nantes
Numéro affaire : 21NT03052
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Satisfaction totale
Décision précédente : Tribunal administratif de Nantes, 13 avril 2021, N° 1800626
Président : M. Francfort
Avocat(s) : PERROT

Chronologie de l'affaire

Tribunal administratif de Nantes 13 avril 2021
Cour administrative d'appel de Nantes 07 mars 2023

Texte

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I L a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision de l'ambassade de France en République démocratique du Congo refusant de délivrer des visas de long séjour à ses enfants allégués, J C, K F et A M G, en qualité de membres de famille de réfugiée.

Par un jugement n° 1800626 du 13 avril 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle rejette la demande de visa présentée pour Mme J C, a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à l'intéressée le visa sollicité dans un délai de deux mois, et a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 29 octobre 2021 et les 15 avril et 12 décembre 2022 (ce dernier non communiqué), Mme I L, M. K F et M. A M G, représentés par Me Perrot, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 13 avril 2021 du tribunal administratif de Nantes, en tant qu'il a rejeté la demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en ce qu'elle rejette les demandes de visas présentées pour M. K F et M. A M G ;

2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle rejette les demandes de visas présentées pour M. K F et M. A M G ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur, à titre principal, de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen des demandes de visas dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la décision contestée est entachée d'un vice de procédure, en ce qu'il n'est pas établi que la composition de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France était irrégulière ;

- la décision contestée est entachée d'erreur d'appréciation ; l'identité et le lien de filiation des demandeurs sont établis par les actes d'état civil produits et par la possession d'état ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 janvier 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Les requérants ont produit des pièces, le 27 juin 2022, qui n'ont pas été communiquées.

La demande d'aide juridictionnelle présentée par Mme L a été rejetée par une décision du 30 août 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. D a été entendu au cours de l'audience publique.


Considérant ce qui suit

:

1. Mme I L, ressortissante congolaise née en 1969, s'est vu reconnaître le 13 novembre 2013 la qualité de réfugiée en France. Ses enfants allégués, J C, née le 7 septembre 1997, F K né le 15 septembre 1999 et Béni Entambe G né le 15 janvier 2001, ont sollicité la délivrance de visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugiée. Par une décision du 1er juin 2017, les autorités consulaires de l'ambassade de France en République démocratique du Congo ont rejeté leur demande. Par un jugement du 13 avril 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle concernait l'enfant Naomie Lelo C, a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à l'intéressée le visa sollicité dans un délai de deux mois, et a rejeté le surplus de la demande. Mme L, M. K F et M. A M G relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté la demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France relative aux demandes de visas présentées pour K F et Beni M G.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté la demande tendant à l'annulation de la décision refusant un visa d'entrée en France à M. K F et M. A M G :

2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, et dont les dispositions ont été reprises aux articles L. 561-2 à L. 561-5 du même code : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / () 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. () L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II.- () / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. () ". L'article L. 411-2 de ce code alors en vigueur dispose : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". L'article L. 411-3 du même code alors en vigueur prévoit : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.

3. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, aujourd'hui repris à l'article L. 811-2 du même code, prévoit en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

4. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

5. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du mémoire en défense du ministre en première instance, que pour refuser de délivrer les visas sollicités, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur les motifs tirés, d'une part, de ce que l'identité des demandeurs de visa, et partant, leur lien familial à l'égard de Mme L, n'étaient pas établis, d'autre part, s'agissant de M. K F, de ce qu'il n'avait pas été produit de jugement de délégation d'autorité parentale du père de l'enfant, ni de document attestant de son accord pour que celui-ci se rende en France.

6. En premier lieu, pour justifier de l'identité de M. K F et de M. A M G, ont été produits deux actes de naissance dressés le 30 mai 2015 par les services d'état civil de la ville de H - commune de Wangata, en transcription d'un jugement supplétif n° RCE 058 du 21 mai 2015 du tribunal pour enfants de H. Pour remettre en cause le caractère authentique et probant de ces documents, le ministre de l'intérieur relève que les intéressés ont également produit à l'appui de la demande, sans explications, deux autres jugements supplétifs n° RC 3601 et n° RC 3601 bis du 18 mars 2015 du tribunal de grande instance de H, et deux actes de naissance du 21 août 2015 dressés par l'officier d'état-civil du territoire d'Ingende. Toutefois, et alors que le jugement du 21 mai 2015 mentionne les prénom et nom des enfants, leurs date et lieu de naissance et les noms et prénoms du père et de la mère, et permettent ainsi de déterminer l'identité des personnes qui y figurent et le lien de filiation, cette circonstance ne suffit pas à établir que les actes du 30 mai 2015 ne présenteraient pas des garanties suffisantes d'authenticité ou que le jugement supplétif du 21 mai 2015 présenterait un caractère frauduleux. En tout état de cause, les requérants produisent, pour la première fois en appel, un jugement du 5 novembre 2022 du tribunal de grande instance de H ordonnant à l'officier d'état civil d'Ingende d'annuler les actes de naissance pris en transcription des jugements du 18 mars 2015. Par ailleurs, les énonciations contenues dans ce jugement sont conformes aux différentes déclarations faites par Mme L devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Dès lors, c'est par une inexacte application des dispositions précitées que la commission a rejeté la demande de visa litigieuse au motif que l'identité des intéressées et leur lien familial allégué avec Mme L n'étaient pas établis.

7. En second lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment du jugement du tribunal de grande instance de Kinshasa Kalame n°RG 47.206 du 20 février 2014, que M. B E, père de M. K F, est décédé le 19 juin 2001. Le ministre de l'intérieur n'établit pas ni même n'allègue que ce jugement présenterait un caractère frauduleux. Dans ces conditions, c'est par une inexacte application des dispositions précitées que la commission a rejeté la demande de visa litigieuse au motif tiré de l'absence de production d'un jugement de délégation d'autorité parentale du père de M. K F.

8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme L, M. K F et M. A M G sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle a rejeté les demandes de visa d'entrée et de long séjour en France présentées pour M. K F et M. A M G.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

9. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à M. K F et M. A M G. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin de prononcer une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme L, M. K F et M. A M G d'une somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :



Article 1er : Le jugement du 13 avril 2021 du tribunal administratif de Nantes est annulé en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de la demande de Mme L, tendant à l'annulation des refus de visa opposés à M. K F et M. A M G.

Article 2 : La décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est annulée en tant qu'elle a rejeté les demandes de visa d'entrée et de long séjour en France présentées pour M. K F et M. A M G.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. K F et M. A M G un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Mme L, M. K F et M. A M G une somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme L, M. K F, M. A M G et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 10 février 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- M. Frank, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 mars 2023.

Le rapporteur,

A. DLe président,

J. FRANCFORT

La greffière,

H. EL HAMIANI

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

No 21NT0305