Chronologie de l'affaire
Tribunal administratif de Nantes 10 mai 2021
Cour administrative d'appel de Nantes 22 novembre 2022

Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 22 novembre 2022, 21NT01842

Mots clés visa · recours · enfants · produits · familiale · ressort · subsidiaire · naissance · actes · intérieur · identité · mer · protection · entrée · astreinte

Synthèse

Juridiction : Cour administrative d'appel de Nantes
Numéro affaire : 21NT01842
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Nantes, 10 mai 2021, N° 2011543
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur : M. Christian RIVAS
Rapporteur public : M. MAS
Avocat(s) : LEUDET

Chronologie de l'affaire

Tribunal administratif de Nantes 10 mai 2021
Cour administrative d'appel de Nantes 22 novembre 2022

Texte

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... L... F... et Mme C... H..., agissant en leurs noms propres et en qualité de représentants légaux d'Afonso Mfuendo Alves F..., ainsi que M. M... F... et Mme N... F..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 10 juillet 2019 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 11 janvier 2019 des autorités consulaires françaises à Luanda refusant de délivrer à Mme C... H..., à Afonso Mfuendo Alves F..., à M. M... F... et à Mme N... F... les visas de long séjour qu'ils sollicitaient.

Par un jugement n° 2011543 du 10 mai 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 10 juillet 2019 et a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer, sous astreinte, des visas de long séjour à Mme C... H..., à Afonso Mfuendo Alves F..., à M. M... F... et à Mme N... F... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 juillet 2021, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 10 mai 2021 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. A... L... F... et Mme C... H..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux d'Afonso Mfuendo Alves F..., ainsi que par M. M... F... et Mme N... F... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il n'a pas été procédé à un examen sérieux de la demande dont il était saisi ;

- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est fondée en droit au terme d'une substitution de motif ; la demande de réunification n'a pas été faite dans des délais raisonnables, soit sept ans après l'obtention de la protection subsidiaire par M. A... L... F... et cinq ans après l'information qui lui a été donnée sur la procédure ; il n'existe pas de preuve du caractère suffisamment stable et continu de la vie commune du couple avant la demande de protection internationale ; les documents d'état-civil produits pour les enfants ne sont pas conformes au droit local et ne permettent pas de déterminer l'identité des demandeurs et leur lien familial avec M. A... L... F... ; l'intérêt supérieur des enfants est de rester en Angola auprès de leur mère alors que leur père a reconstitué une nouvelle cellule familiale en France ; il n'a pas été produit de délégation d'autorité parentale pour l'enfant mineur.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juillet 2021, M. A... L... F... et Mme C... H..., agissant en leurs noms propres et en qualité de représentants légaux d'Afonso Mfuendo Alves F..., ainsi que M. M... F... et Mme N... F..., représentés par Me Leudet, concluent au rejet de la requête et demandent de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés.

M. A... L... F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (55%) par une décision du 7 octobre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- et les observations de Me Leudet, représentant les consorts F....


Considérant ce qui suit

:

1. M. A... L... F..., ressortissant angolais né le 10 février 1977, a été admis au bénéfice de la protection subsidiaire en 2011. Mme C... H..., présentée comme sa concubine, Afonso Mfuendo Alves F..., M. M... F... et Mme N... F..., présentés comme les enfants du couple, ont sollicité la délivrance de visas d'entrée et de long séjour afin de le rejoindre. Par une décision du 10 juillet 2019 la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours, formé contre le refus des autorités consulaires françaises à Luanda (Angola) de délivrer les visas sollicités. Par un jugement du 10 mai 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision du 10 juillet 2019 de la commission et a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer les quatre visas de long séjour sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé ce délai. La demande de sursis à exécution de ce jugement a été rejetée par une ordonnance du 18 octobre 2021 du président de la 5ème chambre de la cour administrative d'appel de Nantes.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer soutient que le jugement attaqué n'a pas été précédé d'un examen sérieux du dossier dès lors que les premiers juges ne se sont pas assurés que M. L... F... et Mme H... avaient entretenu une vie commune suffisamment stable et continue au sens de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable et qu'ils ont considéré que l'état civil des trois enfants était établi par les documents produits, alors que ceux-ci comportaient à tout le moins des incohérences. Toutefois, ces arguments ont trait au bien-fondé du jugement et non à sa régularité. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de ce jugement pour ce motif doit être écarté comme inopérant.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Pour fonder sa décision, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a opposé aux demandes des consorts F... le fait que l'identité des demandeurs et leur lien familial allégué avec M. L... F... n'étaient pas établis eu égard aux documents d'état civil produits, à la tardiveté des demandes de visa et au fait que M. L... F... a reconstitué une nouvelle cellule familiale en France. Le ministre fait également valoir, au terme d'une demande de substitution de motif, que la vie commune ancienne du couple formé par M. L... F... et Mme H... n'est pas établie au sens de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que l'intérêt des trois enfants est de rester en Angola aux cotés de leur mère non éligible à la réunification familiale, et que, pour l'enfant mineur, M. L... F... ne justifie pas d'une décision judiciaire lui confiant l'autorité parentale.

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui (...) a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) / La réunification familiale ne peut être refusée que si le demandeur ou le bénéficiaire ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil. / Est exclu de la réunification familiale un membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ou lorsqu'il est établi qu'il est instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié l'octroi d'une protection au titre de l'asile. ".

5. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil dans sa rédaction applicable au litige : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

6. Il ressort des pièces du dossier que, pour établir l'identité des demandeurs de visa, les intéressés ont produit une copie du livret personnel de Mme H... figurant au registre d'état-civil de 2008 de la ville de Luanda mentionnant sa naissance le 10 août 1980, ainsi qu'une copie de sa carte d'identité angolaise et de son passeport établis en 2015. Ont été également produits pour M. I... né le 11 juin 2001 et Mme J... née le 26 mai 2002 leurs actes de naissance du 29 avril 2003 et pour Afonso Mfuendo, né le 24 mai 2007, son acte de naissance établi le 13 avril 2009. L'authenticité de ces documents a été certifiée en 2018 par un bureau du registre d'état-civil de Luanda et une autorité consulaire auprès du ministère des relations extérieures de ce pays. Pour les trois enfants ont été également versés au dossier les copie de leurs cartes d'identité angolaises émises en 2014 mentionnant, comme leurs actes de naissance, leurs filiations respectives avec M. L... F... et Mme H..., leurs passeports angolais émis en 2014, ainsi que leurs nouvelles cartes d'identité délivrées en 2019 et leurs nouveaux passeports émis en 2021. Si la commission souligne que les actes de naissance de Mme H... et des enfants ont été établis plusieurs années après leurs naissances, et que Mme H... ne disposait pas d'actes de naissance à la date de délivrance des actes de naissance de ses deux premiers enfants, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une telle situation contreviendrait à la législation angolaise. Si le ministre relève que les passeports des enfants établis en 2014 ne mentionnent comme patronyme que F... alors que les actes de naissance indiquent Alves F..., un tel constat, tout comme le fait que l'un des passeports mentionne le nom de " F... " et non celui de " F... ", n'est pas de nature à retirer toute valeur probante aux actes d'état-civil produits. Enfin, il n'existe pas de divergence, sur l'état civil des parents de M. L... F..., entre les actes de naissance des enfants et la fiche familiale d'état-civil établie en 2011 par l'OFPRA, ces actes mentionnant tous les noms de M. B... K... et de Mme G... E.... Au regard de ces éléments, et alors que M. L... F... a été constant sur l'identité et les dates de naissance de sa concubine et de leurs enfants dès son entrée en France, l'identité de ces derniers et les liens de filiation des trois enfants avec M. L... F... et Mme H... doivent être regardés comme établis.

7. En deuxième lieu, le ministre de l'intérieur et des outre-mer soutient qu'il n'est pas établi que Mme H... et M. L... F... auraient entretenu une vie commune suffisamment stable et continue. Ainsi qu'il a été exposé précédemment il est établi que de la relation du couple sont nés trois enfants en 2001, 2002 et 2007. Par ailleurs, par des déclarations circonstanciées cohérentes, M. L... F... a été constant depuis la présentation de sa demande de protection internationale sur le fait qu'il a vécu avec Mme H... et leurs enfants jusqu'à l'enlèvement de ces derniers en décembre 2009 et son propre départ de l'Angola en janvier 2010. Dans ces conditions, il est établi que M. L... F... et Mme H... entretenaient une vie commune stable et continue avant leur séparation en 2009 et la demande de protection internationale faite par M. L... F... en 2010.

8. En troisième lieu, il ressort des déclarations constantes de M. L... F... qu'il est resté plusieurs années après son arrivée en France sans nouvelles de sa compagne et de leurs enfants consécutivement à leur enlèvement. Par ailleurs, alors même qu'il a eu connaissance des modalités administratives préalables à la venue de ces derniers en France en octobre 2013, la seule circonstance que ceux-ci n'ont déposé leurs demandes de visa qu'en 2018 est sans incidence sur leur droit à la réunification familiale, dès lors que cette situation ne correspond pas aux hypothèses de refus énumérées par l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qu'elle n'est pas constitutive d'un motif d'ordre public. Pour le même motif le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que l'intérêt des trois enfants serait de rester vivre en Angola.

9. En dernier lieu, si M. L... F... est le père d'une enfant née le 11 décembre 2017 en France, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait constitué en France une nouvelle cellule familiale avec cet enfant et sa mère.

10. Il résulte des points 6 à 9 que c'est au terme d'une inexacte application des dispositions citées aux points 4 et 5 que par sa décision du 10 juillet 2019 la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les refus de visa de long séjour opposés à Mme C... H... et à Afonso Mfuendo, I... et J... Alves F....

11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 10 juillet 2019 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint, sous astreinte, de faire délivrer un visa de long séjour à Mme C... H... et à Afonso Mfuendo, I... et J... Alves F....

Sur les frais d'instance :

12. M. A... L... F... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 800 euros à Me Leudet dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :



Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Leudet, avocate des requérants, la somme de 800 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. A... L... F..., à Mme C... H..., à M. M... F... et à Mme N... F....

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- M. Frank, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2022.

Le rapporteur,

C. D...

Le président,

J. FRANCFORT

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 21NT01842