COUR D'APPEL DE PARISARRET DU 15 OCTOBRE 2010
Pôle 5 - Chambre 2(n° , 7 pages)Numéro d'inscription au répertoire général : 09/21150.
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Septembre 2009 -Tribunal de Grande Instance de PARIS 3ème Chambre 1ère Section - RG n° 08/11472
APPELANTS :-Monsieur Karim B
-Madame Natacha V
-S.A.R.L. KNBprise en la personne de ses représentants légaux,ayant son siège social[...]75014 PARIS,
-SARL LINAprise en la personne de ses représentants légaux,ayant son siège social[...]75015 PARIS, représentés par Maître Frédérique ETEVENARD suppléante de l'Etude de Maître H, avoué à la Cour, assistés de Maître Emmanuelle J plaidant pour le Cabinet MARCURIA, avocat au barreau de PARIS, toque K 146.
INTIMÉE :SA KENZO Pprise en la personne de ses représentants légaux,ayant son siège3 place des Victoires75001 PARIS,représentée par la SCP NARRAT - PEYTAVI, avoués à la Cour, assistée de Maître Philippe B, avocat au barreau de PARIS, toque : E0804.
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 10 septembre 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :Monsieur GIRARDET, président,Madame DARBOIS, conseillère,Madame NEROT, conseillère.qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur NGUYEN.
ARRET
:
Contradictoire, -prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article
450 du Code de procédure civile.-signé par Monsieur GIRARDET, président, et par Monsieur NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.
La société KENZO PARFUMS est titulaire :
- de la marque nominative LABULLEKENZO, numéro 03 3 223 359, déposée à l'Institut national de la propriété industrielle le 02 mai 2003,
- de la marque semi-figurative LABULLEKENZO, numéro 03 3 223 358, déposée à l'Institut national de la propriété industrielle la même date,
toutes deux désignant les produits et services des classes 35, 42 et 44, à savoir : direction professionnelle des affaires artistiques, publicité, démonstration de produits, diffusion de matériel publicitaire à savoir tracts, prospectus, échantillons et imprimés, organisation d'exposition à buts commerciaux ou de publicité / décoration de magasin et de vitrine / services de soin d'hygiène et de beauté pour êtres humains, services de massages, soins de relaxation, salons de beauté.
Elle exploite à Paris un institut dénommé LABULLEKENZO qui propose à la clientèle des prestations d'institut et de soins divers et cet institut est présent sur son site internet.
Ayant été informée que Monsieur Karim B et Madame Natacha V avaient déposé, le 29 mai 2006, la marque BULLE DE SOINS, numéro 06 3 430 773, en classes 3, 42 et 44 qui a été enregistrée le 03 novembre 2006 et ayant constaté, d'une part, qu'était exploité un site internet www.bulledesoin.com concernant une activité d'esthétique, de beauté et de soins désignée par la marque BULLE DE SOINS et, d'autre part, que plusieurs instituts de beauté étaient exploités à Paris sous la dénomination BULLE DE SOINS - s'agissant des SARL LINA, CMA et KNB - la société KENZO PARFUMS a vainement mis en demeure les titulaires de la marque de procéder à sa radiation et de cesser l'exploitation avant de saisir la juridiction de fond d'une action en contrefaçon et en concurrence déloyale.
Par jugement rendu le 22 septembre 2009, le tribunal de grande instance de Paris a, avec exécution provisoire :
-rejeté la fin de non-recevoir opposée en défense,
- dit que la marque BULLE DE SOINS déposée en classes 3, 42, 44 par Monsieur B et Madame Natacha V est une contrefaçon par imitation des marques LABULLEKENZO déposées le 02 mai 2003 en classes 35, 42 et 44,
- dit que les sociétés LINA et KNB et la société CMA ont commis des faits distincts de concurrence déloyale du fait de l'utilisation de l'enseigne LA (sic) BULLE DE SOINS,
-déclaré irrecevable la demande de concurrence déloyale fondée sur le domaine www.labulledesoins.com (sic),
-fait interdiction à Monsieur Karim B, Madame Natacha V et aux sociétés LINA, KNB et CMA, sous astreinte provisoire de 300 euros par jour de retard, huit jours après la signification du jugement, d'utiliser de quelque façon que ce soit la marque et la dénomination contrefaisante BULLE DE SOINS en se réservant la liquidation de l'astreinte,
- condamné in solidum Monsieur Karim B, Madame Natacha V, les sociétés LINA, KNB et CMA, à payer à la société KENZO PARFUMS la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts du fait de la contrefaçon des marques,
- condamné in solidum la société LINA, la société KNB et la société CMA à payer à la société KENZO PARFUMS la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts du fait des actes distincts de concurrence déloyale,
-rejeté les demandes de mesures de publication et de destruction,
-condamné in solidum Monsieur Karim B, Madame Natacha V, la société LINA, la société KNB et la société CMA à payer à la société KENZO PARFUMS la somme de5.000 euros sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
Monsieur Karim B, Madame Natacha V et les sociétés à responsabilité limitée LINA et KNB appelants, par dernières conclusions signifiées le 03 juin 2010, demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et sollicitent, reconventionnellement, la condamnation de la société KENZO PARFUMS à payer la somme de 30.000 euros venant sanctionner une procédure abusive outre celle de 10.000 euros en application de l'article
700 du code de procédure civile, ceci au profit de chacun, et à supporter les entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 14 juin 2010, la société anonyme KENZO PARFUMS demande à la cour, au visa des articles
L 713-3 et suivants du code de la propriété intellectuelle et de l'article
1382 du code civil, de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux actes de contrefaçon par imitation de marque et de concurrence déloyale ainsi qu'en celles portant sur les mesures d'interdiction et sur les frais non répétibles et de débouter les appelants de leurs entières prétentions.
Pour le surplus de la décision déférée, elle sollicite leur condamnation à lui verser la somme complémentaire de 85.000 euros indemnisant les faits de contrefaçon et la même somme indemnisant les actes distincts de concurrence déloyale, l'interdiction sous astreinte définitive de l'utilisation du nom du domaine, le prononcé d'une mesure de publication dans cinq journaux et en page d'accueil du site www.bulledesoins.com ainsi que la condamnation des appelants à lui verser une
somme complémentaire de 15.000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile et à supporter tous les dépens.
SUR CE,
Sur la contrefaçon de marque :
Considérant que Monsieur Karim B, Madame Natacha V, les sociétés LINA et KNB appelants font grief au tribunal d'avoir, d'une part, retenu qu'il existait une grande similitude entre la marque LABULLEKENZO et la marque BULLE DE SOINS et que l'identité des produits et services désignés et exploités induisait nécessairement un risque de confusion et d'avoir, d'autre part, estimé que BULLE DE SOINS constituait également la contrefaçon de la marque semi-figurative LABULLEKENZO puisque l'adjonction du caractère figuratif ne diminuait pas les caractéristiques propres à la marque nominative ;
Considérant, ceci exposé, que la marque seconde contestée n'étant pas la reproduction à l'identique de la marque antérieure, il convient de rechercher, par application de l'article
L 713-3 du code de la propriété intellectuelle, s'il existe entre elles un risque de confusion, lequel doit être apprécié globalement en se fondant sur l'impression d'ensemble produite par les deux marques au regard de leurs éléments dominants et distinctifs et en tenant compte des facteurs pertinents du cas d'espèce ;
Considérant que, sur le plan visuel, la première se compose d'un assemblage, sans espacements, de trois termes formant un mot de douze lettres alors que la seconde se compose de trois mots détachés suivant un ordre grammatical habituel ; que si ces deux marques comportent toutes deux le vocable 'bulle', elles se présentent néanmoins sous une forme distincte du fait de leurs compositions particulières ;
Qu'il suit qu'elles présentent, chacune, une architecture propre et un aspect visuel d'ensemble distinct, peu important que le mot 'bulle' de la marque première soit légèrement accentué ;
Qu'il est, en outre, indifférent que des articles de presse aient pu dissocier la marque LABULLEKENZO en plusieurs signes dès lors que l'appréciation de la similitude visuelle doit être portée entre les signes tels que déposés ;
Que, phonétiquement, les dénominations diffèrent tant par leur syllabe d'attaque - (la) et (bul) - que par leur désinence - (ken) (zo) et (soin) en sorte que si le mot bulle est commun aux deux marques, les sonorités qui le précèdent et le suivent rendent impossible une confusion sonore ;
Que, conceptuellement, l'article défini 'la', placé en tête de la marque première, et le terme KENZO identifient la 'bulle' dont s'agit comme se rapportant à l'univers précis des produits KENZO auquel ce nom propre renvoie immédiatement, au contraire du
signe déposé par Monsieur B et Madame V - BULLE DE SOINS - qui évoque un espace protégé destiné au bien-être corporel ;
Que cette signification distincte, alliée aux différences visuelles et phonétiques de ces deux marques, exclut que le consommateur d'attention moyenne puisse se méprendre sur l'origine des produits et services offerts par chacune des deux marques en litige et ceci malgré l'identité ou la similarité de ces derniers ;
Qu'a fortiori, la marque semi-figurative antérieure numéro 03 3 223 358 qui se présente comme un disque de couleur rose associé à la dénomination centrale LABULLEKENZO exclut tout risque de confusion avec la marque verbale BULLE DE SOINS ;
Qu'il s'en induit qu'en l'absence de risque de confusion, la société KENZO PARFUMS n'est pas fondée en son action en contrefaçon et que le jugement sera infirmé sur ce point ;
Sur la concurrence déloyale :
Considérant que la société KENZO PARFUMS reproche aux appelants une 'atteinte' à son nom de domaine (www.labullekenzo.com) du fait de l'utilisation d'un nom de domaine (www.bulledesoin.com) qui renvoie à un site www.kiwibeauté.com citant les instituts exploités par les sociétés KNB et LINA dans les 14ème et 15ème arrondissements de Paris ; qu'elle ajoute que l'utilisation du nom de domaine contrefaisant a persisté en dépit de l'exécution provisoire dont était assorti le jugement, à l'instar des enseignes vers lesquelles ce site dirige les internautes ;
Qu'exploitant un établissement de soins à l'enseigne 'LABULLEKENZO' dans le 1er arrondissement de Paris, elle incrimine, ensuite, l'exploitation, par les SARL KNB et LINA, de centres de soins dans les 14ème et 15ème arrondissements de Paris, sous l'enseigne 'BULLE DE SOINS' (citant également la SARL CMA, non appelante, qui exploite sous cette même enseigne un institut dans le 9ème arrondissement de Paris) et tire argument du fait que le consommateur peut penser, en raison de la similitude des dénominations, qu'il s'agit d'un réseau et que les instituts exploités par les appelantes constituent une déclinaison bon marché de l'établissement LABULLEKENZO ;
Qu'elle fait enfin grief aux appelants d'utiliser son argumentaire, citant à titre d'exemple celui des bulles de massage, 'un monde à part' alors qu'ils évoquent 'un univers' ;
Mais considérant que l'adoption, par les appelants, d'une enseigne 'BULLE DE SOINS' différente de l'enseigne 'LABULLEKENZO' ainsi que d'un nom de domaine correspondant précisément à l'enseigne des instituts de soins qu'ils exploitent n'est pas de nature, pour les motifs sus-évoqués, à faire naître dans l'esprit de la clientèle une confusion entre le fonds exploité par la société KENZO PARFUMS et ceux qu'ils exploitent en faisant croire à l'existence d'un réseau et à une déclinaison moins prestigieuse de l'établissement exploité par l'intimée ;
Considérant, s'agissant de la reprise de l'argumentaire, que le seul exemple donné - 'un monde à part'/'univers' - sont des termes banals pour évoquer l'agrément d'un service ; qu'à supposer qu'un consommateur moyen fasse le lien entre la locution 'un monde à part' et le mot 'univers', c'est sans risque de confusion pour le public que les appelants ont pu utiliser ce mot dans leur argumentaire ;
Qu'ainsi, le jugement qui a retenu des actes de concurrence déloyale imputables aux appelants sera également infirmé de ce chef ;
Sur les demandes accessoires :
Considérant que les appelants, arguant d'une procédure abusive menée à leur encontre par une société renommée disposant d'importants moyens alors que, personnes physiques et Petites et Moyennes Entreprises, ils n'ont pas une telle envergure, sollicitent reconventionnellement la condamnation de la société KENZO PARFUMS à leur verser des dommages-intérêts venant réparer le préjudice que leur cause l'engagement de cette procédure ;
Mais considérant que l'exercice d'une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus qu'en cas de faute ; qu'aucune faute ne pouvant être reprochée à l'intimée dans l'exercice des voies de droit et le fait que cette société succombe en son action ne suffisant pas pour caractériser l'abus, les appelants seront déboutés de leur demande ;
Considérant que l'équité conduit, en revanche, à accueillir la demande des quatre parties appelantes fondée sur les dispositions de l'article
700 du code de procédure civile et à allouer à chacune, à ce titre, la somme de 4.000 euros ;
Que, succombante, la société KENZO PARFUMS sera déboutée de sa demande formée sur ce dernier fondement et condamnée à supporter les dépens de première instance et d'appel ;
PAR CES MOTIFS
,
Statuant dans les limites de l'appel,
Infirme le jugement et, statuant à nouveau,
Déboute la société KENZO PARFUMS de ses demandes formées au titre de la contrefaçon des marques LABULLEKENZO par la marque BULLE DE SOINS et au titre de la concurrence déloyale ;
Déboute Monsieur Karim B, Madame Natacha V, la société LINA et la société KNB de leur demande en paiement de dommages-intérêts ;
Condamne la société KENZO PARFUMS à verser à Monsieur Karim B, à Madame Natacha V, à la société LINA et à la société KNB la somme de 4.000 euros au profit de chacun, en application de l'article
700 du code de procédure civile ;
Condamne la société KENZO PARFUMS aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article
699 du code de procédure civile.