Le Conseil constitutionnel a été saisi
le 12 mai 2014 par le Conseil d'État (décision n° 37562 du 12 mai 2014), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par MM. Jean-Louis M. et Jacques B., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des sixième et huitième alinéas de l'article 9 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution
;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique ;
Vu la loi n° 96-62 du 29 janvier 1996 prise pour l'application des dispositions de la loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995 qui ont institué une session parlementaire ordinaire unique et modifié le régime de l'inviolabilité parlementaire ;
Vu la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par M. Jean-Louis M., enregistrées le 28 mai et le 16 juin 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 4 juin 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendu à l'audience publique du 26 juin 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu
;
1. Considérant que les articles 8 et 9 de la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique prévoient que le montant des aides attribuées au titre du financement public des partis et groupements politiques est divisé en deux fractions égales et en fixent les modalités ; que la première fraction de l'aide est destinée au financement des partis et groupements politiques en fonction des résultats des candidats qu'ils ont présentés aux élections à l'Assemblée nationale ; qu'elle est attribuée soit aux partis et groupements politiques qui ont présenté des candidats ayant obtenu chacun 1 % des suffrages exprimés dans au moins cinquante circonscriptions lors du plus récent renouvellement de l'Assemblée nationale, soit à ceux qui n'ont présenté des candidats, lors du plus récent renouvellement de l'Assemblée nationale, que dans une ou plusieurs collectivités territoriales relevant des articles 73 ou 74 de la Constitution ou en Nouvelle-Calédonie, à la condition que ces candidats aient obtenu 1 % des suffrages exprimés dans l'ensemble des circonscriptions où leur parti ou groupement politique était représenté ;
2. Considérant que, dans sa rédaction issue de la loi du 29 janvier 1996 susvisée, le sixième alinéa de l'article 9 dispose : « La seconde fraction de ces aides est attribuée aux partis et groupements politiques bénéficiaires de la première fraction visée ci-dessus, proportionnellement au nombre de membres du Parlement qui ont déclaré au bureau de leur assemblée, au cours du mois de novembre, y être inscrits ou s'y rattacher » ;
3. Considérant que, dans sa rédaction issue de la loi du 11 octobre 2013 susvisée, le huitième alinéa de ce même article 9 dispose : « Un membre du Parlement, élu dans une circonscription qui n'est pas comprise dans le territoire d'une ou plusieurs collectivités territoriales relevant des articles 73 ou 74 de la Constitution ou en Nouvelle-Calédonie, ne peut pas s'inscrire ou se rattacher à un parti ou à un groupement politique qui n'a présenté des candidats, lors du plus récent renouvellement de l'Assemblée nationale, que dans une ou plusieurs collectivités territoriales relevant des mêmes articles 73 ou 74 ou en Nouvelle-Calédonie » ;
4. Considérant que, selon les requérants, ces dispositions portent atteinte au principe d'égalité, aux exigences qui résultent de l'article 4 de la Constitution et au principe d'exercice indivisible de la souveraineté nationale par les membres du Parlement ;
- SUR LES GRIEFS TIRÉS DE LA VIOLATION DU PRINCIPE D'ÉGALITÉ :
5. Considérant que, selon les requérants, les dispositions contestées entraînent une rupture d'égalité, d'une part, entre les membres du Parlement élus dans les circonscriptions d'outre-mer et ceux qui sont élus en métropole, seuls les premiers pouvant ouvrir droit à l'attribution de la seconde fraction à tous les partis et groupements politiques qui peuvent en bénéficier et, d'autre part, entre les partis et groupements politiques ayant présenté des candidats en métropole et ceux ayant présenté des candidats exclusivement outre-mer, les seconds ne pouvant bénéficier du rattachement de membres du Parlement élus en métropole ;
6. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
7. Considérant, d'autre part, que la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 73 de la Constitution prévoit que, pour leur application dans les départements et les régions d'outre mer, les lois et règlements peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ; que les articles 74 et 74-1 prévoient que, dans les collectivités d'outre-mer, les lois et règlements dans les matières qui demeurent de la compétence de l'État peuvent être assorties des adaptations nécessaires ; que les dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie sont prévues par les articles 76 et 77 de la Constitution ;
8. Considérant, en premier lieu, que, si le rattachement des membres du Parlement à un parti ou groupement politique constitue le critère d'attribution de la seconde fraction de l'aide à ces partis et groupements, cette aide n'est pas versée aux membres du Parlement mais aux partis et groupements politiques ; que, par suite, le grief tiré de l'atteinte au principe d'égalité entre les membres du Parlement est inopérant ;
9. Considérant, en second lieu, que les dispositions contestées instaurent une différence de traitement entre les partis et groupements politiques bénéficiant de la première fraction selon, d'une part, qu'ils ont présenté des candidats en métropole ou, d'autre part qu'ils n'en ont présenté que dans une ou plusieurs circonscriptions d'outre-mer ; qu'en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu faire obstacle à des rattachements destinés exclusivement à ouvrir droit, au profit d'un parti ou groupement politique, au versement de la seconde fraction de l'aide publique en vertu des règles particulières, applicables dans les seules collectivités d'outre-mer pour l'attribution de la première fraction ; que le législateur a également entendu prendre en compte les particularités de la vie politique dans les collectivités d'outre-mer et, en particulier, l'existence de partis et groupements politiques dont l'audience est limitée à ces collectivités ; que dès lors, la différence de traitement instituée par la loi est en lien direct avec l'objectif d'intérêt général poursuivi et tient compte de la situation particulière des collectivités relevant de l'article 73 ou de l'article 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie ; que par suite, le grief tiré de la violation du principe d'égalité doit être écarté ;
- SUR LES GRIEFS TIRÉS DE LA VIOLATION DES EXIGENCES RÉSULTANT DES PREMIER ET TROISIÈME ALINÉAS DE L'ARTICLE 4 DE LA CONSTITUTION :
10. Considérant que, selon les requérants, les dispositions contestées portent atteinte au principe de la participation équitable des partis et groupement politiques à la vie démocratique de la Nation, lequel suppose que chaque parti ou groupement politique bénéficie d'une aide proportionnelle à sa représentativité ; qu'en outre, en empêchant un membre du Parlement élu en métropole de se rattacher à un parti ou groupement politique d'outre-mer, ces dispositions porteraient atteinte à la liberté de formation et d'exercice des partis et groupements politiques ;
11. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 4 de la Constitution : « Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie » ; que le troisième alinéa de cet article dispose : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation » ;
12. Considérant que ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l'État accorde, en se fondant sur des critères objectifs et rationnels, une aide financière aux partis et groupements politiques qui concourent à l'expression du suffrage ; que le mécanisme d'aide retenu ne doit aboutir ni à établir un lien de dépendance d'un parti ou groupement politique vis-à-vis de l'État ni à compromettre l'expression démocratique des divers courants d'idées et d'opinions ; que si l'octroi d'une aide à des partis ou groupements politiques du seul fait qu'ils présentent des candidats aux élections à l'Assemblée nationale peut être subordonné à la condition qu'ils justifient d'un minimum d'audience, les critères retenus par le législateur ne doivent pas conduire à méconnaître l'exigence du pluralisme des courants d'idées et d'opinions protégée par l'article 4 de la Constitution ;
13. Considérant, en premier lieu, qu'en réservant l'attribution de la seconde fraction de l'aide aux partis et groupements politiques éligibles à la première fraction, le législateur a subordonné l'attribution de l'aide publique à ces partis et groupements à une exigence minimale d'audience qui ne revêt pas un caractère disproportionné au regard de l'objectif poursuivi ;
14. Considérant, en deuxième lieu, qu'en interdisant que la seconde fraction de l'aide puisse être attribuée à raison du rattachement d'un membre du Parlement, élu dans une circonscription de métropole, à un parti ou groupement politique qui n'a pas présenté de candidat en métropole, le législateur a retenu un critère objectif et rationnel qui ne méconnaît pas l'exigence de pluralisme des courants d'idées et d'opinions ;
15. Considérant, en troisième lieu, que cette interdiction de rattachement n'a pas d'autre conséquence que de déterminer les conditions d'attribution de cette aide ; qu'elle n'interdit aucunement à un membre du Parlement, quelle que soit la circonscription dans laquelle il est élu, d'adhérer ou de soutenir le parti ou groupement politique de son choix ;
16. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de l'atteinte aux exigences qui résultent des premier et troisième alinéas de l'article 4 de la Constitution doivent être écartés ;
- SUR LE GRIEF TIRÉ DE L'ATTEINTE À L'INDIVISIBILITÉ DE L'EXERCICE DE LA SOUVERAINETÉ NATIONALE PAR LES REPRÉSENTANTS DE LA NATION :
17. Considérant que, selon les requérants, en ouvrant des droits différents aux membres du Parlement en fonction de la circonscription dans laquelle ils ont été élus, les dispositions contestées contreviennent aux exigences qui résultent des articles 1er et 3 de la Constitution selon lesquelles l'exercice de la souveraineté nationale par les représentants de la Nation est indivisible ;
18. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la Constitution, « la France est une République indivisible » ; qu'aux termes des deux premières phrases de l'article 3 de la Constitution, « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice » ;
19. Considérant qu'il ressort de ces dispositions que les membres du Parlement ont la qualité de représentants du peuple ; qu'en outre, si députés et sénateurs sont élus au suffrage universel, direct pour les premiers, indirect pour les seconds, chacun d'eux représente au Parlement la Nation tout entière et non la population de la circonscription où il a été élu ; qu'à ce titre, ils sont appelés à voter la loi dans les conditions fixées par la Constitution et les dispositions ayant valeur de loi organique prises pour son application ; qu'en conséquence, le législateur ne saurait faire bénéficier certains parlementaires, en raison de leur élection dans une circonscription déterminée, de prérogatives particulières dans le cadre de la procédure d'élaboration de la loi, du contrôle de l'action du Gouvernement et de l'évaluation des politiques publiques ; qu'enfin ces principes de valeur constitutionnelle s'opposent à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles ;
20. Considérant que les dispositions contestées sont relatives au financement public des partis et groupements politiques et non à l'exercice du mandat parlementaire ou aux prérogatives qui s'y rapportent ; qu'elles ne concernent pas la procédure d'élaboration de la loi, non plus qu'aucune autre fonction dont l'exercice par le Parlement résulte de la Constitution ; qu'enfin, elles n'instituent pas une division en catégories d'électeurs ou d'éligibles ; que le grief tiré de l'atteinte à l'exercice indivisible de la souveraineté nationale par les représentants de la Nation est donc inopérant ;
21. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E
:
Article 1er.- Les sixième et huitième alinéas de l'article 9 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique sont conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 juillet 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Rendu public le 18 juillet 2014.