Vu la procédure suivante
:
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 juillet 2024 et le 15 octobre 2024, M. C A, représenté par Me Guiet, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision du 10 juin 2024 par laquelle le maire de la commune du Blanc a prononcé à son encontre la sanction de révocation ;
2°) d'enjoindre à la commune du Blanc de le réintégrer et de reconstituer l'ensemble de ses droits ;
3°) de mettre à la charge de la commune du Blanc une somme de 3 000 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que la décision :
- est insuffisamment motivée ;
- souffre d'inconstitutionnalité en ce que son droit de se taire devant le conseil de discipline ne lui a pas été notifié et méconnait ainsi l'article 9 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- repose sur des faits qui ne sont pas matériellement établis ;
- souffre d'une erreur d'appréciation, la sanction prononcée à son encontre est disproportionnée par rapport aux faits qui lui sont reprochés.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 13 septembre 2024 et le 21 octobre 2024, la commune du Blanc conclut au rejet de la requête.
Elle soutient les moyens soulevés par M. A ne sont pas fondés.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution du 4 octobre 1958 ;
- le code général de la fonction publique ;
- le code du sport ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Crosnier,
- les conclusions de M. Houssais, rapporteur public,
- et les observations de M. D, maire du Blanc.
Considérant ce qui suit
:
1. M. C A, éducateur des activités physiques et sportives principal de 1ère classe, exerce la profession de maître-nageur depuis trente-six ans, dont dix-sept pour la commune du Blanc (Indre). Par son arrêté du 10 juin 2024, le maire de la commune du Blanc a prononcé à son encontre la sanction de révocation et sa radiation des cadres de la fonction publique territoriale à compter du 17 juin 2024. M. A demande au tribunal d'annuler cette décision.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
En ce qui concerne l'existence de fautes disciplinaires :
2. Aux termes de l'article
L. 322-7 du code du sport : " Toute baignade et piscine d'accès payant doit, pendant les heures d'ouverture au public, être surveillée d'une façon constante par du personnel qualifié titulaire d'un diplôme délivré par l'Etat et défini par voie réglementaire. ". Aux termes de l'article
L. 533-1 du code général de la fonction publique : " Les sanctions disciplinaires pouvant être infligées aux fonctionnaires sont réparties en quatre groupes : () / 3° Troisième groupe : / a) La rétrogradation au grade immédiatement inférieur et à l'échelon correspondant à un indice égal ou, à défaut, immédiatement inférieur à celui afférent à l'échelon détenu par le fonctionnaire ; / b) L'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans. / 4° Quatrième groupe : / a) La mise à la retraite d'office ; / b) La révocation ".
3. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
4. Pour prononcer la sanction de révocation à l'encontre de M. A, le maire de la commune du Blanc lui a reproché des manquements graves et répétés à ses obligations de surveillance et au respect des conditions d'hygiène, ses absences et son comportement avec sa hiérarchie et avec les usagers.
5. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du rapport du conseil de discipline de la fonction publique territoriale de l'Indre qui a examiné le 2 mai 2024 le projet de sanction, que la commune du Blanc envisageait de prendre à l'encontre de M. A, alors que ce dernier a reconnu avoir laissé le bassin sans surveillance le 12 janvier 2024, pendant qu'un baigneur s'y trouvait encore, pour aller prendre une douche, la révocation, sanction du 4ème groupe. Il est également avéré qu'il a quitté son poste à 17h21 le 26 janvier 2024 alors que la piscine fermait à 17h30. En outre, les témoignages de la directrice du collège Sainte-Anne et du professeur d'éducation physique et sportive de cet établissement rapportent que le 15 février 2024 alors qu'une classe de 4ème devait accéder à la piscine à 15h30, M. A était absent mais que le vestiaire des filles était resté ouvert, permettant ainsi à certaines élèves d'accéder au bassin sans la présence du maître-nageur. D'autres témoignages font état de relations difficiles avec les maîtres-nageurs du club de natation des dauphins et les différents rapports produits par le directeur des services techniques de la commune et supérieur hiérarchique de M. A démontrent une conception singulière de l'obéissance et du respect de la hiérarchie de la part du requérant. Par ailleurs, l'intéressé a fait l'objet de plusieurs rappels à l'ordre, notamment pour l'absence de main courante sur le bon état de fonctionnement du défibrillateur et de la bouteille d'oxygène, et même d'un blâme le 5 juillet 2021 pour ne pas avoir signalé la non-conformité des électrodes du défibrillateur. Les comptes-rendus d'entretiens professionnels des années 2015 à 2023 montrent également que l'intéressé, s'il dispose de qualités pédagogiques reconnues, manque de ponctualité et doit améliorer sa communication avec sa hiérarchie et avec le public. Enfin, si l'intéressé conteste manger au bord du bassin malgré le témoignage d'une ancienne collègue en ce sens, il reconnait y prendre parfois un en-cas en méconnaissance des règles d'hygiène inhérentes à ce type d'établissement. La matérialité des divers manquements de M. A à ses obligations professionnelles, telle qu'elle a été ci-dessus exposée, est ainsi suffisamment établie. Ces manquements constituent des fautes de nature à justifier légalement le prononcé d'une sanction disciplinaire.
En ce qui concerne la procédure disciplinaire :
6. Aux termes de l'article
L. 532-4 du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes. /
L'administration doit l'informer de son droit à communication du dossier. /
Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à l'assistance de défenseurs de son choix. ".
7. Par sa décision n° 2024-1105 QPC du 4 octobre 2024, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le deuxième alinéa de l'article
L. 532-4 du code général de la fonction publique cité au point précédent dès lors qu'en ne prévoyant pas que le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée doit être informé de son droit de se taire, ces dispositions méconnaissent les exigences de l'article 9 de la Déclaration de 1789. Cette décision reporte au 1er octobre 2025 la date d'abrogation de ces dispositions mais dispose qu'à compter de la date de sa publication, soit le 5 octobre 2024, et jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi ou jusqu'à la date de l'abrogation de ces dispositions, le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée doit être informé de son droit de se taire devant le conseil de discipline. Elle prévoit par ailleurs que la déclaration d'inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances introduites à la date de sa publication et non jugées définitivement.
8. En l'espèce, il ne ressort pas du procès-verbal du conseil discipline de la fonction publique territoriale de l'Indre, réuni le 2 mai 2024, ni d'aucune autre pièce du dossier, que la faculté de se taire aurait été portée à la connaissance de M. A lors de la procédure disciplinaire engagée à son encontre. Il est, dès lors, fondé à soutenir, dans le cadre de la présente instance introduite le 17 juillet 2024 et non jugée au 5 octobre 2024, que cette procédure disciplinaire est entachée d'une irrégularité qui l'a privé d'une garantie, en raison de l'inconstitutionnalité précédemment évoquée. Par suite, la décision du 10 juin 2024 par laquelle le maire de la commune du Blanc a prononcé la sanction de révocation de M. A à compter du 17 juin 2024 doit, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, être annulée.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
9. Aux termes de l'article
L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
10. Le présent jugement implique nécessairement que la commune du Blanc procède à la réintégration et à la reconstitution de carrière et des droits à pension de M. A à compter du 17 juin 2024, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, sans préjudice, si elle s'y croit fondée, de l'engagement d'une nouvelle procédure disciplinaire.
Sur les frais liés au litige :
11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La décision du 10 juin 2024 par laquelle le maire de la commune du Blanc a prononcé la sanction de révocation à l'encontre de M. A est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à la commune du Blanc de procéder à la réintégration et à la reconstitution de carrière et des droits à pension de M. A à compter du 17 juin 2024, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. C A et à la commune du Blanc.
Délibéré après l'audience du 12 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Artus, président,
M. Crosnier, premier conseiller,
M. Martha, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024.
Le rapporteur,
Y. CROSNIER
Le président,
D. ARTUS Le greffier,
M. B
La République mande et ordonne
au préfet de l'Indre en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision
Pour expédition conforme
Pour le Greffier en Chef,
La Greffière
M. B
cg