CJUE, 12 septembre 1995, C-480/93

Synthèse

  • Juridiction : CJUE
  • Numéro de pourvoi :
    C-480/93
  • Date de dépôt : 28 décembre 1993
  • Titre : Pourvoi - Concurrence - Contrôle des opérations de concentration - Recevabilité du recours en annulation formé contre une décision refusant de rouvrir la procédure.
  • Identifiant européen :
    ECLI:EU:C:1995:278
  • Lien EUR-Lex :https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX:61993CC0480
  • Rapporteur : Puissochet
  • Avocat général : Lenz
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Texte intégral

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. CARL OTTO LENZ présentées le 12 septembre 1995 ( *1 ) A - Introduction 1. La présente affaire donne à la Cour pour la première fois l'occasion de prendre position, dans le cadre de l'examen d'un pourvoi, sur des questions relatives au règlement (CEE) no 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises ( 1 ) (ci-après le « règlement sur les concentrations »). 2. La présente affaire est fondée sur les faits suivants. Le 27 novembre 1991, la Commission a reçu une notification conformément au règlement sur les concentrations, dont il résultait que Mediobanca - Banca di Credito Finanziario SpA (ci-après « Mediobanca ») avait porté sa participation au capital des Assicurazioni Generali SpA (ci-après « Generali ») de 5,98 % à 12,84 %. Mediobanca est une des grandes banques italiennes d'investissement tandis que Generali est l'une des sociétés d'assurances italiennes les plus importantes. Mediobanca était déjà l'actionnaire principal de Generali avant d'y augmenter sa participation. 3. Le 19 décembre 1991, la Commission a constaté, dans une décision prise sur la base de l'article 6, paragraphe 1, sous a), du règlement sur les concentrations, que l'opération qui lui avait été notifiée ne relevait pas du règlement précité. La Commission a motivé cette constatation en indiquant que Mediobanca ne serait pas en mesure, seule ou avec d'autres, d'exercer une « influence déterminante » sur les activités de Generali ( 2 ). A cet égard, la Commission a attiré l'attention sur un accord qui lui avait été communiqué par Mediobanca. Dans la version non confidentielle de la décision, cet accord est décrit comme un contrat entre Mediobanca et une entreprise dénommée Euralux, le deuxième actionnaire de Generali avec une participation de 4,77 %, contrat dans lequel il était indiqué que ni Mediobanca ni Euralux n'étaient autorisées à vendre leur participation à des tiers. Selon les indications de la Commission, l'accord ne comportait pas de dispositions relatives à un usage conjoint des droits de vote ni aucun mécanisme garantissant le résultat final des propositions concernant la composition des organes de Generali. 4. Le 19 mars 1992, un journal italien a publié le texte complet de cet accord resté jusque-là secret. Il s'agit, en ce qui concerne ce texte, d'un accord entre Mediobanca, une entreprise dénommée Lazard Frères de Paris (ci-après « Lazard » (la société mère d'Euralux) et Generali, lequel a été signé le 26 juin 1985. Selon les constatations faites par le Tribunal de première instance dans son arrêt du 28 octobre 1993 ( 3 ), contre lesquelles est dirigé le présent pourvoi, cet accord prévoyait, entre autres, la création d'un « comité directeur » composé de représentants de Generali et de ses deux actionnaires principaux dans le but d'examiner les problèmes de Generali ayant un intérêt général et d'intervenir dans la désignation d'un certain nombre de membres des organes d'administration et de direction de la société ( 4 ). 5. Zunis Holding SA, Finan Srl et Massinvest SA (ci-après les « requérantes »), qui possèdent toutes une participation dans Generali, ont été, selon leurs propres indications, rendues attentives fin mars ou début avril 1992 à ladite publication. Le 6 mai 1992, elles ont pris contact avec la Commission de manière informelle. Elles ont demandé formellement par lettre du 26 juin 1992 la réouverture de la procédure. Elles ont fait valoir que la Commission avait porté une appréciation gravement erronée sur les faits, dans sa décision du 19 décembre 1991 en ce qui concernait la capacité de Mediobanca à contrôler Generali seule ou conjointement avec Lazard/Euralux. De l'avis des requérantes, cette interprétation erronée ne pouvait provenir que d'une information incomplète ou inexacte de la Commission en ce qui concerne le contenu et, notamment, les conséquences de l'accord entre Mediobanca, Lazard et Generali. 6. Par lettre du 31 juillet 1992, le directeur général de la direction générale de la Commission compétente en matière de concurrence a rejeté la demande présentée par les requérantes. Il a fait valoir dans la lettre précitée, entre autres, que la décision de la Commission du 19 décembre 1991 n'était nullement basée sur des informations incorrectes. La Commission avait en effet eu connaissance de l'accord conclu en 1985 et en avait tenu compte lorsqu'elle a adopté la décision. 7. A la suite du rejet de leur demande, les requérantes ont introduit un recours devant le Tribunal, au titre de l'article 173 du traité CE, en concluant qu'il y avait lieu, selon elles, d'annuler la décision contenue dans la lettre de la Commission du 31 juillet 1992. La Commission avait pour sa part conclu que le recours était irrecevable et avait demandé au Tribunal de première instance de statuer d'abord sur cette question. La Commission faisait valoir trois moyens à l'appui de l'exception d'irrecevabilité qu'elle avait soulevée ( 5 ). Selon la Commission, d'une part, la lettre du 31 juillet 1992 ne constituait absolument pas une décision au sens de l'article 173 du traité. Dans cette lettre, la Commission avait, au contraire, uniquement informé les destinataires de la lettre sur la situation en fait et en droit. Il ne s'était agi à cet égard que d'une première prise de position provisoire sur la demande introduite par les entreprises concernées. La Commission a fait valoir par ailleurs que la lettre du 31 juillet 1992 ne concernait pas les requérantes directement et individuellement et que ces dernières ne remplissaient par conséquent pas les conditions prévues à l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE ( 6 ). La Commission a fait valoir troisièmement, à titre subsidiaire, que la lettre du 31 juillet 1992 ne pouvait être mise en cause par un recours introduit en application de l'article 173, au motif qu'il s'agissait tout au plus d'une décision qui se bornait à confirmer la décision adoptée le 19 décembre 1991. 8. Dans son arrêt du 28 octobre 1993, le Tribunal a jugé que le recours était irrecevable. Les développements du Tribunal sur ce point figurent aux points 29 à 40 de l'arrêt. 9. Le Tribunal a exposé, premièrement, que le simple fait qu'une institution communautaire envoie une lettre à une personne en réponse à une demande de cette personne ne permet pas de qualifier cette lettre de décision au sens de l'article 173 du traité (point 30). En outre, lorsqu'un acte de la Commission revêt un caractère négatif, il doit être apprécié en fonction de la nature de la demande à laquelle il constitue une réponse. En particulier, le refus opposé, par une institution communautaire, de procéder au retrait ou à la modification d'un acte ne saurait constituer lui-même un acte dont la légalité peut être contrôlée, conformément à l'article 173 du traité, que lorsque l'acte que l'institution communautaire refuse de retirer ou de modifier aurait pu lui-même être attaqué en vertu de cette disposition (point 31). Dans la présente affaire, il importait aux requérantes de voir la Commission retirer sa décision du 19 décembre 1991 et d'arrêter une nouvelle décision dans la procédure dans laquelle la décision initiale avait été prise. S'agissant de la procédure précitée, les requérantes n'auraient eu, par rapport aux entreprises qui ont directement participé à la transaction, que la qualité de tiers. Elles n'auraient par conséquent pu prétendre obtenir le retrait de la décision du 19 décembre 1991 que pour autant qu'elles sont directement et individuellement concernées par ladite décision (points 32 à 34). Il y a lieu, premièrement, de constater que la seule circonstance qu'un acte est susceptible d'exercer une influence sur les relations existant entre les différents actionnaires d'une société ne saurait suffire pour que l'un quelconque de ces actionnaires puisse être considéré comme directement et individuellement concerné par ce dernier (point 34). En ce qui concerne la présente affaire, il y a lieu d'indiquer que la constatation qu'une décision de la Commission indiquant qu'une transaction donnée ne relève pas du règlement sur les concentrations n'est pas de nature à modifier, par elle-même, la consistance ou l'étendue des droits des actionnaires de l'entreprise concernée, qu'il s'agisse de leurs droits patrimoniaux ou de la vocation que ces derniers leur confèrent à participer à la gestion de la société (point 35). Il faut, en second lieu, tenir compte du fait que la décision de la Commission du 19 décembre 1991 atteint les requérantes en leur qualité d'actionnaires et, partant, au même titre que tout actionnaire de cette société, qui sont au nombre d'environ 140000. Compte tenu du fait que chacune des requérantes détient une participation au capital de la société inférieure à 0,5 % et que les requérantes n'ont pas établi que, du fait de la décision, elles se trouveraient dans une situation différente de celle de tout autre actionnaire, il y aurait lieu par conséquent de constater que la décision du 19 décembre 1991 ne concerne pas individuellement les requérantes (point 36). Enfin, c'est à tort, selon le Tribunal, que les requérantes font valoir qu'elles auraient disposé, conformément à une jurisprudence établie tant en matière de concurrence et d'aides d'État que de dumping et de subventions, d'une voie de recours pour protéger leurs intérêts légitimes si elles avaient demandé à intervenir à la procédure au principal (point 37). Même si l'on admettait que cette jurisprudence soit transposable dans le cadre du contentieux des opérations de concentration, les demandes de réouverture de la procédure devraient en effet être introduites dans un délai raisonnable (point 38). Or, selon le Tribunal, tel n'aurait pas été le cas ici puisque la prise de contact informelle ne peut être qualifiée de demande de réouverture de la procédure et que la demande du 26 juin 1992 doit être considérée comme tardive, puisque les requérantes qui avaient déjà eu connaissance fin mars/début avril du prétendu fait nouveau ne l'avaient pas présentée dans un délai raisonnable (point 39). 10. Les requérantes ont introduit un pourvoi contre cet arrêt. Elles concluent à ce qu'il plaise à la Cour d'annuler l'arrêt litigieux, de rejeter l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission, ainsi que de renvoyer l'affaire devant le Tribunal pour qu'il statue à titre définitif sur le fond de l'affaire et de condamner la Commission aux dépens du pourvoi et à ceux de l'exception soulevée devant le Tribunal. La Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner les requérantes aux dépens de l'instance. B - Analyse Introduction 11. Avant que nous ne nous tournions vers les problèmes qu'il nous faut résoudre dans la présente affaire, il nous semble judicieux d'examiner d'abord la question de savoir si la Commission aurait, en tout état de cause, été en mesure d'accueillir la demande de réouverture de la procédure introduite par les requérantes et de retirer sa décision du 19 décembre 1991. Il est nécessaire à cet égard d'examiner brièvement la procédure prévue dans le règlement sur les concentrations. 12. Si la Commission reçoit une notification au titre du règlement sur les concentrations, elle dispose, selon l'article 6, paragraphe 1, de ce règlement, en substance, de trois possibilités ( 7 ). Si elle aboutit à la conclusion que la transaction qui lui a été notifiée ne relève pas du règlement sur les concentrations, elle le constate, conformément à l'article 6, paragraphe 1, sous a), dudit règlement. Si elle constate, par contre, que l'opération de concentration qui lui a été notifiée relève du règlement sur les concentrations mais ne soulève pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun, elle décide, en application de l'article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement, « de ne pas s'y opposer et la déclare compatible avec le marché commun ». Pour le cas, enfin, dans lequel la concentration notifiée soulève des doutes sérieux au sens mentionné ci-dessus, elle décide, en application de l'article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement, d'engager la procédure. Dans ces cas, la procédure est clôturée, en application de l'article 8, paragraphe 1, par voie de décision, conformément aux paragraphes 2 à 5 de l'article précité. La Commission peut notamment déclarer la concentration compatible avec le marché commun (article 8, paragraphe 2, du règlement) ou incompatible avec le marché commun (article 8, paragraphe 3). 13. Conformément à l'article 8, paragraphe 5, sous a), la Commission peut révoquer les décisions qu'elle a prises « au titre du paragraphe 2 » lorsque lesdites décisions reposent sur des indications inexactes dont une des entreprises concernées est responsable ou si elles ont été obtenues frauduleusement ( 8 ). Puisqu'il s'agit, en ce qui concerne les décisions prévues à l'article 8, paragraphe 2, des cas prévus à l'article 6, paragraphe 1, sous c), c'est-à-dire de cas dans lesquels la Commission a des doutes sérieux sur la compatibilité avec le marché commun d'une concentration relevant du règlement sur les concentrations, si l'on interprétait littéralement l'article 8, paragraphe 5, il n'y aurait pas de possibilité de révocation lorsqu'il s'agit d'une décision prise en application de l'article 6, paragraphe 1, sous b), ou (comme tel est le cas ici) d'une décision en application de l'article 6, paragraphe 1, sous a). 14. La Commission a cependant indiqué qu'elle partage l'opinion des requérantes selon laquelle la révocation est également possible dans de tels cas. Il convient d'approuver cette position. Il n'y a pas lieu de considérer la disposition figurant à l'article 8, paragraphe 5, du règlement sur les concentrations comme réglementant de manière exhaustive la possibilité pour la Commission de révoquer ses décisions dans le cadre de la procédure de contrôle des concentrations. On ne voit pas en effet pourquoi la Commission devrait avoir la possibilité, dans le cas d'une tromperie frauduleuse, de révoquer une décision prise sur la base de l'article 8, paragraphe 2, alors que tel ne devrait pas être le cas pour des décisions prises en application de l'article 6, paragraphe 1, sous a) et b). La Commission a toutefois insisté à juste titre sur le fait qu'un retrait n'est possible dans ces derniers cas, par analogie à l'article 8, paragraphe 5, du règlement sur les concentrations, que dans les conditions qui y sont fixées et qu'il y a lieu dans chaque cas de tenir compte des nécessités de la protection de la confiance légitime. 15. Il est clair que la Commission peut elle-même prendre l'initiative lorsqu'elle a connaissance de faits qui justifient la révocation d'une décision qu'elle a prise sur la base du règlement sur les concentrations. Une telle constatation résulte implicitement d'emblée de l'article 8, paragraphe 5, du règlement déjà cité. Dans certaines conditions, il faudrait également accorder à des tiers le droit de demander à la Commission de reprendre une procédure lorsqu'apparaissent des faits nouveaux de ce type et de faire contrôler un refus de la Commission par les tribunaux. La question des conditions à remplir dans ce cas fait l'objet de la présente procédure. 16. Nous aborderons maintenant les moyens soulevés par les requérantes contre l'arrêt litigieux. Ces moyens concernent, d'une part, les développements du Tribunal sur la question de la qualité pour agir en application de l'article 173 et, d'autre part, les considérations du Tribunal selon lesquelles les requérantes n'auraient pas saisi la Commission de leur demande de réouverture de la procédure suffisamment à temps. Sur la question de l'introduction tardive de la demande de réouverture de L procédure 17. Comme nous l'avons déjà exposé, le Tribunal soutient dans l'arrêt litigieux que les requérantes n'auraient pas déposé leur demande de réouverture de la procédure dans un délai raisonnable. Le libellé du passage de l'arrêt correspondant incite à penser que le Tribunal a vu dans ce retard un (autre) motif, en vertu duquel il y avait lieu de considérer le recours des requérantes comme irrecevable. Cela n'est cependant pas dit explicitement. En outre, il n'apparaît pas clairement dans quelle mesure, selon le Tribunal, un éventuel retard de la demande doit avoir pour conséquence l'irrecevabilité du recours. Les considérations développées aux points 38 et 39, dont il est question ici, se rattachent à celles développées aux points précédents, dans lesquels le Tribunal s'est penché sur la question de savoir si les requérantes avaient la capacité pour agir nécessaire en application de l'article 173, quatrième alinéa, du traité. Le point 40 de l'arrêt commence par la constatation que le Tribunal estime dès lors (« accordingly ») que les requérantes ne sont pas concernées directement et individuellement par la décision du 19 décembre 1991. Cela pourrait indiquer que même les développements du Tribunal aux points 38 et 39 visaient la capacité pour agir. Une telle interprétation n'aurait cependant guère de sens puisqu'on ne voit pas comment un éventuel « retard » dans l'introduction de la demande de réouverture de la procédure pouvait permettre de déduire que les requérantes n'étaient pas concernées directement et individuellement par la décision initiale. 18. Le vrai sens du passage dont il y a lieu de tenir compte ici résulte, selon nous, de la fin du point 40. Le Tribunal y expose, après avoir constaté que les requérantes n'avaient pas d'intérêt à agir, qu'il n'est pas besoin de se prononcer sur la question de savoir si, dans des circonstances différentes, l'invocation d'un fait nouveau aurait été de nature à permettre aux requérantes d'échapper au système des délais de recours prévu par le traité. Le Tribunal semble par conséquent penser que l'irrecevabilité du recours pourrait résulter du fait que, dans le cas contraire, le délai de deux mois prévu à l'article 173 du traité pour l'introduction d'un recours pourrait être éludé. 19. Il y a quelque chose de vrai dans cette considération - si nous l'avons comprise correctement. Si le délai pour attaquer une décision est dépassé, une partie ne peut pas le contourner en enjoignant à la Commission de repenser sa décision et en introduisant un recours dans un délai de deux mois contre la décision de la Commission qui rejette cette demande. Si une telle manière de procéder était recevable, la disposition de l'article 173 relative au délai d'introduction des recours serait en effet privée de toute signification. On peut pourtant éviter ce résultat si l'on considère la décision de refus de la Commission - si tant est qu'il s'agisse d'une décision au sens de l'article 173 ( 9 ) - comme un acte dont le contenu décisionnel se réduit à confirmer la décision initiale. Une telle interprétation est possible et s'impose lorsque la demande de réouverture n'est pas fondée sur des faits nouveaux qui permettraient le retrait de la décision en cause. Nous nous permettons à cet égard de faire remarquer, dès ce stade de nos réflexions, qu'il s'agit, selon nous, dans la présente affaire, d'une situation de ce type puisque les requérantes ne se sont pas fondées sur des faits nouveaux dont il résulterait éventuellement que la Commission est partie d'hypothèses erronées lorsqu'elle a arrêté sa décision du 19 décembre 1991. Au contraire, les requérantes ont fait valoir en substance que la Commission avait interprété de manière erronée l'accord litigieux conclu en 1985 ( 10 ). 20. Le Tribunal n'a toutefois pas vérifié dans son arrêt si les requérantes s'étaient, vis-à-vis de la Commission, fondées sur des faits nouveaux qui auraient pu éventuellement conduire à une réouverture de la procédure. Il apparaît par conséquent que le Tribunal a considéré le recours comme irrecevable du seul fait du « retard » déjà mentionné, indépendamment du fait de savoir si cette condition était remplie ou non. Une telle manière de procéder n'est pourtant pas correcte. Il semble être clair d'emblée que ce qui importe dans ce contexte n'est pas de savoir si la demande de réouverture de la procédure a été introduite avant que le délai pour attaquer la décision litigieuse initiale ne se soit écoulé. Si, après l'adoption d'une décision par la Commission, des faits nouveaux apparaissent, qui sont de nature à mettre en cause ladite décision, le moment de cette découverte ne saurait jouer de rôle. La question de savoir si un tel fait est connu aussitôt après que la Commission a pris la décision en cause ou des mois plus tard dépendra, en toute hypothèse, dans de nombreux cas, du hasard. Si la Commission est saisie sur la base d'un fait nouveau d'une demande de réouverture de la procédure et qu'elle la rejette, au motif que les circonstances exposées par les parties ne la justifient pas, cette décision a un contenu propre et peut par conséquent - dès lors que les autres conditions sont réunies - être attaquée. Il n'y a pas lieu de craindre que les délais prévus à l'article 173 pour l'introduction d'un recours soient éludés puisque la décision de la Commission concerne un fait nouveau qui n'avait pas pu être pris en considération lorsque la décision initiale avait été adoptée et que la contestation de cette décision ne peut être fondée que sur la présomption que la Commission n'a pas apprécié à sa juste valeur le fait nouveau. 21. La conception du Tribunal qui apparaît dans le passage litigieux nous semble par ailleurs entachée d'une erreur qui est fondée sur un amalgame de deux notions différentes. Le Tribunal semble en effet vouloir apprécier la période d'à peu près trois mois qui s'est écoulée entre la date à laquelle les requérantes ont eu connaissance des faits nouveaux allégués et l'introduction d'une demande formelle de réouverture de la procédure au regard du délai de deux mois prévu par l'article 173. Selon le Tribunal, les demandes de réouverture de la procédure devraient par conséquent être introduites auprès de la Commission dans un délai de deux mois après la découverte du fait nouveau. Ce point de vue ne nous semble pas correct. Le Tribunal confond ici - comme les requérantes l'ont exposé à juste titre - les délais prévus pour l'introduction de recours avec la question, pertinente en ce qui concerne la protection de la confiance légitime, et les conséquences du fait que les démarches nécessaires ont été entreprises tardivement. Le délai prévu à l'article 173, cinquième alinéa, s'applique à l'introduction d'un recours. On ne voit pas pourquoi ce délai doit être également pertinent lorsqu'il s'agit d'introduire une demande de réouverture de la procédure auprès de la Commission. Une application analogue de ce délai au dernier cas précité serait tout au plus envisageable s'il existait en droit des motifs contraignants qui la rendraient nécessaire. 22. Nous ne parvenons pas à discerner de semblables motifs. Le fait que le Tribunal attire l'attention sur l'impératif de sécurité juridique ainsi que sur la brièveté des délais qui caractérisent l'économie générale du règlement sur les concentrations ( 11 ), réflexion que la Commission a fait sienne dans sa prise de position, ne nous convainc pas dans ce contexte. S'agissant du premier point, il y a lieu d'indiquer qu'une révocation en application de l'article 8, paragraphe 5, du règlement sur les concentrations est possible si la décision repose sur des indications inexactes dont l'une des entreprises concernées « est responsable » ou si cette décision a été « obtenue frauduleusement ». Dans un tel cas, seules les entreprises auxquelles on ne peut faire aucun reproche à cet égard sont dignes de protection. Il nous semble douteux que leur protection nécessite l'application d'un délai de deux mois sans distinction, à partir du moment où les faits nouveaux sont connus. Le second point sur lequel le Tribunal attire l'attention ne nous convainc pas non plus. Il est certes exact que le règlement sur les concentrations est caractérisé par des délais particulièrement stricts. Ceux-ci varient cependant selon les cas entre un et quatre mois ( 12 ). Mais, à notre connaissance, un délai de deux mois correspondant à celui prévu à l'article 173, paragraphe 5, du traité ne figure pas dans ce règlement. Le plus important nous semble cependant l'idée que, en application de l'article 8, paragraphe 6, du règlement sur les concentrations, le délai maximal de quatre mois n'est pas censé trouver application dans les cas « visés au paragraphe 5 » - c'est-à-dire précisément dans les cas de révocation d'une décision. Cette disposition ne s'applique certes directement qu'à l'adoption de la décision qui fait suite à la révocation et par laquelle la concentration est déclarée incompatible avec le marché commun ( 13 ). Elle montre cependant clairement que la Commission dispose, en cas de révocation d'une décision, d'une période de temps plus importante que ce qui est le cas habituellement. On ne voit par conséquent pas pourquoi des tiers qui remarquent des faits nouveaux justifiant la révocation de la décision et sur la base desquels ils entendent obtenir la réouverture de la procédure ne pourraient le faire que dans le cadre d'un délai strict de deux mois. 23. Cela ne signifie toutefois pas que les intéressés peuvent attendre aussi longtemps qu'ils le souhaitent après avoir découvert des faits nouveaux avant de s'adresser à la Commission en vue d'obtenir la réouverture de la procédure. Nous partageons l'avis du Tribunal selon lequel la Commission doit être saisie dans un délai raisonnable. Si tel n'est pas le cas, la Commission peut, selon nous, refuser pour ce motif déjà d'étudier la demande en cause. Un recours introduit par la suite contre une telle décision de refus de la Commission ne serait pas fondé. Cependant, ce n'est pas une quelconque application analogue d'un délai qui fournit la base de cette décision, mais le principe général du droit selon lequel il est illégal d'exercer des droits dès lors que cet exercice est abusif. Les conditions d'un tel abus sont, selon nous, réunies lorsque la personne qui a découvert un fait nouveau de nature à faire rouvrir la procédure n'agit pas dans un délai raisonnable. Les intérêts de la sécurité juridique sont en effet d'autant plus importants que les intéressés attendent dans un tel cas avant de saisir la Commission. Aussi longtemps que le législateur n'a pas réglementé ce domaine, il y a lieu de répondre à la question de savoir si les intéressés agissent dans un délai raisonnable, non en fonction d'un délai abstrait et fixé de maniere globale, mais en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce. 24. Si l'on adopte ce point de vue, il n'y aurait pas lieu de faire de reproches aux requérantes à cet égard. Si elles n'avaient eu connaissance que fin mars ou début avril 1992 du fait nouveau allégué, il se serait écoulé tout au plus six semaines avant qu'elles ne saisissent la Commission, le 6 mai 1992. Ce délai n'est en aucun cas excessif si l'on prend en considération le fait que les requérantes ont eu certainement besoin d'un peu de temps pour vérifier les indications parues dans la presse et obtenir des conseils sur le plan juridique. Nous ne parvenons pas non plus à partager l'opinion du Tribunal selon laquelle les requérantes auraient dû déposer aussitôt une demande formelle de réouverture de la procédure. Il semble au contraire tout à fait judicieux dans un tel cas de prendre contact avec la Commission d'abord de manière informelle pour lui donner, le cas échéant, la possibilité d'agir elle-même de manière indépendante. Puisque les requérantes pouvaient supposer que la Commission aurait, elle aussi, besoin d'un peu de temps pour vérifier les faits qui lui avaient été exposés, il ne nous semble ni inhabituel ni scandaleux que les requérantes n'aient fait suivre leur prise de position informelle du 6 mai 1992 d'une demande formelle de réouverture de la procédure que le 26 juin 1992. Même si l'on prenait en considération, comme le Tribunal, la période qui s'est écoulée entre le fait d'avoir connaissance du fait nouveau allégué et la demande formelle de réouverture de la procédure, on pourrait, compte tenu des considérations ci-dessus développées, difficilement prétendre que ce délai était déraisonnablement long. 25. A cet égard, certains des arrêts que le Tribunal a rendus le 29 juin 1995 dans les affaires concernant les entreprises Solvay et ICI ( 14 ) nous paraissent devoir être mentionnés. Il s'agissait, dans les affaires précitées, entre autres, de l'interprétation de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, selon lequel la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite « à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure ». L'entreprise Solvay avait exposé un moyen nouveau dans une requête ampliative parvenue au Tribunal le 10 avril 1992. Cette requête se fondait sur un fait nouveau qui n'était apparu que le 10 décembre 1991 dans une procédure orale devant le Tribunal relative à une autre affaire. Ce fait nouveau portait sur la question de savoir si la Commission avait arrêté régulièrement la décision litigieuse dans cette affaire. Le Tribunal attirait l'attention sur le fait que l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure ne prévoyait « ni un délai, ni une formalité spécifique » pour la production d'un moyen nouveau. Puisque l'entreprise Solvay n'avait pas participé à la procédure dans laquelle la procédure orale avait eu lieu en décembre 1991, on ne pouvait, selon le Tribunal, partir de l'idée qu'elle avait connaissance du fait nouveau avant que la presse n'en ait parlé fin février/début mars 1992. Le délai compris entre la parution des comptes rendus de presse litigieux et l'introduction de la requête ampliative, le 10 avril 1992, revêtait, selon le Tribunal, un caractère raisonnable, « en ce qu'il était objectivement nécessaire pour [permettre à la requérante] un réexamen attentif » ( 15 ). L'arrêt concernant la société ICI dans lequel il s'agissait du même fait nouveau est encore plus intéressant. La société ICI avait fait valoir ce fait dans un mémoire déposé auprès du Tribunal le 2 avril 1992. A la différence de Solvay, ICI avait participé à la procédure orale du 10 décembre 1991, précitée. En indiquant qu'il s'agissait, dans cette affaire, « d'une question juridique très controversée », le Tribunal a jugé qu'ICI pouvait au moins attendre que le Tribunal ait prononcé son arrêt du 27 février 1992 dans cette affaire-là. Le délai écoulé entre le prononcé dudit arrêt et l'introduction du mémoire du 2 avril 1992 revêtait, selon le Tribunal, un « caractère raisonnable, en ce qu'il était objectivement nécessaire » pour un examen attentif des questions soulevées ( 16 ). Même si ces décisions avaient pour objet une problématique différente de celle en cause dans la présente affaire, elles montrent donc que, lors de l'appréciation de la question de savoir si une action a été entreprise dans un délai raisonnable, les circonstances de l'espèce sont décisives. 26. Le Tribunal a donc, selon nous, commis une erreur, lorsqu'il a déduit du retard allégué en ce qui concerne le dépôt de la demande de réouverture de la procédure auprès de la Commission que le recours était irrecevable. C'est la raison pour laquelle il ne nous semble plus nécessaire d'examiner l'autre moyen présenté par les requérantes, à savoir que le Tribunal a également commis une erreur sur le plan de la procédure en n'abordant même pas cette question avec les parties - qui ne l'avaient de toute façon pas soulevée. Ce moyen devrait toutefois - pour autant que nous puissions le voir sur la base des informations disponibles - être fondé au fond puisque l'on ne peut pas déduire de l'arrêt litigieux que les parties auraient pris position sur la question de savoir si un éventuel « retard » aurait pu avoir pour conséquence l'irrecevabilité du recours. 27. Cette erreur de droit ne saurait toutefois conduire à l'annulation de l'arrêt litigieux que si les considérations sur lesquelles le Tribunal fonde l'irrecevabilité du recours en raison du défaut de la qualité pour agir des requérantes au sens de l'article 173 devaient se révéler inexactes. Or, tel n'est pas le cas comme nous allons le montrer. Nous n'avons pas besoin par conséquent de revenir sur l'affirmation de la Commission qui considère que les développements du Tribunal relatifs à la question du « retard » allégué ne constitueraient en toute hypothèse qu'une considération subsidiaire. Sur la question du défaut de qualité pour agir 28. Les requérantes critiquent les considérations du Tribunal relatives à la question de la qualité pour agir à trois égards. Premièrement, le Tribunal aurait mal compris la jurisprudence de la Cour en matière de rejet des demandes. Il aurait ensuite soutenu à tort que le présent recours ne pourrait être recevable que si les requérantes avaient été également en mesure d'attaquer la décision initiale du 19 décembre 1991. Il aurait été plus exact de se poser alors la question de savoir si l'acte litigieux - la lettre du 31 juillet 1992 - pouvait être attaqué en application de l'article 173. Deuxièmement, le Tribunal aurait fait erreur en ce qui concerne la question de l'appréciation de l'intérêt direct et individuel des requérantes. Elles font valoir que l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Eridania e.a./Commission ( 17 ) ne serait pas pertinent et qu'il serait, en outre, déjà dépassé. Les requérantes auraient été concernées directement. S'agissant de la question de savoir si elles sont concernées individuellement, elles font valoir que le Tribunal a établi, sans fondement juridique, un seuil arbitraire en ce qui concerne la participation dont un requérant doit disposer pour pouvoir introduire un recours. Les requérantes auraient disposé en outre de participations importantes dans les actions de Generali. Troisièmement, ce serait à tort que le Tribunal n'aurait pas tenu compte du fait que les requérantes auraient été en droit de participer à la procédure après sa réouverture et d'introduire un recours contre une décision arrêtée au cours de ladite procédure. Les requérantes renvoient à cet égard notamment à l'article 18, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations, selon lequel les personnes physiques ou morales « justifiant d'un intérêt suffisant » doivent être entendues par la Commission si elles le demandent. Les requérantes considèrent qu'elles remplissaient cette condition, au motif qu'elles sont des actionnaires importants de Generali et qu'elles avaient, en outre, communiqué le fait nouveau pertinent à la Commission. 29. Ces développements ne nous convainquent pas. S'agissant en premier lieu de la question de savoir si le Tribunal a interprété de manière erronée la jurisprudence de la Cour en matière de rejet des demandes, il y a lieu certes d'accorder aux requérantes que tous les cas cités par le Tribunal concernaient des affaires dans lesquelles la disposition dont la modification a été demandée était un règlement, de telle sorte que l'acte modificateur ne pouvait être pris que sous la forme d'un règlement ( 18 ). Pour la question à laquelle il y a lieu de répondre dans la présente affaire, ces arrêts ne sont par conséquent pas directement pertinents. Comme la Commission l'expose cependant à juste titre, le point de vue du Tribunal est néanmoins exact. En effet, si l'on ne tenait compte que de l'acte par lequel la Commission rejette une demande de révocation ou de modification d'une décision, il serait facile d'éluder la condition relative à la qualité pour agir posée à l'article 173, quatrième alinéa. Selon le point de vue présenté par les requérantes, une personne quelconque qui ne serait pas concernée par l'opération en cause mais qui aurait lu les comptes rendus y relatifs dans les journaux pourrait, par exemple, demander à la Commission la réouverture de la procédure et, ensuite, attaquer la décision de rejet de la Commission et, partant, indirectement la décision initiale. Une telle hypothèse ne saurait être correcte. 30. Comme la Cour l'a constaté dans l'arrêt Buckl e.a./Commission qui a été cité par le Tribunal, lorsqu'une décision de la Commission revêt un caractère négatif, elle doit être appréciée « en fonction de la nature de la demande à laquelle elle constitue une réponse » ( 19 ). Dans ses conclusions dans l'affaire précitée, l'avocat général M. Gulmann a interprété la jurisprudence antérieure, dans le passage auquel le Tribunal renvoie dans son arrêt, en ce sens que, dans une telle affaire, un recours peut être introduit en application de l'article 173, « dès lors que l'acte que le Conseil ou la Commission refuse de prendre aurait pu être attaqué en vertu de cette disposition » ( 20 ). Si l'on suit ce raisonnement, il y aurait lieu dans la présente affaire de se demander si les requérantes auraient été en mesure d'attaquer l'acte demandé par elles - à savoir la révocation de la décision initiale - mais non si elles auraient été en mesure d'attaquer la décision du 19 décembre 1991. Il n'y a là une contradiction par rapport à la conception soutenue par le Tribunal qu'au premier abord. La Commission a en effet attiré l'attention à juste titre sur le fait qu'il est logique qu'une personne ne puisse être visée par un acte juridique qui modifie ou annule un acte juridique précédent que si elle était déjà visée par l'acte initial (ou si ce qui incontestablement n'est pas le cas ici - l'acte modificatif élargit le premier de telle sorte qu'il englobe également cette personne). Par conséquent, si les requérantes n'étaient pas concernées directement et individuellement par la décision du 19 décembre 1991, elles ne le sont pas non plus par une décision qui révoque ou modifie cette décision ou par laquelle - comme c'est le cas en l'espèce - la révocation est rejetée. Comme la Commission l'a exposé, cela ne signifie naturellement pas qu'elle ne pourrait faire droit à une telle demande si elle la jugeait fondée. Cela signifie seulement que les requérantes n'ont pas dans un tel cas la qualité pour agir nécessaire, en vertu de l'article 173, pour attaquer une décision de rejet de la Commission. 31. Penchons-nous maintenant sur la question de savoir si les requérantes étaient concernées directement et individuellement, comme cela est prévu à l'article 173, quatrième alinéa. Comme nous l'avons déjà mentionné, le Tribunal a renvoyé à cet égard à l'arrêt de la Cour dans l'affaire Eridania e.a./Commission. Il s'agissait dans cette affaire de trois décisions de la Commission par lesquelles il avait été accordé des aides à certaines entreprises sucrières en Italie. Les requérantes étaient des concurrentes des entreprises bénéficiant de l'aide en Italie. La Cour a jugé que « la seule circonstance qu'un acte est susceptible d'exercer une influence sur les rapports de concurrence existants dans le marché dont s'agit » ne saurait suffire pour que « tout opérateur économique se trouvant dans une quelconque relation de concurrence avec le destinataire de l'acte puisse être considéré comme directement et individuellement concerné par ce dernier ». Un recours en application de l'article 173 ne pourrait au contraire, dans de tels cas, être introduit que « s'il existait des circonstances spécifiques » ( 21 ). Puisque, selon la Cour, les requérantes n'avaient pas réussi à faire la preuve de telles circonstances spécifiques, le recours a été rejeté comme irrecevable ( 22 ). 32. Dans l'affaire citée, il ne s'agissait par conséquent pas de la question de savoir si une mesure de la Commission qui visait une entreprise donnée concernait directement et individuellement ses actionnaires. On peut se demander par conséquent, ne serait-ce que pour ce motif, dans quelle mesure cet arrêt peut avoir une importance pour la présente affaire. Il n'est cependant pas besoin de se pencher sur la question de savoir si cette jurisprudence est par ailleurs dépassée, compte tenu de la jurisprudence ultérieure de la Cour de justice, comme l'exposent les requérantes. Comme la Commission l'a fait valoir à juste titre, l'idée que le Tribunal exprime dans le passage litigieux est en toute hypothèse parfaitement exacte. La simple circonstance qu'une disposition est en mesure d'influencer les rapports entre les actionnaires d'une entreprise (ou le rapport entre cette entreprise et ses actionnaires) ne signifie cependant pas qu'un quelconque actionnaire de cette entreprise soit directement et individuellement concerné par ladite mesure. A cet égard, la question de savoir si l'on invoque - comme le Tribunal - la décision du 19 décembre 1991 ou (comme le soutiennent les requérantes) la décision que la Commission prendrait dans le cas d'une éventuelle réouverture de la procédure ne fait aucune différence. 33. S'agissant de la question de savoir si les requérantes étaient concernées directement, le Tribunal a exposé - comme nous l'avons déjà mentionné - que la décision de la Commission du 19 décembre 1991 n'est pas en elle-même de nature à modifier la nature ou l'étendue des droits des actionnaires de l'entreprise en cause ( 23 ). Il est certainement exact que la décision de la Commission, selon laquelle l'acquisition par Mediobanca de participations supplémentaires dans Generali ne relève pas du règlement sur les concentrations, n'a pas modifié en elle-même la nature des droits que les requérantes tirent de leur participation à Generali. Les requérantes peuvent par exemple continuer à faire usage des droits de vote liés à leur participation et à bénéficier des dividendes qui leur sont distribués. Si l'affirmation des requérantes, selon laquelle Mediobanca a, par le canal de la transaction litigieuse, acquis (seule ou avec d'autres) le contrôle sur Generali, devait être exacte, l'étendue de ses droits se serait toutefois considérablement modifiée. Comme les requérantes l'ont fait valoir à juste titre, il y a une différence importante entre la situation d'un actionnaire d'une entreprise indépendante et celle d'un actionnaire d'une entreprise qui est contrôlée par d'autres. Comme cette différence est inhérente à la situation, il n'est pas besoin, contrairement à l'opinion soutenue par la Tribunal, de preuves supplémentaires de la part des requérantes. Le Tribunal ne s'est pas penché sur la question de savoir si les allégations des requérantes étaient fondées, ce qu'il aurait dû en toute hypothèse envisager dans le cadre de l'examen du bien-fondé du recours. Dans le cadre de l'examen de la recevabilité du recours dont il s'agit ici, il y a par conséquent lieu, selon nous, de partir de l'idée que ces allégations sont exactes. A la lumière de ce que nous avons exposé précédemment, il y aurait par conséquent lieu éventuellement de répondre par l'affirmative à la question de savoir si les requérantes sont concernées directement. 34. Le Tribunal a cependant déclaré à juste titre que les requérantes n'étaient pas concernées individuellement. Selon les constatations établies par le Tribunal, les actionnaires de Generali étaient au nombre d'environ 140000, et aucune des requérantes ne disposait de plus de 0,5 % ou plus du capital de Generali ( 24 ). Les parties à la présente affaire se sont exprimées en détail sur la question de savoir quelle était l'étendue des participations réelles des requérantes dans Generali et quelle importance ces participations avaient par rapport aux participations d'autres actionnaires. Nous n'aborderons pas plus en détail ces constatations puisqu'elles sont sans importance pour la décision dans la présente affaire. Il est établi que les requérantes étaient des actionnaires minoritaires de Generali et se trouvaient par conséquent en principe dans la même position que l'ensemble des autres actionnaires minoritaires de cette société. Les requérantes n'ont pas réussi à prouver dans quelle mesure la décision de la Commission « les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire » d'une décision ( 25 ). 35. A cet égard, le Tribunal n'a nullement fixé un seuil arbitraire relatif à la participation dont un actionnaire doit disposer pour pouvoir être considéré comme individuellement concerné. Il a au contraire indiqué que les requérantes n'avaient pas fait valoir de circonstances qui autorisaient la conclusion que leur situation était différente de celle des autres actionnaires minoritaires de Generali. Les allégations des requérantes, selon lesquelles elles auraient toujours montré un intérêt particulier pour les activités des organes dirigeants de Generali, ne sont guère suffisantes à cet égard. La Commission a exposé en outre - sans que les requérantes l'aient contredite - que les procès-verbaux des assemblées générales annuelles de Generali pour les années 1991 et 1992 n'indiquaient pas que des représentants des requérantes aient pris la parole. Cette circonstance n'est certainement pas de nature à étayer les allégations des requérantes. Par contre, il ne faut, selon nous, accorder aucune importance au fait qui a été souligné par la Commission, à savoir que les requérantes n'auraient pas pris position au cours de la procédure qui a abouti à la décision du 19 décembre 1991. Les questions que se posent les requérantes résultaient de l'accord conclu en 1985 entre Mediobanca, Lazard et Generali. Puisque les requérantes, selon leurs propres indications, n'avaient eu connaissance de cet accord qu'en 1992, elles n'avaient aucun motif de participer à la procédure précitée. Par ailleurs, les requérantes ne sauraient, dans ce contexte, pas non plus invoquer la circonstance qu'elles ont elles-mêmes porté à la connaissance de la Commission le fait (prétendument) nouveau. Si cela suffisait à établir que les parties sont individuellement concernées, la personne non concernée que nous avons déjà évoquée, qui prend connaissance par hasard de cette circonstance et en informe ensuite la Commission, devrait être considérée comme étant individuellement concernée. Une telle affirmation ne saurait être exacte. 36. Puisque, contrairement à l'opinion des requérantes, leur qualité pour agir ne peut pas non plus être déduite du fait qu'elles seraient susceptibles d'être parties à la procédure comme nous le démontrerons ci-après ( 26 ), les requérantes ne remplissaient pas le critère de l'article 173, quatrième alinéa, consistant à être concernées individuellement, de telle sorte que leur recours était irrecevable et que la décision litigieuse du Tribunal était par conséquent correcte. La discussion de la question de savoir si les requérantes avaient la capacité pour agir pourrait par conséquent ici être considérée comme close. Puisque la présente affaire est assurément la première de ce type, nous souhaitons ajouter à ces réflexions quelques considérations de principe. Nous avons en effet quelques doutes sur la question de savoir si les actionnaires d'une entreprise dont une autre entreprise acquiert (éventuellement) le contrôle disposent de manière générale d'un droit de recours contre les décisions prises sur la base du règlement sur les concentrations, dans lesquelles la Commission autorise une concentration ou constate que le règlement n'est pas applicable à cette concentration. 37. Le règlement sur les concentrations ne comporte aucune disposition particulière relative à la possibilité d'attaquer les décisions qui ont été prises sur la base de ce règlement. Il part cependant implicitement de l'idée que toutes ces décisions sont soumises à un contrôle par la Cour de justice ( 27 ). L'article 10, paragraphe 5, dudit règlement en tire les conséquences en matière procédurale. Ce paragraphe est rédigé comme suit: « Lorsque la Cour de justice rend un arrêt qui annule en tout ou en partie une décision de la Commission en vertu du présent règlement, les délais qui sont fixés dans le présent règlement s'appliquent à nouveau à compter de la date du prononcé de l'arrêt. » 38. Lors de l'examen de la qualité pour agir des requérantes au sens de l'article 173, quatrième alinéa, il faut cependant tenir compte de l'objectif du règlement sur les concentrations. Comme cela résulte de ses considérants, ce règlement a pour but la protection de la concurrence et s'intègre dans le « régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le marché intérieur » ( 28 ), assigné à la Communauté par l'article 3, sous g), du traité CE. L'objection formulée par les requérantes, à savoir que la circonstance que le règlement en cause ait été aussi fondé sur l'article 235 du traité CE montre que ledit règlement avait également d'autres objectifs, ne nous convainc pas. Comme le représentant de la Commission l'a exposé à juste titre au cours de la procédure orale, ce règlement n'était fondé également sur l'article 235 que parce qu'il s'agissait de créer un instrument juridique nouveau qui devait en même temps être le seul règlement applicable à de telles concentrations ( 29 ). Les critères d'appréciation des concentrations figurant à l'article 2 du règlement prouvent, eux aussi, que le règlement sur les concentrations a pour objectif la protection de la concurrence. Comme la Commission l'a formulé très justement, le règlement sur les concentrations ne lui confère par contre pas mission de protéger les intérêts des actionnaires minoritaires. On ne voit pas comment un associé d'une entreprise participant à une procédure de contrôle des fusions pourrait avoir un intérêt pertinent en matière de concurrence à une décision de la Commission prise sur la base du règlement sur les concentrations. La présente affaire en témoigne expressément. Les droits dont les requérantes considèrent qu'ils sont affectés par la transaction litigieuse sont les droits qu'elles détiennent en tant qu'actionnaires de Generali. Les requérantes semblent notamment craindre que le contrôle dont elles pensent qu'il a été acquis par Mediobanca a pour conséquence que leurs possibilités d'influence sur la direction de Generali sont considérablement diminuées ou tout à fait exclues. Le règlement des litiges qui résultent de la délimitation des droits des actionnaires entre eux ainsi que de leurs droits par rapport aux entreprises dans lesquelles ils ont des participations relève cependant du droit des sociétés ( 30 ). Le règlement sur les concentrations n'a pas été institué pour cela. Nous tendons par conséquent à penser qu'il faudrait dénier de manière générale aux actionnaires d'une entreprise la capacité d'introduire des recours contre des décisions de la Commission dans le domaine du contrôle des concentrations ( 31 ). 39. Il nous paraît intéressant sur cette question de procéder à une comparaison avec le droit américain. Les gouvernements des États fédéraux et autres requérants qui ont subi un dommage en raison d'une violation des lois en matière de concurrence (« by reason of anything forbidden in the antitrust laws ») ont droit, en application de l'article 4 du Clayton Act ( 32 ), au versement d'une somme égale à trois fois le montant du dommage ( 33 ). Selon l'article 16 du Clayton Act ( 34 ), les parties peuvent demander que des mesures soient prises par les tribunaux (« injunctive relief ») lorsqu'un tel risque menace. Les requérantes qui sont des personnes privées doivent à cet égard dans tous les cas faire la preuve de leur capacité pour agir. Cela présuppose, selon la jurisprudence, notamment, que le requérant ait subi un dommage du fait de la législation antitrust (« antitrust injury ») (ou qu'il risque de subir un tel dommage). Dans l'arrêt qu'elle a rendu dans l'affaire Brunswick ( 35 ), la Supreme Court a défini ces dommages comme « des dommages du type de ceux que les lois antitrust visaient à empêcher et dont la conséquence est de rendre illégaux les actes des défendeurs » ( 36 ). Il s'agissait dans cette affaire d'un recours en indemnité introduit par différents bowling en application de l'article 4 du Clayton Act du fait qu'un bowling avait été absorbé par un concurrent. Les requérants ont fait valoir que le bowling qui avait été repris aurait été sinon déclaré en faillite et qu'ils auraient été à ce moment-là en mesure de reprendre au moins une partie de la clientèle de cet établissement. La Supreme Court a considéré que le « préjudice » subi par les requérants n'était pas un préjudice du type de ceux que les dispositions en matière de concurrence visent à empêcher ( 37 ). Dans son arrêt dans l'affaire Cargill ( 38 ), la Supreme Court a étendu cette jurisprudence aux recours introduits en application de l'article 16 du Clayton Act ( 39 ). Les tribunaux américains ont déjà eu à plusieurs reprises à traiter de recours d'actionnaires d'une entreprise fondés sur une violation des lois applicables en matière de concurrence au détriment de cette entreprise. La Circuit Court of Appeal, troisième « Circuit », a rejeté un tel recours dès 1910 dans l'affaire Loeb ( 40 ). Cette décision a été citée et approuvée par la Supreme Court dans son arrêt dans l'affaire Associated General Contractors ( 41 ). Une juridiction d'appel en a tiré dans un arrêt récent la conclusion que les actionnaires d'une entreprise concernée n'ont pas qualité pour agir: « Des dommages uniquement dérivés subis par des employés, des cadres, des actionnaires ou des créanciers d'une société qui a subi un dommage ne constituent pas 'un antitrust injury' süffisant pour leur conférer une capacité pour agir en matière de concurrence » ( 42 ). 40. Un recours des requérantes fondé sur une éventuelle prise de contrôle de Generali par Mediobanca serait par conséquent, selon toute vraisemblance, irrecevable selon le droit américain. Il ne devrait pas être statué différemment dans la présente affaire en application des dispositions communautaires. Des actionnaires d'une entreprise qui a participé à une procédure de contrôle des concentrations n'ont pas qualité pour agir au sens de l'article 173, quatrième alinéa, en ce qui concerne les décisions prises par la Commission sur la base du règlement sur les concentrations. Selon nous, elles ne sont pas individuellement concernées. On pourrait cependant penser, compte tenu de la dernière décision citée, que l'on pourrait aussi répondre par la négative à la question de savoir si les requérantes sont directement concernées en se fondant sur l'argument que les droits qu'elles détiennent sont uniquement des droits dérivés. 41. Il y a enfin lieu d'examiner l'argument des requérantes selon lequel leur qualité pour agir résulterait du fait qu'elles seraient en mesure de participer à la procédure après avoir obtenu sa réouverture. Elles invoquent à cet égard principalement l'article 18, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations, qui est rédigé comme suit: « Dans la mesure où la Commission ou les autorités compétentes des États membres l'estiment nécessaire, elles peuvent aussi entendre d'autres personnes physiques ou morales. Si des personnes physiques ou morales justifiant d'un intérêt suffisant, et notamment des membres des organes d'administration ou de direction des entreprises concernées ou des représentants reconnus des travailleurs de ces entreprises, demandent à être entendues, il est fait droit à leur demande. » 42. De l'avis des requérantes, la Commission aurait dû les entendre sur la base du règlement précité si elle avait rouvert la procédure. Cette participation à la procédure leur aurait donné le droit de contester la décision prise à la fin de ladite procédure. Elles devraient pour ce motif également être considérées comme ayant qualité pour agir dans la présente affaire. 43. Cette argumentation nous donne tout d'abord l'impression, si nous pouvons nous permettre cette comparaison, que les requérantes cherchent, comme Münchhausen, à se tirer d'une situation inextricable par leurs propres moyens. L'argument de la Commission, à savoir que les requérantes n'auraient pas été parties à la procédure qui a conduit à la décision du 10 décembre 1991 et ne pourraient par conséquent pas introduire de recours dans la présente affaire, semble très séduisant à première vue. Mais nous l'avons déjà dit, il n'y avait aucun motif pour les requérantes de participer à la procédure précitée puisqu'elles ne savaient encore rien, à la date en cause, du fait nouveau dont il est question en l'espèce. La circonstance qu'elles n'ont pas participé à cette procédure est par conséquent sans importance pour la présente affaire. 44. Il n'est pas contestable que l'article 18, paragraphe 4, deuxième phrase, du règlement sur les concentrations, ne comporte pas d'énumération exhaustive des personnes que la Commission doit entendre sur leur demande. Cela apparaît déjà dans le libellé de la disposition (« notamment »). Sur la base de la conception que nous avons soutenue et déjà exposée ( 43 ), nous avons toutefois des doutes sur le point de savoir si un actionnaire d'une entreprise concernée par une concentration a « un intérêt suffisant » à être entendu par la Commission dans le cadre d'une procédure de concentration. Nous avons tendance à être de l'avis de la Commission qui répond à cette question, en tout cas pour la présente affaire, par la négative puisque les requérantes ne disposaient pas d'une participation significative en actions de Generali. Les requérantes admettent par ailleurs, elles-mêmes, que la Commission n'était pas tenue d'entendre l'ensemble des actionnaires d'une telle société, mais disposait à cet égard d'un pouvoir d'appréciation. Il y a lieu également de suivre la Commission lorsqu'elle constate que la circonstance que ce sont les requérantes qui avaient communiqué le fait prétendument nouveau à la Commission est dépourvue de pertinence pour l'examen de la question de savoir si elles ont un intérêt suffisant, puisque n'importe qui aurait pu attirer l'attention de la Commission sur ce fait. Enfin, le Tribunal n'a pas répondu à cette question et n'a pas implicitement statué en faveur des requérantes - comme celles-ci le soutiennent. 45. Même si l'on voulait supposer que les requérantes auraient dû être entendues sur le fondement de l'article 18, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations, il ne faudrait pas en conclure que, dans la présente affaire, il y a lieu de les considérer comme ayant la capacité d'introduire un recours. Le simple fait qu'une personne a été entendue dans une procédure administrative ne lui donne pas la capacité d'introduire un recours contre ladite décision. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal, en ce qui concerne l'intérêt pour agir de tiers tant en matière de concurrence, de dumping, de subventions que d'aides, que les personnes auxquelles un règlement ou le traité CE lui-même donne le droit de participer à une procédure administrative disposent d'une voie de recours « destinée à protéger leurs intérêts légitimes » ( 44 ). Dans toutes ces affaires, il s'agissait cependant - comme nous l'avons déjà exposé ailleurs - « d'éviter que d'autres entreprises n'obtiennent ou ne s'assurent des avantages injustifiés au regard des règles de concurrence et ayant pour corollaire de désavantager les entreprises plaignantes » ( 45 ). Si la Cour de justice et le Tribunal insistent particulièrement dans les arrêts précités sur le fait que la voie de recours est destinée à protéger des intérêts « légitimes », cela veut dire « que des circonstances purement extérieures, telles que la participation à la procédure en particulier, ne sont pas suffisantes pour permettre d'assimiler le plaignant au destinataire: il faut, en outre, que le plaignant relève, à titre de personne protégée, du domaine d'application de la règle de concurrence concernée » ( 46 ). Or, cette condition n'est pas remplie en l'espèce. Comme nous l'avons déjà exposé, le règlement sur les concentrations n'a pas pour objectif la protection des intérêts des actionnaires d'une entreprise concernée par une concentration. 46. Au cours de la procédure orale devant la Cour, le représentant des requérantes a exposé que la situation de ces dernières était comparable à celle des représentants des travailleurs mentionnés à l'article 18, paragraphe 4. Cette remarque a probablement été inspirée par les deux arrêts que le Tribunal a rendus le 27 avril 1995 et dans lesquels il s'agissait de recours introduits par des représentants des travailleurs ( 47 ). Les recours ont été rejetés dans les deux affaires. Le Tribunal a cependant été d'avis que les requérants étaient concernés individuellement, puisque les représentants des travailleurs étaient expressément mentionnés à l'article 18, paragraphe 4 ( 48 ). Il n'est pas besoin de décider s'il y a lieu de suivre le Tribunal sur ce point. Il y a lieu en toute hypothèse de constater que les actionnaires ne sont pas expressément mentionnés à l'article 18, paragraphe 4, du règlement et qu'on ne voit aucune raison qui permettrait de considérer que les requérantes sont concernées individuellement. 47. Dans les deux arrêts précédemment cités, le Tribunal a jugé que les représentants des travailleurs devaient au moins avoir le droit de faire vérifier par les tribunaux si la Commission a respecté leur droit à être entendus ( 49 ). Dans la présente affaire, cette constatation est cependant dépourvue de pertinence, ne serait-ce que parce que la Commission a pris connaissance des arguments des requérantes et qu'elle les a rejetés par lettre du 31 juillet 1992. On ne saurait par conséquent, en toute hypothèse, retenir une violation du droit à être entendu. 48. Les requérantes n'ont par conséquent pas la qualité pour agir nécessaire. Il y a lieu par conséquent de rejeter le pourvoi. S'agissant des deux autres arguments de la Commission relatifs à l'irrecevabilité du recours 49. Par pur souci d'exhaustivité, nous aimerions en conclusion revenir brièvement sur les deux autres arguments sur lesquels la Commission fonde sa conclusion que le recours est irrecevable. La Commission a maintenu lesdits arguments qu'elle avait déjà exposés dans la procédure devant le Tribunal pour le cas où la Cour annulerait l'arrêt du Tribunal litigieux. 50. A la différence de la Commission, nous ne pensons pas que la lettre du 31 juillet 1992 soit uniquement une lettre d'information. Au contraire, la Commission y a exposé qu'elle n'entendait pas faire droit à la demande des requérantes. Il s'agit là, selon nous, d'une décision au sens du traité. 51. La Commission attire toutefois à juste titre l'attention sur le fait que la décision précitée n'a pas de contenu propre mais qu'elle ne fait que confirmer la décision du 19 décembre 1991. Il n'est pas litigieux entre les parties que la Commission connaissait l'accord de 1985 lorsqu'elle a pris la dernière décision citée. La demande des requérantes de réouverture de la procédure ne se fondait par conséquent pas sur un fait nouveau - pour la Commission - mais sur l'allégation que la Commission avait une interprétation erronée de cet accord. La lettre du 31 juillet 1992 fait apparaître que la Commission connaissait l'accord litigieux, qu'elle l'avait déjà examiné avant de prendre la décision du 19 décembre 1991 et qu'elle ne voyait aucune nécessité de s'écarter des conclusions de cet examen. Il résulte toutefois de la jurisprudence constante que « un acte qui se borne à confirmer un acte antérieur ne saurait accorder aux intéressés la possibilité de rouvrir les débats sur la légalité de l'acte confirmé » ( 50 ). Il y aurait eu lieu pour ce motif déjà de dire que le recours introduit par les requérantes était irrecevable. 52. Il y a lieu par conséquent de rejeter le pourvoi. La décision sur les dépens résulte des articles 122, 118 et 69 du règlement de procédure de la Cour. C - Conclusion 53. Nous proposons par conséquent de rejeter le pourvoi et de condamner les requérantes aux dépens. ( *1 ) Langue originale: l'allemand. ( 1 ) JO L 395, p. 1; version révisée publiée au JO 1990, L 257, p. 13. ( 2 ) Selon son article 1er, paragraphe 1, le règlement sur les concentrations est applicable aux « opérations de concentration de dimension communautaire ». Selon l'article 3, paragraphe 1, de ce règlement, une telle opération de concentration est réalisée lorsque deux ou plusieurs entreprises antérieurement indépendantes fusionnent, ou lorsqu'une ou plusieurs personnes détenant déjà le contrôle d'une entreprise au moins, ou une ou plusieurs entreprises acquièrent le « contrôle de l'ensemble ou de parties d'une ou de plusieurs autres entreprises ». On entend par « contrôle », en application de l'article 3, paragraphe 3, la possibilité d'exercer « une influence déterminante » sur l'activité d'une entreprise. ( 3 ) Zunis Holding e.a./Commission (T-83/92, Rec. p. II-1169). ( 4 ) Loc. cit. (note 3), point 3. ( 5 ) Voir points 14 à 18 de l'arrêt Zunis Holding e.a./Commission, loc. cit (note 3). ( 6 ) Après l'entrée en vigueur du traité sur l'Union européenne le 1 novembre 1993, l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE est devenu l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE sans qu'il y ait eu modification du contenu de cette disposition. Par souci de simplification, nous citerons ci-après dans chaque cas la disposition qui est désormais applicable. ( 7 ) Nous n'avons pas besoin d'étudier de manière plus détaillée la possibilité du renvoi d'un cas aux autorités compétentes d'un État membre (article 9 du règlement) ou des conséquences de l'écoulement des délais prévus dans le règlement sur les concentrations (article 10, paragraphe 6, du règlement). ( 8 ) Une telle révocation est également possible lorsque les entreprises concernées contreviennent à une charge dont est assortie la décision [article 8, paragraphe 5, sous b]. Par son contenu, l'article 8, paragraphe 5, vise par conséquent aussi bien des cas de révocation que des cas de retrait. Dans la suite des présentes conclusions, nous reprendrons pour simplifier les choses la terminologie utilisée par le règlement et nous parlerons de « révocation ». ( 9 ) Sur cette question, voir le point 50 ci-après. ( 10 ) Voir à cet égard le point 51 ci-après. ( 11 ) Loc. cit. (note 3), point 38. ( 12 ) Voir article 10, paragraphes 1 et 3, du règlement sur les concentrations. Voir également les délais spécifiques prévus à l'article 9. ( 13 ) Voir les dispositions combinées de l'article 8, paragraphes 6 et 3. ( 14 ) Solvay/Commission (T-31/91, Rec. p. II-1821), Solvay/Commission (T-32/91, Rec. p. II-1825) et Imperial Chemical Industries/Commission (T-37/91, Rec. p. II-1901). ( 15 ) Arrêts Solvay/Commission (T-31/91, points 34 et 35) et Solvay/Commission (T-32/91, points 40 et 41). ( 16 ) Arrêt Imperial Chemical Industries/Commission (T-37/91, points 84 et 85). ( 17 ) Arrêt du 10 décembre 1969, Eridania e.a./Commission (10/68 et 18/68, Rec. p. 459). ( 18 ) Voir les arrêts du 8 mars 1972, Nordgetreide/Commission (42/91 Rec. p. 105, point 5); du 26 avril 1988, Asteris e.a./Commission (97/86, 193/86, 99/86 et 215/86, Rec. p. 2181, point 17) et du 17 mai 1990, Sonito e.a/Commission (C-87/89, Rec. p. I-1981, point 8). ( 19 ) Arrêt du 24 novembre 1992, Buckl e.a./Commission (C-15/91 et C-108/91, Rec. p. I-6061, point 22). ( 20 ) Rec. p. I-6074, et notamment p. I-6079 (c'est nous qui soulignons). ( 21 ) Loc. cit. (note 17), points 7 et 8. ( 22 ) Loc. cit. (note 17), point 14. ( 23 ) Loc. cit. (note 3), point 35; voir ci-dessus point 9. ( 24 ) Loc. cit. (note 3), point 36. ( 25 ) Arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann (25/62, Rec. p. 197, et notamment p. 223). ( 26 ) Points 41 et suiv. ( 27 ) Voir notamment l'article 21, paragraphe 1, du règlement sur les concentrations. ( 28 ) Voir notamment les sept premiers considérants du règlement précité. ( 29 ) Les considérants 7 et 8 du règlement précité confirment ces allégations. ( 30 ) En ce sens, voir Brown Adrian: « Judicial Review of Commission Decisions under the Merger Regulation: The First Cases », ECLR 1994, p. 296, p. 305. ( 31 ) S'agissant d'une dérogation éventuelle en vue de protéger les droits procéduraux des parties, voir ci-après point 47. ( 32 ) 15 USC, paragraphe 15. Le texte du Clayton Act figure dans Chesterfield Oppenheim S., Weston, Glen E. et McCarthy J. Thomas: Federal Antitrust Laws, quatrième édition, St. Paul, 1981, p. 1119 et suiv. ( 33 ) Voir à cet égard également Hawk, Barry E: « Public and Private Enforcement of Merger Law in the United States », dans: Le contrôle juridictionnel en matière de droit de la concurrence et des concentrations (Actes du séminaire organisé par le Tribunal de première instance des Communautés européennes les 22 et 23 novembre 1993), Luxembourg, 1994, p. 79 et suiv. ( 34 ) 15 USC, paragraphe 26. ( 35 ) Brunswick Corp./Pueblo Bowl O-Mat, Inc., 429 US 1977, p. 477. ( 36 ) Loc. cit. (note 35), p. 489. Voir également l'arrêt Associated General Contractors of California, Inc./California State Council of Carpenters, 459 US 1983, p. 519, et notamment p. 540. ( 37 ) Loc. cit. (note 35), p. 488 s. ( 38 ) Cargill, Inc./Monfort of Colorado, Inc. 479 US 1986, p. 104. ( 39 ) Loc. cit. (note 38), p. 109 et suiv. (notamment p. 113). ( 40 ) Loeb/Eastman Kodak Co., 183 F [Federal Reporter], p. 704, et notamment p. 709. ( 41 ) Loc. cit. (note 36), p. 533. ( 42 ) Ainsi la cour d'appel, septième Circuit dans Southwest Suburban Board of Realtors, Ine/Beverly Area Planning Association, 830 F 2d, p. 1374, et notamment p. 1378. ( 43 ) Voir ci-dessus points 36 et suiv. ( 44 ) Arrêts du 25 octobre 1977, Metro/Commission (26/76, Rec. p. 1875, point 13); du 4 octobre 1983, Fediol/Commission (191/82, Rec. p. 2913, points 28 et suiv.); du 28 janvier 1986, Colz Ofaz e.a. (169/84, Rec. p. 391, point 23). Pour la période plus récente, voir arrêts du 18 mai 1994, BEUC et NCC/Commission (T-37/92, Rec. p. II-285, point 36), et du 24 janvier 1995, BEMIM/Commission (T-114/92, Rec. p. II-147, point 26). ( 45 ) Voir nos conclusions du 17 septembre 1992 dans l'affaire CIRFS e.a./Commission (arrêt du 24 mars 1993, C-313/90, Rec. p. I-1125, p. I-1148, et notamment p. I-1164). ( 46 ) Loc. cit. (note 45), p. I-1165. ( 47 ) Comité central d'entreprise de la Société générale des grandes sources e.a./Commission (T-96/92, Rec. p. II-1213) et Comité central d'entreprise de la société anonyme Vittel e.a./Commission (T-12/93, Rec. p. II-1247). ( 48 ) Arrêts Comité central d'entreprise de la Société générale des grandes sources e.a./Commission, poiints 31 et 32, et Comité central d'entreprise de la Société anonyme Vittel e.a./Commission, points 41 et 42. ( 49 ) Arrêts Comité central d'entreprise de la Société générale des grandes sources e.a./Commission, points 31 et 32, et Comité central d'entreprise de la Société anonyme Vittel e.a./Commission, points 41 et 42. ( 50 ) Arrêt du 22 mars 1961, Snupat/Haute Autorité de la CECA, Rec. p. 99, et notamment p. 146 [la version allemande parle de manière erronée de « bestätigenden » Akt (acte confirmatif]; voir à cet égard en dernier lieu l'arrêt du 14 juillet 1995, Groupement des cartes bancaires « CB »/Commission (T-275/94, Rec. p. II-2169, point 27).