TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS JUGEMENT rendu le 30 juin 2017
3ème chambre 2ème section N° RG: 15/17558
Assignation du 20 novembre 2015
DEMANDERESSE Société GALERIE GOSSEREZ 3 rue Debelleyme 75003 PARIS représentée par Maître Frédéric DUMONT de la SCP DEPREZ, GUIGNOT & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0221
DÉFENDERESSE SA ROSET 1 route du Pont 01470 BRIORD représentée par Maître Pierre ORTOLLAND de la SEP ORTOLLAND, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0231 Me Bernard UGHETTO, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DU TRIBUNAL François ANCEL, Premier Vice-Président adjoint Françoise BARUTEL, Vice-Présidente Aurélie JIMENEZ, Juge assisté de Jeanine R, Faisant fonction de Greffier,
DÉBATS À l'audience du 11 mai 2017 tenue en audience publique devant François ANCEL, Françoise BARUTEL, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article
786 du Code de Procédure Civile.
JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe Contradictoire en premier ressort
FAITS MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES La société GALERIE GOSSEREZ expose et commercialise à Paris des meubles et objets décoratifs conçus par déjeunes designers.
Monsieur Valentin L, designer d'origine allemande reconnu pour son travail du bois, a créé début 2011 la collection « FALL WINTER »
Document issu des collections du centre de documentation de l’INPIcomposée d'une série de tables parmi lesquelles un modèle de table haute divulgué pour la première fois le 28 mars 2012 et un modèle de table basse.
La société GALERIE GOSSEREZ a conclu avec Monsieur Valentin L le 5 mars 2012 avec effet rétroactif au 1 er janvier 2011 une licence exclusive d'exploitation et de distribution sur l'ensemble de ses créations d'ameublement.
La société ROSET conçoit, fabrique et commercialise des meubles, fauteuils et canapés ainsi qu'une gamme complète d'agencement destinée à l'habitat.
En janvier 2015, la société ROSET a présenté au Salon Maison et Objets à PARIS deux nouveaux modèles de tables haute et basse dénommées "LADY CARLOTTA" créées par Monsieur Christian G, designer français, qui lui a cédé ses droits patrimoniaux d'auteur sur lesdites tables.
Considérant que les tables « LADY CARLOTTA » présentées par la société ROSET au salon Maison et Objets à Paris du 23 au 27 janvier 2015 reprennent les caractéristiques originales des œuvres de la collection «FALL WINTER», la GALERIE GOSSEREZ a fait procéder à un constat d'huissier dressé le 11 février 2015 sur le site www.ligneroset.fr et la page Facebook de Ligne Roset, puis après y avoir été autorisée par ordonnances du 9 octobre 2015 rendues sur requête par le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris, à des saisies-contrefaçon au siège de la société ROSET et dans l'une des boutiques parisiennes Ligne Roset le 22 octobre 2015.
C'est dans ces conditions que, par acte d'huissier en date du 20 novembre 2015, la société GALERIE GOSSEREZ a assigné la société ROSET en contrefaçon de droit d'auteur et parasitisme.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 avril 2017, la société GALERIE GOSSEREZ demande au tribunal, au visa des articles
L. 111-1 et suivants, L. 335- 3,
L. 331-1-3, et L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle et l'article 1240 (ancien article 1382) du Code civil de bien vouloir :
À titre principal
JUGER que l'action de la société GALERIE GOSSEREZ est recevable est bien fondée ;
JUGER que les Tables « FALL WINTER » constituent des œuvres de l'esprit au sens du Livre I du Code de la propriété intellectuelle ;
JUGER que la société GALERIE GOSSEREZ est titulaire des droits de représentation, de reproduction et de commercialisation sur les Tables « FALL WINTER » ;
Document issu des collections du centre de documentation de l’INPIJUGER qu'en fabriquant, en présentant, en exportant et en commercialisant les tables LADY CARLOTTA, la société ROSET SA a commis des actes de contrefaçon de droits d'auteurs ;
À titre subsidiaire
JUGER qu'en fabriquant, en présentant, en exportant et en commercialisant les tables LADY CARLOTTA, la société ROSET SA a commis des actes de concurrence parasitaire au détriment de la société GALERIE GOSSEREZ ;
En conséquence :
À titre principal, CONDAMNER la société ROSET SA à verser à la GALERIE GOSSEREZ la somme de 500.000 euros (cinq cent mille euros), à parfaire, au titre des dommages et intérêts en réparation des atteintes portées à ses droits de propriété intellectuelle ;
À titre subsidiaire, CONDAMNER la société ROSET SA, à verser à la GALERIE GOSSEREZ la somme de 500.000 euros (cinq cent mille euros), à parfaire, au titre des dommages et intérêts en réparation des agissements parasitaires ;
En tout état de cause,
ORDONNER à la société ROSET SA de communiquer, sous astreinte de 500 € (cinq cent euros) par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, l'ensemble des données comptables, certifiées par un expert-comptable ou un commissaire aux comptes, relatif aux tables LADY CARLOTTA mises en fabrication, commandées, livrées, commercialisées, et restant en stock et indiquer le lieu exact où se situe ce stock ;
ORDONNER à la société ROSET SA de communiquer, sous astreinte de 500 € (cinq cent euros) par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir :
- Le taux de fréquentation du site Internet accessible à l'adresse www.ligne-roset.com,
- Le tirage des catalogues LIGNE ROSET 2015 et 2016 (en tenant compte des versions imprimées et des versions numériques téléchargées depuis le site Internet accessible à l'adresse www.ligne- roset.com) ;
INTERDIRE à la société ROSET SA, sous astreinte de 2.000 € par infraction constatée, dans le délai d'un mois suivant la signification du
Document issu des collections du centre de documentation de l’INPIjugement à intervenir, la fabrication, la présentation, l'exportation et la commercialisation des tables LADY CARLOTTA ;
ORDONNER la destruction, sous contrôle d'huissier de justice et aux frais de la Société ROSET SA, dans le mois suivant la décision à intervenir, du stock de tables dont disposerait la société ROSET à la date de prononcé du jugement, sous astreinte de 2.000 € par jour de retard ;
SE RESERVER la liquidation des astreintes ;
ORDONNER la publication du jugement à intervenir par extraits ou résumé, aux frais avancés par la société ROSET SA :
- dans trois (3) journaux ou revues au choix de la société GALERIE GOSSEREZ dans la limite de 4.000 euros H.T. par insertion, - Dans la rubrique « Événements » et dans la rubrique « Ligne Roset, les Designers » du site Internet accessible à l'adresse http://www.ligneroset.fr et ce pendant une durée d'un mois,
REJETER la demande reconventionnelle de la société ROSET SA ;
CONDAMNER la société ROSET SA à verser à la GALERIE GOSSEREZ une somme de trente mille (30.000) euros sur le fondement de l'article
700 du Code de Procédure Civile ;
CONDAMNER la société ROSET aux entiers dépens en ce compris les honoraires d'huissiers et les frais liés aux opérations de constat et de saisies-contrefaçon réalisées le 22 octobre 2015, dont distraction au profit de la SCP DEPREZ GUIGNOT & ASSOCIES, conformément aux dispositions de l'article
699 du Code de procédure civile ;
ORDONNER l’exécution provisoire du jugement à intervenir en toutes ses dispositions.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 20 avril 2017, la société ROSET demande au tribunal de grande instance, au visa des articles
L. 111-1,
L. 335-3,
L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle et
1382 du Code civil, de:
DIRE ET JUGER que les modèles de tables « FALL/WTNTER » opposés par la société GALERIE GOSSEREZ ne peuvent pas bénéficier de la protection au titre du droit d'auteur, les caractéristiques revendiquées étant dépourvues d'originalité,
DIRE ET JUGER que les modèles de tables « LADY CARLOTTA » de la société ROSET ne constituent pas en tout état de cause une reproduction ou une imitation des modèles « FALL/WINTER »,
Document issu des collections du centre de documentation de l’INPIDIRE ET JUGER que la société ROSET n'a commis aucun acte de parasitisme au préjudice de la société GALERIE GOSSEREZ en commercialisant ses modèles de tables « LADY CARLOTTA »,
DIRE ET JUGER infondée l'action en contrefaçon de droit d'auteur et en parasitisme formée par la société GALERIE GOSSEREZ à l'encontre de la société ROSET,
Par conséquent,
REJETER l'ensemble des demandes de la société GALERIE GOSSEREZ,
CONDAMNER la société GALERIE GOSSEREZ à payer à la société ROSET la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire,
CONDAMNER la société GALERIE GOSSEREZ au paiement de la somme de 30.000 € par application de l'article
700 du Code de Procédure Civile.
CONDAMNER la société GALERIE GOSSEREZ en tous les dépens qui seront distraits au profit de Maître ORTOLLAND, Avocat dans les termes et aux conditions de l'article
699 du Code de Procédure Civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 avril 2017.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'originalité
La société GALERIE GOSSEREZ soutient que les tables « FALL/WINTER » constituent des œuvres de l'esprit bénéficiant à ce titre de la protection conférée par les Livres I et III du Code de la propriété intellectuelle en ce qu'elles reposent sur une combinaison de caractéristiques qui portent l'empreinte de la personnalité de Monsieur Valentin L.
Elle fait valoir en outre qu'aucune des tables opposées par la société ROSET ne présente la même combinaison de caractéristiques.
La société ROSET oppose le fait que les caractéristiques évoquées par la société GALERIE GOSSEREZ sont banales puisqu'elles se retrouvent dans de nombreux modèles de tables antérieurement divulgués. Elle ajoute que la caractéristique de "4 pieds reliés entre eux par des tiges de bois parallèles" a été rajoutée tardivement par la société demanderesse alors même qu'elle constitue la caractéristique essentielle du modèle, seule de nature à éventuellement lui conférer la protection attachée au droit d'auteur.
Document issu des collections du centre de documentation de l’INPISur ce
Les dispositions de l'article
L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle protègent par les droits d'auteur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination, pourvu qu'elles soient des créations originales.
L'originalité de l'œuvre ressort notamment de partis pris esthétiques et de choix arbitraires qui caractérisent un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur, l'originalité pouvant résulter de la combinaison d'éléments qui en eux-mêmes, pris isolément, ne présentent pas d'originalité.
Il convient en outre de rappeler que si la notion d'antériorité est indifférente en droit d'auteur, l'originalité doit être appréciée au regard d'œuvres déjà connues afin de déterminer si la création revendiquée s'en dégage d'une manière suffisamment nette et significative, et si ces différences résultent d'un effort de création, marquant l'objet de l'empreinte de la personnalité de son auteur.
En l'espèce la société GALERIE GOSSEREZ revendique la combinaison des caractéristiques suivantes :
- Un plateau monobloc, en chêne poli ; Il peut sur ce point être relevé, ainsi qu'il ressort de l'examen par le tribunal de la table originale et des photographies versées à la procédure, que le plateau est de forme rectangulaire dont les angles sont arrondis ; - et dont les bords sont arrondis, tant dans le plan vertical que dans le plan horizontal ; - d'aspect bois clair sur le dessus et noir sur le dessous ; - de sorte que vu de profil, le plateau est bicolore ; - la démarcation entre les couleurs bois clair / bois noir, étant approximativement située sur la ligne médiane de la tranche arrondie du plateau ; - dotée de 4 pieds en bois noir inclinés légèrement en biais vers l'extérieur selon la forme d'un trapèze, reliés entre eux par des tiges de bois parallèles. Il peut sur ce point être relevé, ainsi qu'il ressort de l'examen par le tribunal de la table originale et des photographies versées à la procédure, que les pieds tout comme les quatre tiges qui les relient sont des branches de noisetiers, ainsi que cela est précisé sur l'extrait du site de la société GALERIE GOSSEREZ produit aux débats, dont le diamètre naturellement irrégulier éloigné de la géométrie habituelle du mobilier confère à la table un caractère brut et artisanal.
La table MAXIMA opposée par la société ROSET est ovale, et non rectangulaire, outre qu'elle ne présente aucun contraste entre le dessus et le dessous du plateau et que les pieds ne sont pas reliés entre eux.
Document issu des collections du centre de documentation de l’INPIDe même les tables "ICICLE", "BRIDGE" et "POINT" n'ont pas des angles arrondis sur le plan vertical en ce qu'ils sont biseautés, outre qu'elles ne comportent pas la démarcation bicolore sur la tranche, et que les pieds ne sont pas reliés entre eux.
La combinaison des caractéristiques revendiquées n'est pas davantage présente dans les tables X2, PLANK, HEPBURN, ASAP, NUDO et ROSET dont aucune ne présente un plateau d'aspect bois clair sur le dessus et bois foncé sur le dessous, ni des pieds reliés entre eux.
Il s'ensuit que la combinaison d'un plateau monobloc, en chêne poli, de forme rectangulaire dont les angles et les bords sont arrondis, tant dans le plan vertical que dans le plan horizontal, d'aspect bois clair sur le dessus et noir sur le dessous, la démarcation étant approximativement située sur la ligne médiane de la tranche arrondie du plateau, porté par 4 pieds en bois noir inclinés légèrement en biais vers l'extérieur selon la forme d'un trapèze, reliés entre eux par des branches de noisetier de diamètre irrégulier, confère aux tables "FALL/WINTER" de Monsieur Valentin L, inspirées des branchages que 1 ' on trouve dans la nature, un style organique, évoquant la matière brute et vivante du bois, qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur.
Il convient en conséquence de reconnaître un caractère original au sens du code de la propriété intellectuelle aux tables "FALL/WINTER" revendiquées, et de rejeter le moyen invoqué par la société ROSET de ce chef.
Sur la contrefaçon
La GALERIE GOSSEREZ reproche à la société ROSET la reproduction de l'ensemble des caractéristiques des Tables « FALL WINTER».
S'agissant du piètement, la société GALERIE GOSSEREZ fait valoir que les quatre pieds en bois sont également noir inclinés vers l'extérieur en forme de trapèze et que la seule différence consistant en ce que ces pieds ne sont pas reliés entre eux est légère, et qu'elle est liée à des contraintes techniques, les tiges des tables de Monsieur Valentin L conçues à partir de branches de noisetier étant assemblées de manière artisanale, ce travail manuel ne pouvant être reproduit par la société ROSET à l'échelle industrielle.
La société ROSET rétorque que le seul élément distinctif susceptible de conférer aux modèles « FALL WINTER» une originalité à savoir les pieds des tables conçus à partir de branches de noisetier reliés entre eux par des tiges de bois parallèles, n'est pas repris par les modèles « LADY CARLOTTA », les pieds des tables "LADY CARLOTTA" étant au contraire effilés façon talon aiguille sans être reliés entre eux, de
Document issu des collections du centre de documentation de l’INPIsorte que l'impression d'ensemble est tout à fait différente, et ce d'autant qu'il existe d'autres différences, à savoir la démarcation entre les deux couleurs du plateau, qui, contrairement aux modèles « FALL WINTER » se fait non pas sur la ligne médiane mais sur l'extrémité supérieure de la tranche, et de façon nette et rectiligne alors que la démarcation des tables FALL WINTER est irrégulière, et enfin le fait que le plateau soit posé sur une ceinture-berceau.
Sur ce.
Aux termes de l'article
L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droits ou ayants cause est illicite. Il en va de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ».
Il sera rappelé en outre que la contrefaçon s'établit par les ressemblances résultant de la reprise des éléments caractéristiques de l'œuvre concernée.
Enfin, dès lors que l'originalité résulte d'une combinaison d'éléments, la contrefaçon n'est établie que si l'on retrouve la même combinaison ou tout au moins une combinaison reprenant dans un agencement identique ou similaire les éléments les plus caractéristiques.
En l'espèce, si les pieds des tables "Lady Carlotta" incriminées sont inclinés en biais, ils se différencient totalement de ceux des tables "Fall/winter" en ce qu'ils sont parfaitement fuselés et réguliers dans un style industriel contemporain très éloigné du côté organique et artisanal des pieds de la table revendiquée, outre qu'ils ne sont pas reliés par les quatre tiges de noisetier liant deux à deux chacun des pieds dans le sens de la longueur et de la largeur de la table "fall/winter", cette différence étant particulièrement significative en ce que ces liens particulièrement visibles confèrent à la table créée par Monsieur Valentin L son aspect sculptural et organique. Cette différence est encore accentuée par le fait que la démarcation entre les deux couleurs, claire et noire, dans la table incriminée n'est pas irrégulière et située à la médiane du plateau, mais rectiligne et positionnée dans sa partie haute au niveau de la ceinture-bandeau, élément technique sur laquelle est posé le plateau, ne donnant pas ainsi l'impression, comme dans la table revendiquée, que les pieds et le plateau ont fusionné dans un seul bloc.
En l'état de ces différences, qui contrairement à ce que soutient la société GALERIE GOSSEREZ ne sont pas insignifiantes au regard des éléments caractéristiques revendiqués constituant l'originalité de la table "WINTER/FALL", la contrefaçon de droit d'auteur n'est pas caractérisée.
Sur les actes parasitaires
Document issu des collections du centre de documentation de l’INPILa société GALERIE GOSSENEZ soutient que la société ROSET s'est rendue coupable d'agissements parasitaires en ce qu'elle a réalisé indûment des économies de création en s'inspirant et en copiant la valeur économique que représentent les tables "Fall/winter" ainsi que cela ressort du mail par lequel le designer de la société ROSET s'est adressé à Monsieur Valentin L en sollicitant des informations sur ses œuvres et de la comparaison visuelle des tables en cause.
Elle explique que la couleur noire mate de la partie basse des tables "Fall/winter" est obtenue en brûlant le bois, tandis que la partie claire résulte d'un travail de ponçage au sable et qu'un mélange de sciure et de résine est utilisé pour l'assemblage, que cela est le fruit d'un travail artisanal et que la société ROSET de son côté ne verse aucun élément permettant d'établir les circonstances dans lesquelles les tables litigieuses ont été créées ni ne justifie d'aucun investissement à cette fin.
Elle ajoute que Monsieur G, mandaté par la société ROSET pour la réalisation d'une table haute et d'une table basse, a sollicité Monsieur Valentin L dans des circonstances déloyales, les informations fournies par Monsieur Valentin L ayant été adaptées pour répondre aux exigences d'une fabrication industrielle, la société ROSET ne pouvant se retrancher derrière le fait qu'elle n'est pas le créateur des tables pour échapper à sa responsabilité alors que la faute n'est pas nécessairement intentionnelle et que les faits de captation indue d'investissements doivent être sanctionnés.
La société GALERIE GOSSEREZ reproche aussi à la société ROSET d'avoir, dans ses supports de communication, détourné de manière déloyale l'univers artistique de Monsieur Valentin L en employant la même terminologie, mettant en avant l'absence d'angles, les courbes arrondies et l'aspect brûlé et veineux des tables.
Enfin, la société GALERIE GOSSEREZ prétend que ses efforts de promotion afin de séduire une clientèle exigeante et sélective, qui ont abouti à ce que le travail créatif de Monsieur Valentin L soit salué par de nombreux articles de journalistes et de bloggeurs de mobiliers haut de gamme, ont été mis à néant par la commercialisation des tables par la société ROSET dans ses nombreux points de vente.
En réplique, la société ROSET oppose qu'elle est totalement étrangère à la correspondance entre les deux designers, et que le modèle « LADY CARLOTTA » a été réalisé par Monsieur Christian G en toute indépendance avant la cession régulière de ses droits patrimoniaux d'auteur, outre que ce dernier n'a pas copié les caractéristiques innovantes du meuble de Monsieur Valentin L et qu'ils n'ont jamais été en relation pré-contractuelle.
Elle conteste en outre avoir repris les supports de communication des modèles « FALL/WINTER », alors que les expressions soulevées sont d'une totale banalité, et que si certains termes employés peuvent
Document issu des collections du centre de documentation de l’INPIévoquer certaines expressions employées par la société GALERIE GOSSEREZ c'est uniquement parce que les deux communications traitent de produits de même nature, à savoir d'un plateau en chêne.
Enfin, elle soutient qu'il ne peut lui être reproché d'avoir indûment tiré parti du succès de la collection FALL/WINTER alors que le modèle LADY CARLOTTA s'en distingue fondamentalement.
Sur ce.
Il résulte des articles
1240 et
1241 du code civil (anciennement
1382 et
1383 du code civil) que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à la réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
Le parasitisme consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et déloyalement sans bourse délier des investissements, d'un savoir-faire ou d'un travail intellectuel d'autrui produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel.
En l'espèce, il résulte des extraits de presse versés au débat, et notamment les magazine AD, Elle décoration, Elle décor Italia, Architectural Digest hors-série, maison française, design Home, Connaissance des arts mais aussi des copies de captures d'écran de nombreux blogs sur internet que la société GALERIE GOSSEREZ et Monsieur Valentin L ont engagé des opérations de communication et de promotion du travail de ce dernier qui ont contribué à son image et à sa réputation déjeune designer auprès d'un public de collectionneurs du monde entier et dont les tables "fall/winter" "sont présentées comme des œuvres "déjà culte".
Il résulte en outre de l'examen de la table Lady Carlotta" créée par Monsieur Christian G et commercialisée par la société ROSET qu'elle présente plusieurs points communs avec la table de Monsieur Valentin L en ce que les bords du plateau sont arrondis dans le plan vertical comme horizontal, qu'il est d'aspect bois clair sur le dessus et noir sur le dessous, que la démarcation entre les couleurs est située sur la tranche arrondie du plateau, et que les 4 pieds en bois noir sont inclinés légèrement en biais vers l'extérieur selon la forme d'un trapèze.
Compte tenu de ces éléments communs, il ne peut en outre être nié que le premier s'est inspiré du travail du second, cette inspiration étant corroborée par le fait que quelques mois avant la commercialisation par la société ROSET, Monsieur Christian G avait envoyé un courriel à Monsieur Valentin L le 27 février 2014 en lui indiquant avoir vu son travail à la GALERIE GOSSEREZ, "être fou de son travail" "I'm crazy
Document issu des collections du centre de documentation de l’INPIabout your work" et être intéressé par sa table en lui demandant les dimensions et le prix, et que par retour de courriel du 28 février 2014 Monsieur Valentin L avait adressé un catalogue complet de sa collection comprenant notamment plusieurs photographies des tables "fall/winter" vues de côté, de dessous et donnant toutes les dimensions, mais aussi la méthode de fabrication illustrée de photographies décrivant notamment qu'un mélange de sable et de colle est utilisé pour unir le tout dont il résulte la disparition de toute forme saillante "no sharp edges remain", et que les pièces sont brûlées et traitées à la cire "the pièces are burned ans treated with wax".
A ces éléments, qui ne peuvent être fortuits, s'ajoute le fait que contrairement à ce qu'allègue la société ROSET, les supports de communication et de promotion de la table "Lady Carlotta" ne la présentent pas comme une table fonctionnelle, contemporaine et épurée dont les pieds ont la forme de talons aiguilles, mais empruntent au contraire à la dimension artisanale et organique mise en avant dans la communication de Monsieur Valentin L, en invoquant "la fusion totale entre le plateau et le piètement", les formes rondes comme des "courbes douces savonnées" mais aussi s'agissant de la couleur noire des pieds "une teinte appliquée à l'ancienne", en utilisant pour décrire la couleur noire les termes de "pain brûlé" qui rappellent les pièces brûlées par Monsieur Valentin L pour obtenir en effet la teinte noire du dessous de la table.
Il résulte de ces éléments qu'en commercialisant les tables "Lady Carlotta" créées par un designer fortement inspiré par le travail de Monsieur Valentin L, lequel bénéficie d'une certaine notoriété dans l'univers de la décoration haut de gamme, et en assurant sa promotion dans des termes évoquant l'univers organique et artisanal qui a fait la notoriété du travail de Monsieur Valentin L, la société ROSET s'est mis dans le sillage de la GALERIE GOSSEREZ pour profiter sans bourse délier de la réputation de Monsieur Valentin L et des investissements de communication et de promotion réalisés autour des tables "Fall/winter" par la société GALERIE GOSSEREZ pour promouvoir la commercialisation de ses propres tables.
Les agissements parasitaires commis par la société ROSET à l'encontre la société GALERIE GOSSEREZ sont ainsi caractérisés.
Sur la réparation du préjudice
La GALERIE GOSSEREZ sollicite, outre l'interdiction de fabrication et de commercialisation, la destruction du stock et la communication de l'ensemble des données comptables relativement à la commercialisation des tables "lady carlotta", une somme de 500 000 euros en réparation des actes de parasitisme, au titre des économies indues réalisées par la société ROSET, de la dévalorisation des tables Fall/winter ainsi dénaturées et de l'atteinte portée à ses efforts de promotion.
Document issu des collections du centre de documentation de l’INPIElle demande aussi la publication du jugement dans trois journaux et sur le site de la société ROSET.
La société ROSET conteste l'existence de tout préjudice dès lors que la GALERIE GOSSEREZ indique que la côte de Monsieur Valentin L a presque doublé depuis 2014. Elle ajoute qu'elle n'a réalisé aucune économie en ce qu'elle a acquis les droits d'exploitation des tables "Lady Carlott" auprès de son créateur et en a assuré la promotion.
Sur ce.
Il convient d'interdire, non pas la commercialisation des tables "Lady Carlotta" qui ne sont pas contrefaisantes mais la référence à un univers artisanal et organique dans les supports de communication et de promotion des tables "Lady Carlotta", et notamment l'utilisation des expressions "la fusion totale entre le plateau et le piètement", les "courbes douces savonnées", "une teinte appliquée à l'ancienne" et les termes de "pain brûlé", et ce sous astreinte dans les conditions du dispositif ci-après.
En outre, la commercialisation dans des termes évoquant l'univers organique et artisanal de Monsieur Valentin L des tables "Lady Carlotta" tant dans les magasins LIGNES ROSET que sur le site ligne- roset.com a banalisé et dévalorisé les tables "fall/winter" commercialisées en nombre réduit auprès d'un public d'amateur d'art et de collectionneurs à un prix unitaire de 24.600 euros par la société GALERIE GOSSEREZ.
Il lui sera donc accordé une somme de 50.00 euros en réparation de ce préjudice résultant des agissements parasitaires, étant observé que faute de justifier d'une perte subie réelle du fait des agissements de la société ROSET, le surplus de la demande, en ce compris la demande de communication de pièces comptables qui n'est pas justifiée en l'espèce, sera rejeté.
Enfin, une mesure de publication sera également ordonnée dans les conditions précisées par le dispositif de la présente décision.
Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive
La société ROSET forme une demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Elle ne pourra qu'être déboutée de cette demande, l'action engagée par la société GALERIE GOSSEREZ à son encontre ayant prospéré.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Document issu des collections du centre de documentation de l’INPIIl y a lieu de condamner la société ROSET, partie perdante, aux dépens, en ceux compris le coût du procès-verbal de constat et de saisie-contrefaçon du 22 octobre 2015.
En outre, elle doit être condamnée à verser à la société GALERIE GOSSEREZ qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article
700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 30.000 euros.
Compte tenu de l'ancienneté du litige, il convient d'assortir la présente décision de l'exécution provisoire qui apparaît compatible avec la nature de l'affaire.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement par jugement contradictoire mis à disposition au greffe et rendu en premier ressort ;
DIT que les tables Fall/Winter sont originales et accessibles à la protection au titre des droits d'auteur ;
DEBOUTE la société GALERIE GOSSEREZ (SA) de son action en contrefaçon ;
DIT qu'en commercialisant les tables "Lady Carlotta" créées par un designer fortement inspiré par le travail de Monsieur Valentin L et en assurant leur promotion dans des termes évoquant l'univers organique et artisanal qui a fait la notoriété du travail de Monsieur Valentin L, la société ROSET s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice de la GALERIE GOSSEREZ ;
En conséquence :
INTERDIT à la société ROSET de faire référence à un univers artisanal et organique dans les supports de communication et de promotion des tables "Lady Carlotta", et notamment l'utilisation des expressions "la fusion totale entre le plateau et le piètement", les "courbes douces savonnées", "une teinte appliquée à l'ancienne" et les termes de "pain brûlé", et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard, passé un délai de 1 mois après la signification de la présente décision et ce pendant un délai de 5 mois ;
CONDAMNE la société ROSET à payer à la société GALERIE GOSSEREZ (SA) la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts du chef des agissements parasitaires ;
ORDONNE la publication du communiqué suivant dans deux journaux ou magazines au choix de la société GALERIE GOSSEREZ (SA) aux frais de la société ROSET sans que le coût de chacune de ces publications n'excède la somme de 3 500 euros hors taxes :
Document issu des collections du centre de documentation de l’INPI« Par jugement du 30 juin 2017 le Tribunal de grande instance de Paris a jugé qu'en commercialisant les tables "Lady Carlotta" créées par un designer fortement inspiré par le travail de Monsieur Valentin L et en assurant leur promotion dans des termes évoquant l'univers organique et artisanal qui a fait la notoriété du travail de cet artiste, la société ROSET s'est rendue coupable d'agissements parasitaires au préjudice de la société GALERIE GOSSEREZ.»
CONDAMNE la société ROSET à payer à la société GALERIE GOSSEREZ la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens en ceux compris le coût du procès-verbal de constat et de saisie-contrefaçon du 22 octobre 2015 ;
DEBOUTE la société GALERIE GOSSEREZ pour le surplus de ses demandes ;
ORDONNE l'exécution provisoire de la décision à intervenir sauf en ce qui concerne la mesure de publication.
Document issu des collections du centre de documentation de l’INPI