TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
PÔLE SOCIAL
MINUTE N°
AUDIENCE DU 17 Mai 2024
AFFAIRE N° RG 22/01088 - N° Portalis DBYC-W-B7G-KDOL
88A
JUGEMENT
AFFAIRE :
[K] [Z] agissant en son nom, en qualité de représentant légal de ses enfants, [S] [Z] et [R] [Z], et en qualité d'ayant droit de Madame [Y] [Z]
C/
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE D'ILLE ET VILAINE
INTERVENANT VOLONTAIRE :
POLE EMPLOI PAYS DE LOIRE
Pièces délivrées :
CCCFE le :
CCC le :
PARTIE DEMANDERESSE :
Monsieur [K] [Z], agissant en son nom, en qualité de représentant légal de ses enfants, [S] [Z] et [R] [Z], et en qualité d'ayant droit de Madame [Y] [Z]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représenté par Maître
Fabienne MICHELET, avocate au barreau de RENNES, substituée à l'audience par Maître
Nadège MORIN, avocate au barreau de RENNES
PARTIE DEFENDERESSE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE D'ILLE ET VILAINE
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Madame [F] [J], munie d'un pouvoir
INTERVENANT VOLONTAIRE :
POLE EMPLOI PAYS DE LOIRE
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Maître Marie-Laure TREDAN, avocate au barreau des HAUTS DE SEINE, substituée à l'audience par Maître Manon BACHES, avocate au barreau des HAUTS DE SEINE
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Présidente : Madame Magalie LE BIHAN
Assesseur : Monsieur Hervé BELLIARD, assesseur du pôle social du tribunal judiciaire de Rennes
Assesseur : Madame Ghislaine BOTREL-BERTHOIS, assesseur du pôle social du tribunal judiciaire de Rennes
Greffière : Madame Rozenn LE CHAMPION
DEBATS :
Après avoir entendu les parties en leurs explications à l'audience du 15 Décembre 2023, l'affaire a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe pour être rendu au 22 Mars 2024 prorogé au 17 Mai 2024.
JUGEMENT :contradictoire et en premier ressort
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EXPOSE DU LITIGE :
Le 02/11/2021, Pôle Emploi, en sa qualité d'employeur de Mme [Y] [Z], conseillère depuis 2009 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée et à temps partiel, a complété une déclaration d'accident du travail comme suit :
« Date : 25/10/2021
Heure : 22h30
Lieu de l'accident : [Adresse 7] [Localité 6] France
Activité de la victime lors de l'accident : la salariée a été en situation de télétravail à son domicile. La salariée a quitté son domicile.
Nature de l'accident : la salariée a été retrouvée sans connaissance par les forces de l'ordre au sein de son véhicule personnel.
Objet dont le contact est blessé la victime : néant
Éventuelles réserves motivées : l'incident ne s'est pas déroulé sur le lieu de télétravail
Siège des lésions : inconnues
Nature des lésions : inconnues
La victime a été transportée à : centre hospitalier de [Localité 6]
Heures de travail de la victime le jour de l'accident : de 12h54 à 18h00. »
Cette déclaration était accompagnée d'un courrier de réserves de l'employeur précisant :
« Nous disposons de peu d'éléments concernant les circonstances de l'AT tels que :
- le motif amenant la salariée à quitter son lieu de télétravail (domicile),
- l'heure de l'accident ainsi que son contexte,
- les éventuelles lésions ».
Le certificat médical initial dressé le 25/10/2021 par le docteur [E] fait état d'une asthénie réactionnelle.
La caisse primaire d'assurance-maladie d'Ille-et-Vilaine (ci-après CPAM) a diligenté une instruction sous la forme d'une enquête.
Mme [Y] [Z] est décédée par suicide le 06/03/2022.
Par courrier du 30/06/2022, la CPAM a notifié à M. [K] [Z], son époux, le refus de prise en charge de l'accident du 25/10/2021 ainsi déclaré au titre de la législation sur les risques professionnels.
M. [Z] a saisi la commission de recours amiable d'une contestation par courrier du 26/08/2022 réceptionné le 31/08/2022.
Suivant courrier recommandé avec demande d'avis de réception expédié le 06/12/2022, il a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Rennes d'un recours à l'égard de la décision implicite de rejet de ladite commission.
La commission de recours amiable a rendu une décision de rejet dans sa séance du 16/03/2023.
Suivant courrier recommandé avec demande d'avis de réception expédiée le 04/05/2023, M. [Z] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Rennes d'un nouveau recours à l'égard de la décision explicite de rejet.
Ces deux dossiers ont fait l'objet d'une jonction par décision du 08/09/2023, l'affaire étant désormais appelée sous le seul numéro RG 22/1088.
L'affaire a été évoquée à l'audience du 15/12/2023, au cours de laquelle Pôle Emploi est intervenu volontairement à l'instance.
Suivant conclusions n°2 récapitulatives, que son conseil a développées à l'audience, M. [K] [Z] demande de :
A titre principal,
- DECLARER irrecevable l'intervention volontaire de POLE EMPLOI.
A titre subsidiaire,
- DEBOUTER POLE EMPLOI de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions
- ORDONNER la jonction des procédures enregistrées sous le numéro RG : 22/01088 et RG 23/00442, dans un souci d'une bonne administration de la justice.
- INFIRMER la décision de refus de prise en charge de l'accident de travail de Madame [Z], en date du 25.10.2021, prise par la CPAM d'ILLE ET VILAINE, le 30 juin 2022.
- INFIRMER la décision de la commission de recours amiable en date du 16.03.2023.
- JUGER que l'accident dont Madame [Y] [Z] a été victime le 25 octobre 2021 doit être pris en charge dans le cadre de la législation relative aux risques professionnels.
- CONDAMNER la CPAM d'ILLET VILAINE à verser à Monsieur [Z], une somme de 2500 € sur le fondement de l'article
700 du Code de procédure civile.
En réplique suivant conclusions n°2 soutenues par son représentant à l'audience, la CPAM d'Ille-et-Vilaine prie quant à elle le pôle social de :
- DECERNER ACTE A LA CAISSE de ce qu'elle déclare s'en remettre à justice pour statuer sur l'intervention volontaire de l'établissement POLE EMPLOI.
- RAPPELER qu'il appartient à la victime ou à ses ayants droit de rapporter la preuve selon laquelle l'accident est survenu par le fait du travail alors même que le lien de subordination n'était plus établi ;
- CONFIRMER le refus de prise en charge par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie d'Ille-et-Vilaine de l'accident de Madame [Y] [Z] survenu le 25 octobre 2021 ;
- REJETER la demande de condamnation de la Caisse au paiement de la somme de 2500€ sur le fondement de l'article
700 du Code de Procédure civile ;
- DEBOUTER Monsieur [K] [Z] de toutes ses demandes ;
- CONDAMNER Monsieur [K] [Z] aux dépens de l'instance.
Enfin, suivant conclusions aux fins d'intervention volontaire visées par le greffe à l'audience, que son conseil a développées, l'Etablissement Pôle Emploi Pays De La Loire demande :
- de constater son intervention volontaire,
- de confirmer la décision de la CPAM d'Ille-et-Vilaine en date du 30/06/2022 refusant de reconnaître le caractère professionnel de la tentative de suicide,
- de confirmer la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable de la CPAM d'Ille-et-Vilaine née le 31/08/2022,
- de confirmer la décision explicite de rejet de la commission de recours amiable du 16/03/2023.
Conformément à l'article
455 du Code de procédure civile, il convient de se référer aux dernières conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et arguments.
A l'issue des débats, la décision a été mise en délibéré au 22/03/2024, puis prorogée au 17/05/2024, et rendue à cette date par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l'article
450 du Code de procédure civile.
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MOTIFS
:
Sur l'intervention volontaire de l'établissement Pôle Emploi :
En vertu des articles
325 et
330 du Code de procédure civile, l'intervention volontaire accessoire, qui appuie les prétentions d'une partie, n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant et si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.
En l'espèce, le litige oppose M. [K] [Z], en sa qualité d'ayant droit de Mme [Y] [Z], et l'organisme de sécurité sociale afin de contester le refus de prise en charge en accident du travail de la tentative de suicide survenue le 25/10/2021.
L'établissement Pôle Emploi, employeur de Madame [Z], est intervenu volontairement à l'instance.
L'établissement Pôle Emploi fait valoir qu'il dispose d'un intérêt à intervenir dans cette instance au soutien de la position de la CPAM en ce que, d'une part, M. [Z] et ses enfants ont diligenté, en parallèle, une action aux fins de voir reconnaître l'existence d'une faute inexcusable, et d'autre part, la reconnaissance éventuelle par le tribunal d'un accident du travail serait susceptible de lui porter préjudice.
M. [Z] conclut à l'irrecevabilité de l'intervention volontaire rappelant le principe de l'indépendance des rapports caisse/salarié et caisse/employeur.
Du fait du principe de l'indépendance des rapports caisse/salarié, caisse/ employeur et employeur /salarié, et dans la mesure où Pôle Emploi a reçu notification d'une décision de refus de prise en charge de l'accident litigieux, devenue définitive dans ses rapports avec la caisse, elle n'a aucun intérêt à intervenir à l'instance en reconnaissance d'un accident du travail opposant la caisse à la salariée ou son ayant droit.
La circonstance suivant laquelle M. [Z] a diligenté en parallèle une action aux fins de voir reconnaître l'existence d'une faute inexcusable imputable à l'établissement Pôle Emploi est indifférente dès lors que celui-ci est partie dans ce litige et, à ce titre, a la possibilité de contester le caractère professionnel de l'événement à l'occasion de cette action.
Dès lors, la présente instance est sans intérêt pour la conservation des droits d'Etablissement Pôle Emploi, qui est donc déclaré irrecevable en son intervention volontaire.
Sur la demande de reconnaissance de l'accident du travail :
Aux termes de l'article
L. 411-1 du Code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.
Sur le fondement de cet article, il est admis que constitue un accident du travail tout fait précis survenu soudainement au cours ou à l'occasion du travail et qui est à l'origine d'une lésion corporelle, ce qui recouvre les lésions psychologiques.
L'accident subi pendant le temps et sur le lieu de travail de la victime est présumé être un accident du travail, sauf à rapporter la preuve que cet accident avait une cause entièrement étrangère.
En l'espèce, il ressort des éléments du débat que le 25/10/2021, entre 21h30 et 22h00, Madame [Y] [Z] a été retrouvée inanimée, après une prise médicamenteuse volontaire, à l'intérieur de son véhicule situé à 500 m de son domicile puis a été conduite aux urgences de l'hôpital.
Il n'est pas discuté que ce jour-là, elle était en situation de télétravail et a pris son poste, suivant la connexion établie, à 12h54, puis, après avoir ouvert le dossier d'un client, a quitté son domicile aux alentours de treize heures en indiquant à son fils qu'elle partait faire réparer son ordinateur.
Il ressort de la déclaration de l'employeur qu'elle devait terminer sa journée de travail à dix-huit heures.
Il n'est nullement démontré ni même allégué qu'elle devait effectuer un déplacement pour un éventuel rendez-vous ou un quelconque trajet dans le cadre de son activité professionnelle.
Elle n'a pas plus prévenu l'un de ses collègues qu'elle quittait son poste de travail.
Ce faisant, il ne peut être considéré que l'accident soit survenu au lieu du travail, celui-ci étant fixé à son domicile dans le contexte du télétravail.
Ainsi, la présomption d'imputabilité des lésions au travail n'a pas lieu de s'appliquer, de sorte qu'il incombe au requérant de démontrer que ce geste désespéré était en lien avec son activité professionnelle.
En l'occurrence, il ressort des pièces annexées au rapport d'enquête administrative diligentée par la CPAM que les jours ou semaines précédant sa tentative de suicide, Mme [Z] avait transmis des mails à ses collègues faisant part de sa surcharge de travail et de son désarroi quant à ses conditions de travail, traduisant une souffrance psychologique en lien avec l'exercice de son activité professionnelle.
D'autre part, M. [Z] communique deux attestations de collègues de travail établissant que son épouse leur avait fait part de sa détresse, dès lors qu'elle se sentait submergée par la charge de travail et n'était pas mise en mesure de pouvoir consacrer du temps au traitement de ses dossiers, au regard du planning qui lui était imparti et qui lui imposait d'assurer de nombreuses permanences téléphoniques.
S'il est exact que le mot laissé à son domicile par Mme [Z], au sein duquel il est précisé qu'elle ne fait pas référence au travail, n'a pas été retrouvé par son époux ni communiqué dans le cadre de l'enquête administrative ou de la présente procédure, celui laissé le 06/03/2022 précise quant à lui : « j'ai essayé je te le jure mais j'y arrive pas, je ne peux plus faire semblant c'est trop dur pour moi le boulot m'a enlevé mon âme et ma bonté j'ai l'impression de ne plus pouvoir avoir de sentiments je ne supporte plus personne à part toi et les enfants bien sûr. Tout me paraît insurmontable je n'ai plus le courage… ».
Le suicide de Madame [Z] intervenu le 06/03/2022 a quant à lui fait l'objet d'une prise en charge par la CPAM au titre d'un accident du travail.
Il en résulte que le mal-être de Mme [Z] est en lien avec son activité professionnelle et les conditions dans lesquelles elle l'exerçait, étant observé qu'elle n'avait pas repris son travail depuis le 25/10/2021.
Enfin, force est de constater que son geste est intervenu de manière immédiate après avoir démarré sa journée de travail et ouvert le dossier d'un client, sans qu'il ne soit justifié ni même allégué l'existence d'un autre événement susceptible de l'expliquer, dès lors qu'elle n'a été retrouvée qu'à 500 m de son domicile.
Ce faisant, au regard de l'ensemble de ces éléments et de la proximité des deux événements intervenus à un intervalle de moins de cinq mois, il doit être considéré que M. [K] [Z] établit que le geste suicidaire de son épouse, Madame [Y] [Z], trouve son origine certaine dans le travail, peu important que celui-ci se soit produit en dehors du lieu de travail.
Il y a donc lieu de faire droit à sa demande de prise en charge au titre d'un accident du travail.
Sur les demandes accessoires :
Partie perdante, la CPAM d'Ille-et-Vilaine sera tenue aux dépens.
L'issue du litige et l'équité conduisent à condamner la CPAM au versement d'une indemnité de 1000 € fondée sur les dispositions de l'article
700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
:
Le tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe de la juridiction,
DECLARE irrecevable l'intervention volontaire de l'établissement Pôle Emploi Pays-de-Loire,
DIT que Mme [Y] [Z] a été victime le 25/10/2021 d'un accident du travail,
RENVOIE M. [K] [Z] devant la caisse primaire d'assurance-maladie d'Ille-et-Vilaine pour la liquidation de ses droits,
CONDAMNE la caisse primaire d'assurance-maladie d'Ille-et-Vilaine à payer à M. [K] [Z] la somme de 1000 € en application des dispositions de l'article
700 du Code de procédure civile,
CONDAMNE la caisse primaire d'assurance-maladie d'Ille-et-Vilaine aux dépens.
Ainsi jugé, mis à disposition au greffe du tribunal judiciaire de Rennes, et signé par Mme Magalie LE BIHAN, vice-présidente au pôle social, assistée de Mme Rozenn LE CHAMPION, greffière, lors du délibéré.
La GreffièreLa Présidente