Cour de cassation, Chambre commerciale, financière et économique, 2 mars 1993, 89-19.886

Synthèse

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
1993-03-02
Cour d'appel de Rennes
1989-05-24

Texte intégral

Sur le pourvoi formé par : 18/ la société anonyme Le Joncour, dont le siège social est à Brest (Finistère), zone industrielle de Kergonan, 28/ M. X..., demeurant à Brest (Finistère), ..., syndic du règlement judiciaire de la société anonyme Le Joncour, en cassation d'un arrêt rendu le 24 mai 1989 par la cour d'appel de Rennes, au profit : 18/ de la société anonyme Armor Protection, dont le siège social est à Concarneau (Finistère), zone industrielle Moros, 28/ de la société à responsabilité limitée Keruzec-Mear, dont le siège social est à Landivisiau (Finistère), place de l'Eglise, défenderesses à la cassation ; La société Armor Protection, défenderesse au pourvoi principal, a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ; Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ; La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation également annexés au présent arrêt ; LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 12 janvier 1993, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Edin, conseiller rapporteur, M. Hatoux, conseiller, Mme Piniot, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. le conseiller Edin, les observations de Me Garaud, avocat de la société Le Joncour et de M. Z..., de la SCP Boré et Xavier, avocat de la société Armor Protection, les conclusions de Mme Piniot, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Donne défaut contre la société Keruzec-Mear ; Statuant, tant sur le pourvoi incident relevé par la société Armor-Protection que sur le pourvoi principal formé par la société Le Joncour et M. Z... en sa qualité de syndic du règlement judiciaire de ladite société ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué

, que la société Keruzec-Mear, exploitant une bijouterie, a chargé en 1980, d'une part la société Le Joncour de la réfection de la vitrine de son magasin, d'autre part la société Armor-Protection de l'installation d'un système d'alarme ; que la société Keruzec Mear a été en 1983 victime d'un vol par effraction ; que la société Le Joncour a été mise en règlement judiciaire ; que la société Keruzec-Méar a assigné en responsabilité la société Le Joncour, M. Y..., syndic de son règlement judiciaire, et la société Armor-Protection ; que la cour d'appel a évalué le préjudice indemnisable à une certaine somme, a fixé à ce montant la créance de la société Keruzec-Méar sur la société Le Joncour, et a dit que la société Armor-Protection serait tenue de payer la moitié de cette somme ;

Sur le premier moyen

, pris en ses deux branches, du pourvoi incident :

Attendu que la société Armor-Protection fait grief à

l'arrêt de l'avoir ainsi condamnée, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le juge doit, en toute circonstance, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'après avoir constaté que l'expert avait entendu M. A... en qualité de sachant sans avoir convoqué les parties, en décidant que cette inobservation d'une formalité nécessaire à établir le caractère contradictoire de l'expertise n'était pas de nature à rendre celle-ci nulle, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que le technicien peut recueillir des informations orales ou écrites de toute personne, sauf à ce que soient précisés leur nom, prénoms, demeure et profession ainsi que, s'il y a lieu, tout lien de parenté ou d'alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d'intérêt avec elle ; qu'après avoir constaté que l'expert avait entendu en qualité de sachant M. A..., en déboutant la société Armor-Protection de sa demande en nullité de l'expertise sans rechercher si la contradiction aurait permis d'établir si M. A... avait été chargé de l'entretien de l'installation avant la survenance du sinistre, la cour d'appel n'a pas donné de base légale au regard des articles 16 et 242 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu

que l'expert, qui recueille des informations orales ou écrites d'une personne conformément à l'article 242 du nouveau Code de procédure civile, n'est pas tenu d'entendre cette personne en présence des parties ; que, retenant que les conversations entre l'expert et M. A..., électricien, au sujet des constatations que celui-ci avait opérées après le sinistre et qui ne constituaient pas un avis au sens de l'article 278 du même code, étaient relatées dans le rapport d'expertise, et qu'aucun élément n'établissait que cet électricien eût été chargé de l'entretien de l'installation avant la survenance du sinistre, la cour d'appel a légalement justifié sa décision d'écarter la demande d'annulation de l'expertise ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur les deuxième et troisième moyens

, pris en leurs diverses branches et réunis, du même pourvoi incident :

Attendu que la société

Armor-Protection reproche encore à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en imposant, pour statuer de la sorte, à l'installateur d'un système d'alarme une obligation de résultat consistant à garantir à l'acheteur qu'en toute hypothèse, en cas d'effraction, le signal d'alerte se déclenchera aussitôt automatiquement, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ; alors d'autre part, qu'en toute hypothèse, l'obligation de résultat emporte une présomption de causalité entre la prestation fournie et le dommage invoqué ; qu'après avoir établi le caractère hypothétique des causes de la panne de l'alarme survenue trois ans après l'installation du système et après avoir constaté que le bijoutier s'était refusé à souscrire un contrat d'entretien, susceptible de permettre le dépistage des défaillances et de pallier l'absence de sirène de secours du système le plus simple qu'il avait délibérément choisi, la cour d'appel devait en déduire que ces circonstances étaient suffisantes pour renverser la présomption de causalité ; qu'en s'y refusant la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ; et alors, en outre, qu'en laissant incertaines les causes de la panne de la sirène que la société Armor-Protection imputait, par manque d'entretien, à un niveau insuffisant d'eau dans la batterie sans rechercher comme elle y était invitée, si le signal déclenché par l'effraction avait mis en marche les lumières clignotantes et si la sirène avait parfaitement fonctionné après qu'il ait été remis de l'eau dans la batterie, la cour d'appel n'a pu légalement justifier sa décision au regard de l'article 1147 du Code civil ; alors enfin, que l'installateur d'un système d'alarme déficient n'est tenu de réparer que les seules conséquences dommageables du manquement relevé à son obligation contractuelle, dont l'objet était l'installation d'un appareil destiné à déclencher un signal d'alerte et non à empêcher le vol lui-même ; qu'en l'espèce, il résulte des énonciations de l'arrêt qu'il a été alloué à la société Keruzec-Mear des dommages-intérêts calculés sur la valeur totale des marchandises volées augmentée des diverses réparations supportées par celle-ci ; qu'en retenant de la sorte que le préjudice consistait non dans la perte d'une chance mais dans les conséquences dommageables du vol, la cour d'appel a violé l'article 1149 du Code civil ;

Mais attendu

, en premier lieu, que l'arrêt retient que la société Kéruzec-Mear avait confié à la société Armor-Protection la mise en place d'un système d'alarme la protégeant contre le vol, le signal d'alerte devant, en cas d'effraction, se déclencher aussitôt automatiquement ; qu'ayant relevé que, lors du vol, la sirène d'alarme n'avait pas fonctionné et que la société Armor-Protection ne prouvait pas que cette carence était due à un défaut d'entretien de la batterie, la cour d'appel a décidé à juste titre que la société Armor-Protection avait manqué à son obligation contractuelle envers la société Keruzec-Mear ; Attendu, en deuxième lieu, que la cour d'appel n'a pas considéré que ce manquement était la cause exclusive du dommage, mais a au contraire retenu que la société Keruzec-Mear avait elle-même concouru à sa réalisation en refusant de souscrire un contrat d'entretien susceptible de permettre de déceler les défaillances du système, et qu'elle a mis une part de responsabilité à la charge de cette société ; Attendu, en troisième lieu, que, contrairement à l'allégation du moyen, l'arrêt retient que, la pose du système d'alarme étant simplement de nature à rendre plus difficile un vol, le préjudice causé par la défaillance de la société Armor-Protection consiste en la perte d'une chance d'éviter le vol, préjudice distinct que la cour d'appel n'a pas fixé à la valeur des marchandises volées ; D'où il suit qu'aucun des griefs des moyens n'est fondé ;

Mais sur le premier moyen

du pourvoi principal :

Vu

les articles 35 et 40 de la loi du 13 juillet 1967 et l'article 55 du décret du 22 décembre 1967 ;

Attendu que, pour déclarer recevable

la demande de la société Keruzec-Mear à l'égard de la société Le Joncour et "fixer la créance sur le règlement judiciaire" de celle-ci, l'arrêt énonce que la règle de la suspension des poursuites en raison du règlement judiciaire ne fait pas obstacle aux actions tendant à voir reconnaître le principe de la responsabilité d'une entreprise dès lors que cette règle ne s'applique qu'aux poursuites tendant au paiement des sommes d'argent, et que la société Keruzec-Mear a produit entre les mains du syndic ;

Attendu qu'en statuant ainsi

, alors que la demande tendait, pour une cause antérieure au jugement prononçant le règlement judiciaire de la société Le Joncour, à la reconnaissance de sa responsabilité, ce dont il résultait que cette demande était soumise aux exigences de la procédure collective, et que les juges du second degré n'auraient pu fixer éventuellement la créance que si la juridiction saisie de la production au passif du règlement judiciaire leur avait renvoyé l'affaire à cette fin, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS

, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi principal : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré recevable l'action de la société Keruzec-Mear à l'encontre de la société Le Joncour et fixé la créance de la société Keruzec-Mear sur le règlement judiciaire de la société Le Joncour, l'arrêt rendu le 24 mai 1989, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ; Condamne les défenderesses au pourvoi principal, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ; Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Rennes, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du deux mars mil neuf cent quatre vingt treize.