Cour de cassation, Chambre criminelle, 12 juin 2007, 06-84.153

Synthèse

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2007-06-12
Cour d'appel d'ANGERS, chambre correctionnelle
2006-03-09

Texte intégral

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le rapport de Mme le conseiller ANZANI, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, et de Me HEMERY, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MOUTON ;

Statuant sur le pourvoi formé par

: - X... Alain, contre l'arrêt de la cour d'appel d'ANGERS, chambre correctionnelle, en date du 9 mars 2006, qui, pour homicide involontaire, l'a condamné à 10 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ; Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen

de cassation, pris de la violation des articles 74, alinéa 3, 591 et 593 du code de procédure pénale ; "en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de l'expertise et de l'ensemble de la procédure, tirées du défaut de prestation de serment de Michel Y..., expert non inscrit sur une liste prévue à l'article 157 du code de procédure pénale ; "aux motifs que le ministère public dans ses réquisitions désignant Noël Z... et Michel Y..., a visé, notamment les articles 60, 74, 75 à 77-1 du code de procédure pénale, concernant les constations et examens techniques et scientifiques dans le cadre de l'enquête effectuée sous la direction du parquet ; que l'article 74 du code de procédure pénale demande simplement que l'expert non inscrit prête serment ce qui a bien été le cas de Michel Y... ; qu'une prestation de serment de ce technicien, en date du 26 mai 2003, figure bien au dossier ; qu'en raison du cadre juridique dans lequel les recherches en cause ont été demandées et effectuées, aucune nullité tirée d'un non respect des règles concernant l'expertise n'est susceptible de les affecter ; "alors que, selon les dispositions des articles 74 et 160 du code de procédure pénale, lorsque l'expert appelé par le procureur de la République ne figure pas sur les listes prévues à l'article 157, il doit prêter serment par écrit, préalablement à l'accomplissement de sa mission ; que l'obligation de prêter serment est prescrite à peine de nullité de l'expertise ; qu'en l'espèce, comme le soutenait les conclusions des prévenus et ainsi que cela est établi par le jugement de première instance, la prestation de serment écrite de Michel Y..., expert non inscrit, désigné par le procureur de la République ne figurait pas au dossier de la procédure mais avait été produite par l'expert à la barre du tribunal lors de l'audience où était soulevée et débattue l'exception de nullité de l'expertise ; que la cour d'appel ne pouvait donc se borner à affirmer que la prestation de serment figurait bien au dossier dès lors que cette production tardive devant le tribunal établi au contraire qu'elle n'y était pas lors de l'accomplissement de la mission ni lors du dépôt du rapport et ne peut en conséquence établir que cette formalité d'ordre public et édictée dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice a été respectée ; que dès lors, la cour d'appel ne pouvait refuser d'annuler le rapport d'expertise ainsi que toute la procédure subséquente" ;

Attendu que, pour refuser

d'annuler le rapport du technicien requis par le procureur de la République en application de l'article 60 du code de procédure pénale, l'arrêt relève que la prestation de serment de cet expert, non inscrit, antérieure au rapport effectué, figure bien au dossier ; Attendu qu'en l'état de ces motifs et dès lors qu'il résulte des énonciations du jugement qu'elle confirme que le document écrit attestant de la prestation de serment à la date susvisée a été produit à la barre du tribunal, la cour d'appel a justifié sa décision au regard de l'article 60 du code de procédure pénale ; Que le moyen ne peut qu'être écarté ;

Sur le deuxième moyen

de cassation, pris de la violation des articles 388, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale ; "en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité du jugement pour excès de pouvoir résultant d'un dépassement du cadre de la saisine, puis condamné Alain X..., sur l'action publique, à une amende de 10 000 euros et, sur l'action civile, à payer des dommages-intérêts aux parties civiles, après l'avoir reconnu coupable d'atteinte involontaire à la vie d'autrui ; "aux motifs, d'une part, qu'un examen attentif du jugement montre qu'il n'a pas substitué des faits à d'autres sans l'acceptation des prévenus ; que si le tribunal a considéré que le rapport de l'APAVE était de nature à dédouaner en quelques sorte les prévenus, qui avaient là au moins, fait procéder à des vérifications et diligences préalables, il a évoqué d'autres éléments de nature à engager la responsabilité des prévenus dans le cadre de la prévention qui n'a aucunement été modifiée, à savoir un homicide involontaire sur la personne de Patrice A... ; que la référence dans la discussion à l'article L. 230-2 du code du travail ne constitue ni un changement de prévention ni un changement de fondement juridique, puisqu'il ne s'agit pas d'un article d'incrimination définissant une infraction quelconque et sa répression mais d'un article rappelant les obligations générales de l'employeur à l'égard des salariés de l'entreprise ou y intervenant et énonçant différents moyens pour protéger la santé physique et mentale de ceux-ci ainsi que leur sécurité ; qu'il n'y a là aucune requalification de fait, ni changement de prévention et donc aucune nullité du jugement pour ce motif (arrêt p.9) ; "alors que, pour retenir la culpabilité d'Alain X..., les premiers juges lui ont reproché de ne pas avoir établi une notice complète sur le mode opératoire des travaux d'alignement, de n'avoir pu ignorer les " pratiques " utilisées par la victime qui avait neutralisé le système de sécurité ; qu'il appartenait au chef d'entreprise de vérifier ou faire vérifier le respect des règles de sécurité ; que le prévenu n'a pas accompli les diligences normales qui lui incombaient ; qu'aucun de ces faits n'étaient visés par le prévention qui reprochait seulement au prévenu de ne pas avoir respecté le décret n° 2000-810 en laissant la victime intervenir sur des appareils ne correspondant pas aux normes européennes ; que, dès lors, en refusant d'annuler le jugement l'arrêt attaqué a violé les articles visés au moyen ; "et aux motifs propres et adoptés, d'autre part, que le rapport d'expertise permet de comprendre que plusieurs causes sont intervenues dans la réalisation de l'accident : une erreur de conception imputable au constructeur (hors de cause en raison de l'inapplication à la cause du décret n° 2000-810 du 24 août 2000 obligeant les constructeurs à prévoir notamment un refuge pour éviter les risques d'écrasement), une imprudence de Patrice A... (la neutralisation des systèmes de sécurité), une faute d'Alain X... (arrêt, p.12) ; qu'en vertu de l'article L. 320-2 du code du travail qui fait peser une obligation de résultat sur l'employeur, ce dernier devait envisager le pire, c'est-à-dire l'accès sur le toit de l'ascenseur des techniciens et devait prévoir, pour éviter ce risque, d'établir une notice de sécurité complète intégrant le mode opératoire conforme à la réalisation des travaux rendus nécessaires pour le bon fonctionnement de l'appareil ; que si Patrick A... a utilisé cette méthode, c'est parce qu'il n'en connaissait pas d'autre et que ce devait être pour lui une pratique habituelle ; qu'il résulte du rapport d'expertise que les techniciens échangent des renseignements sur leurs pratiques, que l'un d'eux rapporte une technique ayant trait au système de " shunte " de la sécurité de la trappe, ce qui contribue à renforcer l'idée d'une pratique professionnelle qui paraît tolérée jusqu'au chef d'entreprise qui fait courir des risques aux salariés d'où la nécessité de l'élaboration d'une notice appropriée pour combattre à la base les techniques inappropriées utilisées par nombre de salariés ; que la tolérance de ces pratiques, qui ne pouvait être ignorées par le chef d'entreprise, contribue à la généralisation du non-respect des règles de sécurité ; qu'il s'ensuit que le prévenu n'a pas accompli les diligences normales qui lui incombaient (jugement, p.14) ; que la connaissance du problème de l'écrasement était connue d'Alain X... puisqu'il avait été mis à l'ordre du jour du CHSCT Province un an avant l'accident ; qu'ainsi en laissant Patrice A... intervenir seul sur un ascenseur dont les problèmes de fonctionnement étaient connus, donc les risques et en n'ayant pas pris les mesures qui s'imposaient, que ce soit au niveau technique, ou au niveau de notices d'intervention, Alain X... a commis une faute caractérisée dans les termes de l'article 121-3 du code pénal (arrêt, pp.12-13) ; "alors que les juges correctionnels ne peuvent statuer légalement que sur les faits relevés dans l'ordonnance de renvoi ou la citation qui les a régulièrement saisis ; que la société Thyssen Krupp Elevator Manufacturing France et son dirigeant, Alain X..., étaient prévenus d'avoir involontairement causé la mort de Patrice A... en ne respectant pas les dispositions du décret n° 2000-810 du 24 août 2000, notamment l'article 3 et le point 2-2 de l'annexe I du décret susvisé, en le laissant intervenir sur des appareils ne répondant pas aux normes européennes de sécurité applicables à ce type d'appareil ; que la cour d'appel a relaxé la personne morale en retenant justement que le décret précité n'était pas applicable à l'espèce et que les faits dont elle était saisie ne pouvaient valablement fonder les poursuites ; qu'elle est pourtant entrée en voie de condamnation contre le dirigeant, poursuivi sous la même prévention en lui reprochant de n'avoir pas prévu une notice appropriée pour éviter le risque qui s'est réalisé et d'avoir laissé la victime intervenir seule ; que ce faisait, la cour d'appel, statuant sur des faits distincts de ceux compris dans la citation, a, à son tour, excédé l'étendue de la saisine" ;

Sur le troisième moyen

de cassation, pris de la violation des articles L. 121-3 et 221-6 du code pénal et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ; "en ce que l'arrêt attaqué a condamné Alain X..., sur l'action publique, à une amende de 10 000 euros et, sur l'action civile, à payer des dommages-intérêts aux parties civiles, après l'avoir reconnu coupable d'atteinte involontaire à la vie d'autrui ; "aux motifs que le rapport d'expertise permet de comprendre que plusieurs causes sont intervenues dans la réalisation de l'accident : une erreur de conception imputable au constructeur (hors de cause en raison de l'inapplication à la cause du décret n° 2000-810 du 24 août 2000 obligeant les constructeurs à prévoir notamment un refuge pour éviter les risques d'écrasement), une imprudence de Patrice A... (la neutralisation des systèmes de sécurité), une faute d'Alain X... (arrêt, p.12) ; qu'en vertu de l'article L. 320-2 du code du travail qui fait peser une obligation de résultat sur l'employeur, ce dernier devait envisager le pire, c'est-à-dire l'accès sur le toit de l'ascenseur des techniciens et devait prévoir, pour éviter ce risque, d'établir une notice de sécurité complète intégrant le mode opératoire conforme à la réalisation des travaux rendus nécessaires pour le bon fonctionnement de l'appareil ; que si Patrice A... a utilisé cette méthode, c'est parce qu'il n'en connaissait pas d'autre et que ce devait être pour lui une pratique habituelle ; qu'il résulte du rapport d'expertise que les techniciens échangent des renseignements sur leurs pratiques, que l'un d'eux rapporte une technique ayant trait au système de " shunte " de la sécurité de la trappe, ce qui contribue à renforcer l'idée d'une pratique professionnelle qui paraît tolérée jusqu'au chef d'entreprise qui fait courir des risques aux salariés d'où la nécessité de l'élaboration d'une notice appropriée pour combattre à la base les techniques inappropriées utilisées par nombre de salariés ; que la tolérance de ces pratiques, qui ne pouvait être ignorées par le chef d'entreprise, contribue à la généralisation du non-respect des règles de sécurité ; qu'il s'ensuit que le prévenu n'a pas accompli les diligences normales qui lui incombaient (jugement, p.14) ; que la connaissance du problème de l'écrasement était connue d'Alain X... puisqu'il avait été mis à l'ordre du jour du CHSCT Province un an avant l'accident ; qu'ainsi, en laissant Patrice A... intervenir seul sur un ascenseur dont les problèmes de fonctionnement étaient connus, donc les risques et en n'ayant pas pris les mesures qui s'imposaient, que ce soit au niveau technique, ou au niveau de notices d'intervention, Alain X... a commis une faute caractérisée dans les termes de l'article 121-3 du code pénal (arrêt, pp.12-13) ; "1 ) alors qu'après avoir énoncé que le décret n 2000-810 imposant la mise en oeuvre de mesures techniques n'était pas applicable à l'espèce et ne pouvaient fonder les poursuites, la cour d'appel ne pouvait affirmer que la faute caractérisée d'Alain X... résulterait du défaut de mise en oeuvre de telles mesures sans préciser en quoi consisterait l'omission reprochée à Alain X... ; que la cour d'appel a ainsi entaché sa décision d'un défaut de motifs ; "2 ) alors que la faute caractérisée, constitutive du délit d'atteinte involontaire à la vie d'autrui commis par une personne physique, auteur indirect du dommage, doit être d'une particulière gravité et témoigner d'une désinvolture patente de son auteur ; qu'en considérant qu'Alain X... avait commis une telle faute en manquant à l'obligation de sécurité de résultat, cependant que son employé a dû, pour mettre sa vie en danger, neutraliser les différents systèmes de sécurité équipant l'ascenseur, la cour d'appel n'a pas relevé à son encontre une désinvolture patente témoignant d'une faute caractérisée ; "3 ) alors qu'en énonçant que la pratique de la neutralisation des systèmes de sécurité par les techniciens de la société " paraissait " tolérée par la direction et que ce " devait " être également le cas pour la victime, la cour d'appel s'est prononcée par un motif dubitatif impropre à caractériser la commission par le prévenu d'une faute caractérisée exposant autrui à un risque qu'il ne pouvait ignorer" ; Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte

de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que Patrice A..., employé en qualité de responsable technique montage par la société Thyssen Krupp Ascenseurs (TKA) dont le directeur général est Alain X..., a trouvé la mort sur un chantier d'installation de deux ascenseurs, son corps ayant été découvert écrasé entre le toit d'une cabine d'ascenseur et le cylindre métallique renfermant le moteur de l'appareil ; qu'à la suite de ces faits, Alain X... ainsi que la société Thyssen Krupp Elevator Manufacturing France, fabricant des appareils, ont été cités devant le tribunal correctionnel pour homicide involontaire ; Attendu que, pour déclarer Alain X... coupable d'homicide involontaire, la cour d'appel, après avoir écarté des fins de la poursuite la société Thyssen Krupp Elevator Manufacturing aux motifs que le décret du 24 août 2000 visé à la prévention n'est applicable que lors de la mise sur le marché de l'ascenseur, et avoir relevé que le prévenu était poursuivi en tant que personne physique, dirigeant de la société TKA, employeur de Patrice A..., énonce, notamment, que les problèmes posés par les nouveaux ascenseurs étaient connus d'Alain X... puisque ce dernier, avant l'accident dont Patrice A... a été victime, avait écrit au secrétaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditons de travail Province pour faire part des difficultés rencontrées et envisager les moyens de nature à y remédier, et qu'ainsi, en laissant Patrice A... intervenir seul sur un ascenseur dont les problèmes de fonctionnement et les risques étaient connus, et en n'ayant pas pris les mesures qui s'imposaient, Alain X... a commis une faute caractérisée dans les termes de l'article 121-3 du code pénal ; Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas excédé sa saisine, a justifié sa décision tant au regard de l'article 121-3 que de l'article 221-6 du code pénal visés à la prévention ; D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ; Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme qu'Alain X... devra payer à Sophie A... au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ; Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ; Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Cotte président, Mme Anzani conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ; Greffier de chambre : Mme Randouin ; En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;