COUR D'APPEL DE PARIS Pôle 5 - Chambre 2ARRET DU 27 MAI 2011
(n° 136, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/15215.
Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Juillet 2010Tribunal de Grande Instance de PARIS3ème Chambre 4ème SectionRG n° 09/10879.
APPELANTE :S.A.R.L.
COTE COEURprise en la personne de son gérant,ayant son siège social[...]75002 PARIS,représentée par la SCP BASKAL CHALUT-NATAL, avoués à la Cour,assistée de Maître Ingrid Z plaidant pour le Cabinet HOFFMAN, avocat au barreau de PARIS, toque C 610.
INTIMÉE :S.A.R.L.
VANITEXprise en la personne de son représentant légal, ayant son siège[...]75002 PARIS,représentée par la SCP TAZE-BERNARD BELFAYOL BROQUET, avoués à la Cour,assistée de Maître Charlotte GALICHET plaidant pour le Cabinet CHAMPAGNER KATZ, avocat au barreau de PARIS, toque C 1864.
COMPOSITION DE LA COUR :En application des dispositions des articles 786 et 910 - 1er alinéa du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 6 avril 2011, en audience publique, devant Madame NEROT, conseillère chargée du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :Monsieur GIRARDET, président,Madame REGNIEZ, conseillère, Madame NEROT, conseillère.
Greffier lors des débats : Monsieur NGUYEN.
ARRET
:
Contradictoire,- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article
450 du Code de procédure civile.
- signé par Monsieur GIRARDET, président, et par Monsieur NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.
La société à responsabilité limitée
Côté Coeur qui a pour activité, selon son extrait Kbis, la vente de vêtements et tout article s'y rattachant, se présente comme d'une excellente notoriété, diffusant ses créations 'à travers' la dénomination 'Goa' et comme ayant créé, dans le courant de l'année 2007, le modèle de tunique référencé 'boubou' qui a fait l'objet d'un dépôt Fidealis, n° FR147717, le 27 mai 2008.
Indiquant s'être aperçue que la société
Vanitex, avec laquelle elle avait entretenu plusieurs mois durant des relations commerciales qui ont permis à cette dernière de commander, massivement et à plusieurs reprises, ce modèle de tunique 'boubou' et de le vendre dans son réseau, commercialisait, après rupture de leurs relations, un modèle reproduisant, selon elle, servilement cette tunique 'boubou', elle l'a vainement mise en demeure, le 21 avril 2009, de cesser ces agissements puis l'a assignée en contrefaçon et en concurrence déloyale et parasitisme.
Par jugement rendu le 08 juillet 2010, le tribunal de grande instance de Paris a déclaré la société
Côté Coeur irrecevable en son action au titre de la contrefaçon, l'a déboutée de sa demande au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, a débouté la société
Vanitex de sa demande indemnitaire reconventionnelle pour procédure abusive en condamnant la société
Côté Coeur à verser à cette dernière la somme de 7.000 euros en application de l'article
700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
Par dernière conclusions signifiées le 24 mars 2011, la société à responsabilité limitée
Côté Coeur, appelante, demande à la cour, au visa des Livres I, III et V du code de la propriété intellectuelle et de l'article
1382 du code civil, d'infirmer le jugement déféré à l'exception de ses dispositions relatives à la demande reconventionnelle, et :- de dire qu'elle est titulaire des droits de création portant sur le modèle 'boubou', digne de bénéficier de la protection du code de la propriété intellectuelle,
- de dire qu'en commercialisant les articles reproduisant à l'identique l'intégralité des caractéristiques de sa création, la société
Vanitex s'est rendue coupable d'acte de contrefaçon au sens des articles
L111-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle,
- de dire qu'elle s'est également rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et parasitaire à son préjudice, au sens de l'article
1382 du code civil,
- de condamner, en conséquence, la société
Vanitex à lui verser :* la somme de 30.000 euros en réparation du préjudice subi au titre de la contrefaçon,* la somme de 40.000 euros à titre de dommages-intérêts pour actes de concurrence déloyale,* celle de 10.000 euros par application de l'article
700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens,
- de faire interdiction à la société
Vanitex de poursuivre la vente, l'exposition, l'implantation, la fabrication et la commercialisation des articles contrefaisants, sous astreinte de 200 euros par pièce contrefaisante à compter du jour de la signification de la décision,
- d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois journaux de son choix, aux frais de l'intimée et sans que le coût total de ces insertions n'excède la somme totale de 30.000 euros HT, outre l'affichage de cette décision sur la porte d'entrée des magasins de la société
Vanitex, pendant une durée d'un mois à compter de la signification de la décision, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard et par magasin.
Par dernières conclusions signifiées le 28 janvier 2011, la société à responsabilité limitée
Vanitex demande à la cour, sous mêmes visas :- de confirmer le jugement entrepris, sauf en ses dispositions portant sur sa demande reconventionnelle, et, constatant le caractère abusif des procédures engagées, de condamner l'appelante à lui verser la somme indemnitaire de 20.000 euros,
- en tout état de cause, de débouter la société
Côté Coeur de l'ensemble de ses prétentions en la condamnant à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de ses frais non répétibles et à supporter tous les dépens.
SUR CE,
Sur la fin de non-recevoir opposée à la société
Côté Coeur :Considérant que, formant appel incident, la société
Vanitex soutient que si l'appelante rapporte la preuve de la commercialisation du modèle de tunique revendiqué, elle ne prouve pas, alors qu'elle y est tenue, sa qualité d'auteur de cette oeuvre, arguant, à travers la critique des pièces versées aux débats, de l'absence d'information sur le processus de création et du caractère inapplicable de la présomption de titularité des droits qui s'évince de l'article
L 113-1 du code de la propriété intellectuelle ;
Que la société
Côté Coeur se prévaut de trois fiches techniques lui permettant d'établir le processus de création du modèle 'boubou' à la date du 16 juin 2007, de factures établissant un lien entre le modèle créé et le modèle divulgué sous le nom de 'Goa', d'un dépôt Fidéalis du 27 mai 2008, ainsi que de factures d'achat et d'attestations qui sont autant de pièces probantes extérieures justifiant de sa qualité à agir ;
Considérant, ceci exposé, qu'en l'absence de revendication du ou des auteurs, l'exploitation d'une oeuvre par une personne morale sous son nom fait présumer, à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l'oeuvre, qu'elle soit ou non collective, du droit de propriété incorporelle de l'auteur ;
Que, s'agissant d'une présomption simple - qui se définit comme l'induction par laquelle on remonte d'un fait connu à un fait contesté et qui peut être renversée par la preuve contraire -, pour que cette personne morale puisse se prévaloir de la présomption de titularité des droits patrimoniaux de l'auteur, il lui appartient d'établir
la commercialisation, non équivoque, sous son nom, du modèle tel que revendiqué, de préciser la date à laquelle elle fait remonter ses droits et de justifier des caractéristiques du modèle lorsqu'elle en a entrepris la commercialisation ; qu'elle ne la dispense pas de préciser, si les faits de commercialisation se révèlent équivoques, les conditions dans lesquelles elle est investie de droits patrimoniaux ;
Considérant qu'en l'espèce, la SARL
Côté Coeur verse aux débats une fiche- présentation n° 031, à laquelle sont associées une fiche technique et une fiche consommation, portant les mentions 'date : 16/06/2007", 'modèle : Bou Bou' et 'saison : été 2008" sur lesquels figurent les prénoms du styliste (Boris) et du modéliste (Marina) ; qu'elles ne donnent pas à voir un croquis mais des photographies présentant le produit fini qui sont accompagnées d'un échantillon de tissu et du galon destiné à resserrer la tunique ;
Que ces documents internes sont sans date certaine et ne supportent aucune mention se rapportant à la société Côté C'ur ou au signe 'Goa' sous lequel le caftan revendiqué a été commercialisé ;
Que le document daté du 19 janvier 2011 versé en cause d'appel (pièce 16) aux termes duquel Boris R déclare avoir créé, en 2007, à la demande et pour le compte de cette société à qui il a cédé ses droits, le modèle 'boubou lurex' n'emporte pas la conviction dès lors que cette 'attestation' ne satisfait pas aux exigences formelles de l'article 202 du code procédure civile, qu'aucune pièce ne vient, en outre, justifier de la cession dont il est fait état et qu'il peut être relevé que la société
Côté Coeur ne répond pas aux arguments que lui oppose l'intimée tenant au fait que, selon ses statuts, son extrait Kbis et la fiche-entreprise Infogreffe, elle a pour seule activité 'la vente de vêtements et de tous articles s'y rattachant, l'activité de forain' et ne compte dans ses effectifs qu'un seul salarié (pièces 34 et 35 de l'intimée) ;
Qu'il en va de même de l'horodatage effectué par la société Fidéalis, le 27 mai 2008, qui, comme en a jugé le tribunal, est seulement déclaratif et non attributif de propriété et ne suffit donc pas pour attribuer la création d'un modèle à la société déposante ;
Qu'il convient, de plus, de relever qu'aucune pièce ne permet de connaître les modalités de mise en fabrication du modèle revendiqué ;
Que par ailleurs, se prévalant de la présomption de titularité des droits sus-évoquée, la société
Côté Coeur entend justifier, par des documents extérieurs à son entreprise, d'une commercialisation non équivoque de ce modèle ;
Qu'il ressort de leur examen que les factures manuscrites et peu lisibles produites ne sont pas accompagnées de bons de commande, que la première d'entre elles est datée d'avril 2008 (soit près d'un an après la date à laquelle le modèle aurait été créé) et, ainsi que l'a relevé le tribunal, qu'elles sont étrangement datées (la facture n°18 étant datée du 15 septembre 2008 et la facture n° 55 du 02 mai 2008) ;
Que les attestations émanant de sociétés déclarant reconnaître dans la photographie du modèle 'boubou' le produit qui leur a été facturé par la société
Côté Coeur ne permettent pas à cette dernière d'affirmer qu'elle a commercialisé, sans équivoque, ce modèle ;
Qu'il est, en effet, constant que sa commercialisation a été réalisée sous le nom de 'Goa', qu'il ressort des recherches entreprises auprès de l'INPI par la société
Vanitex que le titulaire de cette marque est une société de droit américain, Goapparel, sise à Los Angeles, et que l'appelante s'abstient de toute explication sur l'usage de cette marque ;
Qu'il suit qu'en raison de l'insuffisance des documents produits, la société
Côté Coeur ne peut se prévaloir de la titularité de droits sur le modèle de caftan référencé 'boubou' qu'elle revendique ;
Que le jugement sera, par conséquent, confirmé en ce qu'il a accueilli cette fin de non-recevoir en la déclarant irrecevable à agir en contrefaçon ;
Sur la concurrence déloyale et le parasitisme :Considérant que l'appelante, se prévalant de la création du modèle et de son originalité, reproche à la société
Vanitex d'avoir agi avec déloyauté en cessant de se procurer le modèle 'boubou' auprès d'elle et en commercialisant un modèle identique à celui-ci, créant ainsi un risque de confusion sur l'origine des produits, désorganisant sa propre entreprise qui tirait des profits réguliers (et pour partie de la société
Vanitex) du produit-phare que représentait ce modèle et détournant sa clientèle ;
Que tirant argument de la présentation, dans le catalogue de la société
Vanitex, de ce modèle décliné dans huit tissus différents, elle soutient que cette dernière, consciente du succès remporté par ce modèle qui lui avait coûté d'importants investissements humains et financiers pour le créer, le fabriquer et le commercialiser, a, sans fournir les mêmes efforts, tiré profit de cette valeur économique, ce qui caractérise un comportement parasitaire ;
Que, pour sa part, la société
Vanitex, soulignant la différence dans le choix des tissus, soutient qu'il n'existe aucun risque de confusion, au demeurant non caractérisé par l'appelante, sur l'origine des produits opposés, que le fait de s'approvisionner chez un autre fournisseur n'est pas, en soi, fautif, qu'il n'y a pas non plus de faute à commercialiser un modèle dépourvu d'originalité et que la notoriété et les investissements invoqués au soutien du grief de parasitisme ne sont, à l'instar du préjudice, que prétendus, l'appelante se bornant à 'réciter des règles jurisprudentielles sans lien avec le litige' ;
Considérant, ceci exposé, que s'il n'est pas contesté que la société
Vanitex qui se fournissait auprès de la société
Côté Coeur depuis avril 2008, a mis fin à ses approvisionnements en septembre 2008, leur simple cessation relève du principe de la liberté du commerce et ne peut être qualifié de fautif ;
Qu'il s'évince de ce même principe qu'un produit qui ne fait pas l'objet de droits privatifs peut être librement reproduit, sauf à démontrer que cette reprise est susceptible de générer un risque de confusion dans l'esprit du public ;
Qu'elle n'en fait pas, au cas particulier, la démonstration ;
Que l'originalité prétendue de son modèle 'boubou' est inopérante pour caractériser un acte de concurrence déloyale ;
Que c'est, par conséquent, vainement qu'elle invoque le grief de concurrence déloyale ;
Considérant, s'agissant des faits de parasitisme par ailleurs reprochés à l'intimée, que les deux sociétés se trouvent en situation de concurrence sur le même marché si bien que c'est au regard de la concurrence déloyale et non du parasitisme commercial qu'il convient d'apprécier la responsabilité de la société
Vanitex, étant, au surplus, relevé que la société Côté C'ur ne démontre pas que ce modèle, par les efforts d'investissement qu'elle lui aurait consacrés, constituait, comme elle le prétend, son produit-phare l'identifiant aux yeux du public de sorte que l'intimée aurait recherché, en l'imitant, à détourner sa clientèle et à tirer profit de son succès ;
Qu'il suit que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de ce chef ;
Sur les mesures accessoires :Considérant qu'au soutien de sa demande en paiement de dommages-intérêts, la société
Vanitex fait valoir que l'appelante ne pouvait ignorer qu'elle ne détenait aucun droit sur le modèle qu'elle s'est contentée d'acquérir auprès d'un tiers et qu'elle a seulement cherché à s'arroger un monopole et à réaliser, à travers ses demandes indemnitaires, une opération financière ;
Que si toute faute dans l'exercice d'un droit est susceptible d'engager la responsabilité de son auteur, encore faut-il, pour engager sa responsabilité du fait d'une procédure abusive, qu'il ait eu conscience du caractère infondé de sa demande, ce qui n'est pas démontré au cas particulier en sorte que les prétentions de la société
Vanitex ne sauraient prospérer ;
Que l'équité commande, en revanche, de condamner la société
Côté Coeur à verser à l'intimée une somme complémentaire de 7.000 euros en application de l'article
700 du code de procédure civile ;
Que, déboutée de ce dernier chef de demande, l'appelante supportera les dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS
,Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
Condamne la société à responsabilité limitée
Côté Coeur à verser à la société à responsabilité limitée
Vanitex la somme complémentaire de 7.000 euros au titre de ses frais non répétibles ;
Condamne la société
Côté Coeur aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article
699 du code de procédure civile.