Cour de cassation, Deuxième chambre civile, 21 mai 2015, 14-14.873

Synthèse

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2015-05-21
Cour d'appel de Paris
2014-02-07

Texte intégral

Attendu, selon l'arrêt attaqué

, qu'ayant vendu les 23 et 25 septembre 2003 du matériel informatique à un client, la société Hewlett-Packard France (la société HP) en a confié le transport à la société Kuehne + Nagel (la société KN) depuis les locaux de celle-ci jusqu'au site du client ; que le 1er octobre 2003 à 5 heures, un chauffeur routier s'est présenté sur le quai de chargement de la société KN muni d'une lettre de voiture conforme à celles utilisées par cette dernière et a pris livraison du matériel ; qu'un second chauffeur s'étant présenté dans l'après-midi pour charger le matériel, une plainte pour vol a été déposée ; qu'un salarié de la société KN a été interpellé et reconnu coupable avec d'autres personnes, par un jugement d'un tribunal correctionnel du 21 février 2005, de complicité de vol aggravé de ce matériel et de participation à une association de malfaiteurs ; que la société HP a assigné en réparation de son préjudice la société KN sur le fondement de l'article 1384, alinéa 5, du code civil ; que cette dernière a appelé en garantie son assureur la société Allianz IARD ; Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen unique du pourvoi incident annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le moyen

unique du pourvoi principal :

Vu

l'article 1384, alinéa 5, du code civil ; Attendu qu'il résulte de ce texte que le commettant ne s'exonère de sa responsabilité que si son préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions ;

Attendu que pour débouter

la société HP de ses demandes, l'arrêt énonce que si la seule constatation d'une infraction pénale volontaire, autre que de négligence ou d'inattention de nature quasi délictuelle, ne suffit pas à établir les conditions de l'exonération du commettant, encore faut-il que l'action du préposé demeure inscrite dans les limites de sa fonction ; qu'il ressort de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel du 18 janvier 2005 que les faits ont été minutieusement préparés par un groupe d'individus parfaitement organisés avec des rôles clairement définis ; que l'instruction a mis en évidence que le vol avait été rendu possible par le préposé qui, par son emploi au sein de la société KN, avait eu accès aux informations sur les livraisons de marchandises et disposé de matériel appartenant à l'entreprise, des documents et un tampon encreur au nom de la société ayant été découverts à son domicile ; que toutefois, même s'il a profité des fonctions auxquelles il était employé pour réaliser les faits, l'action concertée à laquelle il a participé s'est produite en dehors du cadre de l'emploi qui lui était fixé par l'employeur et a nécessité des moyens matériels et humains extérieurs à l'entreprise ; que dès lors, les faits qualifiés de vol en réunion et par ruse, qui ont été commis en dehors de l'activité professionnelle du salarié et dans un intérêt strictement personnel et contraire à celui de son employeur, ne peuvent engager la responsabilité de ce dernier ;

Qu'en statuant ainsi

, par des motifs impropres à établir qu'en participant à l'organisation du vol le préposé s'était placé hors de ses fonctions, alors qu'il résultait de ses propres constatations que ce dernier avait trouvé dans son emploi l'occasion et les moyens de commettre sa faute ayant consisté, par un détournement d'informations et de matériel, à se rendre complice de ce vol, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS

: REJETTE le pourvoi incident ; CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit l'action de la société Hewlett-Packard France recevable, l'arrêt rendu le 7 février 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ; Condamne la société Kuehne + Nagel et la société Allianz IARD aux dépens ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Kuehne + Nagel, la condamne ainsi que la société Allianz IARD à payer à la société Hewlett-Packard France la somme globale de 3 000 euros ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un mai deux mille quinze

MOYENS ANNEXES

au présent arrêt Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, avocat aux Conseils, pour la société Hewlett-Packard France, demanderesse au pourvoi principal Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit l'action de la société HP France recevable mais mal fondée, d'AVOIR, en conséquence, infirmé en toutes ses dispositions le jugement déféré, et, statuant à nouveau, d'AVOIR débouté la société HP France de toutes ses demandes, rappelé que l'infirmation de la décision valait condamnation à restituer les sommes versées au titre de l'exécution provisoire, condamné la société HP France aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, et à verser à la société Kuehne & Nagel et à la société Allianz IARD la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du même code ; AUX MOTIFS QUE : « Sur le fond. Selon l'article 1384 alinéa 5 du code civil, le commettant est responsable du dommage causé par son préposé dans les fonctions auxquelles il l'a employé. Il résulte de ces dispositions que le commettant ne peut s'exonérer de sa responsabilité, s'agissant des actes commis par son préposé, que si ce dernier a agi en dehors de ses fonctions, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions. Si la seule constatation d'une infraction pénale volontaire, autre que de négligence ou d'inattention de nature quasi délictuelle, ne suffit pas à établir les conditions de cette exonération, encore faut-il que l'action du préposé demeure inscrite dans les limites de sa fonction. En l'espèce, il ressort de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel du 18 janvier 2005 que les faits ont été minutieusement préparés par un groupe d'individus parfaitement organisés avec des rôles clairement définis. L'instruction a mis en évidence que le vol avait été rendu possible par M. X... qui, par son emploi au sein de la société Kuehne & Nagel, avait eu accès aux informations sur les livraisons de marchandises et disposé de matériel appartenant à l'entreprise, des documents et un tampon encreur au nom de la société ayant été découverts à son domicile. Mais, même si le préposé a profité des fonctions auxquelles il était employé pour réaliser les faits, l'action concernée à laquelle il a participé s'est produite en dehors du cadre de l'emploi qui lui était fixé par l'employeur et a nécessité des moyens matériels et humains extérieurs à l'entreprise. Dès lors, les faits qualifiés de vol en réunion et par ruse, qui ont été commis en dehors de l'activité professionnelle du salarié et dans un intérêt strictement personnel et contraire à celui de son employeur, ne peuvent engager la responsabilité de ce dernier. Le jugement sera dès lors infirmé et la société Hewlett Packard France déboutée de ses demandes, l'appel en garantie de la société Kuehne & Nagel dirigée contre la société Allianz Iard devenant lui-même sans objet » ; 1°/ ALORS QUE le commettant ne s'exonère de la responsabilité encourue au titre du cinquième alinéa de l'article 1384 du code civil que si son préposé a commis la faute qui lui est reprochée hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation, et à des fins étrangères à ses attributions ; que ne commet pas un abus de fonction et engage ainsi la responsabilité de son employeur, le salarié qui trouve dans son emploi les moyens et l'occasion de commettre sa faute ; qu'en l'espèce, Monsieur X... avait été déclaré coupable, par un jugement définitif du tribunal correctionnel de Senlis, de complicité de vol au préjudice de la société HP France et d'association de malfaiteurs, puis avait été déclaré civilement responsable des préjudices subis par la société HP France de ce fait (v. conclusions de l'exposante, p. 6s) ; qu'en estimant que la société HP n'était pas fondée à agir en responsabilité contre la société Kuehne + Nagel, employeur de Monsieur X..., tout en constatant que, pour commettre les faits qui lui étaient reprochés, celui-ci avait « profité des fonctions auxquelles il était employé » et « que le vol avait été rendu possible par M. X... qui, par son emploi au sein de la société Kuehne & Nagel, avait eu accès aux informations sur les livraisons de marchandises et disposé de matériel appartenant à l'entreprise, des documents et un tampon encreur au nom de la société ayant été découverts à son domicile », ce dont il résultait que Monsieur X... avait trouvé dans son emploi l'occasion et les moyens de commettre les infractions qui engageaient sa responsabilité personnelle et, partant, celle de son employeur, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi l'article 1384 alinéa 5 du code civil ; 2°/ ALORS ENCORE QUE le commettant ne s'exonère de la responsabilité encourue au titre du cinquième alinéa de l'article 1384 du code civil que si son préposé a commis la faute qui lui est reprochée hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation, et à des fins étrangères à ses attributions ; que ne commet pas un abus de fonction et engage ainsi la responsabilité de son employeur, le salarié qui trouve dans son emploi les moyens et l'occasion de commettre sa propre faute ; qu'en exonérant la société Kuehne + Nagel de toute responsabilité pour les infractions commises par Monsieur X... au préjudice de la société HP France au motif que le vol lui-même avait nécessité des moyens humains et extérieurs à la société Kuene + Nagel et que cette action concertée « s'était produite en dehors du cadre de l'emploi » qui était fixé à Monsieur X... par son employeur, cependant que ces motifs étaient impropres à établir que Monsieur X..., en commettant les fautes qui lui étaient personnellement reprochées et qui engageaient sa responsabilité personnelle, s'était placé, à cette occasion, hors de ses fonctions, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1384 alinéa 5 du code civil. Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Kuehne + Nagel, demanderesse au pourvoi incident éventuel Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevable l'action de la société HP France contre la société Kuehne + Nagel ; Aux motifs que le dommage de la société Hewlett Packard France se trouve démontré par les factures émises en son nom les 23 et 25 septembre 2003, comportant une clause de réserve de propriété sur le matériel vendu jusqu'au règlement intégral, et les avoirs de même montant émis le 20 octobre 2003 emportant annulation des effets de la précédente transaction. La réalité de son préjudice commercial a en outre été reconnue par le jugement du tribunal correctionnel de Senlis qui a fait droit à sa demande d'indemnisation contre les auteurs du vol. Dès lors, la société Hewlett Packard France justifie bien d'un intérêt légitime au succès de ses prétentions ; (¿) que le délai de prescription d'un an édicté par l'article L. 133-6 du code de commerce s'applique aux actions auxquelles peut donner lieu le contrat de transport au titre d'une défaillance dans l'exécution des obligations résultant de cette convention ; que le jugement du tribunal de grande instance de Senlis du 21 février 2005 a pour sa part reconnu un droit à réparation de la société Hewlett Packard France sur un fondement délictuel pour le dommage causé par un acte pénalement qualifié de vol aggravé ; que la faute pénale ainsi retenue fait échec à la règle de non option des responsabilités ; que l'action de la société Kuehne + Nagel engagée sur le fondement de l'article 1384 alinéa 5 au titre de la responsabilité du commettant recherchée en raison de cette même faute sera jugée recevable ; 1) Alors que l'action d'un cocontractant en inexécution du contrat est régie exclusivement par les règles de la responsabilité contractuelle, peu important que le fait générateur de responsabilité présente le caractère d'une faute pénale ; qu'en écartant l'application de l'article L. 133-6 du code de commerce au profit du régime de la responsabilité délictuelle de la responsabilité du commettant du fait de leurs préposés, sans pour autant nier la nature contractuelle des rapports entre la société HP France et la société Kuehne + Nagel, au motif inopérant que le dommage résultait d'un acte pénalement qualifié de vol aggravé, la cour d'appel a violé le principe de non-cumul des responsabilité délictuelle et contractuelle, ensemble l'article L. 133-6 du code de commerce, par refus d'application, et 1384 alinéa 5 du code civil, par fausse d'application ; 2) Alors subsidiairement que la société Kuehne + Nagel faisait valoir, dans ses conclusions d'appel (p. 8), que la société HP France ne justifiait pas d'un intérêt à agir dès lors qu'elle ne démontrait pas avoir réglé à son fournisseur le prix des ordinateurs vendus à la société Ingram, et qu'il résultait des documents contractuels que la perte des marchandises était à la charge du fournisseur jusqu'à la livraison terminale, en sorte qu'elle n'avait subi aucun préjudice du fait du vol litigieux ; qu'en se bornant à relever, pour retenir l'intérêt à agir de la demanderesse, que la société HP France avait émis des factures des 23 et 25 septembre 2003 comportant une clause de réserve de propriété jusqu'à règlement intégral et des avoirs d'un même montant le 20 octobre 2003, la cour d'appel a statué par un motif impropre à établir l'intérêt à agir de la société HP France, et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 31 du code de procédure civile ; 3) Alors subsidiairement que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement et suppose que la chose demandée soit la même et que la demande soit entre les mêmes parties ; qu'en relevant que la réalité du préjudice commercial de la société HP France avait été reconnue par le jugement du tribunal correctionnel de Senlis du 21 février 2005 qui avait fait droit à sa demande d'indemnisation contre les auteurs du vol, quand ce jugement statuant sur les rapports entre la société HP France et les auteurs du vol et non pas sur ceux entre la société HP France et la société Kuehne + Nagel, n'avait pas autorité de la chose jugée dans la présente instance, faute d'identité de la chose demandée, la cour d'appel a violé les articles 1351 du code civil et 480 du code de procédure civile.