Cour de cassation, Deuxième chambre civile, 20 mai 2021, 20-12.571

Synthèse

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2021-05-20
Cour d'appel de Versailles
2019-11-14

Texte intégral

CIV. 2 CM COUR DE CASSATION ______________________ Audience publique du 20 mai 2021 Rejet M. PIREYRE, président Arrêt n° 449 F-D Pourvoi n° C 20-12.571 R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E _________________________ AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________ ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 MAI 2021 La société Inlex IP expertise, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 20-12.571 contre l'arrêt rendu le 14 novembre 2019 par la cour d'appel de Versailles (14e chambre civile), dans le litige l'opposant : 1°/ à Mme [W] [D], domiciliée [Adresse 2], 2°/ à la société Fidal, société d'exercice libéral par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], défenderesses à la cassation. La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt. Le dossier a été communiqué au procureur général. Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Inlex IP expertise, de la SCP Marc Lévis, avocat de Mme [D] et de la société Fidal, et l'avis de M. Girard, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mars 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 14 novembre 2019), la société Inlex IP expertise (la société Inlex), invoquant une exécution déloyale du contrat de travail et des actes de concurrence déloyale commis par sa salariée démissionnaire, Mme [D], a saisi, le 8 mars 2018, un conseil des prud'hommes à fin d'indemnisation. 2. Se prévalant des agissements, selon elle, déloyaux de Mme [D] à la suite de son embauche par la société Fidal, la société Inlex a, le 4 juillet 2018, sollicité, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la désignation d'un huissier de justice à fin d'investigations au domicile de celle-ci. 3. La requête de la société Inlex a été accueillie par une ordonnance du président d'un tribunal de grande instance du 4 juillet 2018, la mission de l'expert étant prorogée par une ordonnance du 7 août 2018. 4. Mme [D] a saisi le juge des référés d'une demande de rétractation de ces deux ordonnances. 5. Par ordonnance du 29 janvier 2019, le juge des référés a rétracté les deux ordonnances et annulé les opérations de saisie réalisées au domicile de Mme [D]. 6. La société Inlex a relevé appel de cette ordonnance.

Examen du moyen



Enoncé du moyen

7. La société Inlex fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance ayant rétracté les ordonnances des 4 juillet et 7 août 2018, d'annuler les opérations de saisie réalisées le 24 septembre 2018 au domicile de Mme [D] ainsi que le procès-verbal de constat d'huissier dressé au vu de ces saisies et d'ordonner à l'huissier instrumentaire de procéder à la restitution de l'ensemble des documents et fichiers obtenus lors des saisies pratiquées en interdisant toute communication et/ou utilisation des pièces saisies en exécution de ces ordonnances, alors « que la demande en réparation de faits de concurrence déloyale, d'ores et déjà soumise aux juges du fond n'est pas de nature à rendre irrecevable une demande de mesure d'instruction in futurum destinée à rechercher, en vue d'une instance distincte, la preuve d'autre faits distincts de concurrence déloyale ; qu'en l'espèce, la société Inlex, après avoir saisi le conseil de prud'hommes d'une action en réparation de faits de concurrence déloyale commis par Mme [D], notamment le détournement de certains clients expressément visés, a saisi le juge des requêtes d'une demande de mesure d'instruction in futurum aux fins de rechercher, en vue d'une instance distincte, la preuve d'autres faits constitutifs d'actes de concurrence déloyale, incluant d'autres détournements fautifs de clientèle, qui auraient été commis par Mme [D] ; qu'en se bornant à relever, pour retenir l'identité des faits, objet de la demande en réparation devant les juges du fond et dont la preuve est l'objet de la mesure d'instruction sollicitée, partant, dire irrecevable la requête, que la requête tendant à l'obtention d'une mesure d'instruction in futurum énonce que la société Inlex recherche des éléments de preuve relative aux agissements déloyaux suspectés de Mme [D] postérieurement à la cessation de son contrat de travail, ayant consisté en un détournement de clientèle par l'utilisation de documents et informations confidentielles de son ancien employeur, faits en tous points identiques à ceux visés dans la requête prud'homale, quand la circonstance que les éléments de preuve recherchés se rapportaient également à « des détournements de clientèle par l'utilisation de documents et informations confidentielles de son ancien employeur » n'était pas exclusive de détournements de clientèle distincts de ceux dont il était déjà demandé réparation, pour lesquels la preuve des faits était recherchée en vue d'une nouvelle instance, en conséquence ne pouvait justifier l'irrecevabilité de la requête, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 145 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

8. Il résulte de l'article 145 du code de procédure civile que constitue un obstacle à une mesure d'instruction in futurum l'existence d'une instance au fond ouverte au titre du même litige à la date de la requête. 9. Ayant relevé qu'il était établi qu'à la date du dépôt de la requête fondée sur l'article 145 précité, le 4 juillet 2018, un procès au fond devant le conseil de prud'hommes avait été engagé par la société Inlex, opposant les mêmes parties et ayant le même objet, les deux requêtes portant sur les mêmes faits postérieurs à la rupture du contrat de travail, c'est à bon droit que la cour d'appel a confirmé la rétractation des ordonnances des 4 juillet 2018 et 7 août 2018. 10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS

, la Cour : REJETTE le pourvoi ; Condamne la société Inlex IP expertise aux dépens ; En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Inlex IP expertise et la condamne à payer à Mme [D] et à la société Fidal la somme globale de 3 000 euros ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt mai deux mille vingt et un et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.

MOYEN ANNEXE

au présent arrêt Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Inlex IP expertise Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance rendue le 29 janvier 2019 ayant rétracté les ordonnances rendues sur requête les 4 juillet et 7 août 2018, annulé les opérations de saisie réalisées le 24 septembre 2018 au domicile de Mme [D] ainsi que le procès-verbal de constat d'huissier dressé au vu de ces saisies et ordonné à l'huissier instrumentaire de procéder à la restitution de l'ensemble des documents et fichiers obtenus lors des saisies pratiquées en interdisant toute communication et/ou utilisation des pièces saisies en exécution de ces ordonnances ; AUX MOTIFS QUE selon l'article 145 du code de procédure civile, « s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissible peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. » ; que le juge, saisi d'une demande de rétractation d'une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et tenu d'apprécier au jour où il statue les mérites de la requête, doit s'assurer de l'existence d'un motif légitime, au jour du dépôt de la requête initiale et à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui, à ordonner la mesure probatoire et des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement ; que l'absence d'instance au fond constitue une condition de recevabilité de la demande formée en application de l'article 145 du code de procédure civile et doit s'apprécier à la date de saisine du juge des requêtes ; que la société Inlex soutient que sa requête, en ce qu'elle tend à identifier d'éventuels manquements de Mme [D] au titre de ces agissements postérieurs à la cessation de son contrat de travail, est recevable, ces agissements ne relevant pas par nature du contentieux prud'homal, le conseil de prud'hommes saisi antérieurement au dépôt de la requête n'étant compétent que pour statuer sur des faits antérieurs à la rupture du contrat de travail ; qu'elle souligne encore que l'action au fond en concurrence déloyale, diligentée devant le tribunal de grande instance de Bobigny avant le dépôt de sa requête, ne concerne que la société Fidal et non Mme [D] ; que Mme [D] fait valoir au contraire que la société Inlex a saisi le conseil de prud'hommes de Paris pour des faits antérieurs et postérieurs à la rupture de son contrat de travail et en particulier d'une action concurrence déloyale à son encontre pour sanctionner des agissements qui seraient survenus après la cessation de son contrat de travail et qu'il importe peu, pour apprécier si la condition d'absence d'action au fond est remplie, que cette demande prospère devant la juridiction saisie ; que la société Inlex a déposé le 8 mars 2018 une requête devant le conseil de prud'hommes de Paris à l'encontre de Mme [D] en sollicitant, d'une part, des dommages-intérêts pour exécution déloyale de son contrat de travail et, d'autre part, des dommages-intérêts « pour faits constitutifs de concurrence déloyale », lui reprochant en substance d'avoir organisé son départ en concertation avec d'autres collaboratrices pour rejoindre le cabinet Fidal, ce départ s'étant accompagné d'un détournement majeur de sa clientèle au profit du cabinet concurrent par l'utilisation de son carnet d'adresses, de leur connaissance de sa stratégie commerciale et tarifaire et de ses informations confidentielles ; que, dans sa requête, la société Inlex énonce clairement qu'elle demande réparation des préjudices qu'elle a subis « du fait des agissements de la salariée au temps de l'exécution du contrat et postérieurement à la rupture du contrat » ; qu'or, la requête, déposée le 4 juillet 2018 devant le président du tribunal de grande instance de Nanterre, tendant à l'obtention d'une mesure d'instruction in futurum énonce que la société Inlex recherche des éléments de preuve relative aux agissements déloyaux suspectés de Mme [D] postérieurement à la cessation de son contrat de travail, ayant consisté en un détournement de clientèle par l'utilisation de documents et informations confidentielles de son ancien employeur dans la perspective d'un procès au fond en responsabilité civile délictuelle, faits en tous points identiques à ceux visés dans la requête prud'homale dont il importe peu qu'elle a été portée à la connaissance du juge des requêtes ; que, dès lors, il est établi qu'à la date du dépôt de sa requête fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, le 4 juillet 2018, un procès au fond devant le conseil de prud'hommes avait déjà été engagé par la société Inlex, opposant les mêmes parties ayant le même objet, les deux requêtes portant sur les mêmes faits postérieurs à la rupture du contrat de travail de Mme [D], peu important les chances de succès de la demande de la société Inlex devant la juridiction prud'homale ; qu'en conséquence, c'est à bon droit que le premier juge a rétracté les ordonnances critiquées pour ce motif, la requête déposée le 4 juillet 2018 devant le président du tribunal de grande instance de Nanterre étend irrecevable. Et AUX MOTIFS, adoptés du premier juge, QUE selon l'article 145 du code de procédure civile, « s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissible peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. » ; qu'en application des articles 149 497 du code de procédure civile, le juge peut à tout moment accroître ou restreindre l'étendue des mesures prescrites et dispose de la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l'affaire ; que le juge, saisi d'une rétractation d'une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et donc tenu d'apprécier au jour où il statue les mérites de la requête, doit s'assurer de l'existence d'un motif légitime à ordonner la mesure probatoire et de circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement ; qu'en l'espèce, il est établi que le conseil des prud'hommes de Paris a été saisi par la société Inlex dès le 8 mars 2018 d'une action aux fins de condamnation de Madame [D] à réparation des préjudices qu'elle a subis, du fait des agissements commis par cette salariée avec intention de nuire, tant au temps de l'exécution du contrat que postérieurement à la rupture du contrat, soit, d'une part, à 35 000 ? sur le fondement de l'exécution déloyale du contrat et, d'autre part, à 300 000 ? sur le fondement de la concurrence déloyale ; qu'il s'ensuit qu'au jour où les mesures d'instruction non contradictoires ont été sollicitées, une instance était déjà pendante entre les parties non seulement sur l'exécution fautive du contrat mais sur des faits de concurrence déloyale postérieurs à la rupture de son contrat de travail en vue de laquelle la mesure d'instruction était sollicitée, sans qu'il appartienne à la présente juridiction d'évaluer les chances de succès de ladite action notamment au regard de la compétence matérielle du conseil de prud'hommes ; que la condition, tenant au caractère préalable à tout procès, posée par l'article 145 du code de procédure civile faisant défaut, il y a lieu, par ce seul motif, de rétracter les ordonnances critiquées avec toutes conséquences de droit tel que détaillés au dispositif de la présente décision. ALORS QUE la demande en réparation de faits de concurrence déloyale, d'ores et déjà soumise aux juges du fond n'est pas de nature à rendre irrecevable une demande de mesure d'instruction in futurum destinée à rechercher, en vue d'une instance distincte, la preuve d'autre faits distincts de concurrence déloyale ; qu'en l'espèce, la société Inlex, après avoir saisi le conseil de prud'hommes d'une action en réparation de faits de concurrence déloyale commis par Mme [D], notamment le détournement de certains clients expressément visés, a saisi le juge des requêtes d'une demande de mesure d'instruction in futurum aux fins de rechercher, en vue d'une instance distincte, la preuve d'autres faits constitutifs d'actes de concurrence déloyale, incluant d'autres détournements fautifs de clientèle, qui auraient été commis par Mme [D] ; qu'en se bornant à relever, pour retenir l'identité des faits, objet de la demande en réparation devant les juges du fond et dont la preuve est l'objet de la mesure d'instruction sollicitée, partant, dire irrecevable la requête, que la requête tendant à l'obtention d'une mesure d'instruction in futurum énonce que la société Inlex recherche des éléments de preuve relative aux agissements déloyaux suspectés de Mme [D] postérieurement à la cessation de son contrat de travail, ayant consisté en un détournement de clientèle par l'utilisation de documents et informations confidentielles de son ancien employeur, faits en tous points identiques à ceux visés dans la requête prud'homale, quand la circonstance que les éléments de preuve recherchés se rapportaient également à « des détournements de clientèle par l'utilisation de documents et informations confidentielles de son ancien employeur » n'était pas exclusive de détournements de clientèle distincts de ceux dont il était déjà demandé réparation, pour lesquels la preuve des faits était recherchée en vue d'une nouvelle instance, en conséquence ne pouvait justifier l'irrecevabilité de la requête, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 145 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.