06/01/2023
ARRÊT
N°2023/2
N° RG 21/02553 - N° Portalis DBVI-V-B7F-OGYY
AB/AR
Décision déférée du 11 Mai 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de TOULOUSE ( F 19/00337)
J-C BARDOUT
ASSOCIATION FAMILIALE INTERCANTONALE (AFC)
C/
[E] [D]
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le
à Me
Sébastien HERRI
Me I.CANTALOUBE-FERRIEU
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 2
***
ARRÊT DU SIX JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANTE
ASSOCIATION FAMILIALE INTERCANTONALE (AFC)
prise en la personne de son représentant légal, domicilié ès qualités audit siège sis [Adresse 3] LA CONSEILLERE
Représentée par Me
Sébastien HERRI de la SELARL HERRI, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEE
Madame [E] [D]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me
Ingrid CANTALOUBE-FERRIEU, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant) et par Me
Pascal BABY, avocat au barreau de TOULOUSE (plaidant)
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles
786 et
907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant A. Pierre-Blanchard, conseillère chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C. Brisset, présidente
A. Pierre-Blanchard, conseillère
F. Croisille-Cabrol, conseillère
Greffier, lors des débats : A. Ravéane
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par C. Brisset, présidente, et par A. Ravéane, greffière de chambre
EXPOSÉ DU LITIGE :
Mme [E] [D] a été embauchée suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel à compter du 28 avril 2003 par l'Association Familiale Intercantonale (AFC) en qualité d'aide-ménagère.
La relation contractuelle s'est poursuivie selon contrat à durée indéterminée à temps complet à compter du 1er janvier 2004.
La convention collective nationale de la branche de l'aide, de l'accompagnement, des soins et des services à domicile du 21 mai 2010 est applicable.
A la suite d'un arrêt de travail, Mme [D] a passé une visite médicale de reprise auprès du médecin du travail le 4 avril 2011. Il a déclaré Mme [D] apte aux tâches ménagères, tout en prescrivant 'd'éviter la prise en charge de personnes dépendantes devant être mobilisées' et de 'privilégier le travail à domicile chez les mêmes personnes (éviter un changement trop fréquent)'.
Mme [D] a fait l'objet d'arrêts de travail pour maladie, notamment à compter du 23 août 2013 jusqu'au 31 janvier 2015.
En effet, le 23 août 2013, la salarié a chuté durant son temps de travail chez une cliente, en trébuchant contre l'aspirateur qu'elle manipulait, après avoir été psychologiquement déstabilisée par les propos que lui adressait une cliente, et qu'elle a estimés agressifs.
Un litige est né sur le caractère professionnel des lésions ayant entraîné l'arrêt maladie, la CPAM puis le pôle social ont refusé le caractère professionnel des lésions constatées ; toutefois ce refus a été infirmé par arrêt du 21 juin 2017, la présente cour ayant jugé que les lésions mentionnées sur le certificat médical établi le 23 août 2013 devaient être prises en charge par la caisse primaire d'assurance maladie au titre de la législation professionnelle.
Dès le 9 février 2015, le médecin du travail a déclaré Mme [D] 'inapte au poste définitivement' , ' peut occuper un poste avec alternance de position (assis/debout), sans port de charge, sans sollicitation répétée des membres supérieurs'.
Par lettre du 24 février 2015, Mme [D] a été convoquée à un entretien préalable à son licenciement fixé le 4 mars 2015.
Par lettre du 9 mars 2015, l'AFC a notifié à Mme [D] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Par requête en date du 3 août 2015, Mme [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse aux fins de contester son licenciement.
Le 1er février 2017, l'affaire a été radiée du rôle du conseil de prud'hommes de Toulouse, puis réinscrite à l'initiative de la salariée le 7 mars 2019.
A l'audience de jugement, le bureau s'est déclaré en partage de voix et a renvoyé l'examen de l'affaire en départage à l'audience du 25 mars 2021.
Par jugement de départition du 11 mai 2021, le conseil de prud'hommes de Toulouse a :
- rejeté l'exception de péremption,
- dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamné l'Association Familiale Intercantonale, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Mme [D] les sommes suivantes :
* 2 979,70 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
* 297,98 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférente,
* 3 015,28 euros net au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement,
* 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 1 200 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile,
- ordonné à l'Association Familiale Intercantonale de délivrer à Mme [E] [D]:
* un bulletin de paie récapitulatif des condamnations prononcées,
* un certificat de travail rectifié,
* une attestation de pôle emploi rectifiée,
- débouté Mme [D] pour le surplus de ses demandes et notamment pour les dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation d'adaptation et de formation professionnelle,
- rappelé que les condamnations à paiement de créances salariales porteront intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil et que la condamnation à paiement d'une créance indemnitaire portera intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire autre que de droit,
- condamné l'Association Familiale Intercantonale (AFC) aux dépens.
L'association AFC a relevé appel de ce jugement le 8 juin 2021, dans des conditions de forme et de délai non discutées, en énonçant dans sa déclaration d'appel les chefs critiqués.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 23 février 2022, auxquelles il est expressément fait référence, l'association AFC demande à la cour de :
A titre principal :
- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle rejette l'exception de péremption, et, la réformant,
- prononcer la péremption de l'instance,
A titre subsidiaire :
- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamne l'AFC à payer à Mme [D] 2979,70 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 297,98 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés-payés afférentes, 3 015,28 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement, 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 1 200 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile,
Et, la réformant :
- juger que le licenciement a une cause réelle et sérieuse,
- débouter Mme [D] de toutes ses demandes,
- condamner Mme [D] aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 29 septembre 2022, auxquelles il est expressément fait référence, Mme [D] demande à la cour de :
- débouter l'Association Familiale Intercantonale de l'intégralité de ses prétentions,
- confirmer le jugement de départition du conseil de prud'hommes de Toulouse du 11 mai 2021, en ce qu'il a :
* rejeté l'exception de péremption,
* jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* condamné l'Association Familiale Intercantonale à payer à Mme [E] [D] les sommes de :
*2 979,70 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
*297,88 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférente,
*3 015,28 euros nets au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement,
*20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
*1 200 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile,
*ordonné à l'Association Familiale Intercantonale de délivrer à Mme [D] un bulletin de paie récapitulatif des condamnations prononcées, un certificat de travail rectifié et une attestation pôle emploi rectifiée,
* condamné l'Association Familiale Intercantonale aux dépens,
- infirmer le jugement de départition du conseil de prud'hommes de Toulouse du 11 mai 2021, en ce qu'il a :
* fixé à 20 000 euros le quantum des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* débouté Mme [D] de sa demande de paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du non-respect de l'obligation de d'adaptation et de formation professionnelle,
- condamner en conséquence l'Association Familiale Intercantonale à payer à Mme [D] les sommes de :
*53 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
*10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de formation professionnelle continue et d'adaptation au poste de travail,
- condamner l'Association Familiale Intercantonale à payer à Mme [D] :
*la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article
700 du code de procédure civile,
*les entiers frais et dépens de l'instance,
*les intérêts échus, dus pour une année entière, qui produiront eux-mêmes intérê
MOTIFS
:
S péremption d'instance :
Selon l'article
386 du Code de procédure civile'«'L'instance est périmée lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans.'».
En l'espèce, l'affaire a fait l'objet d'une saisine de la juridiction prud'homale le 3 août 2015, une décision de radiation a été rendue le 1er février 2017, et notifiée à Mme [D] le 11 mars 2017.
La réinscription est intervenue le 7 mars 2019, soit moins de deux ans après cette notification ayant fait courir le délai de l'article
386 du code de procédure civile ; c'est donc à bon droit que le juge départiteur a dit l'instance non périmée, étant précisé que le régime applicable en l'espèce à la péremption est celui antérieur à la réforme entrée en vigueur le 1er août 2016.
Sur le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement :
En l'espèce, les parties s'opposent sur le caractère professionnel de l'inaptitude, retenu par le juge départiteur, et sur la connaissance qu'en avait l'employeur lors de la procédure de licenciement.
Il est constant que les lésions visées au certificat médical du 23 août 2013, ayant entraîné un arrêt de travail jusqu'au 31 janvier 2015, puis une inaptitude au poste, résultent d'une chute dont a été victime la salariée aux lieu et temps de travail, chute elle-même consécutive à des propos que Mme [D] a vécus comme agressifs de la part de la cliente chez laquelle elle intervenait.
S'il est certain qu'à la date du licenciement, la CPAM avait refusé la prise en charge de cet événement au titre des risques professionnels, il n'en demeure pas moins qu'à cette date l'employeur avait une connaissance du lien au moins partiel entre les lésions et l'activité professionnelle de Mme [D].
Mme [D] relate en effet que, lors de l'intervention chez une cliente connue pour être acariâtre et créer des incidents avec le personnel, un incident eu lieu, et face à un geste véhément de la cliente, elle a trébuché sur l'aspirateur et est tombée, avec traumatisme crânien léger et blessure à l'épaule ; qu'alors, elle a dû se faire véhiculer par un ami jusqu'au siège de l'association pour signaler l'impossibilité pour elle de poursuivre son travail'; que l'employeur n'a cependant rien voulu entendre et a exigé qu'elle se rende chez la cliente suivante, ce qu'elle a fait, mais n'a pu poursuivre son travail en raison des douleurs à l'épaule, douleurs pour lesquelles elle a été arrêtée le lendemain.
Il est produit aux débats l'attestation de cet ami, M. [J], indiquant avoir été appelé par la salariée juste après son accident, pour la conduire au siège de l'association faute de pouvoir les contacter par téléphone, puis de l'avoir conduite chez le médecin, puis de l'avoir de nouveau conduite au siège de l'association pour qu'elle y remette son arrêt pour accident du travail.
Ainsi, l'AFC a été informée, le jour même, de la survenance de cet accident intervenu durant l'exécution de ses tâches par Mme [D].
Il est par ailleurs produit l'ensemble des éléments médicaux et documents relatifs à la prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle.
Il appartenait donc à l'employeur, au regard de sa connaissance d'un lien au moins partiel entre l'accident et les conditions de travail de la salariée déclarée inapte, de faire application des dispositions de l'article
L1226-10 du code du travail à la procédure de licenciement , en particulier de consulter les délégués du personnel sur les possibilités de reclassement de Mme [D], ce qu'il n'a pas fait.
Ce manquement rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse, comme l'a retenu le conseil de prud'hommes, et ouvre droit à la salariée à une indemnisation qui ne saurait être inférieure à douze mois de salaire en application des dispositions de l'article
L1226-15 du code du travail dans sa version applicable à la date du licenciement, soit le 9 mars 2015.
Mme [D] est donc fondée à obtenir une indemnisation ne pouvant être inférieure à 12 878 €, outre l'indemnité spéciale de licenciement, et l'indemnité égale à l'indemnité compensatrice de préavis.
Le montant de ces deux dernières indemnités, fixé par le conseil de prud'hommes, n'étant pas spécialement discuté, il y a lieu d'entrer en voie de confirmation.
En revanche, le jugement sera infirmé en ce qu'il a alloué à Mme [D] une indemnité compensatrice de congés payés sur préavis, alors que l'indemnité équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis prévue par l'article
L1226-14 du code du travail a une nature forfaitaire et ne génère pas de droit à congés payés.
Mme [D], âgée de 58 ans à la date du licenciement, avait acquis plus de 12 ans d'ancienneté ; elle a perçu une allocation de retour à l'emploi jusqu'au 4 septembre 2018, puis l'allocation spécifique de solidarité jusqu'au 30 octobre 2018, puis sa pension de retraite, et elle perçoit également une pension d'invalidité.
C'est à juste titre que le juge départiteur a relevé que ses possibilités de retrouver un emploi étaient réduites lors du licenciement compte tenu de son invalidité, son état de santé et son âge, pour lui allouer la somme de 20 000 € à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article
L1226-15 du code du travail ; le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur le manquement à l'obligation de formation et de maintien de l'adaptation au poste :
En application des dispositions de l'article
L6321-1 du code du travail, l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.
En l'espèce, Mme [D] reproche à l'employeur d'avoir manqué à son obligation de formation.
De son côté, l'AFC justifie avoir fait bénéficier la salariée de trois formations':
-«'Conduite à tenir devant des troubles du comportement'» le 8 avril 2011, «'Manutention des personnes agrées à mobilité réduite'» le 21 juin 2011
- groupe de soutien, du 12 au 16 novembre 2012 et le 19 novembre 2012.
Mme [D] a donc suivi 8 jours de formation en 12 ans, et ces formations en nombre insuffisant et anciennes n'étaient pas de nature à maintenir l'employabilité de Mme [D], laquelle n'a d'ailleurs pas retrouvé d'emploi après son licenciement.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a estimé que l'employeur avait respecté ses obligations ; la cour allouera à Mme [D] la somme de 2500 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice issu du manquement de l'employeur à son obligation de maintenir l'adaptation au poste de sa salariée.
Sur le surplus des demandes :
L'Association AFC, succombante, sera condamnée aux dépens de première instance par confirmation du jugement entrepris, ainsi qu'aux dépens d'appel, et à payer à Mme [D] la somme de 3000 € au titre de l'article
700 du code de procédure civile, cette somme s'ajoutant à celle allouée à l'intimée sur le même fondement en première instance.
Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a ordonné la remise à la salariée des documents sociaux rectifiés.
Il sera fait droit, par ajout au jugement déféré, à la demande de capitalisation des intérêts présentée par Mme [D].
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris, excepté en ce qu'il a débouté Mme [D] de sa demande indemnitaire pour manquement de l'employeur à son obligation de formation et de maintien de l'adaptation au poste, et en ce qu'il a alloué à Mme [D] la somme de 297,98 € au titre de congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis,
L'infirme de ces chefs,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne l'Association Familiale Intercantonale à payer à Mme [E] [D] les sommes suivantes :
* 2500 € à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de formation et de maintien de l'adaptation au poste de Mme [D],
* 3000 € sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en appel,
Déboute Mme [D] de sa demande d'indemnité de congés payés afférente à l'indemnité compensatrice de préavis,
Dit que les condamnations au paiement de créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'Association AFC de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes (soit le 25 septembre 2015) et que les condamnations au paiement de créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt,
Autorise la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article
1343-2 du code civil,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne l'Association Familiale Intercantonale aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Catherine Brisset, présidente, et par Arielle Raveane, greffière.
La greffière La présidente
A. Raveane C. Brisset