Vu la procédure suivante
:
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 28 juillet 2022, 3 septembre 2022, 17 avril 2023 et 29 juin 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la société civile immobilière Soler, représentée par Me Gaucher, demande au tribunal :
1°) d'annuler l'arrêté du 10 juin 2022 par lequel la maire de Lentilly s'est opposée à la déclaration préalable à fin de division d'un terrain situé 28 chemin du Bas Poirier ;
2°) d'enjoindre à la
commune de Lentilly de lui délivrer un arrêté de non-opposition sans prescription dans les huit jours suivant la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du premier jour suivant l'expiration du délai d'injonction ;
3°) de mettre à la charge de la
commune de Lentilly une somme de 3 000 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les écritures en défense de la commune ne sont pas recevables dès lors que la maire n'a pas été habilitée à défendre la commune ;
- l'arrêté attaqué a été pris par une autorité incompétente dès lors que le signataire de l'arrêté n'est pas identifiable, que la maire s'est crue, à tort, liée par la proposition du service instructeur et par l'avis du conseiller municipal et, qu'en tout état de cause, le signataire de l'arrêté contesté ne bénéficiait d'aucune délégation de signature régulière et exécutoire ;
- il est entaché d'une erreur de droit dès lors que le règlement du secteur Nh ne pouvait pas être opposé au projet ;
- il est entaché d'une erreur de droit dès lors que l'article NCb 2 du règlement du plan d'occupation des sols ne pouvait pas être opposé au projet, seul le règlement national d'urbanisme étant applicable ;
- il est illégal par exception d'illégalité du règlement applicable au secteur NCb du plan d'occupation des sols et du classement du secteur du Poirier en secteur NCb du plan d'occupation des sols.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 septembre 2022, la
commune de Lentilly, représentée par Me Albisson, conclut au rejet de la requête, à ce que le tribunal prononce, en application de l'article
L. 741-2 du code de justice administrative, la suppression d'un passage outrageant des écritures de la société requérante et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de cette société sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- certains passages des écritures de la société requérante sont diffamatoires et doivent être écartés des débats ;
- aucun des moyens soulevés par la société requérante n'est fondé.
Par ordonnance du 12 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 juin 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A,
- les conclusions de M. Bodin-Hullin, rapporteur public,
- les observations de Me Gaucher, représentant la SCI Soler, société requérante,
- et celles de Me Albisson, représentant la
commune de Lentilly.
Une note en délibéré présentée pour la SCI Soler a été enregistrée le 13 octobre 2023.
Considérant ce qui suit
:
1. Le 16 mai 2022, la société civile immobilière Soler a déposé en mairie de Lentilly une déclaration préalable de division foncière en vue de créer trois lots à bâtir sur un terrain situé 28 chemin du Bas Poirier. Par un arrêté du 10 juin 2022, la maire de Lentilly s'est opposée à cette déclaration préalable au motif que le terrain d'assiette du projet était classé en secteur NCb du plan d'occupation des sols du 21 décembre 1989, au sein duquel les constructions à usage d'habitation sont interdites. Ce terrain faisait en effet l'objet d'un tel classement en raison de l'annulation, d'une part, de la délibération du 27 mai 2013 du conseil municipal de Lentilly approuvant le plan local d'urbanisme de la commune en tant qu'il délimitait des secteurs Nh, notamment au lieu-dit le Poirier au sein duquel se situe le terrain litigieux, par un arrêt n° 16LY00467 du 11 janvier 2018 de la cour administrative d'appel de Lyon devenu définitif, d'autre part, de la délibération du 5 mars 2020 par laquelle ce conseil municipal avait approuvé le nouveau plan local d'urbanisme, par un jugement n° 2003241-2005279 du tribunal du 9 décembre 2021, également devenu définitif, cette dernière annulation contentieuse ayant eu pour effet de remettre en vigueur le plan d'occupation des sols immédiatement antérieur pendant une durée de vingt-quatre mois à compter de la date de cette annulation, soit du 9 décembre 2021 au 8 décembre 2023, conformément aux dispositions des articles
L. 174-6 et
L. 600-12 du code de l'urbanisme, période au cours de laquelle a été pris ledit arrêté du 10 juin 2022. Par la présente requête, la SCI Soler demande au tribunal d'annuler cet arrêté.
Sur la demande tendant à ce que les écritures présentées en défense soient écartées des débats comme irrecevables :
2. D'une part, aux termes de l'article
L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales : " Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : () 16° D'intenter au nom de la commune les actions en justice ou de défendre la commune dans les actions intentées contre elle, dans les cas définis par le conseil municipal, () ". Aux termes de l'article
L. 2132-1 de ce code : " Sous réserve des dispositions du 16° de l'article
L. 2122-22, le conseil municipal délibère sur les actions à intenter au nom de la commune ". Son article L. 2132-2 précise que : " Le maire, en vertu de la délibération du conseil municipal, représente la commune en justice ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, pour représenter la commune devant une juridiction, le maire doit, soit avoir été habilité par une délibération particulière définissant l'objet de l'action à engager ou défendre, soit être titulaire d'une délégation permanente pour la durée de son mandat.
3. D'autre part, aux termes de l'article
L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa version applicable au présent litige : " Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés ainsi qu'à leur transmission au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement. Pour les décisions individuelles, cette transmission intervient dans un délai de quinze jours à compter de leur signature. () / Le maire peut certifier, sous sa responsabilité, le caractère exécutoire de ces actes. / () ". L'article
L. 2131-2 du même code dispose que : " Sont soumis aux dispositions de l'article
L. 2131-1 les actes suivants : 1° Les délibérations du conseil municipal () ".
4. Par une délibération du 22 juillet 2020, le conseil municipal de Lentilly a, notamment, habilité sa maire à intenter au nom de la commune, pendant la durée de son mandat, les actions en justice ou à la défendre dans les actions intentées contre elle devant toutes les juridictions. Cette délibération mentionne qu'elle a été envoyée et réceptionnée en préfecture le 3 août 2020. Par un certificat du 30 août 2023, la maire de Lentilly atteste en outre que cette délibération a été affichée aux portes de la mairie le 3 août 2020 pendant une durée d'un mois. Ce document fait foi jusqu'à preuve du contraire, non rapportée en l'espèce. Dans ces conditions, la SCI Soler n'est pas fondée à demander que les écritures en défense présentées par la maire au nom de la commune soient écartées des débats comme irrecevables.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 10 juin 2022 :
5. L'article
R. 123-18 du code de l'urbanisme, alors en vigueur, définit les zones de richesses naturelles, dites "Zones NC", comme des zones à protéger en raison notamment de la valeur agricole des terres ou de la richesse du sol ou du sous-sol.
6. Le secteur NCb du plan d'occupation des sols de Lentilly est décrit comme une zone de richesses économiques et naturelles destinée à la mise en valeur agricole, protégée contre tout mode d'occupation des sols dommageable à cette activité, dans laquelle toutefois le développement des activités économiques existantes est autorisé.
7. Il appartient aux auteurs d'un document d'urbanisme de déterminer le parti d'aménagement à retenir pour le territoire concerné par le plan en tenant compte de la situation existante et des perspectives d'avenir et de définir, en conséquence, le zonage et les possibilités de construction. Leur appréciation sur ces différents points ne peut être censurée par le juge administratif qu'au cas où elle serait entachée d'une erreur manifeste ou fondée sur des faits matériellement inexacts.
8. Il ressort des pièces du dossier que le secteur du Poirier est densément bâti et qu'il est desservi par des équipements et des voies. Ce secteur ne peut donc être regardé comme ayant conservé un caractère naturel prépondérant, ainsi que l'a au demeurant retenu la cour administrative d'appel de Lyon dans son arrêt précité du 11 janvier 2018. Dans ces conditions, le classement du secteur du Poirier en secteur NCb est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. Par suite, le moyen, soulevé par voie d'exception, tiré de l'illégalité de ce classement doit être accueilli.
9. Pour l'application de l'article
L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun des autres moyens de la requête n'est, en l'état du dossier, de nature à justifier l'illégalité de la décision en litige.
10. Il résulte de ce qui précède que la SCI Soler est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 10 juin 2022 par lequel la maire de Lentilly s'est opposée à sa déclaration préalable.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
11. Aux termes de l'article
L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ".
12. Eu égard au motif d'annulation de la décision en litige, l'exécution du présent jugement implique seulement le réexamen de la déclaration préalable déposée par la SCI Soler. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre à la maire de Lentilly de procéder à cette mesure d'exécution, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement. Il n'y a en revanche pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur la suppression de propos injurieux :
13. Aux termes de l'article
L. 741-2 du code de justice administrative : " Sont également applicables les dispositions des alinéas 3 à 5 de l'article
41 de la loi du 29 juillet 1881 ci-après reproduites : () Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts ".
14. Le passage dont la suppression est demandée par la
commune de Lentilly, s'il présente un caractère polémique, ne revêt pas un caractère injurieux ou diffamatoire au sens des dispositions précitées. Les conclusions tendant à sa suppression doivent, par suite, être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
15. Les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société requérante, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la
commune de Lentilly la somme de 1 400 euros à verser à la société requérante sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêté du 10 juin 2022 de la maire de Lentilly est annulé.
Article 2 : Il est enjoint à la maire de Lentilly de réexaminer la déclaration préalable déposée par la SCI Soler dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : La
commune de Lentilly versera à la SCI Soler la somme de 1 400 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la société civile immobilière Soler et à la
commune de Lentilly.
Délibéré après l'audience du 12 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Pascal Chenevey, président,
Mme Flore-Marie Jeannot, première conseillère,
Mme Marie Chapard, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 octobre 2023.
La rapporteure,
F.-M. ALe président,
J.-P. Chenevey
La greffière,
A. Baviera
La République mande et ordonne à la préfète du Rhône en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière