ARRET
N°311
N° RG 21/02849 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GL7A
[Y]
[U]
C/
[J]
[G]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 27 JUIN 2023
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/02849 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GL7A
Décision déférée à la Cour : jugement du 02 septembre 2021 rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de SAINTES.
APPELANTS :
Monsieur [K] [Y]
né le 01 Avril 1967 à MAROC
[Adresse 1]
[Localité 3]
Madame [E] [U]
née le 23 Juin 1971 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 3]
ayant tous les deux pour avocat Me
Vincent LAGRAVE de la SCP LAGRAVE - JOUTEUX, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT
INTIMES :
Monsieur [N] [J]
né le 04 Mars 1965 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Madame [S] [G]
née le 14 Avril 1971 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 3]
ayant tous les deux pour avocat postulant Me
Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Thierry ANGIBAUD, avocat au barreau des Sables d'Olonne
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des articles
907 et
786 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 27 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
Madame Anne VERRIER, Conseiller
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Thierry MONGE, Président de Chambre
Madame Anne VERRIER, Conseiller
Monsieur Philippe MAURY, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,
ARRÊT :
- Contradictoire
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article
450 du Code de procédure civile,
- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE, DES PRÉTENTIONS
Par acte du 30 mars 2006, les consorts [J]-[G] ont acquis un terrain situé commune de [Localité 3] et fait construire.
Ils ont pour voisins les consorts [Y] et [U].
Les consorts [J]-[G] se sont plaints des nuisances que leur causaient le poulailler installé par leurs voisins.
Par acte du 29 octobre 2020, les consorts [J] et [G] ont assigné les consorts [Y]- [U] devant le tribunal judiciaire de Saintes aux fins notamment de déplacement du poulailler.
Les consorts [Y]-[U] ont conclu au débouté.
Par jugement du 2 septembre 2021 , le tribunal judiciaire de Saintes a notamment ordonné aux consorts [Y]-[U] de déplacer le poulailler et les animaux qui l'occupent à au moins 50 mètres de l'habitation de M. [J] et de Mme [G].
Le premier juge a notamment retenu que :
Il résulte des constats d'huissier de justice des 28 août 2019, 30 avril 2020, 16 mars 2021 qu'un poulailler a été installé par les consorts [Y] et [U] à proximité de l'habitation des voisins et situé très proche de leur entrée alors que le terrain des défendeurs est suffisamment vaste pour que le poulailler soit installé ailleurs sans nuire aux voisins.
L'huissier de justice a constaté des nuisances sonores et olfactives le 16 mars 2021 dès 6h50 du matin.
Il n'est pas établi que le coq est parti.
Les constats d'huissier de justice effectués au printemps démontrent des nuisances qui ne peuvent que s'aggraver l'été.
Malgré la forte composante rurale de la commune de [Localité 3], cette proximité immédiate des gallinacés diffusant odeurs et bruits caractérise un trouble anormal du voisinage justifiant non la suppression mais le déplacement du poulailler en fond de parcelle afin d'en limiter les inconvénients.
LA COUR
Vu l'appel en date du 1er octobre 2021 interjeté par M. [Y] et Mme [U]
Vu l'article
954 du code de procédure civile
Aux termes du dispositif de leurs dernières conclusions en date du 28 février 2023, les consorts [Y] et [U] ont présenté les demandes suivantes :
Vu les dispositions des articles
1240 et suivants du Code Civil,
-Infirmer la décision du tribunal judiciaire de SAINTES en ce qu'elle a ordonné aux concluants de déplacer le poulailler et les animaux qui l'occupent à au moins 50 mètres de l'habitation de M. [J] et Mme [G]
Statuant à nouveau
-Débouter M. [J] et Mme [G] de cette demande
-Condamner les intimés à la somme de l 200 € au titre de l'article 700 du CPC outre les entiers dépens ;
A l'appui de leurs prétentions, ils soutiennent en substance que :
-Ils possèdent deux poules qui s'ébattent sur une superficie de plus de 190 m2.
-Le poulailler est positionné au Nord, surplombe le parking des voisins.
-Le jardin et la terrasse des voisins sont au Sud.
-Ils contestent tout trouble du voisinage.
-6 riverains attestent de l'absence de nuisances.
-Le constat d'huissier de justice du 20 février 2023 contredit les dires des intimés.
-Nombreux sont les propriétaires de poules dans la commune.
-M. [B], voisin atteste le 13 mars 2022 qu'il n'est nullement importuné par les deux malheureuses poules.
-M. [F] atteste le 13 mars 2022 n'avoir constaté en passant sur la route qui longe les propriétés ni odeurs, ni désagrément sonore.
-Mme [C] atteste le 22 février 2023 n'avoir jamais constaté en passant de désagréments olfactifs ou sonores.
-M. [W] atteste le 13 mars 22 que M. [Y] paraît anxieux et découragé en lien avec le conflit qui l'oppose à ses voisins.
-Mme [T] atteste le 13 mars 22 que son pavillon se situe en face du poulailler , n'éprouve
aucune gêne, rappelle que l'on vit à la campagne, et ajoute que la commune a autorisé l' aménagement d'un poulailler collectif 'bio' non loin.
-M. [A] atteste le 15 mars 2021 être voisin direct , n'avoir rien constaté.
-M. [P] atteste le 16 mars 2022 avoir fait des travaux chez les appelants, avoir entendu des propos peu amènes tenus par le voisin, empreints d'animosité.
-M. [G] atteste que le poulailler donne sur le parking des voisins, assure que leurs poubelles produisent plus d'odeurs que les 2 'malheureuses' poules.
-Ils ont fait réaliser des travaux depuis le jugement, ont clôturé l'espace réservé aux poules.
Ils produisent un constat d'huissier de justice du 18 octobre 2021 qui fait état d'une odeur de poulailler dont il considère qu'elle n'est pas forte au point d'être qualifiée de nauséabonde.
-Ils justifient de l'existence d'un poulailler collectif dans la commune.
Aux termes du dispositif de leurs dernières conclusions en date du 28 février 2023 , les consorts [J]-[G] ont présenté les demandes suivantes :
Vu le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de SAINTES,
Vu les pièces versées au débat
-DECLARER Monsieur [Y] et Madame [U] mal fondés en leur appel ; les en débouter,
-CONFIRMER le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Saintes le 2 septembre 2021.
En conséquence,
-CONDAMNER M. [Y] et Mme [U] à déplacer le poulailler et les animaux qui l'occupent à au moins 50 mètres de l'habitation de M. [J] et de Mme [G]
-DEBOUTER Monsieur [Y] et Madame [U] de leurs demandes.
-CONDAMNER Monsieur [Y] et Madame [U] au paiement de la somme de 4.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
-CONDAMNER Monsieur [Y] et Madame [U] au paiement de la somme de 3.000,00 € au titre de l'article 700 du CPC.
-CONDAMNER Monsieur [Y] et Madame [U] aux entiers dépens.
A l'appui de leurs prétentions, les consorts [J]-[G] soutiennent en substance que :
-Le poulailler et les nuisances occasionnent des odeurs du fait des déjections, des mouches, des rats. Le poulailler est à quelques mètres de la fenêtre de la cuisine.
-Les pièges qu'ils ont posés ont permis d'attraper 3 rats.
-L'huissier de justice a pu constater des odeurs très désagréables le 28 août 2019.
-Le constat du 16 mars 2021 démontre le défaut d'entretien. Le sol est parsemé de fientes, de débris de nourriture, de paille.
-La situation s'est aggravée avec l'introduction d'un coq en 2020.
-Le 16 mars 2021, l'huissier de justice constate que le chant du coq est suffisamment puissant pour qu'il puisse l'entendre très distinctement, fenêtres fermées.
-Ils ne peuvent jouir de leur salon de jardin paisiblement.
-Ils ont décidé de vendre. Les odeurs répulsives dissuadent les acquéreurs potentiels.
-Deux agents immobiliers l'attestent.
-Les pièces produites par les appelants sont inexploitables.
-Ils produisent des attestations anciennes émanant de personnes qui ont travaillé pour eux.
-L' appel est abusif, désinvolte.
Il convient de se référer aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et de leurs moyens.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 2 mars 2023 .
SUR CE
-sur le trouble anormal de voisinage
Nul ne doit causer à autrui aucun trouble anormal de voisinage.
Le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi ou les règlements est limité par l'obligation qu'il a de ne causer à la propriété d'autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage.
Les consorts [Y]-[U] contestent la réalité du trouble causé, son anomalie.
Les consorts [J]-[G] demandent la confirmation du jugement qui a ordonné le déplacement du poulailler.
Il est certain que le poulailler des consorts [Y]-[U] comprenait le 30 avril 2020 deux poules et un coq.
Le tribunal a retenu que la disparition du coq n'était pas certaine.
Cet élément est important dans la mesure où les nuisances sonores décrites dans le constat d'huissier de justice du 16 mars 2021 sont le fait du coq.
Il ne résulte pas des conclusions d'appel des intimés du 28 février 2023 que le coq soit réapparu. Les consorts [Y]-[U] s'en sont donc séparés.
Le poulailler est de taille modeste dès lors qu'il se limite à deux poules.
La réalité des odeurs sinon nauséabondes du moins incommodantes, gênantes est contestée.
L'huissier de justice mandaté le 28 août 2019 relevait une très désagréable odeurs de fiente très perceptible.
M. [X], agent immobilier, indique que des acquéreurs potentiels ont plusieurs fois fait des remarques à ce propos.
L'huissier de justice mandaté le 18 octobre 2021 décrit une odeur de poulailler, estime qu'elle ne peut être qualifiée de nauséabonde.
Il est essentiel de déterminer si les fenêtres de la cuisine, l'entrée des voisins donnent ou non directement sur le poulailler.
Or, cet élément ne ressort pas clairement des productions.
Il est fait état d'une séparation de 8 mètres entre le poulailler et la maison des intimés.
Sur les photographies annexées aux constats, le poulailler est situé à côté de l'emplacement réservé par les intimés au stationnement des véhicules.
Le poulailler est situé au bout de la parcelle des consorts [Y]-[U], le plus loin possible de leur maison, mais aussi de celle des voisins.
Les intimés ne précisent pas l'emplacement souhaité, ne démontrent pas que le déplacement soit susceptible de limiter les nuisances occasionnées.
S'agissant de la présence de rats, il est de notoriété publique que la présence du poulailler augmente le risque de présence de ces nuisibles.
Il résulte néanmoins des productions et écritures que nombreux sont les habitants de la commune de [Localité 3] à posséder des animaux et notamment des poules.
La commune valorise et encourage cette pratique puisqu'elle a fait installer un poulailler collectif.
Ainsi, l'huissier de justice mandaté le 18 octobre 2021 note-t-il la présence à 300 mètres d'un enclos où se trouvent 10 poules, enclos qui ne suscite aucun reproche de la part des intimés.
Il relève aussi la présence d'un enclos renfermant des moutons à 15 m de leur maison, en face, moutons qui bêlent.
M. [M], habitant de la commune indique connaître entre 6 et 10 propriétaires de poules au centre du village.
Il résulte des éléments précités que les consorts [J]-[G] ne démontrent pas subir compte tenu des caractéristiques rurales de leur commune de résidence un trouble qui présente l'anormalité requise pour justifier la condamnation des voisins à faire déplacer leur poulailler.
-sur les autres demandes
Il résulte de l'article
696 du code de procédure civile que ' La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. (...).'
Compte tenu de la solution apportée au présent litige, les dépens d'appel seront fixés à la charge des intimés.
Il est équitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles exposés.
PAR CES MOTIFS
statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort
-infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour
Statuant de nouveau sur les points infirmés :
-déboute les consorts [J]-[G] de leur demande de déplacement du poulailler
Y ajoutant :
-déboute les parties de leurs autres demandes
-condamne les consorts [J]-[G] aux dépens d'appel
-laisse à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles exposés en appel
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,