Cour de cassation, Première chambre civile, 30 juin 2021, 19-24.653

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2021-06-30
Cour d'appel de Versailles
2019-10-01
Cour d'appel de Versailles
2018-06-15
Tribunal de grande instance de Nanterre
2016-02-18

Texte intégral

CIV. 1 CF COUR DE CASSATION ______________________ Audience publique du 30 juin 2021 Cassation partielle Mme BATUT, président Arrêt n° 480 F-D Pourvoi n° Q 19-24.653 R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E _________________________ AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________ ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 30 JUIN 2021 La société [T] [C], [X] [S], [R] [G], anciennement dénommée société [S] [M], [T] [C], [X] [S] et [R] [G] , société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 19-24.653 contre l'arrêt rendu le 1er octobre 2019 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 1re section), dans le litige l'opposant à M. [Q] [L], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation. La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt. Le dossier a été communiqué au procureur général. Sur le rapport de Mme Darret-Courgeon, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société [T] [C], [X] [S], [R] [G], après débats en l'audience publique du 18 mai 2021 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Darret-Courgeon, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre, la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1.Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 1er octobre 2019), M. [L] (l'acquéreur), désireux de réaliser un investissement immobilier dans un but de défiscalisation, est entré en relation avec la société Cincinnatus assurance, conseiller en gestion de patrimoine, qui, au terme d'une étude personnalisée, lui a conseillé d'investir dans un programme de réhabilitation du château de [Localité 1], développé sous l'égide de la société Financière Barbatre (le promoteur) et présenté comme éligible au dispositif de défiscalisation institué par la loi n° 62-903 du 4 août 1962. 2. Suivant acte notarié reçu le 29 décembre 2004 par M. [M], membre associé de la société civile professionnelle [R] - [M] - [C], devenue la société civile professionnelle [C] - [S] - [G] (la SCP notariale), l'acquéreur a acquis auprès du promoteur, deux appartements, constituant les lots n° 21 et 22. 3. Cette acquisition et les travaux de réhabilitation ont été financés par deux prêts souscrits auprès de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel d'Aquitaine (la banque), laquelle a libéré des fonds à hauteur du prix des lots et débloqué le solde au profit de la société Sogecif, chargée des travaux de réhabilitation. 4. Le promoteur et ses filiales, dont la société Sogecif, ont été placés en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire, avant la réalisation des travaux. 5. Soutenant que les lots acquis avaient perdu toute valeur, que les revenus escomptés étaient inexistants, qu'il avait été contraint de rembourser l'emprunt, sans aucune contrepartie et qu'il n'avait pas été informé sur les risques de l'opération, l'acquéreur a assigné la société Cincinnatus, la SCP notariale et la banque en responsabilité et indemnisation. 6. Un arrêt du 15 juin 2018 a retenu la responsabilité de la SCP notariale au titre de manquements à son obligation d'information et de conseil ayant privé l'acquéreur de la chance de n'avoir pas contracté.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. La SCP notariale fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à l'acquéreur la somme de 199 573 euros à titre de dommages-intérêts, alors « que le juge ne peut méconnaître les termes du litige ; que l'acquéreur ne soutenait pas, devant la cour d'appel, qu'il avait subi un préjudice consistant dans l'impossibilité de placer les sommes qu'il avait versées en remboursement du capital emprunté, mais dans l'immobilisation du capital que la banque lui avait prêté et que, prétendait-il, il aurait pu investir autrement ; qu'en retenant que l'emprunteur aurait subi un préjudice consistant dans l'impossibilité de placer les sommes versées en remboursement du capital emprunté, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. » Réponse de la Cour

Vu

l'article 4 du code de procédure civile :

8. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. 9. Pour condamner la SCP notariale à payer des dommages-intérêts à l'acquéreur, après avoir fixé la perte de chance par lui éprouvée à 60 %, l'arrêt retient

qu'il a subi un préjudice notamment constitué par l'impossibilité de placer les sommes versées à la banque en remboursement du prêt, qu'un taux de 2 % l'an sera retenu et calculé sur la durée du prêt et qu'au regard du montant versé à la banque, la somme de 119 141 euros doit être prise en compte à ce titre.

10. En statuant ainsi

, alors que, dans ses conclusions d'appel l'acquéreur soutenait qu'il avait subi un préjudice lié à l'immobilisation des sommes prêtées en 2004, s'élevant à 309 580 euros, et ne se fondait pas sur les sommes remboursées en 2016 à la banque, à hauteur de 285 878,78 euros la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS

, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la SCP [C]-[S]-[G]-[H] à payer à M. [L] la somme de 199 573 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 1er octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ; Condamne M. [L] aux dépens ; En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente juin deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE

au présent arrêt Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société [T] [C], [X] [S], [R] [G] Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement en ce qu'il avait condamné le notaire à payer à M. [L] la somme de 22 000 euros à titre de dommages et intérêts et, statuant à nouveau de ce chef, d'AVOIR condamné le notaire à payer à M. [L] la somme de 199 573 euros à titre de dommages et intérêts ; AUX MOTIFS QUE le préjudice de M. [L] est constitué par la perte d'une chance de ne pas avoir procédé à son acquisition; que la SCP notariale a été déclarée responsable de ce préjudice ; qu'elle est donc tenue de le réparer ; que M. [L] n'a pas commis de faute ayant contribué à la réalisation de son dommage ; que la faute qui lui est reprochée a pour conséquence de priver la SCP d'un recours contre les éventuels co-auteurs du dommage; que cette faute est sans incidence sur l'importance de la perte de chance qu'il a subie du fait de la faute de la SCP ; qu'elle ne peut donc être prise en considération pour apprécier celle-ci ; que M. [L] disposait de revenus dont une partie importante était assujettie à la tranche maximale d'imposition ; qu'il n'avait pas perçu, toutefois, de revenus exceptionnels durant l'année de l'acquisition du bien justifiant, à ses yeux, un tel achat ; que l'opération n'avait pas pour seul objectif la défiscalisation, le bilan réalisé faisant état, notamment, de revenus nets procurés par le bail ; qu'au regard de ces éléments, la perte de chance de ne pas contracter causée par la faute de la Sep notariale sera fixée à 60% ; que la perte financière subie doit être appréhendée dans sa globalité ; que M. [L] a emprunté à la banque les sommes de 38 130 euros et 271 450,15 euros remboursables in fine soit 309 580 euros ; que M. [L] a payé à la CRCAM, en remboursement des prêts qui lui ont été consentis, début 2016, la somme de 283 797 euros outre celles de 381,30 euros et de 1 700, 48 euros au titre de l'indemnité pour remboursement anticipé soit une somme totale de 285 878,78 euros étant précisé que la banque a également perçu le produit de la vente du bien, 60 000 euros ; qu'il justifie également s'être acquitté d'intérêts jusqu'au remboursement anticipé des crédits pour un montant total de 111.260,82 euros ; que ces intérêts ont été payés par lui, soit par ses fonds propres ; qu'ils constituent la contrepartie de la mise à sa disposition du capital susvisé ; que celui-ci n'a permis que de financer l'opération litigieuse ; que ces intérêts n'ont donc pas permis à M. [L] de se constituer un capital propre par de « l'épargne forcée » ; que leur règlement fait partie de son préjudice que l'opération lui a donc coûté la somme totale de 397 138 euros ; que cette somme qu'il a payée en raison de son acquisition constitue un préjudice causé par la faute de l'intimée; que ces sommes ont été versées par lui ; que, quelle que soit leur origine, ces fonds lui appartenaient donc ; que son préjudice est, dès lors, également constitué par l'impossibilité pour lui de les placer; qu'un taux de 2% l'an sera retenu et sera calculé sur la durée du prêt ; qu'au regard du montant versé à la banque ? 397 138 euros ? une somme de 119 141 euros sera donc prise en compte ; que le préjudice de M. [L] consiste en la perte d'une chance de ne pas avoir acquis le bien ; qu'il ne peut donc réclamer le paiement de sommes qui n'auraient été perçues que s'il avait acquis celui-ci ; que ses demandes au titre des loyers qu'il aurait perçus si l'opération avait été menée à bien seront, en conséquence, rejetées ; que sa perte s'élève donc à la somme de 516 279 euros ; que doivent être déduites les sommes dont il a bénéficié ; que le prix de revente du bien a été perçu par la banque et déduit des sommes dont M. [L] était redevable; que l'abattement fiscal dont il a bénéficié s'élève, au regard du montant de travaux, à 179 157 euros ; que M. [L] a perçu une somme de 4 500 euros au titre des loyers; qu'il a déclaré sa créance du chef des loyers postérieurs mais n'a pas été désintéressé ; que son préjudice financiers' élève donc à la somme de 332 622 euros; qu'il a, ainsi, perdu une chance égale à 60% de ne pas perdre la somme de 332 622 euros ; que la SCP intimée devra dès lors lui payer la somme de 199 573 euros ; 1°) ALORS QUE le juge ne peut méconnaître les termes du litige ; que M. [L] ne soutenait pas, devant la cour d'appel, qu'il avait subi un préjudice consistant dans l'impossibilité de placer les sommes qu'il avait versées en remboursement du capital emprunté, mais dans l'immobilisation du capital que la banque lui avait prêté et que, prétendait-il, il aurait pu investir autrement ; qu'en retenant que M. [L] aurait subi un préjudice consistant dans l'impossibilité de placer les sommes versées en remboursement du capital emprunté, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ; 2°) ALORS QU'en toute hypothèse, le juge doit, en toute circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que M. [L] ne soutenait pas avoir subi un préjudice consistant dans l'impossibilité de placer les sommes versées en remboursement du capital emprunté ; qu'en relevant, d'office, le moyen tiré de l'existence d'un tel préjudice, sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations à ce sujet, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ; 3°) ALORS QU'en tout état de cause, une contradiction de motifs équivaut à une absence de motif ; qu'en retenant que M. [L] aurait été dans l'impossibilité de placer, « sur la durée du prêt », les sommes versées en remboursement des prêts, après avoir relevé que les fonds empruntés (en 2004) étaient « remboursables in fine », et que M. [L] n'avait payé ces sommes en remboursement des prêts que « début 2016 », la cour d'appel, qui s'est contredite, a violé l'article 455 du code de procédure civile ; 4°) ALORS QU'en tout état de cause, il résulte des propres constatations de l'arrêt que les fonds empruntés étaient « remboursables in fine » et que, de fait, M. [L] n'avait payé la somme de 283 797 ? en remboursement des prêts, outre celles de 381,30 ? et 1 700,48 ? au titre des indemnités de remboursement anticipé, que « début 2016 » ; qu'en retenant qu'il aurait subi un préjudice consistant dans l'impossibilité de placer ces sommes à un taux de 2% par an pendant la durée du prêt, c'est-à-dire depuis 2004, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ; 5°) ALORS QU'en tout état de cause, le juge ne peut méconnaître les limites du litige ; que M. [L] ne soutenait pas qu'en concluant la vente en 2004, il aurait perdu une chance de placer, pendant toute la durée du prêt, les sommes qu'ils n'avaient payées qu'en 2016 à titre d'indemnités de remboursement anticipé, et n'incluait pas le montant de ces sommes dans le calcul de son prétendu manque à gagner, ne visant, à ce sujet, que le capital emprunté et les intérêts versés ; qu'en retenant que M. [L] aurait subi un préjudice constitué par l'impossibilité de placer, « sur la durée du prêt », la totalité des sommes qu'il avait versées à la banque, incluant, donc, le montant des indemnités de remboursement anticipé, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ; 6°) ALORS QU'en toute hypothèse, la fonction de la responsabilité civile étant de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit, l'indemnisation de la perte d'une chance de ne pas conclure un contrat est exclusive de l'indemnisation d'une perte de chance de bénéficier des avantages que la conclusion de ce contrat aurait pu procurer ; qu'en retenant, pour évaluer « la perte de chance de n'avoir pas contracté », que M. [L], qui avait souscrit un prêt pour financer l'opération, avait subi un préjudice constitué, non seulement, de la perte des sommes versées en remboursement du capital emprunté et des intérêts d'emprunt, mais aussi de l'impossibilité de placer, à un taux de 2% par an, pendant l'entière durée du prêt, l'intégralité du capital prêté, la cour d'appel, qui a ainsi admis l'indemnisation, tout à la fois, de la perte d'une chance de ne pas contracter les prêts, et d'une perte de chance de bénéficier des avantages que la conclusion de ces prêts aurait pu procurer, a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ; 7°) ALORS QU'en toute hypothèse, la fonction de la responsabilité civile est de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit ; qu'en indemnisant M. [L], tout à la fois, d'une perte d'une chance de bénéficier d'un rendement de 2% par an, pendant l'entière durée du prêt, en plaçant autrement le capital emprunté et d'une chance de ne pas payer les intérêts dus en vertu du prêt, bien que M. [L] n'ait pu faire fructifier les sommes empruntées sans payer ces intérêts, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil.