Cour de cassation, Chambre criminelle, 15 mai 2019, 18-80.024

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2019-05-15
Cour d'appel de Paris
2017-12-01

Texte intégral

N° E 18-80.024 F-D N° 739 SM12 15 MAI 2019 CASSATION PARTIELLE NON ADMISSION M. SOULARD président, R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________ AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________ Statuant sur les pourvois formés par : - - - L'administration des douanes et droits indirects, partie poursuivante, M. C... R... La société Bellelux, contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 5-13, en date du 1er décembre 2017, qui, pour importation en contrebande de marchandises prohibées, a condamné solidairement les deux derniers à une amende douanière et a ordonné une mesure de confiscation ; La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 20 mars 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre ; Greffier de chambre : Mme Bray ; Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire FOUQUET, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ et de la société civile professionnelle BORÉ, SALVE DE BRUNETON et MÉGRET, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général WALLON ; Joignant les pourvois en raison de la connexité ; Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen

unique de cassation, proposé pour la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières ;

Vu

l'article 567-1-1 du code de procédure pénale ; Attendu que le moyen n'est pas de nature à être admis ;

Mais sur le moyen

unique de cassation, proposé pour M. R... et la société Bellelux, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 215, 343, 392, 414 et 419 du code des douanes, L. 711-1, L. 711-2, L. 713-1, L. 713-2, L. 713-3 et L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle, 384, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ; "en ce que l'arrêt attaqué a rejeté les demandes de nullité et de sursis à statuer, a déclaré M. R... et la société Bellelux coupables du délit douanier d'importation en contrebande de marchandises contrefaisantes concernant 1382 sacs « damier », les a condamnés solidairement à payer à l'administration des douanes une amende de 276 400 euros et a ordonné la confiscation des 1 382 sacs au profit de l'administration des douanes ; "aux motifs qu'il est reproché à M. R... et à la Sarl Bellelux d'avoir à Paris et au Blanc Mesnil, le 26 mai 2011, détenu ou transporté des marchandises prohibées à titre absolu ou soumise à justificatifs, en l'espèce 2 326 sacs d'une valeur de 1 773 000 euros contrefaisant la marque figurative n° 1540177 (Monogram) déposée à l'INPI le 7 juillet 1989 et les marques figuratives (damier) n° 96617954 déposée à l'INPI le 27 mars 1996 et n° 083577761 déposée à l'INPI le 27 mai 2008, appartenant à la société Louis Vuitton Malletier. S'agissant des deux marques figuratives « damier » enregistrées à l'Institut national de la propriété industrielle (INPI), leur validité est contestée par la défense sur le fondement de deux décisions rendues le 21 avril 2015 par le tribunal de première instance de l'Union européenne ; qu'il ressort de ces deux décisions, produites à la cour, que l'enregistrement des marques communautaires à l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (OHMI) sollicité par la société Louis Vuitton Malletier concernant les marques figuratives consistant en un motif à damier avec une structure à chaîne et à trame a été invalidé en l'absence de la preuve du caractère distinctif acquis par l'usage ; que reprenant cet argument de l'absence de caractère distinctif du motif damier, dont il est indiqué qu'il s'agit d'un motif basique et banal composé d'une succession régulière de carrés de même taille avec une alternance de couleurs, la défense demande à la cour de constater la nullité des marques « damier » déposées à l'INPI sous les numéros 96617954 et 3577561 avec la conséquence qu'elles peuvent être utilisées par tous les acteurs économiques du marché de la maroquinerie ; qu'étant précisé, d'une part que les marques communautaires, invalidées par le tribunal de première instance de l'Union européenne, ont été validées en appel, et que, d'autre part, les poursuites engagées par la DNRED le sont sur la base des marques déposées et régulièrement enregistrées à l'INPI les 27 mars 1996 et 27 mai 2008, il n'appartient pas à la cour statuant en matière correctionnelle d'annuler des marques ni d'accorder, en l'absence de tout élément sérieux, un sursis à statuer pour permettre la saisine du tribunal de grande instance de Paris en contestation de marques, lesquelles en l'état bénéficient de la protection prévue aux articles L. 713-1 et L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle ; qu'étant rappelé que 1382 sacs en toile « damier» ont été saisis, il ressort de l'expertise rendue par la société Louis Vuitton que ces modèles n'existent pas dans les collections et que leurs finitions ne correspondent pas aux critères de qualité des articles de maroquinerie Louis Vuitton ; que cependant au vu des pièces du dossier et des débats, la cour constate que lesdits sacs présentent un motif «damier» avec une disposition des carreaux de même taille et une alternance de couleurs, avec une structure à chaîne et à trame, rappelant les éléments protégés par la société Louis Vuitton dont la renommée n'est plus à démontrer, dont il résulte au plan visuel une impression d'ensemble de nature à engendrer un risque de confusion pour un consommateur d'attention moyenne ; qu' en conséquence le jugement sera infirmé et, alors qu'aucun justificatif de l'origine des marchandises n'est fourni, M. R... et la Sarl Bellelux seront déclarés coupables du délit douanier réputé importation en contrebande de marchandises prohibées pour les 1 382 sacs en toile «damier» ; qu'au regard de la gravité des faits, des circonstances de leur commission, de la personnalité des prévenus dont les casiers judiciaires ne portent aucune condamnation, étant précisé qu'aucun élément relatif aux revenus de M. R... et au chiffre d'affaires de la Sarl Bellelux n'a été communiqué à la cour, étant rappelé que l'article 414 du code des douanes dispose que le délit d'importation en contrebande de marchandises prohibées est passible, outre la confiscation de l'objet de fraude, .... d'une amende comprise entre une et deux fois la valeur de l'objet de fraude, qu'en matière de contrefaçon, pour déterminer le montant de l'amende douanière, il convient de retenir la valeur de la marchandise authentique, qu'en l'espèce la valeur moyenne d'un sac en toile damier a été fixé par la société Louis Vuitton à la somme de 600 euros soit pour 1 382 sacs une somme de 829 200 euros, la cour, par application de ces principes et des dispositions de l'article 369 du code des douanes, condamnera solidairement M. R... et la Sarl Bellelux à payer à l'administration des douanes une amende de 276 400 euros ; que la confiscation des 1 382 sacs «damier» au profit de l'administration des douanes sera ordonnée ; "1°) alors que la juridiction correctionnelle saisie de l'action douanière est compétente pour statuer sur les exceptions invoquées par le prévenu pour sa défense ; que saisie de poursuites concernant le délit d'importation en contrebande de marque contrefaite « damier », la cour d'appel devait se prononcer sur l'exception de nullité de ces marques résultant de leur défaut de distinctivité ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; "2°) alors qu'il résulte de la décision du tribunal de première instance de l'Union européenne que l'enregistrement du signe figuratif « damier » en tant que marque de l'Union européenne a été annulé en raison de son absence de caractère distinctif ; que sur recours formé à l'encontre de cette décision, la Cour de justice de l'Union européenne a dit n'y avoir lieu à statuer en raison d'un accord amiable intervenu entre les parties ; qu'en estimant que « les marques communautaires damier, invalidées par le tribunal de première instance de l'Union européenne, ont été validées en appel », la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ; "3°) alors que les requérants faisaient valoir que la société Louis Vuitton, qui était informée des faits incriminés, s'était abstenue de se constituer partie civile, démontrant l'absence d'atteinte à sa marque « damier » ; que l'absence de contrefaçon de cette marque par les produits visés à la prévention est par suite acquise ; qu'en s'abstenant de toute réponse à ce moyen tenant à l'absence de constitution de partie civile de la société pourtant directement concernée par une prétendue contrefaçon de sa marque, la cour d'appel n'a pas davantage justifié sa décision" ;

Vu

l'article 384 du code de procédure pénale ; Attendu qu'aux termes de ce texte, le tribunal saisi de l'action publique est compétent pour statuer sur toutes les exceptions proposées par le prévenu pour sa défense, à moins que la loi n'en dispose autrement, ou que le prévenu n'excipe d'un droit réel immobilier ; Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'au cours d'un contrôle effectué le 26 mai 2011, dans les locaux de la société Bellelux, exploitante d'un commerce de maroquinerie en gros, les agents des douanes ont procédé à la retenue douanière, notamment, de 1 382 sacs à main susceptibles de contrefaire les marques "Damier" déposées par la société Louis Vuitton et enregistrées à l'INPI le 27 mars 1996 sous le n° 96 617 954 et le 27 mai 2008 sous le n° 3 577 761 ; que, poursuivis par la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières du chef de détention de marchandises contrefaisantes sans documents justificatifs réguliers, fait réputé importation en contrebande, la société Bellelux et son gérant M. R... ont été relaxés par le tribunal correctionnel ; que l'administration des douanes a formé appel de ce jugement ;

Attendu que, pour rejeter

l'exception tirée de ce que les marques "Damier" seraient dépourvues de caractère distinctif suffisant pour être protégées, l'arrêt énonce que les poursuites engagées par la DNRED le sont sur la base des marques déposées et régulièrement enregistrées à l'INPI, les 27 mars 1996 et 27 mai 2008, et qu'il n'appartient pas à la cour, statuant en matière correctionnelle, d'annuler des marques, ni d'accorder, en l'absence de tout élément sérieux, un sursis à statuer pour permettre la saisine du tribunal de grande instance de Paris en contestation de marques, lesquelles, en l'état, bénéficient de la protection prévue aux articles L. 713-1 et L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu

qu'en se déterminant ainsi, alors que l'action fiscale introduite par l'administration des douanes a le caractère d'une action publique et que les juridictions répressives saisies du délit douanier d'importation en contrebande de marchandises prohibées sont compétentes pour statuer sur l'exception afférente à la marque contrefaite, tirée du défaut de son caractère distinctif, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ; D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs

: I. Sur le pourvoi de l'administration des douanes et droits indirects : LE DECLARE NON ADMIS ; II. Sur le pourvoi de M. R... et de la société Bellelux : CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 1er décembre 2017, mais en ses seules dispositions ayant rejeté la demande de nullité des marques Damier n° 96 617 954 et n° 3 577 761 de la société Louis Vuitton, ayant déclaré M. R... et la société Bellelux coupables du délit douanier concernant la détention des 1 382 sacs "Damier" et les ayant condamnés à une amende douanière et à une mesure de confiscation, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ; Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée, RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ; ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quinze mai deux mille dix-neuf ; En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.