Vu la procédure suivante
:
I. Par une requête, enregistrée le 19 décembre 2019 sous le n°1911341, et un mémoire, enregistré le 28 février 2020, la société Otus, représentée par Me Sapène, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler la décision du 28 juin 2019 par laquelle l'inspecteur du travail lui a refusé l'autorisation de licencier M. B et les décisions implicites par lesquelles l'inspecteur du travail lui a refusé cette autorisation et la décision implicite par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique à l'encontre de la décision de l'inspecteur du travail ;
2°) d'enjoindre à l'inspecteur du travail d'autoriser le licenciement de M. B ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que l'inspecteur du travail a considéré que la procédure de licenciement était irrégulière ;
- ainsi que l'a relevé l'inspecteur du travail dans sa décision expresse du 28 juin 2019 le refus du salarié d'accepter le poste proposé le 27 novembre 2018, qui n'emportait qu'un simple changement des conditions de travail, est fautif et suffisamment grave pour justifier son licenciement.
Le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, à qui la requête a été communiquée, n'a pas produit de mémoire en défense.
Par un mémoire, enregistré le 27 janvier 2020, M. A B conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la société Otus la somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une lettre du 16 novembre 2022, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article
R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible de se fonder sur le moyen d'ordre public tiré de ce que les conclusions dirigées contre la décision de l'inspecteur du travail du 28 juin 2019 sont devenues sans objet dès lors qu'elle a été retirée par la ministre du travail le 27 janvier 2020 et que cette décision de retrait est devenue définitive.
II. Par une requête, enregistrée le 28 février 2020 sous le n°2001893, la société Otus, représentée par Me Sapène, demande au tribunal :
1°) de joindre cette requête à la requête n°1911341 ;
2°) d'annuler la décision de la ministre du travail du 27 janvier 2020 en tant qu'elle lui a refusé l'autorisation de licencier M. B ;
3°) d'annuler la décision de l'inspecteur du travail du 28 juin 2019 lui refusant autorisation de licencier M. B ainsi que la décision implicite de l'inspecteur du travail née le 11 mai 2019 et la décision implicite par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique née le 5 novembre 2019 ;
4°) d'enjoindre à l'inspecteur du travail d'autoriser le licenciement de M. B ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que l'inspecteur du travail a considéré que la procédure de licenciement était irrégulière ; la décision de la ministre du travail doit donc être confirmée sur ce point ;
- la ministre du travail a inexactement qualifié les faits en considérant que sa demande d'autorisation de licenciement a été présentée en raison du refus par le salarié de transfert de son contrat de travail, dès lors que le salarié était en droit de refuser un tel transfert ;
- cette demande est fondée sur le refus fautif du salarié d'accepter un simple changement de ses conditions de travail, rendu nécessaire par la perte du marché ;
- la décision de la ministre du travail est entachée d'une erreur de droit ;
- le refus opposé par le salarié d'accepter le poste proposé le 27 novembre 2018 revêtait un caractère fautif.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 octobre 2020, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par la société Otus ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C ;
- les conclusions de Mme Delormas, rapporteure publique ;
- les observations de Me Laouer, représentant la société Otus ;
- et les observations de M. B.
Considérant ce qui suit
:
1. M. B, employé depuis le 31 mai 2006 par la société Otus, appartenant au groupe Veolia et spécialisée dans la collecte des ordures ménagères pour le compte de collectivités territoriales d'Ile-de-France, occupait en dernier lieu le poste de conducteur d'engins de nettoiement au sein de l'établissement de Bonneuil-sur-Marne, et exerçait les mandats de délégué du personnel et de représentant syndical au comité d'établissement jusqu'au 17 janvier 2019, puis, à compter de cette date, de membre suppléant du comité social et économique. A la suite de la perte, à compter du 28 mai 2017, du marché de nettoiement de la ville de Charenton dont elle était titulaire et sur lequel était notamment affecté ce salarié, la société Otus a sollicité auprès de l'inspecteur du travail, en application de la convention collective nationale des activités du déchet, l'autorisation de procéder au transfert du contrat de travail de l'intéressé, qu'elle a obtenue par décision du 28 juillet 2017. M. B ayant toutefois refusé ce transfert par courrier du 23 mai 2017, la société Otus lui a proposé huit postes au sein d'autres filiales du groupe et un poste d'équipier de collecte sur l'établissement de Bonneuil, que l'intéressé a refusés. A la suite de sa convocation à un entretien préalable en vue de son licenciement, le salarié a sollicité l'application de la décision autorisant son transfert au profit de la société repreneur du marché, laquelle a refusé un tel transfert par courrier du 1er décembre 2017, au motif que la réorganisation avait eu lieu depuis plusieurs mois et qu'elle n'avait plus aucun poste disponible. Par courrier du 8 décembre 2017, la société Otus a sollicité auprès de l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier le salarié en raison de ces refus. Par décision du 23 février 2018, l'inspecteur du travail lui a refusé cette autorisation, au motif que l'impossibilité de maintenir le salarié dans l'entreprise devait conduire à mettre en œuvre une procédure de licenciement pour motif économique. Cette décision a été annulée par la ministre du travail du 11 décembre 2018, qui lui a toutefois refusé l'autorisation de licenciement sollicitée au motif que les postes proposés entraînaient une modification du contrat de travail. A la suite de cette décision, la société Otus a, par courrier du 27 novembre 2018, proposé à M. B un poste de conducteur de matériel de collecte VL spécialisé dans les déchets ménagers spéciaux à la Plaine Saint-Denis, que celui-ci a refusé. Considérant ce refus fautif, la société requérante a de nouveau sollicité, par courrier du 8 mars 2019, l'autorisation de le licencier.
Une décision implicite de rejet de cette demande est née le 11 mai 2019, contre laquelle la société requérante a formé un recours hiérarchique devant la ministre du travail le 4 juillet 2019. Par décision expresse du 28 juin 2019, l'inspecteur du travail a confirmé sa décision implicite de rejet et rejeté la demande de la société Otus au motif de l'irrégularité de la procédure de licenciement. Par décision du 27 janvier 2020, la ministre du travail a retiré sa décision implicite née le 5 novembre 2019 de rejet du recours hiérarchique formé par la société, a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 28 juin 2019 et a refusé l'autorisation de licenciement.
Sur la jonction des affaires :
2. Les requêtes enregistrées sous les numéros 1911341 et 2001893 portent sur l'autorisation de licenciement d'un même salarié protégé, présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Par suite, il y a lieu de procéder à leur jonction et d'y statuer par un seul jugement.
Sur le cadre du litige :
3. Si le silence gardé par l'administration sur un recours gracieux ou hiérarchique fait naître une décision implicite de rejet qui peut être déférée au juge de l'excès de pouvoir, une décision explicite de rejet intervenue postérieurement se substitue à la première décision. Il en résulte que des conclusions à fin d'annulation de cette première décision doivent être regardées comme dirigées contre la seconde.
4. Par suite, les conclusions dirigées contre la décision implicite de l'inspecteur du travail née le 11 mai 2019 et contre la décision implicite de la ministre du travail née le 5 novembre 2019 doivent être regardées comme dirigées contre les décisions expresses édictées respectivement par l'inspecteur du travail et la ministre du travail les 28 juin 2019 et 27 janvier 2020, qui se sont substituées à ces décisions implicites.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la décision de l'inspecteur du travail du 28 juin 2019 :
5. Le litige par lequel l'employeur demande au juge administratif l'annulation d'un refus de l'inspecteur du travail d'autoriser le licenciement d'un salarié protégé n'est susceptible de perdre son objet que si, en cours d'instance, le refus d'autorisation a été rétroactivement retiré par l'autorité compétente et que ce retrait a acquis un caractère définitif.
6. En l'espèce, dès lors que la décision ministérielle du 27 janvier 2020 n'est contestée qu'en tant qu'elle a refusé à la société requérante l'autorisation de licencier le salarié et non en tant qu'elle a annulé la décision de l'inspecteur du travail, l'annulation de cette dernière décision a acquis un caractère définitif. Dès lors, les conclusions tendant à l'annulation de la décision expresse de l'inspecteur du travail du 28 juin 2019 sont devenues sans objet. Par suite, il n'y a plus lieu de statuer sur ces conclusions.
En ce qui concerne la décision de la ministre du travail du 27 janvier 2020 :
7. Si le refus du salarié de changer d'employeur ne constitue pas en lui-même, hors le cas du maintien de plein droit du contrat de travail avec le nouvel employeur en application de l'article
L. 1224-1 du code du travail, une cause de licenciement, le refus du salarié d'accepter un changement d'affectation rendu nécessaire par la perte d'un marché, qui ne modifie pas le contrat de travail, constitue un motif de licenciement.
8. Lorsqu'elle est saisie d'une demande d'autorisation de licenciement à raison du refus opposé par un salarié protégé à une nouvelle affectation proposée par son employeur en raison de la perte d'un marché, même dans l'hypothèse où cette proposition fait suite à un refus par le salarié de transfert de son contrat de travail, l'autorité administrative doit, après s'être assurée que la mesure envisagée ne constitue pas une modification du contrat de travail, apprécier si le refus du salarié constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation sollicitée. Il lui appartient, pour apprécier cette gravité, de tenir compte de la nature du changement envisagé, de ses modalités de mise en œuvre et de ses effets, tant au regard de la situation personnelle du salarié que des conditions d'exercice de son mandat.
9. Pour refuser à la société Otus l'autorisation de licenciement sollicitée, la ministre du travail a estimé que le refus du poste par le salarié ne saurait revêtir un caractère fautif au motif que ce poste lui avait été proposé à la suite de son refus du transfert de son contrat de travail vers la société repreneur du marché, et qu'elle était ainsi tenue de refuser le licenciement pour faute. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la demande d'autorisation de licenciement présentée par la société Otus était fondée non pas sur le refus par M. B de transfert de son contrat de travail, mais sur son refus opposé à une proposition de nouvelle affectation formulée en raison de la perte du marché à l'activité duquel il était affecté. Compte tenu de ce qui a été dit aux points 7 et 8, il appartenait ainsi à l'administration d'apprécier si la proposition de l'employeur caractérisait une modification du contrat de travail ou au contraire un simple changement des conditions de travail et, dans cette seconde hypothèse, si le refus du salarié constituait une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, peu important la circonstance que la proposition de poste soit intervenue à la suite d'un refus de transfert du contrat de travail dont l'absence de caractère fautif n'est d'ailleurs pas contestée.
10. Dans ces conditions, en refusant l'autorisation de licenciement sollicitée au motif rappelé ci-dessus, la ministre du travail a entaché sa décision d'une erreur de droit. Par suite, la décision attaquée doit, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, être annulée.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Le présent jugement implique seulement, compte tenu de ses motifs, que le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion réexamine la demande d'autorisation de licenciement présentée par la société Otus, à l'aune des circonstances de droit et de fait prévalant à la date de son réexamen. Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au ministre du travail de réexaminer la demande dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par la société Otus et non compris dans les dépens.
D E C I D E:
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de l'inspecteur du 28 juin 2019 de l'inspecteur du travail.
Article 2 : La décision du ministre du travail du 27 janvier 2020 est annulée en tant qu'elle a refusé à la société Otus l'autorisation de licenciement M. B.
Article 3 : Il est enjoint au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion de réexaminer la demande d'autorisation de licenciement de M. B, présentée par la société Otus, à l'aune des circonstances de droit et de fait prévalant à la date de son réexamen, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 4 : L'Etat versera à la société Otus une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article
L.761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent jugement sera notifié à la société Otus, au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à M. A B.
Copie en est adressée au directeur régional et interdépartemental de l'économie de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 24 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Benoist Guével, président,
Mme Félicie Bouchet, première conseillère,
Mme Sonia Norval-Grivet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 décembre 2022.
La rapporteure,
S. C
Le président,
B. GuévelLa greffière,
L. Potin
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
Nos 1911341, 2001893