TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 28 juin 2018
3ème chambre 1ère section
N° RG 17/11428
Assignation du : 10 juillet 2017
DEMANDERESSE
S.A.
CHRISTIAN DIOR COUTURE prise en la personne de son Directeur Général et Président du Conseil d'Administration Monsieur Sidney TOLEDANO
[...]
75008 PARIS
représentée par Me Sophie HAVARD DUCLOS de l'ASSOCIATION Laude Esquier Champey, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R144
DEFENDERESSES
S.A.
FOREVER 21 FRANCE
Forum des Halles Local 238 A Niveau 2 Porte Rambuteau
75001 PARIS
Société FOREVER 21 E COMMERCE BV
Westbroek 64-66
4822 BREDA (PAYS-BAS)
représentées par Me Marina COUSTE du LLP SIMMONS & SIMMONS L, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #J0031
MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT
Marie-Christine C, Vice-Présidente
assistée de Maud J, Greffier
DEBATS
A l'audience du 11 juin 2018, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 28 juin 2018.
ORDONNANCE
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort
FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
les parties et leurs droits
la société
Christian Dior Couture
La société
Christian Dior Couture exerce son activité dans le secteur du luxe dans les domaines de la mode et des accessoires.
Parmi sa collection d'accessoires figurent les articles suivants :
(i) le modèle de boucles d'oreilles dénommé "Mise en Dior Tribale" commercialisé en France pour la première fois par la société
Christian Dior Couture au mois de mai 2013:
Elle décrit ce modèle comme suit :
Une structure asymétrique composée de :
- deux éléments sphériques, l'un de petite taille et l'autre d'une taille deux fois supérieure à la petite sphère ;
- une tige droite fixée à la petite sphère par un embout en métal ; - la grosse sphère comporte une petite pièce en métal en forme de disque, trouée en son centre pour recevoir l'autre extrémité de la tige ; - de sorte que la plus petite sphère est destinée à se positionner sur l'oreille tandis que la grosse sphère se positionne derrière le lobe, d'où elle dépasse.
Le modèle Mise en Dior Tribale a été déposé, le 16 juillet 2013 à l'OHMI et enregistré sous le numéro 002274977-0001.
Il est selon les dires de la société
Christian Dior Couture largement commercialisé dans le monde entier et notamment en France, à travers le réseau de boutiques détenues en propre par la société
Christian Dior Couture, ainsi que dans des boutiques multimarques.
(ii) le modèle de lunettes dénommé « Dior Technologic » commercialisé en France pour la première fois par la société
Christian Dior Couture au mois de février 2015 :
Elle décrit ce modèle comme suit :
- une double monture en métal fin de couleur argentée, composée de deux armatures en métal : la première épouse la forme arrondie des verres et la seconde, soudée à la première au moyen de trois points d'attache par verre (sur le côté supérieur, au niveau de la branche et sur le côté extérieur), se détache dans la partie supérieure des verres, pourcréer un élément ajouré, présentant à l'extérieur un décroché anguleux ;
- des verres ultra-plats de forme générale arrondie sont reliés au niveau du nez par un pont dont la soudure avec la monture est apparente ;
- des branches agrémentées d'un détail en métal.
Le modèle Dior Technologic a été déposé, le 25 septembre 2014, en tant que modèle international désignant notamment l'Union Européenne, et enregistré sous le numéro DM/084489.
(iii) le modèle de lunettes dénommé « DiorChromic » commercialisé en France pour la première fois par la société
Christian Dior Couture au mois de juin 2015 :
Elle décrit ce modèle comme suit :
- une double monture structurée encercle les deux verres : la première, en métal fin, épouse la forme générale arrondie des verres et la seconde, en acétate et plus épaisse, suit le contour de la première monture et présente, dans le coin supérieur extérieur de chaque verre, un décroché anguleux ;
- un double pont horizontal en métal fin relie les deux parties de la monture, l'un au-dessus du nez, et l'autre au niveau des sourcils, la soudure de ce deuxième pont avec la monture s'effectuant au niveau de la moitié supérieure du verre.
Le modèle DiorChromic a été déposé, le 5 mars 2015, en tant que modèle international désignant notamment la France et l'Union Européenne, et enregistré sous le numéro DM/086737.
Les sociétés FOREVER
La société FOREVER 21 est une société qui vend sous cette marque américaine du prêt-à-porter proposant des vêtements et des accessoires pour femmes, hommes et adolescentes. Elle a ouvert sa première boutique aux Etats-Unis en 1984 (à l'époque sous le nom « FASHION 21 ») et s'est progressivement implantée dans de nombreux pays, dont la France, tout en restant une entreprise familiale.
Elle commercialise ses produits en France dans quatre boutiques exploitées par la société
FOREVER 21 FRANCE.
Elle commercialise également ses produits sur le site internet www.forever21.com, géré en Europe par la société F21 E- COMMERCE B.V.
Les sociétés FOREVER commercialisent à côté des produits de prêt à porter des accessoires notamment des bijoux et des lunettes de soleil.
le litige
La société
Christian Dior Couture a découvert que le magasin à l'enseigne « Forever 21 » situé au Forum des Halles à Paris, exploité par la société
Forever 21 France, commercialisait, sous la marque 'FOREVER 21' :
(i) trois sortes de boucles d'oreilles reproduisant la combinaison des caractéristiques du modèle Mise en Dior Tribale, achetés le 12 mai 2017 à des prix compris entre 4 et 6 euros, dont les références sont respectivement les numéros 00207518011, 00198848021 et 00225431011.
(ii) et des lunettes de soleil reproduisant la combinaison des caractéristiques du modèle Dior Technologic, acheté le 11 mai 2017 au prix de 11 euros, dont la référence est le numéro 00269347021.
Elle a également fait constater, par huissier de justice selon deux procès-verbaux dressés, pour le premier les 16 et 24 mai 2017 et, pour le second les 11 et 24 mai 2017, l'offre à la vente et la vente, sur le site Internet accessible à l'adresse "forever21.com"» exploité par la société Forever 21 E-Commerce B.V de :
(i) quatre sortes de boucles d'oreilles reproduisant la combinaison des caractéristiques du modèle Mise en Dior Tribale (dont deux seraient identiques à ceux achetés au sein du magasin à l'enseigne « Forever 21 »), vendus à des prix compris entre 4 et 7 euros, dont les références sont respectivement les numéros 00189531011, 00231931011, 00198848021 et 00192848021,
(ii) des lunettes de soleil reproduisant la combinaison des caractéristiques du modèle DiorTechnologic, vendu au prix de 11 euros sous la référence 00322929011,
(iii) des lunettes de soleil reproduisant la combinaison des caractéristiques du modèle DiorChromic, vendu au prix de 9 euros sous la référence 00212813021.
Autorisée par ordonnance présidentielle du 7 juin 2017, la société
Christian Dior Couture a fait diligenter cette saisie-contrefaçon le 8 juin 2017 par la SCP d'huissiers de justice Benichou-Legrain- Berruer.
C'est dans ces conditions que la société
Christian Dior Couture a, par acte en date du 10 juillet 2017, assigné les sociétés
Forever 21 France
et Forever 21 BV en contrefaçon des droits d'auteur et des droits de modèle qu'elle détient sur ses modèles Mise en Dior Tribale, DiorTechnologic et DiorChromic.
Les sociétés
Forever 21 France et Forever 21 BV ont sollicité, par voie de conclusions d'incident signifiées le 15 janvier 2018, qu'il soit sursis à statuer dans le cadre de la présente instance, en raison de la procédure en nullité actuellement pendante devant l'EUIPO à l'encontre du modèle Mise en Dior Tribale.
Parallèlement, les défenderesses ont signifié des conclusions au fond le 22 janvier 2018.
Entre-temps et pendant le cours de la procédure, la société
Christian Dior Couture a fait procéder à un constat d'huissier sur le site internet forever.com portant sur trois nouveaux modèles de lunettes de soleil (procès-verbal de constat du 22 février 2018) et sur un modèle de boucles d'oreilles reproduisant la combinaison des caractéristiques du modèle Mise en Dior Tribale (procès-verbal de constat du 27 février 2018).
Sur l 'incident
Dans leurs e-conclusions du 20 avril 2018 les sociétés FOREVER demandent au juge de la mise en état de :
Vu l'article
378 du code de procédure civile,
Vu l'article 91 § 1 du Règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires,
Vu les pièces versées aux débats,
DECLARER les sociétés
FOREVER 21 FRANCE et F21 E- COMMERCE B.V. recevables en leurs demandes et les en déclarer bien fondées.
En conséquence :
SURSEOIR A STATUER sur l'ensemble des demandes de la société DIOR jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue dans le cadre de la demande en nullité du dessin et modèle communautaire n° 002274977-0001 inscrite le 13 janvier 2017 au Bulletin des dessins et modèles communautaires n° 2017/008.
RÉSERVER les dépens.
Dans ses conclusions notifiées par la voie électronique en réponse à l'incident du 17 mai 2018, la société
Christian Dior Couture sollicite du juge de la mise en état de :
Vu l'article 91, 1 du Règlement (CE) n°6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires,
Vu les articles
378 et suivants, ainsi que l'article
771 du code de procédure civile,
Vu les pièces versées aux débats,
- Déclarer la société
Christian Dior Couture recevable et bien fondée en ses conclusions ; À titre principal - Dire et juger qu'il n'y a pas lieu de prononcer un sursis à statuer dans l'instance enrôlée sous le numéro de RG 17/11428 actuellement pendante devant le tribunal de grande instance de Paris ;
En conséquence, - Ordonner la poursuite de l'instance et renvoyer l'affaire à une audience de mise en état ultérieure ;
À titre subsidiaire - Dire et juger que le sursis à statuer sera limité aux seules demandes portant sur le modèle communautaire enregistré numéro 002274977- 0001 ;
En conséquence, - Dire et juger que l'instance se poursuivra pour l'ensemble des autres demandes formulées par la société
Christian Dior Couture aux termes de son assignation en date du 10 juillet 2017 ;
En tout état de cause - Condamner in solidum les sociétés
Forever 21 France et Forever 21 E-commerce B.V. à payer à la société
Christian Dior Couture la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile ; - Réserver les dépens.
L'incident a été plaidé le 11 juin 2018.
MOTIFS
sur le sursis
Les sociétés FOREVER 21 font valoir que la société
Christian Dior Couture a omis dans son assignation de faire état d'une procédure de nullité du dessin et modèle communautaire n° 002274977-0001 relatif à ses boucles d'oreilles Mise en Dior Tribale, qui sont le fondement de sa demande en contrefaçon de modèle ; que cette procédure a été initiée par un tiers et a été inscrite le 13 janvier 2017 au Bulletin des Dessins et Modèles Communautaires n° 2017/008, plusieurs mois avant la délivrance de l'assignation de la société DIOR. Elle indique que l'EUIPO ayant été saisi de cette demande en nullité à titre principal bien avant le tribunal de grande instance de Paris, il doit être sursis à la demande de contrefaçon formée sur ce fondement. Les sociétés défenderesses s'opposent à un "saucissonnage" de la procédure.
La société
Christian Dior Couture répond que cette procédure devrait être jugée pendant le second semestre 2018 de sorte qu'il n'est nul besoin de surseoir à statuer. Elle invoque l'existence de circonstances
particulières qui permettent au juge de ne pas surseoir et notamment le fait que les sociétés FOREVER 21 continuer de vendre les boucles d'oreilles litigieuses malgré l'introduction de la procédure.
Elle ajoute qu'en cas de sursis, la procédure devrait se poursuivre sur le fondement des autres droits qu'elle détient sur les lunettes.
sur ce
L'article
378 du code de procédure civile, qui dispose que :
« La décision de sursis à statuer suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine. »
Au terme de l'article 91 §1 du Règlement (CE) n°6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires :
« Sauf s'il existe des raisons particulières de poursuivre la procédure, un tribunal des dessins ou modèles communautaires saisi d'une action visée à l'article 81, à l'exception d'une action en constatation de non- contrefaçon, sursoit à statuer de sa propre initiative après audition des parties ou à la demande de l'une des parties et après audition des autres parties, lorsque la validité du dessin ou modèle communautaire est déjà contestée par une demande reconventionnelle devant un autre tribunal des dessins enregistré, une demande en nullité a déjà été introduite auprès de l'Office ».
En outre, il est acquis, lorsque plusieurs droits de propriété intellectuelle sont invoqués dans le cadre d'une même procédure, qu'il est d'une bonne administration de la justice que le sursis à statuer soit limité aux demandes uniquement fondées sur le titre qui faisait déjà l'objet d'une action en nullité au jour de l'introduction de l'instance.
Il est constant qu'une procédure en nullité du dessin et modèle communautaire n° 002274977-0001 relatif aux boucles d'oreilles Mise en Dior Tribale, qui est invoqué par la société DIOR au titre de son action en contrefaçon, est pendante devant l'EUIPO.
Il importe peu que cette procédure ait été initiée par un tiers puisque c'est la validité même du titre qui est discutée devant l'EUIPO.
Outre que la société
Christian Dior Couture a de façon déloyale caché l'existence de cette procédure tant aux sociétés défenderesses qu'au tribunal saisi de l'action en contrefaçon, elle se garde de donner toute information sur la procédure en cours et notamment les moyens invoqués par le tiers ; elle indique sans autre preuve que la procédure devrait être jugée au second trimestre 2018.
En conséquence, les conditions d'un sursis pour la partie des demandes de contrefaçon fondées sur les boucles d'oreilles sur le droit des dessins et modèles communautaires mais aussi sur le droit d'auteur sont remplies puisque le présent tribunal n'a été saisi d'une demande de nullité du modèle numéro 002274977-0001 que postérieurement à celle formée devant l'EUIPO.
Et la société
Christian Dior Couture ne développe pas davantage les circonstances particulières qui justifieraient de ne pas surseoir à statuer puisqu'elle se contente d'affirmer, sans être contredite, que les sociétés FOREVER 21 continuent à vendre les boucles d'oreilles litigieuses.
Et si les actes de commercialisation des boucles d'oreilles litigieuses se poursuivent, la société
Christian Dior Couture disposent de la possibilité de saisir le juge de la mise en état afin d'obtenir une interdiction ou la condamnation des sociétés FOREVER 21 à constituer une garantie garantissant le paiement des dommages et intérêts pour le cas où le dessin et modèle communautaire serait déclaré valable.
Le présent juge souligne que la société
Christian Dior Couture n'a formé aucune demande en ce sens.
Il n'existe donc aucune circonstance particulière justifiant de ne pas prononcer le sursis dans l'attente d'une décision définitive sur la validité du dessin et modèle communautaire numéro 002274977-0001 dont la société
Christian Dior Couture est titulaire.
En revanche, il n'existe aucun motif de surseoir à statuer sur les demandes de contrefaçon relatives aux modèles de lunettes de la société
Christian Dior Couture de sorte que les demandes seront disjointes, les demandes relatives aux lunettes continuant à être enrôlées sous le numéro de RG 17/11428 et celles relatives aux boucles d'oreilles devant être appelées désormais sous le numéro de RG 18/07444.
sur les autres demandes
L'équité ne commande pas d'allouer de somme sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par remise au greffe le jour du délibéré, par ordonnance contradictoire et susceptible de recours dans les formes de l'article
776 du code de procédure civile pour ce qui est du sursis et non susceptible de recours s'agissant d'une mesure d'administration de la justice,
Sursoyons à statuer sur les demandes en contrefaçon formées par la société
Christian Dior Couture sur les boucles d'oreilles dénommées "Mise en Dior Tribale" sur le fondement du dessin et modèle communautaire n°002274977-0001 ou sur le fondement du droit d'auteur.
Ordonnons la disjonction des demandes de contrefaçon relatives aux lunettes " DiorTechnologic " et "Dior Chromic" numéro DM/086737 qui continueront à être appelées sous le numéro RG 17/11428 et les demandes en contrefaçon relatives aux boucles d'oreilles dénommées "Mise en Dior Tribale" sur le fondement du dessin et modèle communautaire n°002274977-0001 ou sur le fondement du droit d'auteur.
Renvoyons l'affaire RG 17/11428 à l'audience du juge de la mise en état du 02 octobre 2018 à 10h30 pour conclusions de la société
Christian Dior Couture au fond sur les lunettes "DiorTechnologic" numéro DM/084489 et "Dior Chromic" numéro DM/086737.
Disons que les demandes en contrefaçon relatives boucles d'oreilles dénommées "Mise en Dior Tribale" sur le fondement du dessin et modèle communautaire n°002274977-0001 ou sur le fondement du droit d'auteur seront enrôlées sous un nouveau numéro de rôle le 18/07444 et seront appelées à l'audience du juge de la mise en état du 08 janvier 2019 à 9h30 pour faire le point sur la procédure de nullité du dessin et modèle communautaire 002274977-0001.
Déboutons les parties du surplus de leurs demandes.
Réservons les dépens.