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Cour de cassation, Chambre commerciale, financière et économique, 10 janvier 1995, 92-19.989

Synthèse

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
10 janvier 1995
Cour d'appel de Paris
25 juin 1992

Texte intégral

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le pourvoi formé par la société anonyme Del Prete Europe, dont le siège social est ... (9e), (Bouches-du-Rhône), en cassation d'un arrêt rendu le 25 juin 1992 par la cour d'appel de Paris (4e chambre, section B), au profit : 1 / de la société anonyme Villeroy et Boch, société de droit français dont le siège social est ... à Garge-lès-Gonesses (Val-d'Oise), 2 / de la société Villeroy et Boch Aktiengesellschaft, société de droit allemand dont le siège social est Saaruferstrass D 6642 Nettlach-Sarr (RFA), 3 / de la société anonyme Grands magasins belge, exploitant les supermarchés Cora, dont le siège est ... (8e), 4 / de la société à responsabilité limitée Officina graphica T. Bonacchi, société de droit italien dont le siège social est Viale Pratese 79, 50019 Sesto Fiorentino (Province de Florence), (Italie), 5 / de la société La X... Olympia, dont le siège est ... (Grèce), défenderesses à la cassation ; La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ; LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 8 novembre 1994, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Gomez, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, Mme Piniot, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. le conseiller Gomez, les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de la société Del Prete Europe, de Me Barbey, avocat de la société Villeroy et Boch, Arts de la table et de la société Villeroy et Boch Aktiengesellschaft, de Me Vincent, avocat de la société Officina graphica T. Bonacchi, les conclusions de Mme Piniot, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen

unique pris en ses six branches : Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 25 juin 1992), que la société Villeroy et Boch (Aktiengesellshaft), titulaire d'un modèle de dessin, appliqué sur les assiettes de service de table, ayant fait l'objet, le 14 novembre 1983, d'un dépôt international, enregistré sous le numéro 73.591, et sa filiale française la société Villeroy et Boch (société Villeroy) ont assigné pour contrefaçon et concurrence déloyale les sociétés Grands magasins belge et Del Prete Europe qui importaient et vendaient en France un service de table ; que ces sociétés ont sollicité l'intervention forcée des sociétés X... Olympia et Officina Graphica T. Bonacchi qui fabriquaient le modèle ; qu'avant-dire droit la cour d'appel a, le 24 octobre 1991, décidé la réouverture des débats "strictement limitée aux "anomalies"" relatives à l'antériorité du modèle et décidé que la société Del Prete Europe était irrecevable à appeler la société Officina Graphica T. Bonacchi en intervention forcée ;

Attendu que la société Del Prete Europe fait grief à

l'arrêt d'avoir décidé qu'elle avait, avec les sociétés Grands magasins belge et X... Olympia, commis des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale au préjudice de la société Villeroy et de l'avoir condamnée in solidum au paiement de dommages et intérêts alors, selon le pourvoi, d'une part qu'un dessin ou modèle n'est susceptible d'être protégé sur le fondement de la loi du 14 juillet 1909 ou de la loi du 11 mars 1957 que s'il présente un caractère d'originalité, ce que le juge doit vérifier ; qu'en s'en dispensant au prétexte qu'il avait déjà été déclaré dans son précédent arrêt que le modèle "Albertina" de la société Villeroy et Boch constituait une oeuvre originale, la cour d'appel a méconnu la portée de la chose jugée en violation de l'article 1351 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'un dessin n'est pas nouveau dès lors qu'un autre "fort semblable" existait avant lui ; qu'en écartant l'attestation notariée de M. Karlos Y... du 18 juillet 1989 qui certifiait que le dessin figurant sur les articles vendus actuellement par la société X... Olympia sous le code Faedra 72 était bien le même que celui qui se trouvait déjà sur les articles vendus en 1983 par cette société sous le code 02, au prétexte que son auteur n'avait pu sans risque d'erreur extrême affirmer lequel des deux modèles en cause, "fort semblables", il avait vendu six ans plus tôt, ce dont il résultait qu'en 1983 la société grecque commercialisait déjà des articles sur lesquels était représenté un dessin très ressemblant à celui argué de contrefaçon et que la preuve de son antériorité était rapportée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 1er et 28 du 11 mars 1957 ; alors, en outre, qu'il résulte du rapport d'expertise que la société Villeroy et Boch avait commencé la commercialisation du modèle prétendument contrefait au cours du deuxième semestre 1984 ; qu'en retenant qu'il en ressortait que cette société avait entrepris sa commercialisation en 1983, la cour d'appel a dénaturé cet écrit en violation de l'article 1134 du Code civil ; alors, de plus, que lorsque est contestée l'authenticité d'un écrit sous seing privé produit en cours d'instance, les juges doivent procéder à sa vérification et ordonner, au besoin, la comparution de son auteur ou toute mesure d'instruction utile ; qu'en écartant des débats les lettres versées par la société X... Olympia qui étaient de nature à faire la preuve de l'antériorité du dessin décorant les articles qui lui avaient été vendus mais dont la société Villeroy et Boch prétendait qu'elles constituaient des faux, sans procéder à leur vérification, la cour d'appel a violé les articles 289 et 287 à 295 du nouveau Code de procédure civile ; alors, de surcroît, que le juge doit ordonner la mesure d'instruction sollicitée lorsque la partie qui la demande n'a pas les moyens de procéder elle-même aux investigations nécessaires ; qu'en l'espèce, elle avait acheté les articles de table à la société X... Olympia et n'avait personnellement aucun moyen d'établir l'antériorité du dessin y figurant ; qu'en la condamnant in solidum avec son fournisseur au prétexte que l'antériorité du dessin reproduit n'avait pas été démontrée, sans ordonner la mesure sollicitée pour en rapporter la preuve, la cour d'appel a violé les articles 144 et 146, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile ; alors, enfin, qu'en relevant qu'il y avait eu très peu d'achats de substitution, les clientèles n'étant pas les mêmes pour des produits de qualité différente vendus dans des circuits distincts et avec une différence de prix souvent de l'ordre de 1 à 10, ce dont il résultait que la société Villeroy et Boch ne justifiait pas d'un préjudice, qualifié d'un autre côté de considérable eu égard au nombre des points de vente et des produits vendus, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu

, en premier lieu, que la cour d'appel a, dans son précédent arrêt, répondant au moyen tiré de l'absence de protection du modèle litigieux, retenu qu'il était démontré que la protection accordée en Allemagne, pays d'origine du modèle, reposait, comme celle de la loi du 11 mars 1957, sur la nécessité d'une création originale et qu'il en résultait que la décoration d'une assiette était susceptible d'être protégée ; que la cour d'appel a retenu que la protection de la loi du 11 mars 1957 pouvait être conférée au modèle litigieux ; qu'ainsi, la cour d'appel, devant laquelle le caractère d'originalité du modèle litigieux n'était pas contesté, n'avait pas à procéder à une recherche qui ne lui avait pas été demandée et, en retenant l'existence du caractère original du modèle, ne s'est pas référée à l'autorité de la chose jugée ; Attendu, en deuxième lieu, que l'appréciation de la portée d'un écrit sans reproduction inexacte de ses termes n'est pas susceptible d'être critiquée au moyen d'un grief de dénaturation ; qu'une telle critique ne peut donc être faite aux moyens par lesquels la cour d'appel appréciant les éléments du rapport d'expertise et d'un graphique figurant en annexe III en a déduit que la commercialisation du modèle protégé avait commencé en 1983 ; Attendu, en troisième lieu, que la cour d'appel qui, appréciant les éléments de preuve, a rejeté l'attestation de Karlos Y..., et n'avait pas l'obligation d'ordonner une mesure d'instruction, a retenu, hors toute dénaturation, qu'il n'était pas établi que le modèle argué d'antériorité ait été créé avant le modèle protégé ; Attendu, enfin, que la cour d'appel a, pour l'évaluation du préjudice subi par la société Villeroy, relevé que le modèle créé par cette dernière avait subi une dépréciation par suite de l'exposition et de la commercialisation du modèle contrefaisant ainsi que de la réalisation de ce dernier dans un matériau plus médiocre que celui du modèle original et de sa commercialisation dans des magasins de grande distribution tandis que le modèle original n'était commercialisé que dans un réseau de distribution sélective ; que la cour d'appel a ainsi caractérisé le préjudice subi par la société Villeroy ; D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa troisième branche, n'est fondé en aucune des autres ;

PAR CES MOTIFS

: REJETE le pourvoi ; Condamne la société Del Prete Europe à payer à la société Officina Graphica Terzilio T. Bonacchi la somme de cinq mille francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne, également, envers, les défenderesses aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du dix janvier mil neuf cent quatre-vingt-quinze.