Cour de cassation, Chambre commerciale, financière et économique, 21 février 1995, 93-11.874

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
1995-02-21
Cour d'appel d'Amiens (1ère chambre - 1ère section)
1992-10-14

Texte intégral

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le pourvoi formé par M. Gérard D..., demeurant ..., en cassation d'un arrêt rendu le 14 octobre 1992 par la cour d'appel d'Amiens (1ère chambre - 1ère section), au profit : 1 ) de M. Paul G..., demeurant ..., 2 ) de Mme Nicole G..., demeurant ..., 3 ) de M. Mario X..., demeurant ..., 4 ) de la société MDP, société anonyme dont le siège est ... (10ème), 5 ) de M. François Y..., demeurant ... (16ème), 6 ) de la société Florange Guiliot, société anonyme, dont le siège est ... (Marne), 7 ) de la société Sibelec, société anonyme, dont le siège est ..., 8 ) de M. Philippe G..., demeurant ... (4ème), 9 ) de Mme Claudine F..., demeurant ... (Marne), 10 ) de M. Daniel F..., demeurant ... (Marne), 11 ) de M. Grand, commissaire aux comptes, demeurant ..., 12 ) de M. B..., ès qualités de mandataire-liquidateur de la société Sibelec, demeurant ... (Oise), défendeurs à la cassation ; Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les six moyens de cassation annexés au présent arrêt ; LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 3 janvier 1995, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Poullain, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. le conseiller Poullain, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. D..., de la SCP Boré et Xavier, avocat des époux G..., M. X..., la société MDP, M. Y..., la société Florange Guiliot, la société Sibelec, M. G..., les époux F... et de MM. Z... et B... ès qualités, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Met M. Grand hors de cause ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué

qu'au cours de l'été 1984, MM. Paul et Philippe G... et Mme Nicole G... ont promis à M. E..., propriétaire de 848 des 1700 actions représentant le capital de la société Sibelec, de lui céder les 848 actions dont ils étaient eux-mêmes propriétaires ; que cette promesse n'ayant pas été réalisée par la faute des consorts G..., M. D... a obtenu, par un jugement du 2 décembre 1986 confirmé par la cour d'appel le 18 janvier 1988, leur condamnation à des dommages-intérêts ; que, le 5 juillet 1986, les consorts G... ont, cédé 843 actions aux sociétés Florange Guilliot et MDP ainsi qu'à M. et Mme F... ; qu'au cours du mois de février 1987 M. D... a assigné les consorts G..., les cessionnaires de leurs actions, M. X..., ainsi que M. Grand, commissaire aux comptes de la société Sibelec, en demandant l'annulation de la cession d'actions du 5 juillet 1986 et celle des délibérations de l'assemblée générale du 4 août 1986, du conseil d'administration du 5 août 1986 et de l'assemblée générale du 7 janvier 1987 et la condamnation des défendeurs à payer des dommages-intérêts, tant à lui-même qu'à la société Sibelec ; que la société Sibelec ayant été mise en liquidation judiciaire, il a assigné en intervention forcée M. A..., en sa qualité de liquidateur judiciaire ;

Sur le premier moyen pris en ses trois branches et sur le second moyen

pris en ses quatre branches réunis :

Attendu que M. D... reproche à l'arrêt

attaqué d'avoir rejeté sa demande en annulation tant des cessions d'actions consenties par les consorts G... après qu'il ait levé l'option de la promesse de cession qui lui avait été faite de ces mêmes actions que des procès-verbaux d'assemblée générale et de réunion du conseil d'admnisitration postérieurs à cette cession, alors, selon le selon le pourvoi, d'une part, que la promesse est parfaite lorsque le bénéficiaire d'une promesse de vente lève l'option dans les délais prévus par la promesse ; que seules les obligations résultant de la vente doivent être exécutées ; qu'en considérant qu'il avait renoncé à une promesse dont il avait levé l'option, la cour d'appel a violé l'article 1589 du Code civil ; alors, d'autre part, que la révocation d'une vente ne peut résulter que de l'accord, exprès ou tacite du vendeur et de l'acquéreur; qu'en décidant que la cession d'actions, parfaite par sa levée d'option, était rompue unilatéralement par sa soi-disant renonciation à son acquisition, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; alors, en outre, que la cession promise à un tiers par le promettant ultérieurement à la levée de l'option est nulle ; qu'en déclarant valables les cessions consenties à des tiers par les consorts G..., après que, bénéficiaire d'une promesse de cession sur les mêmes actions, il ait levé l'option, la cour d'appel a violé les articles 1599 et 1134 du Code civil ; alors, encore, que l'action en responsabilité contractuelle est distincte tant de l'action en exécution forcée que de l'action en résolution et peut être associée à l'une ou à l'autre de ces actions si les conditions légales de son application sont remplies ; qu'en considérant qu'en demandant des dommages-intérêts pour défaut de réalisation de la promesse de vente, il avait opté pour la résolution de la promesse, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; alors, de plus, que la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut résulter que d'actes manifestant sans équivoque la volonté d'y renoncer ; que la volonté de renoncer à l'acquisition d'actions d'une société ne peut se déduire sans équivoque de la seule demande du bénéficiaire de la promesse unilatérale de vente d'actions en paiement de dommages-intérêts pour le préjudice subi à cause du refus illégitime du promettant de réaliser la cession ; qu'en décidant le contraire la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; alors, de surcroît, que le fait que l'arrêt du 10 janvier 1988 de la cour d'appel d'Amiens ait condamné les consorts G... à lui payer des dommages-intérêts pour défaut de réalisation de la promesse ne faisait pas obstacle à une demande en nullité des cessions effectuées ultérieurement à la levée d'option ; qu'en écartant une telle demande en nullité, formée par lui, sur le fondement de l'arrêt du 10 janvier 1988, la cour d'appel a violé l'article 1351 du Code civil ; et alors, enfin, que la résiliation judiciaire ne produit d'effets définitifs qu'après que la décision qui la prononce a acquis force de chose jugée ; qu'en considérant que les consorts G... aient pu vendre légitimement leurs actions avant la décision se prononçant sur sa demande en responsabilité contractuelle pour refus de réaliser la promesse et en l'absence de toute décision prononçant la résolution de cession desdites actions que lui avait consentie les consorts G..., la cour d'appel a violé l'article 1184 du Code civil ;

Mais attendu

, en premier lieu, que l'arrêt, qui énonce à juste titre que l'on ne peut, à la fois, demander la résolution et l'exécution d'une obligation, relève qu'aux termes de son assignation du 21 avril 1986, M. D... a demandé des dommages-intérêts pour "défaut de réalisation de la promesse de cession" et constate que cette indemnisation lui a été accordée par l'arrêt du 8 janvier 1988 ; que de cette énonciation et de ces constatations, et abstraction faite du motif analysant les rapports contractuels ayant existé entre les parties critiqué au pourvoi, la cour d'appel a pu déduire que M. C..., qui avait été, à sa demande, indemnisé du préjudice que lui avait causé l'inexécution de l'obligation des consorts G..., et avait ainsi nécessairement renoncé à en exiger l'éxécution directe, était devenu irrecevable à contester tant la validité de la cession des actions des consorts G... à des tiers que celle des décisions prises par la société Sibelec avec la participation des nouveaux actionnaires ; Attendu, en second lieu, que lorsque la cour d'appel a rejeté la demande en nullité des cessions intervenues après la levée d'option par M. D..., celui-ci avait obtenu l'indemnisation du préjudice que lui avait causé l'inéxécution de leur obligation par les consorts G... et ne pouvait dès lors plus, sans leur accord, substituer à sa demande d'indemnisation une demande d'exécution en nature ; qu'ainsi, abstraction faite du motif critiqué à la dernière branche, la cour d'appel a pu décider que M. D... était irrecevable à critiquer les cessions faites à des tiers après l'arrêt du 10 janvier 1988 ; D'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis en aucune de leurs branches ;

Sur le sixième moyen

:

Attendu que M. D... fait grief à

l'arrêt attaqué de l'avoir condamné à payer des dommages-intérêts, pour procédure abusive, aux consorts G..., à M. X..., à la société MDP, à la société Florange Guilliot et à Mme F..., alors, selon le pourvoi, que ne constitue pas un abus de droit du bénéficiaire d'une promesse de cession d'actions, devenu cessionnaire en levant l'option, le fait d'engager une action en nullité des cessions consenties ultérieurement à cette levée d'option à des tiers par le promettant, quand bien même le bénéficiaire a déjà obtenu par le juge l'allocation de dommages-intérêts pour défaut de réalisation par le promettant de sa promesse, ces deux actions n'étant pas incompatibles ;

qu'en décidant

le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; Mais attendu que l'arrêt retient que M. D..., ayant obtenu l'indemnisation du préjudice que lui avait causé l'inexécution de l'obligation contractée envers lui par les consorts G..., il n'était plus fondé à prétendre à la protection d'un droit auquel il avait renoncé ; qu'à partir de ces constatations la cour d'appel a pu estimer qu'il avait commis un abus de procédure ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le troisième moyen

pris en ses deux branches :

Attendu que M. D... fait grief à

l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes tendant à faire déclarer les consorts G... responsables d'abus de droit et à faire annuler les décisions de l'assemblée générale ordinaire du 4 août ayant nommé les nouveaux administrateurs de la société Sibelec, alors, selon le pourvoi, d'une part, que constitue un abus de droit, de la part du groupe des actionnaires majoritaires, le fait de n'avoir pas fait inscrire à l'ordre du jour d'une assemblée générale la révocation des administrateurs en place et la nomination de nouveaux administrateurs, tout en sachant que cette modification était imposée par la nouvelle répartition du capital social issue de la cession de la majeure partie des actions de cette société que ce groupement avait lui-même consentie à des tiers ; qu'en écartant la responsabilité des consorts G..., qui s'étaient abstenus de demander l'inscription, à l'ordre du jour de l'assemblée du 4 août 1986, de la révocation des administrateurs et leur remplacement nécessités par les cessions de leurs propres actions en date du 5 juillet 1986 à des tiers, la cour d'appel a violé les articles 1147 du code civil et l'article 160 de la loi du 24 juillet 1966 ; alors, d'autre part, que sont nulles du fait de l'abus de droit qui les entache les résolutions d'une assemblée prises sans que les révocations des administrateurs et la nomination de leurs remplaçants, bien que préméditées, soient inscrites à l'ordre du jour ; qu'en considérant comme valable la procédure de nomination de nouveaux administrateurs poursuivie par les consorts G... sans que les révocations des anciens administrateurs et les nominations des nouveaux administrateurs, largement prévues à l'avance, aient été inscrites à l'ordre du jour, la cour d'appel a violé les articles 160 et 173 de la loi n 66-537 du 24 juillet 1966 ;

Mais attendu

que, si M. D... a reproché aux consorts G... d'avoir "imaginé un stratagème de révocation de leurs fonctions d'administrateurs, à l'effet de permettre l'entrée des nouveaux actionnaires à la tête de la société Sibelec, sans qu'(il) en soit averti, et ce, inévitablement, avec la complicité des nouveaux actionnaires, à l'évidence de mauvaise foi, ... notamment par ce que le conseil d'administration n'a pas respecté la procédure d'agrément", il ne résulte pas de ses écritures qu'il ait fait valoir que l'ordre du jour aurait omis de mentionner l'objet véritable de l'assemblée générale; que le moyen nouveau étant mélangé de fait et de droit, il est irrecevable en l'une et l'autre de ses branches ;

Sur le quatrième moyen

pris en ses deux branches :

Attendu que M. D... fait grief à

l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes en nullité des décisions de l'assemblée générale de la société Sibelec des 4 août 1986 et 7 janvier 1987, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le défaut de convocation du commissaire aux comptes à une assemblée générale peut justifier l'annulation de cette assemblée irrégulièrement convoquée;

qu'en décidant

que cette absence de convocation ne pouvait entraîner que des sanctions pénales, la cour d'appel a violé l'article 159 alinéa 2 de la loi n 66-537 du 24 juillet 1966 ; alors, selon le pourvoi, d'autre part, que, pour décider la nullité d'une assemblée convoquée irrégulièrement, le juge doit apprécier l'influence de l'irrégularité sur le déroulement des débats et le résultat des délibérations ; qu'en se bornant à dire que le défaut de convocation du commissaire aux comptes n'avait porté aucun préjudice à M. D... et que les assemblées n'avaient pas délibéré sur les comptes annuels de la société, sans rechercher si l'absence du commissaire aux comptes n'avait pas modifié le cours des débats et le résultat des délibérations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 159 de la loi du 34 juillet 1966 ; Mais attendu qu'ayant constaté que les délibérations n'avaient pas concerné les comptes et que le défaut de convocation du commissaire aux comptes n'avait pas porté préjudice à M. D..., abstraction faite du motif surabondant critiqué à la première branche, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié son refus d'annuler ces délibérations ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le cinquième moyen

:

Vu

l'article 245 de la loi du 24 juillet 1966 ; Attendu que pour déclarer irecevable la demande de dommages-intérêts formée par M. D... au profit de la société Sibelec contre ses administrateurs l'arrêt énonce que seul le liquidateur judiciaire de cette société est habilité à poursuivre la réparation des préjudices qui ont pu être subis par elle ;

Attendu qu'en statuant ainsi

, alors que les actionnaires ont, en vertu du droit qui leur est conféré par la loi, l'exercice de l'action sociale en responsabilité contre les administrateurs pour faute commise dans l'exercice de leur mandat, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS

: CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré M. D... irrecevable à former, au nom de la société Sibelec, une action en responsabalité contre ses administrateurs, l'arrêt rendu le 14 octobre 1992, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai ; Condamne les défendeurs, envers M. D..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ; Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel d'Amiens, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt et un février mil neuf cent quatre-vingt-quinze.