Cour de cassation, Chambre commerciale, financière et économique, 24 juin 2014, 13-24.587

Synthèse

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2014-06-24
Cour d'appel de Versailles
2013-07-30

Texte intégral

Sur le premier moyen

:

Vu

l'article 1843-4 du code civil ; Attendu qu'il résulte de ce texte que le pouvoir de désigner un expert chargé de l'évaluation des droits sociaux appartient au seul président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué

, que M. X..., associé de la société civile professionnelle d'avocats Y...-Z...-A...-X... (la société), s'est retiré de celle-ci le 29 septembre 2009 ; que, saisi par la société, sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil, d'une demande tendant à la désignation d'un expert chargé de déterminer la valeur des droits sociaux de l'associé retrayant, le président du tribunal de grande instance a, par ordonnance du 6 octobre 2010, sursis à statuer dans l'attente de la décision à intervenir sur l'appel formé contre une décision du bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Beauvais ayant ordonné une mesure d'instruction et du dépôt du rapport de l'expert qui serait désigné par la juridiction saisie de cet appel ; que la société ayant de nouveau saisi le président du tribunal de grande instance de sa demande de désignation d'un tiers évaluateur, ce magistrat a, par ordonnance du 26 octobre 2012, « au principal renvoyé les parties à se pourvoir mais, dès à présent, débouté la société de sa demande d'expertise » ; que la société a formé un appel-nullité contre cette décision ; qu'après l'avoir annulée au motif que le président du tribunal avait commis un excès de pouvoir en refusant d'exercer les prérogatives que lui conférait l'article 1843-4 du code civil, la cour d'appel, « évoquant », a déclaré la société irrecevable en sa demande de désignation d'un expert ;

Attendu que pour se prononcer ainsi, l'arrêt énonce

qu'en application de l'article 562 du code de procédure civile, l'intégralité des demandes soumises au premier juge est dévolue à la cour d'appel ; qu'il en déduit qu'il n'y a pas lieu de renvoyer les parties devant tel président ainsi que le demande la société ;

Attendu qu'en statuant ainsi

, alors qu'il appartenait au seul président du tribunal de se prononcer sur la demande formée par la société, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et vu

l'article 627 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a " évoqué " et déclaré la société Y...-Z...-A...-X... irrecevable en sa demande de désignation d'un expert sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil, l'arrêt rendu le 30 juillet 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; DIT n'y avoir lieu à renvoi ; Condamne M. X... aux dépens ; Dit que M. X... conservera la charge de ses propres dépens et le condamne à payer ceux exposés par la société Y...-Z...-A...-X... au titre de l'instance de cassation et de l'instance d'appel ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. X... à payer la somme de 3 000 euros à la société Y...-Z...-A...-X... ; rejette sa demande ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre juin deux mille quatorze

MOYENS ANNEXES

au présent arrêt Moyens produits par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour la société Y...-Z...-A...-X... PREMIER MOYEN DE CASSATION Il est fait grief à l'arrêt attaqué, ayant annulé l'ordonnance entreprise, d'avoir évoqué le litige ; AUX MOTIFS QU'« en application de l'article 1843-4 du Code civil, dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par ordonnance du Président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible. Cette absence de recours subordonne la recevabilité de l'appel interjeté à l'encontre de la décision litigieuse à la démonstration par l'appelant d'un excès de pouvoir commis par le premier juge. Commet un excès de pouvoir le juge qui use de prérogatives que la loi ne lui a pas dévolues, dépasse les attributions qu'elle lui a conférées ou, à l'inverse, refuse de juger ou de se reconnaître un pouvoir que la loi lui confère. En l'espèce, alors qu'il était saisi d'une demande au fond, le premier juge a « au principal, renvoyé les parties à se pourvoir, mais cependant dès à présent débouté la SCP Y... Z... A... X... de sa demande d'expertise ». Qualifiant au surplus sa décision d'ordonnance de référé rendue en premier ressort, il a ainsi manifestement exercé les attributions du juge des référés et a rendu une décision provisoire. Son refus d'exercer les prérogatives du juge du fond que lui confère l'article 1843-4 du Code civil, caractérisé par le renvoi des parties vers un autre juge ¿ alors même que par une décision antérieure (ordonnance du 6 octobre 2010), ce Président avait reconnu sa compétence exclusive ¿ constitue un excès de pouvoir. En conséquence, il convient de recevoir la SCP en son recours et d'annuler la décision entreprise. En application de l'article 562 du Code de procédure civile, l'intégralité des demandes soumises au premier juge est dévolue à la cour. Il n'y a donc pas lieu de renvoyer devant tel Président ainsi que le demande la SCP » ; ALORS QUE dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par ordonnance du premier Président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible ; que cette compétence du Président du tribunal de grande instance est exclusive et d'ordre public ; qu'en l'espèce, en évoquant pour déclarer la société Y... Z... A... X... irrecevable en sa demande de désignation d'un expert, la Cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé l'article 562, alinéa 2, du Code de procédure civile, ensemble l'article 1843-4 du Code civil. SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE) Il est fait grief à l'arrêt attaqué, ayant annulé l'ordonnance entreprise, d'avoir évoqué le litige et déclaré la société Y... Z... A... X... irrecevable en sa demande de désignation d'expert ; AUX MOTIFS QU'« en application de l'article 1843-4 du Code civil, dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par ordonnance du Président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible. Cette absence de recours subordonne la recevabilité de l'appel interjeté à l'encontre de la décision litigieuse à la démonstration par l'appelant d'un excès de pouvoir commis par le premier juge. Commet un excès de pouvoir le juge qui use de prérogatives que la loi ne lui a pas dévolues, dépasse les attributions qu'elle lui a conférées ou, à l'inverse, refuse de juger ou de se reconnaître un pouvoir que la loi lui confère. En l'espèce, alors qu'il était saisi d'une demande au fond, le premier juge a « au principal, renvoyé les parties à se pourvoir, mais cependant dès à présent débouté la SCP Y... Z... A... X... de sa demande d'expertise ». Qualifiant au surplus sa décision d'ordonnance de référé rendue en premier ressort, il a ainsi manifestement exercé les attributions du juge des référés et a rendu une décision provisoire. Son refus d'exercer les prérogatives du juge du fond que lui confère l'article 1843-4 du Code civil, caractérisé par le renvoi des parties vers un autre juge ¿ alors même que par une décision antérieure (ordonnance du 6 octobre 2010), ce Président avait reconnu sa compétence exclusive ¿ constitue un excès de pouvoir. En conséquence, il convient de recevoir la SCP en son recours et d'annuler la décision entreprise. En application de l'article 562 du Code de procédure civile, l'intégralité des demandes soumises au premier juge est dévolue à la cour. Il n'y a donc pas lieu de renvoyer devant tel Président ainsi que le demande la SCP. En application de l'article 379 du Code de procédure civile, le sursis à statuer ne dessaisit pas le juge. A l'expiration du sursis, l'instance est poursuivie à l'initiative des parties ou à la diligence du juge, sauf la faculté d'ordonner, s'il y a lieu, un nouveau sursis. Le juge peut, suivant les circonstances, révoquer le sursis ou en abréger le délai. En l'espèce, l'ordonnance rendue le 6 octobre 2010 par laquelle le premier juge a sursis à statuer sur la demande de désignation d'expert formée par la SCP et à laquelle les deux parties reconnaissent force de chose jugée, a fixé deux conditions à ce sursis : la décision de la Cour d'appel d'Amiens relative à l'appel interjeté contre la décision de Monsieur le Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Beauvais en date du 21 juillet 2010, le dépôt du rapport de l'expert qui serait désigné par cette cour. Il est constant que si la Cour d'appel d'Amiens a désigné un expert par un arrêt rendu le 21 février 2012, cet expert n'a pas encore déposé son rapport, de sorte que l'une des deux conditions auxquelles est subordonné le sursis n'est pas levée. Dans ces circonstances, et dès lors que l'instance est toujours suspendue, la SCP est irrecevable en sa demande de désignation d'un expert sous le visa de l'article 1843-4 du Code civil » ; 1°/ ALORS QUE, dans les cas où après avoir annulé la décision qui lui est déférée, la Cour d'appel dispose du pouvoir d'évoquer pour statuer sur la demande, elle doit toutefois observer le principe de la contradiction ; qu'en statuant en l'espèce sur le fond, sans inviter la société Y... Z... A... X... à conclure sur le fond du litige, la Cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ; 2°/ ALORS QUE n'a pas autorité de chose jugée la décision qui, dans son dispositif, se borne à ordonner un sursis à statuer ; qu'en refusant de révoquer le sursis précédemment ordonné en retenant que l'une des deux conditions fixées par l'ordonnance du 6 octobre 2010 n'avait pas été levée, la Cour d'appel a donné autorité de chose jugée à cette ordonnance, commettant ainsi un excès de pouvoir négatif, en violation des articles 1351 du Code civil et 379 du Code de procédure civile ; 3°/ ALORS QUE, le juge qui a ordonné un sursis à statuer peut, suivant les circonstances, révoquer le sursis ou en abréger le délai ; qu'il est aujourd'hui devenu de jurisprudence constante que la désignation de l'expert visé à l'article 1843-4 du Code civil, texte d'ordre public, est de droit dès lors que sont prévus la cession ou le rachat des droits sociaux d'un associé par la société et qu'il existe une contestation sur la valeur de ces droits ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a elle-même constaté que l'ordonnance du 6 octobre 2010 avait sursis à statuer sur la demande de désignation d'expert formée par la société Y... Z... A... X... sur le fondement de l'article 1843-4 du Code civil dans l'attente du dépôt du rapport d'un expert devant être désigné par la Cour d'appel d'AMIENS pour examiner le réajustement des comptes sociaux, la révision de la comptabilité de la société et la valorisation des encours ; que le sursis à statuer ainsi ordonné, qui subordonne la désignation de l'expert chargé d'évaluer les parts sociales de la société à une condition que l'article 1843-4 du Code civil ne prévoit pas, est désormais contraire à la jurisprudence constante de la Cour de cassation ; qu'en refusant cependant de révoquer, au regard de cette circonstance, le sursis à statuer résultant de l'ordonnance du Président du tribunal de grande instance de PONTOISE du 6 octobre 2010, la Cour d'appel a commis un excès de pouvoir négatif, en violation de l'article 379, alinéa 2, du Code de procédure civile, ensemble l'article 1843-4 du Code civil ; 4°/ ALORS QUE, le juge peut, suivant les circonstances, révoquer le sursis ou en abréger le délai ; qu'il est aujourd'hui devenu de jurisprudence constante qu'en vertu des dispositions d'ordre public de l'article 1843-4 du Code civil, l'expert détermine seul et librement les critères qu'il juge les plus appropriés pour fixer la valeur des droits sociaux contestés, sans que ni les parties, ni même le juge, puissent lui imposer la méthode à suivre ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a elle-même constaté que l'ordonnance du 6 octobre 2010 avait sursis à statuer sur la demande de désignation d'expert formée par la société Y... Z... A... X... sur le fondement de l'article 1843-4 du Code civil dans l'attente du dépôt du rapport de l'expert devant être désigné par la Cour d'appel d'AMIENS pour examiner les comptes sociaux de la société exposante ; que le sursis à statuer ainsi ordonné, qui repose sur l'idée que l'expert à désigner devrait consulter certains des comptes sociaux devant être établis lors d'une autre expertise, est désormais contraire à la jurisprudence constante de la Cour de cassation ; qu'en refusant cependant de révoquer, au regard de cette circonstance, le sursis à statuer résultant de l'ordonnance du Président du tribunal de grande instance de PONTOISE du 6 octobre 2010, la Cour d'appel a derechef commis un excès de pouvoir négatif, en violation de l'article 379, alinéa 2, du Code de procédure civile, ensemble l'article 1843-4 du Code civil ; 5°/ ALORS QUE, les conclusions de la société exposante (p. 6, § 7 à 13) faisaient valoir en tout état de cause que les comptes sociaux de la société Y... Z... A... X... étaient désormais, indépendamment de l'expertise ordonnée par la Cour d'appel d'AMIENS, déjà établis pour les années 2009 à 2011, comme cela ressortait à la fois des attestations de l'ANAAFA et du contrôle fiscal subi par la société au premier semestre 2011, de sorte que le rapport attendu de la part de l'expert désigné par la Cour d'appel d'Amiens ne serait en toute hypothèse d'aucune utilité pour l'expert à désigner au titre de l'article 1843-4 du Code civil ; qu'en ne répondant pas à ce moyen déterminant des écritures de la société exposante, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.