TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NANTERRE JUGEMENT RENDU LE 29 Octobre 2009
1ère ChambreN° R.G. : 08/03432
DEMANDERESSES Madame Vanessa B
SAS S VANESSA BRUNO [...]75011 PARIS
Société TSUKI[...]75006 PARISreprésentées par Me Pascal NARBONI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E 700
DEFENDERESSES SAS EIFFEL DISTRIBUTION CENTRE LECLERC Rue d'Alsace[...]Centre Eiffel92300 LEVALLOIS PERRET représentée par Me Laurent PARLEANI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L 36
Société SIPLEC - Société coopérative [...]94200 IVRY SUR SEINE
Société SCADIF Société coopérative d'approvisionnement de l'Ile de France Rue de l'Industrie77176 SAVIGNY LE TEMPLE représentées par Me Antoine GILLOT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E 178
L'affaire a été débattue le 16 Septembre 2009 en audience publique devant le tribunal composé de : Colette M, Première Vice-Présidente Marianne R, Vice-présidente François L, Vice Président qui en ont délibéré. Greffier lors des débats : Geneviève C
JUGEMENTprononcé publiquement, en premier ressort, par décision Contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l'avis donné à l'issue des débats
EXPOSE DU LITIGE :Vanessa B, styliste, crée des vêtements féminins de prêt à porter et des accessoires de mode, commercialisés sous la marque VANESSA BRUNO par la société
SOLUNE-VANESSA BRUNO en gros, au travers d'un réseau de magasins multimarques dans le monde entier, et au détail au travers d'un réseau de cinq corners à l'enseigne VANESSA BRUNO, dans les grands magasins à Paris et d'une boutique monomarque en province.
Elle dirige, par ailleurs, la société TSUKI qu'elle a créée avec un associé japonais pour exploiter à Paris les trois magasins à l'enseigne VANESSA B, qui commercialisent au détail les produits de cette marque, exclusivement.
Faisant valoir qu'au mois de janvier 2008, les magasins E. LECLERC offraient à la vente un modèle de sac cabas présentant des caractéristiques similaires à celles du modèle original "Paillettes" qu'elle a créé en 1998, Vanessa B et la société
SOLUNE-VANESSA BRUNO, dûment autorisées par ordonnance du Président du tribunal de grande instance de Nanterre, ont fait pratiquer une saisie-contrefaçon au sein du magasin LECLERC exploité par la société EIFFEL DISTRIBUTION CENTRE LECLERC à LEVALLOIS PERRET (92).
L'huissier instrumentaire a saisi réellement sept sacs et ses opérations ont révélé que la société SIPLEC importe les produits pour les centrales d'achat des magasins LECLERC, soit la société SCADIF en ce qui concerne les sacs litigieux.
C'est dans ces circonstances que Vanessa B, la SAS S BRUNO et la SARL TSUKI ont, par actes des 3 et 4 mars 2008, fait assigner devant ce tribunal la SAS EIFFEL DISTRIBUTION CENTRE LECLERC, la SA coopérative à capital variable LECLERC SIPLEC et la société coopérative d'approvisionnement de l'Ile de France (SCADIF)SA à capital variable, aux fins de voir dire qu'en important, diffusant et commercialisant un sac constituant la reproduction servile du modèle de sac cabas "Paillettes", créé par Vanessa B, elles se sont rendues coupables d'actes de contrefaçon, d'une part et, d'autre part, de concurrence déloyale à l'égard des sociétés
SOLUNE-VANESSA BRUNO et TSUKI et obtenir réparation des préjudices ainsi subis, au visa des articles L. 122.4, L.335.2 , L.335.3 du Code de la propriété intellectuelle,
1382 et
1383 du Code civil.
Aux termes de leurs dernières conclusions, signifiées le 7 septembre 2009, les demanderesses entendent voir :
-faire interdiction aux sociétés EIFFEL DISTRIBUTION CENTRE LECLERC, SIPLEC et SCADIF, sous astreinte définitive de 1 000 euros par infraction constatée et par jour, d'importer, d'exposer, de vendre ou laisser circuler sur le territoire français le sac contrefaisant ;
-ordonner la confiscation et la remise par les défenderesses à la société
SOLUNE- VANESSA BRUNO des 6270 articles contrefaisants non vendus, en vue de leur destruction, sous astreinte définitive de 1 000 euros par jour de retard et par sac non restitué à compter de la date de la décision à intervenir;
-condamner in solidum les sociétés EIFFEL DISTRIBUTION CENTRE LECLERC, SIPLEC et SCADIF, à titre de dommages et intérêts, au paiement des sommes suivantes:-au titre de la contrefaçon, sur le fondement des droits d'auteur:*à la société
SOLUNE-VANESSA BRUNO la somme de 1 600 000 euros avec intérêts de droit et anatocisme à compter du jour de l'assignation;*à Vanessa B la somme de 50 000 euros pour violation de son droit moral, avec intérêts de droit et anatocisme à compter du jour de l'assignation;
-au titre de la concurrence déloyale:*à la société
SOLUNE-VANESSA BRUNO la somme de 200 000 euros avec intérêts de droit et anatocisme à compter du jour de l'assignation;*à la société TSUKI la somme de 200 000 euros avec intérêts de droit et anatocisme à compter du jour de l'assignation.
Elles sollicitent, en outre, la condamnation in solidum des défenderesses au paiement, à chacune d'elles, de la somme de 15 000 euros en application de l'article
700 du Code de procédure civile et demandent au tribunal d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq magazines ou journaux de leur choix, aux frais des défenderesses dans la limite de 5 000 euros par insertion, et sur la page d'accueil du site internet www.e-leclerc.com, pendant une durée de douze mois et d'assortir l'ensemble des dispositions du jugement de l'exécution provisoire.
Les sociétés SIPLEC et SCADIF ont signifié des conclusions récapitulatives, le 3 septembre 2009, tendant à voir débouter les demanderesses de l'intégralité de leurs demandes et les voir condamnées solidairement à payer à la société SIPLEC la somme de 15 000 euros en application de l'article
700 du Code de procédure civile.
Elles précisent, à titre préliminaire, la nature de leur activité respective en leur qualité de coopérative dans le cadre de l'organisation du Mouvement LECLERC, groupement associatif de commerçants indépendants, et, à titre principal, contestent le bien fondé de l'action en contrefaçon dirigée à leur encontre, faute de démonstration du caractère original du modèle de sac VANESSA B dit "Paillettes".
Elles soutiennent que le modèle de sac, objet du présent litige, n'est rien d'autre qu'une simple imitation du modèle de sac cabas commercialisé, depuis bien avant 1998, par la société américaine LL BEAN, Vanessa Bruno s'étant contentée de remplacer les bandes de couleurs unies de ce dernier par des bandes de paillettes, simples éléments de décoration courants qui sont le reflet de l'époque et de la tendance actuelle de la mode.
Par ailleurs, elles soulignent les différences existant entre le sac "Paillettes" Vanessa B et le modèle importé par la société SIPLEC, qu'elles qualifient de notables et nombreuses, qui donnent à ceux-ci un aspect extérieur distinct qui ne saurait échapper à un client d'attention moyenne.
Enfin, faisant valoir qu'elles n'ont aucune activité de création et de fabrication, se contentant d'acheter des produits conçus par des fournisseurs extérieurs, elles
arguent de leur bonne foi manifeste et contestent avoir commis une faute ou même une imprudence en procédant à la commercialisation du modèle de sac litigieux.Subsidiairement, elles contestent formellement le bien fondé des demandes de réparation présentées et précisent, en ce qui concerne les demandes annexes, que les articles dont il est demandé la remise sont en la possession des magasins LECLERC qui en ont la propriété exclusive, d'une part et, d'autre part, que le site www.e-leclerc.com ne leur appartient pas et n'est pas géré par elles.
Relevant que les demanderesses fondent leur action en concurrence déloyale sur le même fait que leur action en contrefaçon, à savoir l'imitation du modèle de sac "Paillettes", à l'exclusion de tout autre grief démontré, elles concluent à l'irrecevabilité de celle-ci et, subsidiairement, elles entendent voir constater que la preuve des préjudices allégués n'est pas rapportée.
Par conclusions signifiées le 10 septembre 2009, la société EIFFEL DISTRIBUTION demande au tribunal de débouter les demanderesses de l'ensemble de leurs demandes et de les condamner à lui payer la somme de 8 000 euros en application de l'article
700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, Maître Laurent Parleani sollicitant le bénéfice des dispositions de l'article
699 du Code de procédure civile.
A titre principal, elle conteste le bien fondé de l'action en contrefaçon en soutenant, comme les deux autres défenderesses, que le modèle de sac "Paillettes" en cause est dépourvu d'originalité et que, de surcroît, le modèle de sac qu'elle a distribué présente des différences notables avec ce dernier.
Subsidiairement, relevant que l'action initiée à son encontre est fondée sur les droits d'auteur, elle soutient qu'elle doit être exonérée de toute responsabilité dès lors qu'elle a agi en qualité de simple revendeur et qu'elle fait preuve de sa bonne foi, n'ayant aucun moyen, en l'espèce, de vérifier l'existence ou non d'une contrefaçon.
Elle fait, par ailleurs, valoir que les demanderesses ne fondent pas leur action en concurrence déloyale sur des faits distincts de ceux fondant leur action en contrefaçon et que, quoiqu'il en soit, elles ne démontrent pas qu'elle aurait commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité vis à vis d'elles, au regard des dispositions de l'article
1382 du Code civil.
Elle ajoute, à ce titre, que les sacs litigieux ne comportaient aucune mention de la marque ou de la dénomination "VANESSA BRUNO" et que ni la matière des sacs en cause, ni leur prix, ni le mode de distribution ne permettent une quelconque confusion.
En tout état de cause, elle soutient que le prétendu préjudice imputable à la société EIFFEL DISTRIBUTION ne peut qu'être négligeable, seuls 56 sacs prétendument contrefaisants ayant été acquis par elle (représentant une marge brute d'un montant total de 57,12 euros) et elle conteste les calculs opérés par les demanderesses et la réalité d'une prétendue vulgarisation et banalisation du sac "Paillettes", du préjudice d'image invoqué et de la perte de chance de développement alléguée qui lui serait imputable.
A titre "infiniment subsidiaire", la société EIFFEL DISTRIBUTION soutient que la société
SOLUNE-VANESSA BRUNO n'apporte aucun élément permettant de justifier la raison pour laquelle elle devrait être condamnée solidairement avec les sociétés SIPLEC et SCADIF, en rappelant son rôle de revendeur et en affirmant qu'il est certain que l'achat d'un sac dans le Centre E. LECLERC de LEVALLOIS- PERRET ne représente pas une vente manquée pour la société
SOLUNE- VANESSA BRUNO.
Elle précise, en ce qui concerne les demande présentées par la société TSUKI, sur le fondement de l'article
1382 du Code civil, que celle-ci n'établit nullement les fautes qu'elle allègue pas plus que le préjudice dont elle se prévaut, aucun élément ne permettant, en outre, de considérer que la diminution des ventes qui a touché les trois tailles du sac litigieux, selon l'expert-comptable, trouve sa cause dans la commercialisation des sacs en cause par la société EIFFEL DISTRIBUTION.
Elle ajoute qu'en tout état de cause, la marge brute qui aurait été réalisée par la société TSUKI pour la vente de 56 sacs s'élève à la somme totale de 2 320,08 euros.
Elle soutient, enfin, qu'en l'absence de preuve des faits de contrefaçon allégués, Vanessa B ne peut qu'être déboutée de sa demande de réparation du préjudice qu'elle prétend avoir subi du fait de l'atteinte alléguée à son droit moral.
A titre subsidiaire, elle relève que la demande aux fins de publication judiciaire, particulièrement excessive et fantaisiste dans ses modalités, n'est pas fondée et qu'en tout état de cause, le site internet visé est édité par une société qui n'est pas dans la cause.
MOTIFS
DE LA
DÉCISION :
Sur la protection revendiquée :
Les défenderesses contestent la protection par le droit d'auteur du sac "Paillettes" commercialisé sous la marque VANESSA BRUNO, invoqué par les demanderesses qui fondent leur action en contrefaçon sur les dispositions des articles
L. 112-1 et
L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle, en soutenant que celui-ci ne constitue nullement une création originale, s'agissant de l'imitation d'un modèle de sac cabas commercialisé, depuis de très nombreuses années, par une société américaine dénommée L BEAN.
Elles font valoir que rien, dans les caractéristiques, les dimensions ou les matières du sac "Paillettes" en cause, ne permet de le distinguer d'autres sacs cabas du même genre et que Vanessa B s'est contentée de remplacer les bandes de couleurs unies du modèle de sac cabas L BEAN par des bandes de paillettes, ce qui ne peut constituer une création au sens de l'article
L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle.
Vanessa B caractérise le sac "Paillettes", moyen format, dans sa version en toile qui est revendiquée, par la combinaison inédite des éléments suivants :-un sac de type cabas, porté main, -en toile de coton,
-une bande de six rangs de paillettes, cousue tout autour du bas du sac, d'une largeur de trois centimètres,-des bandes de quatre rangs de paillettes, d'une largeur de deux centimètres cousues sur le corps et les poignées de chaque côté du sac,-un fond rectangulaire mou,-un fond et des côtés à l'intérieur du sac qui sont gansés à l'aide d'un galon plat,-un montage piqué retourné du fond et de ses côtés,-une finition rembordée en haut du sac avec une rehausse intérieure de 4,7 centimètres,-une poche intérieure carrée fixée à la rehausse au niveau des poignées,-une fermeture à glissière.
L'appréciation du caractère protégeable du sac en cause doit s'effectuer de manière globale, en fonction de l'aspect d'ensemble produit par la combinaison des divers éléments le caractérisant et non par l'examen de chacun de ceux-ci pris individuellement.
En l'espèce, si l'originalité du modèle litigieux ne saurait, effectivement, résider dans la seule apposition de paillettes, il résulte de l'examen des pièces versées aux débats que, si certains des éléments du modèle en cause, relevés ci-dessus, appartiennent au fond commun de l'univers de l'accessoire de mode dont fait partie le sac, et plus particulièrement du sac "cabas", comme le reconnaît Vanessa B qui indique "s'être inspirée du modèle classique du patrimoine américain, le cabas en toile de bâche de la marque LL BEAN", en revanche, leur combinaison confère à ce modèle une physionomie propre, qui traduit un parti pris esthétique qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur.
Il convient de relever, à ce titre, qu'il ressort des articles de presse produits que Vanessa B s'est fait connaître du grand public pour son "cabas à paillettes", qui a rencontré un très large succès du fait de l'alliance du "chic et du pratique" qui le caractérise, tel que le souligne les professionnels en indiquant qu'il "a rencontré le succès au moment où la mode a versé dans l'ultra féminité. Il a aussi accompagné le retour du bijou. Il vibre, il scintille, il attire le regard. ".
En outre, les demanderesses ne produisent aucun élément de nature à démontrer que le sac cabas commercialisé par la société LL BEAN présenterait les mêmes caractéristiques que le sac litigieux, la seule différence consistant à remplacer les bandes de couleurs unies de celui-ci par des bandes de paillettes, comme prétendu, la brochure relative à cette société, seule pièce produite, étant totalement inopérante à ce titre dès lors qu'elle ne comporte que deux clichés (l'un en noir et blanc, l'autre en couleur) représentant ledit sac dans deux versions différentes, dont le seul point commun est qu'il s'agit d'un sac en toile qui appartient au genre "cabas" et dont l'apparence, volontairement classique, naturelle sans aucune sophistication, est très éloignée de celle du sac sur lequel porte le litige.
Il s'ensuit que le sac "Paillettes" commercialisé sous la marque VANESSA BRUNO présente un caractère original qui le rend éligible à la protection instituée au Livre I du Code de la propriété intellectuelle telle que revendiquée par les demanderesses.
Sur la contrefaçon :
II résulte de l'examen comparatif des modèles de sac opposés, auquel le tribunal s'est livré, que se trouvent repris sur les modèles argués de contrefaçon les éléments caractéristiques du modèle original et que les différences invoquées par les défenderesses sont infimes et difficilement perceptibles à l'œil nu, de sorte qu'elles n'affectent pas la même impression visuelle d'ensemble.
En effet, les sacs offerts à la vente dans les magasins E. LECLERC, saisis par l'huissier dans le cadre des opérations de saisie-contrefaçon, sont des sacs de type "cabas" qui se portent à la main (du fait de la hauteur des poignées), en toile de coton et qui présentent:- une bande de six rangs de paillettes, cousue tout autour bas du sac, comme sur le sac VANESSA B, d'une largeur de 3,5centimètres (3 centimètres sur le modèle original) ;-des bandes de trois rangs de paillettes ( quatre rangs sur le modèle original) d'une largeur de 1,8 centimètres (2 centimètres sur le modèle original) cousues sur le corps et les poignées de chaque côté du sac ( la différence avec le sac original résidant dans la largeur des poignées-3,5cm au lieu de 2 cm- de sorte que les paillettes ne les recouvrent pas totalement );-un fond rectangulaire mou;-un fond et des côtés à l'intérieur du sac qui sont gansés à l'aide d'un galon plat ;-un montage piqué retourné du fond et des côtés;-une finition rembordée en haut du sac avec rehausse intérieure de 4,5centimètres (4 centimètres pour le modèle original);-une poche intérieure carré fixée à la rehausse au niveau des poignées;-une fermeture à glissière, comme sur l'une des versions du sac original.
Ainsi, la contrefaçon étant caractérisée, indépendamment de toute faute ou mauvaise foi, par la reproduction, la représentation ou l'exploitation d'une œuvre de l'esprit en violation des droits de propriété intellectuelle qui y sont attachés, les sociétés EIFFEL DISTRIBUTION, SIPLEC et SCADIF qui ont, toutes trois, participé à la commercialisation des sacs contrefaits, ont commis des actes de contrefaçon à rencontre de Vanessa B et de la SAS S BRUNO.
Sur le préjudice patrimonial :
L'article
L.331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle dispose que: "Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner subi par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire des ces droits du fait de l'atteinte. ".
Au titre du préjudice patrimonial subi, la société
SOLUNE-VANESSA BRUNO fait valoir un manque à gagner du fait des ventes perdues, aggravé par une perte du pouvoir attractif du modèle contrefait, un préjudice d'image qui la discrédite aux yeux de ses revendeurs et du public et, enfin, le bénéfice illégitime tiré des investissements réalisés par elle pour créer, développer et promouvoir le modèle en cause.
La société SIPLEC reconnaît avoir importé 15 624 sacs contrefaits qui ont été vendus aux 16 centrales régionales françaises E.LECLERC, 9 354 sacs ayant fait
l'objet d'une vente effective, entre les mois de décembre 2007 et février 2008. Il résulte des pièces versées aux débats que lesdits sacs, vendus 5 euros par la société EIFFEL DISTRIBUTION CENTRE LECLERC, correspondent au format moyen du sac original, vendu au prix de 95 euros, selon l'attestation de la comptable de la société
SOLUNE dans les magasins à l'enseigne VANESSA B et les "corners", et qui apparaît au prix de 38 à 42 euros sur les factures produites, et la société
SOLUNE-VANESSA BRUNO affirme que son prix de revient est de 18,21 euros.
S'il convient de prendre en compte la masse contrefaisante importée (15 624 sacs) pour l'évaluation de l'entier préjudice résultant des actes de contrefaçon, le manque à gagner doit être évalué au regard de la masse contrefaisante vendue (9 354 sacs), tout en intégrant le fait que le sac contrefaisant a été utilisé comme produit d'appel par la société EIFFEL DISTRIBUTION qui l'a reproduit dans un catalogue publicitaire des magasins LECLERC, très largement diffusé, dans la cadre d'une opération "petits prix".
Le succès rencontré par le sac "Paillettes" original est attesté par les articles de presse versés aux débats qui font apparaître qu'il constitue un accessoire phare de la collection de Vanessa B et l'expert comptable de la société
SOLUNE atteste de l'engagement de frais de développement et déclinaison du sac "Paillettes" à hauteur de 2 679 489 euros, de communication à hauteur de 1 649 260 euros et de commercialisation et logistique à hauteur de 4 631 000 euros et indique que le chiffre d'affaires réalisé, depuis la création dudit sac, s'élève à 115 775 000 euros pour 887 750 sacs vendus.
Aussi, il résulte de la très large exposition du sac contrefaisant et de sa diffusion en grande surface une banalisation et une vulgarisation de celui-ci de nature à compromettre sa vente prolongée, d'une part et d'autre part, a discréditer la société
SOLUNE auprès de ses revendeurs multimarques.
Enfin, la société EIFFEL DISTRIBUTION, en proposant à la vente le sac contrefaisant dans les conditions précédemment rappelées, a entendu profiter de l'investissement créatif et de communication de la société
SOLUNE.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de condamner in solidum les sociétés EIFFEL DISTRIBUTION Centre LECLERC, SIPLEC et SCADIF au paiement de la somme de 750 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l'entier préjudice subi par la société
SOLUNE-VANESSA BRUNO résultant des actes de contrefaçon auxquels elles ont toutes trois participé, la demande en paiement formulée "à titre de provision" n'étant pas justifiée.
Il convient de relever que la société SIPLEC, dans ses dernières écritures, demande au tribunal de "lui donner acte de ce qu'elle s'engage, en tout état de cause, à garantir les sociétés SCADIF et EIFFEL DISTRIBUTION de toutes condamnations pécuniaires éventuellement prononcées à leur encontre". En l'absence de toute demande de garantie formulée par ces dernières, il n'y a pas lieu au donner acte sollicité.
Pour mettre fin aux actes illicites, il convient, en outre, de faire droit aux demandes au titre des mesures d'interdiction et de publication suivant les modalités retenues au dispositif du présent jugement, étant précisé que le site internet
www.e-leclerc.com. étant édité par une société qui n'est pas partie à la présente instance, aucune publication sur la page d'accueil de celui-ci, telle que sollicitée, ne peut être imposée.
En revanche, il n'y a pas lieu de faire droit, dès lors qu'une mesure d'interdiction est prononcée, à la demande formée au titre de la confiscation et de la remise des articles contrefaisants non vendus.
Sur l'atteinte au droit moral de l'auteur :
Au visa des articles L. 121.1 du Code de la propriété intellectuelle et 6 Bis de la Convention de Berne du 24 juillet 1971, Vanessa B, soutenant qu'en diffusant un sac cabas qui dénature le sac "Paillettes" qu'elle a créé, les sociétés EIFFEL DISTRIBUTION Centre LECLERC, SIPLEC et SCADIF ont porté manifestement une atteinte caractérisée à l'intégrité de son œuvre et à son droit moral, sollicite l'allocation de la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Il est établi que Vanessa B est la créatrice du sac "Paillettes" commercialisé sous la marque éponyme. Le sac contrefaisant, qui constitue une imitation de celui-ci par la reprise de ses éléments caractéristiques très légèrement modifiés pour donner une même impression d'ensemble et qui est réalisé avec des matériaux de moins bonne qualité dénature incontestablement l'original. Cependant, la demanderesse ne caractérisant pas l'importance du préjudice qu'elle allègue, il convient, au vu des pièces du dossier relatives, notamment, à sa notoriété de lui allouer la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité réparatrice.
Sur les agissements parasitaires :
Les sociétés TSUKI et S BRUNO , en leur qualité de distributeur du sac commercialisé sous la marque VANESSA BRUNO, soutiennent que le fait de commercialiser le produit litigieux à un prix dérisoire (5 euros) au regard du prix du modèle original (95 euros), avec de très mauvaises finitions , sans aucun souci pour la réputation de celui-ci, rompt le principe d'égalité entre concurrents et caractérise, dans ces conditions, des agissements de concurrence déloyale indépendants de la contrefaçon.
Elles ajoutent que ces sociétés ont indûment profité de la renommée du sac "Paillettes" VANESSA B pour en faire un produit d'appel dans le cadre d'une vaste campagne publicitaire, détournant ainsi à leur profit la notoriété du sac en cause acquise au prix d'importants efforts et investissements.
Si les griefs tirés de la copie servile et de la pratique d'un prix inférieur sont susceptibles d'aggraver le préjudice résultant de la contrefaçon, laquelle se définit comme la reproduction intégrale ou partielle de l'oeuvre sans l'autorisation de son auteur, ils ne constituent pas des faits distincts de concurrence déloyale, d'autant que le prix de vente des modèles contrefaisants, s'il est effectivement inférieur à celui des modèles originaux, ne peut être considéré comme vil, en l'absence de vente à perte.
Force est de constater que la société
SOLUNE VANESSA-BRUNO invoque, au titre de la concurrence déloyale les mêmes préjudices que ceux qu'elle a fait valoir au titre de la contrefaçon et qui ont été pris en compte.
Par ailleurs, en ce qui la concerne, la société TSUKI , qui se prévaut de sa qualité de distributeur au détail du sac revendiqué, ne justifie nullement d'agissements fautifs constitutifs de concurrence déloyale à son égard dès lors qu'elle invoque "l'appropriation de ces efforts et investissements et la confusion créée par les défenderesses avec le produit haut de gamme qu'elle commercialise " en faisant, en réalité, référence exclusivement aux investissements de création et de communication engagés par la société
SOLUNE VANESSA-BRUNO .
En outre, elle se contente d'invoquer "le risque de détournement de clientèle" qui "découle à l'évidence du risque de confusion dans l'esprit du public qui s'interrogera légitimement sur les raisons de la présence de ce sac identique au sac "paillettes" commercialisé très officiellement à un prix dérisoire dans des magasins de grande surface", d'une façon générale, sans plus de précision au regard de son activité propre qui est l'exploitation de trois magasins monomarques parisiens à l'enseigne VANESSA BRUNO.
Il y a lieu, conséquence, de débouter les sociétés
SOLUNE-VANESSA BRUNO et TSUKI de l'intégralité de leurs demandes formulées sur le fondement de l'article
1382 du Code civil.
Sur les autres demandes :
En application des dispositions de l'article
1153-1 du Code civil, les intérêts sur les sommes allouées aux demanderesses en indemnisation de leurs préjudices courent à compter du prononcé de la présente décision.
Il convient de faire droit aux demandes formulées sur le fondement de l'article
700 du Code de procédure civile dans les termes du dispositif et d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision, justifiée par son caractère indemnitaire.
PAR CES MOTIFS
:
Dit que la SAS EIFFEL DISTRIBUTION Centre LECLERC, la SA coopérative à capital variable LECLERC SIPLEC et la SA coopérative SCADIF se sont rendues coupables d'actes de contrefaçon au préjudice de Vanessa B et de la SAS S BRUNO, en important, diffusant et commercialisant un modèle de sac cabas contrefaisant le sac "Paillettes" créé par Vanessa B ;
Condamne in solidum la SAS EIFFEL DISTRIBUTION Centre LECLERC, la SA LECLERC SIPLEC et la SA SCADIF à payer:-à la SAS S BRUNO les sommes de SEPT CENT CINQUANTE MILLE EUROS (750 000 euros) à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement et capitalisation dans les conditions de l'article 1154
du Code civil et la somme de HUIT MILLE EUROS (8 000 euros) en application de l'article
700 du Code de procédure civile ;-à Vanessa B les sommes de DIX MILLE EUROS (10 000 euros) à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement et capitalisation dans les conditions de l'article
1154 du Code civil et HUIT MILLE EUROS (8 000 euros) en application de l'article
700 du Code de procédure civile;
Fait interdiction aux sociétés EIFFEL DISTRIBUTION Centre LECLERC SAS, LECLERC SIPLEC SA et SCADIF SA d'importer, d'exposer, de vendre ou de laisser circuler sur le territoire français le sac contrefaisant, sous astreinte de MILLE EUROS (1 000 euros) par infraction constatée passé un délai de huit jours suivant la signification du présent jugement;
Se réserve la liquidation éventuelle de l'astreinte;
Ordonne la publication du dispositif du présent jugement dans trois magazines ou journaux au choix des demanderesses et aux frais in solidum des sociétés EIFFEL DISTRIBUTION Centre LECLERC, LECLERC SIPLEC et SCADIF, dans la limite de CINQ MILLE EUROS (5 000 euros) par insertion;
Déboute Vanessa B et la SAS S BRUNO du surplus de leurs demandes;
Déboute la SAS S BRUNO et la société TSUKI de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article
1382 du Code civil;
Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision;
Condamne in solidum les sociétés EFFEIL DISTRIBUTION Centre LECLERC SAS, LECLERC SIPLEC SA et SCADIF SA aux entiers dépens qui pourront être recouvrés par Maître Narboni, Avocat, conformément aux dispositions de l'article
699 du Code de procédure civile.