Cour de cassation, Chambre sociale, 10 octobre 1996, 94-18.824

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
1996-10-10
Cour d'appel de Douai (Chambre sociale)
1994-06-30

Texte intégral

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le pourvoi formé par la société Câbleries de Lens, société anonyme, dont le siège est ..., en cassation d'un arrêt rendu le 30 juin 1994 par la cour d'appel de Douai (Chambre sociale), au profit : 1°/ de M. André Y..., demeurant ..., 2°/ de la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Maubeuge, dont le siège est ..., défendeurs à la cassation ; La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt; LA COUR, composée selon l'article L. 131-7, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 27 juin 1996, où étaient présents : M. Gélineau-Larrivet, président, M. Favard, conseiller rapporteur, M. Gougé, Mme Ramoff, conseillers, M. Choppin Haudry de Janvry, conseiller référendaire, M. Terrail, avocat général, M. Richard, greffier de chambre; Sur le rapport de M. le conseiller Favard, les observations de la SCP Célice et Blancpain, avocat de la société Câbleries de Lens, de la SCP Peignot et Garreau, avocat de M. Y..., les conclusions de M. Terrail, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi; Attendu que, le 2 septembre 1986, M. Y..., salarié de la société Câbleries de Lens, a été blessé, au cours du travail, par la chute d'une porte coulissante qu'il manoeuvrait avec un autre ouvrier; qu'à la suite de cet accident, le directeur de l'usine a été condamné pénalement pour blessures involontaires; que la cour d'appel (Douai, 30 juin 1994) a retenu la faute inexcusable de l'employeur;

Sur le premier moyen

:

Attendu que la société Câbleries de Lens fait grief à

l'arrêt attaqué d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, que les mentions de l'arrêt d'appel font foi jusqu'à inscription de faux; qu'en l'espèce, il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que la société ne s'est pas opposée à ce que le magistrat chargé d'instruire l'affaire entende seul les plaidoiries; or, il s'avère qu'en réalité, un ou deux magistrats supplémentaires ont également participé aux débats, la cour d'appel étant ainsi composée, lors des débats, soit des conseillers Morel et Chaillet, soit du président Tredez et des conseillers Morel et Chaillet, de sorte que ces mentions contradictoires ne permettent pas de savoir quels sont les juges ayant réellement siégé et que l'adhésion à ce que l'audience soit tenue par un juge unique n'a pu être valablement donnée; qu'ainsi, la cour d'appel a violé l'article 945-1 du nouveau Code de procédure civile;

Mais attendu

que si, en vertu de l'article 945-1 du nouveau Code de procédure civile, les plaidoiries peuvent être entendues avec l'accord des parties par le magistrat chargé d'instruire l'affaire, rien n'interdit qu'elles le soient par deux magistrats appelés à composer la juridiction, dès lors qu'il en est ensuite rendu compte à celle-ci dans son délibéré; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen

, pris en ses quatre branches :

Attendu que la société Câbleries de Lens fait encore grief à

l'arrêt d'avoir statué comme il l'a fait, alors, selon le moyen, d'une première part, que l'arrêt définitif du 23 octobre 1992 rendu par la Chambre correctionnelle de la cour d'appel de Douai a limité la condamnation de M. X... à la peine de 3 000 francs d'amende aux motifs que sa faute n'était constitutive que d'une simple négligence, n'étant pas d'une gravité extrême, et que la victime, en prenant l'initiative de soulever la porte, avait elle-même commis une faute ayant concouru à la réalisation du dommage ; qu'il résultait de ces motifs que la faute de l'employeur n'avait été ni d'une gravité exceptionnelle, ni déterminante dans la réalisation de l'accident, de sorte qu'en qualifiant néanmoins cette faute d'inexcusable après avoir relevé que l'autorité de la chose jugée résultant du dispositif de l'arrêt pénal du 23 octobre 1992 était attachée également aux motifs qui en étaient le soutien indispensable, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article 1351 du Code civil, ensemble les articles L.452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale ; alors, d'une deuxième part, que la faute de la victime, dès lors qu'elle a été commise indépendamment de la faute de l'employeur et qu'elle a contribué à la réalisation du risque, exonère l'employeur dans la mesure où la faute de celui-ci cesse d'être déterminante et d'une exceptionnelle gravité; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu une faute inexcusable à la charge de l'employeur sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si la victime n'avait pas contribué à la réalisation de l'accident en prenant l'initiative, que défend le bon sens le plus commun, de soulever la porte coulissante au moyen de barres métalliques utilisées comme levier, faute de la victime qu'avait expressément relevé l'arrêt du 23 octobre 1992 revêtu de l'autorité de la chose jugée, de sorte qu'elle a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L.452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale ; alors, d'une troisième part, qu'en s'abstenant de procéder à cette recherche, la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions de la société faisant justement valoir que, comme l'a retenu l'arrêt du 23 octobre 1992, la victime avait commis une faute ayant concouru, avec celle de l'employeur, à la réalisation de l'accident, et que cette faute excluait la gravité exceptionnelle et le caractère déterminant de la faute de ce dernier, de sorte qu'elle a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile; alors, enfin, que la qualification de faute inexcusable requiert la conscience qu'avait ou qu'aurait dû avoir l'employeur du danger qu'il faisait courir à ses salariés; qu'en se bornant à constater que le mauvais fonctionnement de la porte coulissante était connu de l'employeur -ce qui n'était pas de nature à établir un risque de chute de la porte, celle-ci étant due à l'action de soulèvement effectuée par la victime de sa propre initiative- et à relever que la présence de taquets de sécurité aurait empêché le décrochement accidentel de la porte -circonstance n'établissant pas non plus la conscience du danger dans la mesure où ces taquets n'étaient prescrits par aucun texte légal ou règlementaire-, la cour d'appel n'a pas caractérisé la conscience qu'aurait eue l'employeur du danger de renversement de la porte en cause et, partant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale;

Mais attendu

que l'arrêt attaqué relève que le rail de la porte coulissante ne comportait pas de taquets, alors que cet équipement aurait empêché son décrochement accidentel; que, vétuste et d'un poids de plusieurs centaines de kilogrammes, cette porte ne glissait plus normalement depuis un certain temps et que son déplacement rendait nécessaire l'action de deux personnes; que M. Y... était intervenu sur l'ordre d'un contremaître, sans qu'aucun moyen technique ait été mis à sa disposition pour faciliter cette manoeuvre dont la difficulté d'exécution était pourtant connue; que, par ces énonciations, c'est sans méconnaître l'autorité attachée à la décision pénale que la cour d'appel, répondant aux conclusions invoquées, a fait ressortir chez l'employeur la conscience qu'il aurait dû avoir du danger et le caractère particulièrement grave et déterminant d'une faute sans laquelle l'imprudence de la victime ne se serait pas réalisée; d'où il suit que la cour d'appel ayant ainsi légalement justifié sa décision, le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;

PAR CES MOTIFS

: REJETTE le pourvoi ; Condamne la société Câbleries de Lens, envers M. Y... et la CPAM de Maubeuge, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt; Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Câbleries de Lens à payer à M. Y... la somme de 7 500 francs; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du dix octobre mil neuf cent quatre-vingt-seize.