Cour de cassation, Première chambre civile, 24 février 2004, 02-14.005, Publié au bulletin

Synthèse

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2004-02-24
Cour d'appel de Bastia
2002-02-12

Résumé

La clause de valeur agréée stipulée dans un contrat d'assurance garantissant les risques relatifs à la navigation de plaisance, non régi par les règles de l'assurance maritime, ne déroge pas au principe indemnitaire mais opère inversion de la charge de la preuve quant à la valeur de la chose assurée au moment du sinistre.

Texte intégral

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Attendu que M. X..., dont le voilier a été entièrement détruit dans un incendie, a assigné la société Commercial union assurances, aux droits de laquelle se trouve la société CGU Courtage et auprès de laquelle il avait souscrit une police "navigation de plaisance", en paiement d'une indemnité correspondant à la valeur agréée stipulée au contrat ;

Sur le premier moyen

, pris en ses quatre branches :

Attendu que la société CGU courtage fait grief à

l'arrêt attaqué d'avoir fixé le montant de l'indemnité sur la base de la valeur agréée, alors, selon le moyen : 1 / que la police d'assurance dommages afférente à un bateau de plaisance ne relevant pas de l'assurance maritime, celle-ci demeure soumise au principe indemnitaire suivant lequel l'assuré ne peut jamais prétendre, quelles que soient les stipulations du contrat, à une indemnité excédant la valeur de la chose au jour du sinistre ; qu'en admettant, néanmoins, qu'une partie puisse déroger indirectement à ce principe d'ordre public, en se soumettant volontairement aux règles régissant l'assurance maritime, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les articles L. 121-1 du Code des assurances et 6 du Code civil, ensemble, par fausse application, l'article L. 173-6 du Code des assurances ; 2 / qu'appréciant souverainement la commune volonté des parties au contrat d'assurance, la cour d'appel a elle-même retenu qu'en stipulant une clause de valeur agréée, celles-ci n'avaient pas entendu aménager la charge de la preuve mais reconnaître à l'assuré, comme en matière d'assurance maritime, un droit au paiement d'une indemnité équivalente, en tout état de cause, à la valeur agréée ; qu'ainsi interprétée, la clause de valeur agréée devait être regardée comme nulle, comme contraire aux dispositions d'ordre public de l'article L. 121-1 du Code des assurances, ce qui excluait qu'elle puisse produire un quelconque effet ; qu'en retenant néanmoins, dans un second temps, que cette même clause emportait renversement de la charge de la preuve, la cour d'appel a refusé de tirer les conséquences de ses propres constatations et a violé, ce faisant, les articles 6 du Code civil et L. 121-1 du Code des assurances, ensemble les articles 1134 et 1315 du Code civil ; 3 / que subsidiairement, même en présence d'une clause de valeur agréée, il appartient aux juges du fond d'apprécier souverainement, conformément à ce que postule le principe indemnitaire, la valeur de la chose assurée au jour du sinistre, dont la preuve peut être rapportée par tout moyen, y compris à la faveur de simples présomptions du fait de l'homme ;

qu'en décidant

néanmoins, que le juge n'avait pas le pouvoir, en présence d'une clause de valeur agréée, de rechercher lui-même la valeur de la chose assurée au jour du sinistre en recourant à la méthode d'évaluation qui lui paraît la plus opportune, la cour d'appel a violé de nouveau les articles 1315 du Code civil et L. 121-1 du Code des assurances ; 4 / qu'en tout état de cause, en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si, entre la date à laquelle le navire avait été estimé pour la détermination de la valeur agréée (le 1er juillet 1993) et le jour du sinistre (le 30 octobre 1995), celui-ci n'avait pas nécessairement subi une dépréciation du simple fait de l'écoulement du temps, a fortiori du fait de l'utilisation intensive qui avait été faite du catamaran pendant cette période, la cour d'appel n'a pas justifié légalement son arrêt au regard de l'article L. 121-1 du Code des assurances ; Mais attendu que, indépendamment du motif erroné mais surabondant selon lequel les parties à un contrat d'assurance ayant pour objet de garantir les risques relatifs à la navigation de plaisance auraient la faculté de soumettre leur convention, en tout ou partie, aux règles de l'assurance maritime, la cour d'appel a retenu que la clause de valeur agréée, stipulée dans la police, emportait inversion de la charge de la preuve quant à la valeur de la chose assurée au moment du sinistre et que l'assureur ne rapportait pas la preuve qu'à la date de sa destruction le voilier avait une valeur inférieure à la valeur agréée ; qu'ayant ainsi tiré les exactes conséquences de la stipulation de la clause de valeur agréée, elle a, sans méconnaître le principe indemnitaire énoncé par l'article L. 121-1 du Code des assurances et sans avoir à opérer d'office la recherche invoquée, exactement décidé que la société CGU courtage était tenue de payer à M. X... une indemnité égale à la valeur agréée ; que le moyen, inopérant en sa première branche, n'est pas fondé en ses autres griefs ;

Sur le deuxième moyen

:

Attendu que la société

CGU courtage reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à M. X... une indemnité englobant les frais de stationnement de l'épave, alors, selon le moyen, qu'ayant elle-même constaté que la police d'assurance ne couvrait pas les frais de stationnement, qui se trouvaient ainsi exclus de la garantie, la cour d'appel ne pouvait les mettre à la charge de l'assureur, sauf à refuser d'appliquer la convention qui faisait la loi des parties, en violation de l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu

que, ayant énoncé que les frais de retirement, couverts par la police d'assurance, ne comprenaient pas les frais de stationnement du bateau sinistré, la cour d'appel a pu décider que ceux-ci devaient rester à la charge de l'assureur non pas sur le fondement de la police mais pour avoir été exposés pour les besoins de l'expertise diligentée par les soins de la société d'assurance ; que le moyen n'est pas davantage fondé ;

Mais sur le troisième moyen

, tel qu'il figure dans le mémoire en demande et est reproduit en annexe au présent arrêt :

Vu

l'article 1382 du Code civil ; Attendu qu'une action en justice ne peut, sauf circonstance particulière qu'il appartient au juge de spécifier, constituer un abus de droit, lorsque sa légitimité a été reconnue par la juridiction du premier degré, malgré l'infirmation dont sa décision a été l'objet en appel ;

Attendu que pour condamner

la société CGU courtage à payer à M. X... la somme de 7 000 euros à titre de dommages-intérêts, la cour d'appel, dont l'arrêt, réformant le jugement, se borne à reprendre l'analyse des circonstances soumises à l'appréciation des premiers juges, a retenu que l'assureur avait opposé une résistance injustifiée et retardé abusivement le versement de l'indemnité contractuellement prévue ;

Qu'en se déterminant ainsi

, sans relever aucun élément postérieur au jugement ou ignoré du tribunal, lequel avait reconnu le bien-fondé du refus de la compagnie d'assurance de payer le montant de la valeur agréée du voilier sinistré, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; Et attendu que, conformément à l'article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, la Cour de Cassation est en mesure, en cassant sans renvoi, de mettre fin au litige par application de la règle de droit appropriée ;

PAR CES MOTIFS

: CASSE ET ANNULE, mais seulement en sa seule disposition ayant condamné la société Commercial union assurances, aux droits de laquelle se trouve la société CGU courtage, à payer à M. X... la somme de 7 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, l'arrêt rendu le 12 février 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ; Dit n'y avoir lieu à renvoi de ce chef ; Et, statuant à nouveau ; Dit que la société CGU Courtage n'a pas fait dégénérer en abus son droit de se défendre à une action en justice ; Dit en conséquence, en tant que de besoin, que M. X... doit restituer à la société CGU courtage la somme de 7 000 euros, avec intérêts de droit à compter de la signification du présent arrêt ; Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ; Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre février deux mille quatre.