Cour de cassation, Première chambre civile, 18 février 2015, 14-11.558

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2015-02-18
Cour d'appel de Rennes
2013-11-12
Cour d'appel de Rennes
2013-11-12

Texte intégral

Sur le moyen

unique, pris en ses deux premières branches :

Vu

l'article 1382 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué

, que par acte reçu le 29 décembre 2004 par M. C..., notaire associé de la SCP D...-C...-E..., devenue la SCP C...-E...-F..., M. X... a acquis, aux fins de défiscalisation, les lots n° 1, 10 et 17 d'un ensemble immobilier classé au titre des monuments historiques ; que la commercialisation de l'immeuble ayant échoué et n'ayant pas permis de réunir les fonds suffisants pour entreprendre les travaux de réhabilitation, M. X... a assigné le notaire en responsabilité, lui reprochant de ne pas l'avoir informé sur les risques de l'opération ; Attendu que pour accueillir ses demandes en réparation, l'arrêt retient qu'il appartenait au notaire d'attirer l'attention de l'acquéreur sur le fait que les avantages fiscaux espérés exigeaient un apport de fonds significatif et la vente de lots dans une mesure suffisante ;

Qu'en statuant ainsi

, alors que le notaire, non soumis à une obligation de conseil et de mise en garde concernant la solvabilité des parties ou l'opportunité économique d'une opération en l'absence d'éléments d'appréciation qu'il n'a pas à rechercher, n'était pas tenu d'informer l'acquéreur du risque d'échec du programme immobilier, qu'il ne pouvait suspecter au jour de la signature de la vente, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et vu

l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;

PAR CES MOTIFS

, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 novembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; DIT n'y avoir lieu à renvoi ; Déboute M. X... de l'ensemble de ses demandes ; Condamne M. X... aux dépens comprenant ceux exposés devant les juges du fond ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, signé par Mme Crédeville, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller référendaire empêché, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit février deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE

au présent arrêt Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour M. C...et la société C...-Touzeau-F... Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que M. C...et la SCP C...-E...-F...avaient manqué à leur devoir de conseil à l'égard de M. X... et de les AVOIR, en conséquence, condamnés in solidum à payer à M. X..., à titre de dommages et intérêts, la somme de 93. 449, 13 euros, outre intérêt au taux légal à compter de l'assignation initiale devant le Tribunal de grande instance de Nantes ; AUX MOTIFS QU'en achetant les lots n° 1, 10 et 17 dans l'immeuble « La Maison G...», M. X..., qui avait pour objectif d'effectuer un investissement à intérêt fiscal, s'est vu remettre par le vendeur un document de commercialisation intitulé « La Maison G...¿ Programme classé monument historique » dont la restructuration prévoyait l'aménagement de sept appartements, quatre greniers, quatre locaux commerciaux dans un immeuble datant des XIIIème et XVème siècles situé au centre du bourg de Saint-Antonin-Noble-Val ; que ce document mettait l'accent sur les avantages fiscaux bénéficiant au propriétaire de biens classés monuments historiques, et plus particulièrement au propriétaire bailleur en précisant que celui-ci pourrait non seulement déduire des revenus locatifs la totalité des charges de propriété, mais encore imputer les déficits fonciers s'ils existent sur l'ensemble de son revenu imposable sans limitation ; qu'il était fait référence à la complémentarité des compétences de « l'équipe projet », dont celles notamment d'un avocat fiscaliste et d'un notaire, qualifié de « spécialiste et expérimenté sur les opérations monuments historiques », en la personne de Me Bernard C..., dont il était précisé qu'il effectuait directement les appels de fonds « foncier » et « travaux » auprès des banques des clients, et il y était mentionné que le porteur foncier était la société « Les Jardins d'Adrienne » et que M. Thierry Y...était le responsable de la commercialisation ; qu'y était annexée une « lettre de mission » de l'avocat fiscaliste précité, lequel proposait son intervention pour les clients de l'opération, à leur demande, notamment pour toutes informations fiscales concernant l'investissement et l'assistance pour l'établissement des déclarations de revenus fonciers pendant la période de déduction des travaux ; qu'y était également annexé un modèle type de compromis de vente selon lequel la vente devait être réalisée par acte authentique reçu par Me C...; que Me C...ne conteste pas avoir eu connaissance de la motivation fiscale de M. X... pour l'acquisition faite devant lui ; qu'il soutient en revanche qu'il ignorait figurer sur le documents de commercialisation de l'opération en tant que notaire spécialiste des opérations de défiscalisation, et qu'il n'a eu comme rôle que celui de rédacteur de l'acte de vente de l'immeuble sans aucunement intervenir ni antérieurement au stade de la commercialisation ni postérieurement, à celui des travaux de réhabilitation ; qu'il est néanmoins établi que Me C...connaissait, depuis le début des années 2000, M. Thierry Y..., lequel, selon une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de la Roche-sur-Yon du 16 septembre 2010, s'était fait une spécialité de proposer la vente de biens immobiliers à réhabiliter en vue de bénéficier de dispositions fiscales avantageuses incitant à la conservation du patrimoine historique, que ce soit au titre de la « loi Malraux » ou de la législation sur les monuments historiques, et a ainsi, entre 2004 et 2007, agissant comme dirigeant de sociétés chargées de la rénovation d'immeubles vendus par lots, pu se faire remettre des fonds réunis par des association syndicales de copropriétaires pour le financement des travaux et détourner ceux-ci ; que selon l'ordonnance, les notaires en cause, dont Me C...s'agissant d'une opération « Hôtel Amieux » à Nantes, avaient été chargés de recevoir les fonds destinées aux travaux de la part des investisseurs, et avaient accepté à plusieurs reprises, en fins d'année, de transférer ceuxci dans l'urgence, convaincus par M. Thierry Y...de l'intérêt pour les propriétaires d'un versement aux entreprises avant le terme de l'exercice fiscal en cours, mais que les notaires n'avaient pas reçu mandat de vérifier l'utilisation des fonds, de suivre les travaux ou de faire les paiements directement aux entreprises ; qu'en l'espèce, Me C...affirme n'avoir jamais réglé aucun appel de fonds à M. Thierry Y...ou une entreprise susceptible d'intervenir au titre des travaux de réhabilitation de l'immeuble, mais avoir seulement, en une occurrence, versé à l'ASL « Maison G...» dont Monsieur Jean-Luc Z...était le représentant, une somme de 80. 550, 90 euros le 30 décembre 2004, soit le jour même de l'acquisition par M. Jean-Luc Z...et son épouse de l'un des lots de l'immeuble ; que c'est ce que confirme, après contrôle de la comptabilité de l'étude notariale, M. Jean-Claude A..., expert-comptable ; mais que même en sa seule qualité de rédacteur d'acte, Me C...était tenu non seulement de s'assurer de l'inscription de l'immeuble à l'inventaire des monuments historiques mais encore d'informer et éclairer M. X... sur la portée et les effets, en particulier quant à son incidence fiscale eu égard à la classification du bien, et sur les risques, également de ce point de vue, de l'acte auquel il prêtait son concours ; qu'à ce titre, et il n'était pas déchargé de son obligation par les éventuelles compétences personnelles de M. X..., il lui appartenait d'attirer l'attention de celui-ci sur le fait que les avantages fiscaux espérés, en particulier la possibilité de déduire de ses revenus déclarés l'intégralité des dépenses et charges de restauration du bien et les intérêts d'emprunts liés à l'acquisition du foncier et aux travaux, sans plafonnement, supposait de fait que l'ensemble de l'immeuble soit effectivement réhabilité, ce qui exigeait des apports de fonds permettant cette réhabilitation, et en conséquence la vente des lots dans une mesure suffisante ; que Me C...ne prouve pas, et ne prétend pas, l'avoir fait ; qu'il ne peut être exclu que, pleinement informé des aléas de la défiscalisation attendue, M. X... aurait pu reconsidérer son projet ; mais il n'est pas acquis qu'il y aurait certainement renoncé puisque l'aboutissement de celui-ci dépendait de la survenance d'autres acquéreurs, circonstance qu'il ne maîtrisait pas mais qu'il pouvait escompter ; que seule est actuelle et certain la disparition pour M. X... de l'éventualité, qui lui aurait été favorable, de ne pas s'engager dans une opération aléatoire et d'éviter ainsi un investissement dépourvu des bénéfices fiscaux espérés ; que le préjudice subi par lui résulte donc, comme l'a justement dit le tribunal, de la perte de cette chance ; que l'assiette de ce préjudice comprend non seulement les dépenses liées à l'acquisition du bien, mais aussi à celles liées à sa restauration, indissociable de l'opération globale au titre de laquelle la responsabilité de Me C...est engagée ; que M. X... a payé le prix d'acquisition 77. 952, 60 euros, comptant, au moyen d'un prêt de 273. 300, 00 euros amortissable en une échéance payable le 29 novembre 2019 ; qu'il a par ailleurs versé des sommes pour un total de 105. 944, 70 euros au compte de l'ASL « Maison G...», sur appels de fonds « Travaux » ; que s'agissant de l'acquisition, il doit être considéré que la valeur du foncier est nulle ; que M. Jean-Louis B..., architecte en chef des Monuments historiques, écrivait en effet au maire de Sainte-Antonin-Noble-Val le 2 mai 2008 que l'immeuble était d'une fragilité extrême et qu'il présentait un péril tel qu'il était impératif et urgent de procéder à des travaux de confortation ; qu'or il est constant que, depuis lors, aucune opération de restauration n'a été entreprise ; qu'à l'offre de vente faite par M. X... à la commune, le maire répondait le 10 juin 2009 par la négative en indiquant que celle-ci n'avait pas les moyens d'entretenir l'immeuble ; que cette valeur n'est pas susceptible d'évoluer puisque, selon la convention d'honoraires entre l'architecte, M. B..., et l'ASL « Maison G...», le coût prévisionnel total des travaux de restauration, honoraires compris, était de 1. 410. 890, 00 euros HT, que le solde disponible sur les comptes bancaires de l'ASL était de 315. 972, 81 euros au 13 juin 2013 et que les seuls travaux qui ont été réalisés sont des travaux de mise en sécurité des planchers qui l'ont été au printemps 2007 ; que le préjudice est en conséquence égal au prix du bien augmenté des frais d'acte, soit 77. 952, 60 euros + 10. 700, 00 euros = 88. 652, 60 euros, auxquels s'ajoutent les sommes déjà débloquées sur le prêt lié à l'acquisition et aux travaux, soit 105. 944, 70 euros, et les intérêts et frais d'assurances échus et à échoir du prêt à solder au 29 novembre 2019, soit 120. 206, 96 euros ; que le préjudice total subi par M. X... est donc de 88. 652, 60 euros + 105. 944, 70 euros + 120. 206, 96 euros = 314. 804, 26 euros ; mais qu'il y a lieu de déduire de ce préjudice le montant des économies d'impôts ¿ IRPP et CSG ¿ effectivement réalisées à ce jour, soit 44. 418, 00 euros ; qu'il doit encore en être déduit les sommes figurant au solde créditeur des comptes bancaires de l'ASL « Maison G...» et revenant à M. X... pour sa quote-part d'apport ; que dès lors que celui-ci avait provisionné l'ASL de 105. 944, 70 euros sur un total de 401. 063, 12 euros, soit 26, 42 %, sa quote-part sur les soldes des comptes s'évalue au 13 juin 2012 à 315. 972, 81 euros x 26, 42/ 100 = 83. 480, 02 euros ; que la cour est ainsi en mesure de fixer le montant du préjudice réparable à la somme de 314. 804, 26 euros ¿ (44. 418, 00 euros + 83. 480, 02 euros) = 186. 906, 24 euros ¿ réduite à 186. 898, 25 euros puisque tel est le montant invoqué par M. X... dans ses écritures ¿ sans qu'il y ait lieu de surseoir à statuer jusqu'à la décision définitive sur le litige afférent aux honoraires de l'architecte, M. B..., et l'ASL dont le tribunal de grande instance de Toulouse a été saisi, l'aggravation du dommage, aujourd'hui éventuelle comme l'est par ailleurs le risque de remise en cause par l'administration fiscale des avantages effectivement consentis pour 44. 418, 00 euros, étant seulement susceptible d'ouvrir droit, le cas échéant, à une demande complémentaire ultérieure ; mais que le préjudice à indemniser est celui qui résulte de la perte de chance, qui ne peut être équivalent à la totalité du dommage subi ; que la cour fixe à 50 % la fraction du préjudice correspondant à la perte de la chance de l'éviter, soit un montant de 93. 449, 13 euros ; que le jugement déféré sera en conséquence infirmé et Me Bernard C...et la SCP C...-E...-F...seront condamnés, in sodium, au paiement de dommages et intérêts pour ce montant, augmenté des intérêts au taux légal à compter de l'assignation initiale devant le Tribunal de grande instance de Nantes ; 1° ALORS QUE le notaire authentificateur n'est pas tenu d'une obligation de conseil et de mise en garde concernant la fiabilité et l'opportunité économiques de l'opération globale dans laquelle s'insère l'acte qu'il instrumente ; qu'en jugeant, pour en déduire que le notaire avait manqué à son devoir de conseil, qu'ayant connaissance de la motivation fiscale de son client désireux de bénéficier des avantages fiscaux de la loi sur les monuments historiques, qu'il était tenu non seulement de s'assurer de l'inscription de l'immeuble dont il instrumentait la vente à l'inventaire des monuments historiques, mais encore d'informer et éclairer son client de la portée, des effets et des risques de l'opération et aurait dû, à ce titre, attirer l'attention de celui-ci sur le fait que les avantages fiscaux espérés supposaient de fait que l'ensemble de l'immeuble soit effectivement réhabilité, ce qui exigeait des apports de fonds permettant cette réhabilitation, et en conséquence la vente des lots dans une mesure suffisante, quand elle constatait que le notaire n'était intervenu qu'en sa seule qualité de rédacteur de l'acte de vente de l'immeuble à réhabiliter, ne participant ni à la commercialisation du projet, ni à la réalisation de l'opération de réhabilitation, la Cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 2° ALORS QU'il ne saurait être reproché au notaire de ne pas avoir attiré l'attention de ses clients sur les dangers économiques, théoriques, inhérents à une opération réalisée conformément à un dispositif légal spécifique ; qu'en imputant à faute au notaire de ne pas avoir attiré l'attention de son client sur le fait que la réhabilitation de l'immeuble acquis exigeait des apports de fonds et la vente de lots dans une mesure suffisante, bien qu'une telle opération soit expressément prévue par le Code de l'urbanisme et encouragée par la loi fiscale, qui n'imposent aucune garantie particulière, de sorte que le notaire ne pouvait faire état de risques théoriques et hypothétiques tenant à l'insolvabilité du vendeur et à l'échec commercial de l'opération, la Cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 3° ALORS QUE pour motiver sa décision, le juge doit se déterminer d'après les circonstances particulières du procès et non par voie de référence à des causes déjà jugées ; qu'en appréciant la faute du notaire en référence à ce qui avait été jugé par une ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel de la Roche-sur-Yon du 16 septembre 2010 à propos de précédentes opérations de réhabilitation menées par M. Y..., la Cour d'appel a violé les articles 455 et 458 du Code de procédure civile ; 4° ALORS QU'en toute hypothèse, seul est sujet à réparation le préjudice certain ; qu'au titre de la perte de chance, seule peut être indemnisée la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable ; qu'en accordant à l'acquéreur réparation de perte de chance d'éviter un investissement dépourvu des bénéfices fiscaux espérés, alors qu'il n'était nullement établi que la réhabilitation de l'immeuble dont il était toujours propriétaire ne serait jamais réalisée et ne lui permette pas de bénéficier des avantages fiscaux recherchés, ou qu'en toute hypothèse, l'immeuble ne serait jamais revendu, la Cour d'appel a indemnisé un préjudice éventuel et violé l'article 1382 du Code civil.