Cour de cassation, Deuxième chambre civile, 4 avril 2002, 97-13.352

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2002-04-04
Cour d'appel de Caen (1re chambre, section civile)
1997-02-11

Texte intégral

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le pourvoi formé par : 1 / l'association Y... France, dont le siège est ..., 2 / l'association Stichting Y... council (Y... international), dont le siège est Keizersgracht 176, 1016 Amsterdam (Pays-bas), 3 / l'association Stichting A..., dont le siège est Sophialaan 43, 1075 BM Amsterdam (Pays-Bas), 4 / l'association Greenpace X..., dont le siège est Vorsetzen 53, 20459 Hambourg (Allemagne), en cassation d'un arrêt rendu le 11 février 1997 par la cour d'appel de Caen (1re chambre, section civile), au profit : 1 / de la société British nuclear fuels PLC, dont le siège est Risley Warrington, Cheshire WA3 6AS (Grande-Bretagne), 2 / de la société Pacific nuclear transport Limited, dont le siège est Risley Warrington, Cheshire (Grande-Bretagne), défenderesses à la cassation ; Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt ; Vu la communication faite au Procureur général ; LA COUR, composée conformément à l'article L. 131-6-1 du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 6 mars 2002, où étaient présents : M. Ancel, président, Mme Bezombes, conseiller rapporteur, Mme Borra, MM. Séné, Etienne, Mme Foulon, conseillers, Mme Guilguet-Pauthe, conseiller référendaire, M. Joinet, avocat général, Mlle Laumône, greffier de chambre ; Sur le rapport de Mme Bezombes, conseiller, les observations de la SCP Bouzidi, avocat de l'association Y... France, de l'association Stichting Y... council, de l'association Stichting A... et de l'association Greenpace X..., de la SCP Richard et Mandelkern, avocat de la société British nuclear fuels PLC et de la société Pacific nuclear transport Limited, les conclusions de M. Joinet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué

(Caen, 11 février 1997) qu'un juge des référés, statuant à la demande des sociétés British nuclear fuels PLC et Pacific nuclear transport limited (les sociétés) a fait défense aux associations : Y... France, Stichting Y... council, Stichting A... et Y... X... (les associations), sous peine d'astreinte de 300 000 francs par infraction "de s'approcher des navires appartenant à ou armés par British nuclear fuels PLC et Pacific nuclear transport Limited et devant assurer, courant février 1995, le chargement et le transport de déchets radioactifs retraités et cela, dans les eaux territoriales et intérieures françaises ; de bloquer ou de tenter de bloquer l'accès et la sortie du port de Cherbourg ; de perturber de quelque manière que ce soit le chargement et le transport dans les eaux territoriales et intérieures françaises des matériaux radioactifs retraités et transportés, courant février 1995, par les navires de British nuclear fuels PLC et Pacific nuclear transport Limited" ; que le juge de l'exécution a liquidé l'astreinte à la somme de 900 000 francs en retenant que les associations avaient enfreint les trois interdictions contenues dans l'ordonnance ;

Sur le premier moyen

:

Attendu que les associations font grief à

l'arrêt d'avoir indiqué le nom du conseiller rédacteur alors, selon le moyen : 1 / que les délibérations sont secrètes, et que les arrêts ne peuvent donc indiquer le nom du conseiller rédacteur, que la décision attaquée est entachée de violation de l'article 448 du nouveau Code de procédure civile ; 2 / qu'il en est d'autant plus ainsi qu'il y a lieu de présumer que le magistrat rédacteur est nécessairement en accord avec ce qu'il a rédigé, et que, dès lors, l'indication du nom du rédacteur viole non seulement par lui-même le secret du délibéré en indiquant un événement qui s'est passé au cours du délibéré, mais révèle implicitement l'opinion d'un des juges, que pour cette raison encore, la décision attaquée est entachée de violation de l'article 448 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu

que la mention de l'arrêt indiquant parmi les magistrats ayant participé au délibéré, le nom de son rédacteur, sans faire apparaître en quel sens celui-ci a opiné, ne porte pas atteinte au secret des délibérations ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen

:

Attendu que les associations font grief à

l'arrêt de les avoir solidairement condamnées à payer la somme de 900 000 francs aux sociétés alors, selon le moyen, que tout justiciable a droit à un procès équitable ; que si la signification d'un acte destiné à une personne domiciliée à l'étranger est faite au parquet, cette signification, ne peut, lorsqu'il s'agit d'une décision comportant une injonction d'un juge, et en particulier une interdiction d'accomplir des actes sous peine d'astreinte, être opposable à celui auquel il est fait défense d'accomplir un acte qu'à compter du moment où il a réellement eu connaissance de l'interdiction et du prononcé de l'astreinte ; que. sous peine de priver l'intéressé d'un procès équitable, un juge ne peut liquider une astreinte à lencontre d'une personne pour infraction à une interdiction sans s'assurer quau moment où il a commis l'infraction, l'intéressé connaissait effectivement la décision, c'est-à-dire l'interdiction et l'existence de l'astreinte ; qu'en l'espèce actuelle la décision attaquée en confirmant la décision de liquidation de l'astreinte au seul motif que la décision rendue le 21 février 1995 par le président du tribunal de grande instance de Cherbourg a été régulièrement signifiée le jour même de son prononcé à chacune des quatre associations appelantes, sans s'assurer que chacune des associations, dont trois avaient leur siège à l'étranger avait eu effectivement connaissance le 23 février 1995, au jour où l'infraction se serait produite, de la signification, les juges du fond ont privé les associations d'un procès équitable et par là même violé l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu

que la cour d'appel ayant relevé que les dispositions de l'article 684 du nouveau Code de procédure civile sur la signification d'actes à l'étranger avaient été respectées en l'espèce, a ainsi légalement justifié sa décision sur ce point ;

Sur le troisième moyen

:

Attendu que les associations font grief à

l'arrêt d'avoir statué comme il l'a fait, alors, selon le moyen : 1 / que l'astreinte est une peine privée, indépendante des dommages-intérêts, que le juge peut ordonner aux fins d'assurer l'exécution de sa décision ; qu'en particulier l'astreinte prononcée par le juge des référés a pour objet la garantie d'une injonction (qui peut consister en une interdiction) faite par lui à une partie ; que la liquidation de l'astreinte provisoire prononcée suppose la preuve d'une infraction à l'injonction ; que, s'agissant d'une interdiction prononcée à l'encontre d'une personne morale. la liquidation de l'astreinte et, par conséquent, sa transformation en astreinte définitive par le juge de l'exécution suppose une infraction de la personne morale elle-même, résultant d'une décision prise par les organes compétents à cette fin ; que l'action menée par des dirigeants, des préposés, des collaborateurs ou des membres d'une association ne saurait constituer une infraction commise par l'association elle-même à une interdiction faite sous peine d'astreinte par le juge s'il n'est pas établi que l'action a été menée sur décision des organes statutairement compétents de l'association ; qu'en prononçant la liquidation de l'astreinte, et en condamnant solidairement les associations à payer 900 000 francs aux sociétés aux motifs que l'action menée pour le compte d'une association par ses préposés, ses collaborateurs ou ses membres engage la responsabilité personnelle de l'association elle-même, la décision attaquée a violé l'article 36 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, ensemble les articles 5 et 6 de la loi du 1er juillet 1901, relative aux contrats d'association ; 2 / que si la décision attaquée énonce qu'il ressort de divers articles versés aux débats par les sociétés anglaises (articles de Ouest-France et de la Presse de la Manche), du contenu du tract diffusé quelques jours après les faits par Y... France, que le 23 février 1995 des militants revendiquant leur appartenance à ces associations embarqués sur le Navire Z... Dick et sur quatre canots pneumatiques, se sont approchés du Pacific Pintail, ont tenté de lui bloquer I'accès au port de Cherbourg et ont ainsi retardé les opérations de chargement, la décision attaquée qui ne vise qu'une action menée par des militants des associations, sans établir que la décision relative à l'action aurait été prise par les organes qualifiés desdites associations n'est pas légalement justifiée au regard de l'article 36 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 et des articles 5 et 6 de la loi du 1er juillet 1901 ; 3 / que le tract auquel se réfère l'arrêt attaqué, qui a été communiqué par les sociétés défenderesses au pourvoi, n'est qu'un tract informant de l'action de Y... en général et ne revendiquant pas une action particulière de Y... France dans les événements du 23 février 1995 ; que c'est donc par une dénaturation dudit tract, et dès lors par une violation de l'article 1134 du Code civil, que la décision attaquée a affirmé que l'association Y... France a revendiqué dans le tract mentionné ci-dessus la paternité de l'intervention ; 4 / que toute décision doit être motivée, que l'insuffisance de motifs équivaut au défaut de motifs ; que la seule affirmation que la coordination des campagnes internationales menées par la mouvement Y... est assurée par Y... international, autrement dénommée Stiching Y... council est insuffisante pour démontrer que Y... international aurait pris une part précise à l'action du 23 février 1995, et aurait donc commis une infraction aux interdictions prononcées par l'ordonnance du 21 février 1995, permettant de liquider l'astreinte à son encontre ; que la décision attaquée est donc entachée de violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu

que c'est sans dénaturer le tract diffusé par l'association Y... France que la cour d'appel, après avoir relevé qu'il résultait tant de ce document, que des articles de presse, ainsi que des écritures des associations que des militants revendiquant leur appartenance à celles-ci et embarqués sur le navire Z... Dick et sur quatre canots pneumatiques s'étaient approchés du navire Pacific pintail, avaient tenté de lui interdire l'accès au port de Cherbourg et avaient ainsi retardé les opérations de chargement, retient exactement que l'action menée par les membres d'une association engageait la responsabilité personnelle de celle-ci ; Et attendu que la cour d'appel a énoncé que l'association Stiching Geenpeace council coordonnait les campagnes internationales du mouvement et retenu, par motifs adoptés, que l'unité des moyens des diverses associations était complète ; que la décision attaquée est ainsi légalement justifiée ;

Sur le quatrième moyen

:

Attendu que les associations font grief à

l'arrêt d'avoir statué comme il l'a fait alors, selon le moyen, que lorsqu'un juge a prononcé une injonction consistant en plusieurs interdictions assorties d'une astreinte provisoire, le juge saisi d'une demande de liquidation de l'astreinte en raison de la violation par un fait unique de la totalité ou de plusieurs de ces injonctions ne peut, sous peine de violer le principe qui interdit de prononcer plusieurs peines pour réprimer une infraction unique, prononcer une condamnation qui soit supérieure au maximum de la somme prévue par infraction constatée ; qu'en l'espèce actuelle, les juges du fond en décidant que des militants, revendiquant leur appartenance aux associations, embarqués sur le navire Z... Dick et sur quatre canots pneumatiques se sont approchés du naviré Pacific Pintail, auraient tenté de lui bloquer l'accés au port de Cherbourg et auraient ainsi retardé les opérations de chargement, n'ont constaté qu'un fait unique, consistant en une seule action menée en un seul trait de temps qu'ils n'ont donc pu dés lors, sans omettre de tirer les conséquences de leurs propres constatations et violer l'article 36 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, ensemble le principe "non bis in idem", retenir l'existence de trois infractions, en affirmant, au mépris de l'unité et de l'indivisibilité du fait constaté par eux, et réprimé par la liquidation de l'astreinte qu'il y aurait une infraction à chacune des interdictions et condamner les associations à payer 900 000 francs aux sociétés britanniques ;

Mais attendu

que l'arrêt retient exactement que les évènements du 23 février 1995 ne constituent pas une seule et même infraction, mais la violation des trois obligations définies dans l'ordonnance de référé, de sorte que l'astreinte doit être liquidée pour chacune des trois infractions constatées ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le cinqième moyen

:

Attendu que les associations font grief à

l'arrêt d'avoir statué comme il l'a fait alors, selon le moyen, que la solidarité ne se présume point et qu'une condamnation solidaire ne peut être prononcée, hors le cas où en matière contractuelle elle a été expressément stipulée, que dans les cas où elle a lieu de plein droit en vertu d'une disposition de la loi ; qu'aucune disposition de la loi ne permet de prononcer la solidarité, au cas de liquidation d'une astreinte prononcée contre plusieurs personnes ; qu'en prononçant une condamnation solidaire, la décision attaquée a donc violé l'article 1202 du Code civil ;

Mais attendu

que les associations ne sont pas recevables à invoquer pour la première fois devant la Cour de Cassation le moyen fondé sur la solidarité ;

PAR CES MOTIFS

: REJETTE le pourvoi ; Condamne les associations Y... France, Stichting Y..., Stichting A... et Greenpeace X... aux dépens ; Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande des sociétés British nuclear fuels PLC et Pacific nuclear transport Limited ; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre avril deux mille deux.