Vu la procédure suivante
:
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 avril 2020 et 16 avril 2021, la société Kolerski Plâtrerie, venant aux droits de la société Sud-Est Plâtrerie, représentée par Me Guerry, demande au tribunal :
1°) de condamner l'établissement d'hébergement pour personnes âgés dépendantes (EPHAD) Les Tilleuls à lui verser une indemnité de 24 200 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 23 décembre 2019, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subi du fait que les travaux qu'elle a réalisés sur un immeuble lui appartenant n'ont pu faire l'objet d'un paiement direct ;
2°) de mettre à la charge de l'EPHAD Les Tilleuls la somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'EPHAD Les Tilleuls a commis une faute en acceptant la société Sud-Est Plâtrerie comme sous-traitant de l'EURL Valenti et en donnant son agrément à son paiement direct, alors que cette dernière avait cédé l'intégralité de sa créance à la Banque Populaire des Alpes ;
- cette faute est à l'origine du préjudice résultant de l'absence de paiement direct des travaux réalisés et des difficultés de trésorerie ainsi engendrées ;
-ses créances ne sont pas prescrites.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 mars 2021, l'EHPAD Les Tilleuls conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les créances invoquées par la société requérante sont prescrites ;
- il n'a commis aucune faute.
Les parties ont été informées le 12 septembre 2022, en application de l'article
R. 611-7 du code de justice administrative, que le jugement à intervenir est susceptible de se fonder sur un moyen soulevé d'office, tiré du principe selon lequel une personne publique ne peut être condamnée à payer une somme qu'elle ne doit pas, dès lors qu'il résulte de l'instruction que la société Kolerski Plâtrerie a commis une faute ayant concouru à la réalisation du préjudice dont elle se prévaut, circonstance de nature à atténuer la responsabilité de l'EPHAD Les Tilleuls.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B,
- les conclusions de Mme C,
- et les observations de Me Guerry, représentant la société Kolerski Plâtrerie, et de Me Detroyat, représentant l'EHPAD Les Tilleuls.
Considérant ce qui suit
:
1.Dans le cadre d'une opération de restructuration et d'extension d'un bâtiment situé place du 11 novembre 1918 à Entre-deux-Guiers (38380), l'EPHAD Les Tilleuls a confié, le 8 mars 2012, l'exécution du lot " cloisons-doublages " à la société Valenti. Pour l'exécution de la phase 2 du marché, la société Sud-Est Plâtrerie a fait l'objet, par la société Valenti, d'une déclaration de sous-traitance dans laquelle il a été mentionné qu'aucune cession de créance ne faisait obstacle au paiement direct des travaux sous-traités. Par acte du 12 mai 2015, la société Sud Est Plâtrerie a alors été acceptée par le pouvoir adjudicateur qui a également agréé les conditions de paiement consistant en un paiement direct. La société Sud-Est Plâtrerie a ensuite présenté à l'EPHAD Les Tilleuls une situation n°1 du 21 juillet 2015, validée par le maître d'œuvre, de 22 220 euros. Cette somme a cependant été réglée auprès de la banque populaire des Alpes, compte tenu d'une cession de créance de la société Valenti du 21 mai 2013, notifiée au trésorier payeur général le 23 mai courant.
2.Par une précédente requête enregistrée le 31 mai 2017 sous le numéro 1703094, la société Sud Est Plâtrerie a demandé au tribunal la condamnation de l'EPHAD Les Tilleuls au paiement d'une somme de 22 200 euros correspondant à la réalisation des travaux qui lui avaient été sous-traités. Par un jugement du 4 mars 2019, le tribunal a rejeté sa requête au motif tiré d'un défaut de demande préalable.
3.Par la requête susvisée, la société Kolerski Plâtrerie, après avoir vainement réclamé auprès de l'EPHAD Les Tilleul, par un courrier du 23 décembre 2019 notifié le 27 courant, le paiement d'une somme totale de 24 200 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subi en raison de l'absence de paiement direct des travaux réalisés, demande au tribunal de faire droit à sa réclamation.
Sur la responsabilité de l'EPHAD Les Tilleul :
En ce qui concerne l'exception tirée de la prescription de la créance invoquée par la société Kolerski Plâtrerie :
4.Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. () ". Aux termes de son article 2 : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; () Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée. ". Aux termes de l'article 3 de cette loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ".
5.Il résulte de la combinaison de ces dispositions de la loi du 31 décembre 1968 que le point de départ de la prescription quadriennale est la date à laquelle la réalité et l'étendue des préjudices ont été entièrement révélées et où la victime est en mesure, d'une part, de connaître l'origine de ce dommage, ou du moins de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l'administration, d'autre part, d'en demander réparation. Le délai de quatre ans ne commence à courir qu'à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis.
6.En l'espèce, les créances invoquées par la société Kolerski Plâtrerie se rapportent aux préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des conditions irrégulières dans lesquelles l'EHPAD Les Tilleuls a accepté la société Sud-Est Plâtrerie comme sous-traitant et a agréé son paiement direct. Ainsi, le point de départ de la prescription doit être fixé non pas à la date à laquelle la société Sud-Est Plâtrerie a émis la situation de paiement dont elle n'a pu obtenir le paiement direct, mais à la date où elle a eu connaissance de l'irrégularité de son acceptation comme sous-traitant et de son agrément au paiement direct. A cet égard, il résulte de l'instruction que ce n'est qu'au cours du mois de septembre 2015 que la société Sud-Est Plâtrerie a été informée qu'elle ne pouvait bénéficier du paiement direct de la première situation de paiement qu'elle avait émise, dès lors que le titulaire du marché avait déjà cédé la créance y afférente à la Banque Populaire des Alpes. Ainsi, le délai de prescription quadriennale a commencé à courir à compter du 1er janvier 2016, et a ensuite été régulièrement interrompu d'abord par la première requête susmentionnée enregistrée au greffe du tribunal le 31 mai 2017, puis en dernier lieu par la réclamation notifiée le 27 décembre 2019 à l'EHPAD Les Tilleuls. Il en résulte que la créance dont se prévaut la société Kolerski Plâtrerie n'était pas prescrite à la date d'enregistrement de la présente requête, le 22 avril 2020.
En ce qui concerne la faute :
7.Aux termes de l'article 1er de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance : " Au sens de la présente loi, la sous-traitance est l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l'exécution de tout ou partie du contrat d'entreprise ou d'une partie du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage ". Aux termes de l'article 6 de la même loi : " Le sous-traitant direct du marché qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage, est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution. ().".
8.Aux termes de l'article 112 du code des marchés publics alors applicable : " Le titulaire d'un marché public de travaux, d'un marché public de services ou d'un marché industriel peut sous-traiter l'exécution de certaines parties de son marché à condition d'avoir obtenu du pouvoir adjudicateur l'acceptation de chaque sous-traitant et l'agrément de ses conditions de paiement. " L'article 114 du même code prévoit que : " L'acceptation de chaque sous-traitant et l'agrément de ses conditions de paiement sont demandés dans les conditions suivantes : () 2° Dans le cas où la demande est présentée après le dépôt de l'offre, le titulaire remet contre récépissé au pouvoir adjudicateur ou lui adresse par lettre recommandée, avec demande d'avis de réception, une déclaration contenant les renseignements mentionnés au 1°. / Le titulaire établit en outre qu'aucune cession ni aucun nantissement de créances résultant du marché ne font obstacle au paiement direct du sous-traitant, dans les conditions prévues à l'Art. 116, en produisant soit l'exemplaire unique ou le certificat de cessibilité du marché qui lui a été délivré, soit une attestation ou une mainlevée du bénéficiaire de la cession ou du nantissement des créances. / L'acceptation du sous-traitant et l'agrément des conditions de paiement sont alors constatés par un acte spécial signé des deux parties. / () Le pouvoir adjudicateur ne peut pas accepter un sous-traitant ni agréer ses conditions de paiement si l'exemplaire unique ou le certificat de cessibilité n'a pas été modifié ou si la justification mentionnée ci-dessus ne lui a pas été remise. () ".
9.En vertu des dispositions précitées du code des marchés publics, l'entreprise qui a cédé ou nanti les créances se rattachant à l'exécution du marché dont elle est titulaire, doit accompagner sa demande d'agrément de sous-traitant d'une attestation par laquelle l'établissement de crédit cessionnaire accepte la réduction de ses droits à paiement ou des garanties qu'il détient à concurrence du montant des sommes devant revenir directement au sous-traitant. L'acceptation du cessionnaire de la créance constitue non pas une condition suspensive au paiement direct du sous-traitant agréé lorsqu'il livre des prestations incluses dans le montant de la créance cédée par le titulaire du marché, mais une condition préalable à l'agrément.
10.En l'espèce, il est constant que l'EHPAD Les Tilleuls a agréé, le 12 mai 2015, la sous-traitance de la société Sud-Est Plâtrerie et son droit au paiement direct, sans avoir exigé que l'EURL Valenti ne produise l'accord de l'établissement bancaire réduisant la créance cédée du montant maximum de la prestation à sous-traiter, alors que cette dernière avait déjà cédé à la Banque Populaire des Alpes la créance se rattachant à l'exécution du marché du lot n°1. Ce faisant, il a commis une faute qui est à l'origine du préjudice de la société requérante, dès lors que la société Sud-Est Plâtrerie a réalisé les travaux sous-traités au vu de l'engagement du maître d'ouvrage de procéder au paiement direct. La responsabilité de ce dernier est toutefois atténuée par la faute commise par le titulaire du marché, l'EURL Valenti, qui a sous-traité de façon irrégulière une partie de son marché après avoir cédé la totalité des créances afférentes aux marchés litigieux. En l'absence de faute établie de la part de la société Sud-Est Plâtrerie, d'ailleurs non alléguée par l'EHPAD Les Tilleuls, dans l'établissement fautif de l'avenant l'acceptant comme sous-traitante et agréant ses conditions de paiement, la part de responsabilité qui incombe au maître d'ouvrage doit ainsi être fixée à concurrence des deux tiers.
En ce qui concerne les préjudices :
11.La somme réclamée, qui correspond à la première situation de paiement émise, soit 20 200 euros HT, n'étant pas contesté, l'EHPAD Les Tilleuls doit, compte tenu du partage de responsabilité opéré au point 10, être condamné à payer à la société Kolerski Plâtrerie la somme de 13 467 euros en réparation du préjudice correspondant au non-paiement des travaux réalisés.
12.En revanche, la société Kolerski Plâtrerie n'apporte aucun élément de nature à établir qu'elle aurait connu des difficultés de trésorerie du fait de l'absence de paiement direct des travaux en cause. Dès lors, elle n'est pas fondée à demander qu'une somme supplémentaire de 2 000 euros lui soit versée en réparation du préjudice qu'elle aurait ainsi subi.
13.Il résulte de ce qui précède que l'EPHAD Les Tilleuls doit seulement être condamné à verser à la société Kolerski Plâtrerie une somme de 13 467 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2019, date de réception par l'EHPAD Les Tilleuls de la demande préalable de la société Kolerski Plâtrerie.
Sur l'application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative :
14.Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Kolerski Plâtrerie, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande l'EPHAD Les Tilleuls au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'EPHAD Les Tilleuls la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Kolerski Plâtrerie et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : L'EPHAD Les Tilleuls est condamné à verser à la société Kolerski Plâtrerie une somme de 13 467 euros en réparation du préjudice subi du fait des conditions irrégulières dans lesquelles il a agréé le paiement direct des prestations sous-traitées à son profit. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2019.
Article 2 : L'EPHAD Les Tilleuls versera une somme de 1 500 euros à la société Kolerski Plâtrerie en application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Kolerski Plâtrerie et à l'EPHAD Les Tilleuls.
Délibéré après l'audience du 15 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Triolet, présidente,
M. A et M. B, premiers conseillers.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2022.
Le rapporteur,
N. B
La présidente,
A. TRIOLET
La greffière,
J. BONINO
La République mande et ordonne au préfet de l'Isère ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°2002397