Cour de cassation, Chambre commerciale, financière et économique, 19 janvier 1999, 94-22.111

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
1999-01-19
Cour d'appel de Versailles (12e Chambre, 1re Section)
1994-10-27

Texte intégral

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le pourvoi formé par la société Devilette Chissadon Ile-de-France (DCIF), société à responsabilité limitée, dont le siège est ..., en cassation d'un arrêt rendu le 27 octobre 1994 par la cour d'appel de Versailles (12e Chambre, 1re Section), au profit : 1 / de M. Didier Y..., demeurant ..., pris en sa qualité de syndic de la liquidation des biens de la société Devilette Chissadon, 2 / de la société Savoie Frères, dont le siège est ..., défendeurs à la cassation ; La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ; LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 24 novembre 1998, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Tricot, conseiller rapporteur, M. Grimaldi, conseiller, M. Lafortune, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. Tricot, conseiller, les observations de la SCP Delaporte et Briard, avocat de la société Devilette Chissadon Ile-de-France, de Me Guinard, avocat de M. Y..., ès qualités, de la SCP Thomas-Raquin et Benabent, avocat de la société Savoie-Frères, les conclusions de M. Lafortune, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Attendu, selon l'arrêt déféré (Versailles, 27 octobre 1994), qu'après la mise en liquidation des biens de la société Devilette Chissadon, le syndic de la procédure collective, M. X..., a conclu, le 1er août 1984, une transaction par laquelle "la masse des créanciers" s'est engagée à "donner la jouissance précaire et gratuite" d'un terrain et de ses constructions situés à Bagneux, à la Société anonyme à vocation d'investissements en entreprises (société Voie) "pour une durée maximum d'un an réduite, s'il y a lieu, à la date de l'adjudication définitive en cas de poursuite des créanciers inscrits ou à la date de mise en jeu effective du droit de préemption" exercé par la commune ; que le 25 octobre 1984, le syndic a cédé à la société Entreprise Savoie Frères (Entreprise Savoie) "le droit à l'occupation précaire des locaux situés à Bagneux" sans préciser la durée de la convention d'occupation précaire, ni indiquer qu'une indemnité d'occupation serait due ; que l'Entreprise Savoie, qui a entreposé sur ce terrain des engins de chantier à partir du 9 novembre 1984 a convenu, le 29 janvier 1985, avec la société Devilette Chissadon Ile de France (société DCIF) nouvellement constituée, qu'à "compter du 1er mars 1985, la nouvelle société reprendra intégralement les charges du dépôt et des bureaux de Bagneux", en précisant que "toute dette née antérieurement à cette date sera à la charge de l'Entreprise Savoie qui s'y oblige" et que "toute dette créée à compter de cette date sera à la charge de la nouvelle société" ; que M. X... ayant été remplacé par M. Z... en janvier 1986, ce syndic a, le 13 novembre 1986, promis de vendre les locaux de Bagneux à la société DCIF en déclarant que "les lieux sont occupés sans titre ni droit par le bénéficiaire et qu'il peut être dû une indemnité d'occupation, depuis le 1er août 1985 jusqu'au jour de la vente, qui sera éventuellement payée par qui lui appartiendra" ; que cette cession ayant été autorisée par un jugement du 11 décembre 1986, l'acte authentique de vente a été conclu, le 24 mars 1998, avec deux autres sociétés, substituées à la société DCIF avec l'accord de M. Z... ; que ce dernier a demandé que l'Entreprise Savoie et la société DCIF soient condamnées, ès qualités, à lui verser une certaine somme à titre d'indemnité d'occupation entre le 1er novembre 1985 et le 24 mars 1988 ;

Sur le premier moyen

, pris en ses quatre branches ;

Attendu que la société

DCIF reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer une indemnité d'occupation depuis le 26 avril 1986 jusqu'au 24 mars 1988, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il résulte des constatations de l'arrêt que la société DCIF s'était vue conférer par l'Entreprise Savoie le droit d'occuper le terrain et qu'elle même avait acquis régulièrement ce droit du syndic en tant qu'élément incorporel du fonds de commerce acquis le 25 octobre 1984 ; qu'en imputant alors à faute à la société DCIF le fait d'avoir occupé les lieux à compter du 24 avril 1986 sans s'expliquer sur le comportement fautif d'une telle occupation à l'égard du syndic, dès lors qu'il n'était pas établi que ce dernier avait manifesté sa volonté de mettre fin à cette occupation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'il résulte des constatations de l'arrêt que l'Entreprise Savoie à qui le droit d'occupation du terrain litigieux avait été conféré au titre des éléments incorporels du fonds évalués à la somme forfaitaire de 30 000 francs exclusive de tout paiement d'une quelconque redevance durant toute la durée de l'occupation, ne pouvait aucunement se voir réclamer par le syndic une quelconque indemnité pour la période litigieuse ; qu'ainsi le syndic ne pouvait se prévaloir de la simple occupation des lieux par la société DCIF au titre d'un préjudicie prétendument subi, le droit d'occupation précaire ayant précisément été consenti à l'Entreprise Savoie sans qu'il y ait lieu à rémunération ; qu'en condamnant néanmoins la société DCIF à payer au syndic la somme de 681 171 francs, sans s'expliquer sur la réalité du préjudice prétendument subi par ce dernier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors, en outre, qu'en s'abstenant de rechercher, bien qu'y ayant été expressément conviée, si le courrier daté du 24 avril 1986 invitant la société DCIF à évacuer le terrain de Bagneux pour le 30 avril 1986 était de nature à constituer une mise en demeure valable, dès lors que ce courrier avait été adressé, non par l'Entreprise Savoie mais par la société Voie de qui elle ne tenait aucunement son droit à occuper les lieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1139 du Code civil ; et alors, enfin, qu'aux termes de la promesse de vente signée le 13 novembre 1986, la société DCIF s'était vue reconnaître la faculté de lever l'option jusqu'au 6 février 1987, la vente étant au demeurant subordonnée à la réalisation de plusieurs conditions suspensives ; que si les parties avaient convenu de retarder l'exécution de l'obligation de délivrance incombant au vendeur, la date d'entrée en jouissance étant fixée au jour de la signature de l'acte authentique, il ne résulte d'aucune des constatations de l'arrêt que les parties auraient également différé le transfert de propriété jusqu'à cette date ; qu'en condamnant la société DCIF à payer au syndic une indemnité d'occupation jusqu'au 24 mars 1988, jour de la signature de l'acte authentique de vente, sans rechercher à quel moment la société DCIF, en sa qualité de bénéficiaire de la promesse, avait levé l'option et était par la même devenue propriétaire du terrain qu'elle occupait, aucune indemnité ne pouvant plus dès lors lui être réclamée à compter de cette date, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1583 et 1589 du Code civil ;

Mais attendu

que la société DCIF ayant admis dans ses conclusions qu'elle ne pouvait se voir réclamer l'indemnité d'occupation qu'à compter du 25 avril 1986, date de réception du courrier du 24 avril 1986, la cour d'appel, qui a relevé que la promesse de vente consentie à cette société par le syndic, le 13 novembre 1986, constatait que les lieux étaient occupés sans droit ni titre par le bénéficiaire, et disposait que l'entrée en jouissance aurait lieu le jour de la signature de l'acte authentique de vente par la prise de possession réelle et effective, et qui, dès lors, n'avait pas à effectuer les recherches dont font état les troisième et quatrième branches, en a exactement déduit, sans retenir l'existence d'une faute commise par la société DCIF ou d'un préjudice causé par elle, mais par application de la convention du 13 novembre 1986, que la société DCIF était redevable à l'égard du syndic de l'indemnité d'occupation depuis le 26 avril 1986 jusqu'à la signature de l'acte de vente du 24 mars 1988 ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le second moyen

, pris en ses trois branches :

Attendu que la société

DCIF reproche encore à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Entreprise Savoie à la garantir de la moitié de l'indemnité d'occupation due pour la période du 26 avril 1986 au 13 novembre 1986, alors, selon le pourvoi, d'une part, que tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; que pour débouter la société DCIF de sa demande, la cour d'appel a dit que la réalité de l'occupation par l'Entreprise Savoie d'une partie des locaux ne pouvait résulter' "d'attestations contestables" ;

qu'en se déterminant ainsi

, par le seul visa de documents de la cause, sans analyser, même de façon sommaire, les éléments de preuve versés aux débats par la société DCIF, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que le juge ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant d'office l'existence d'une prétendue clause d'exclusion de garantie qui aurait été convenue entre les parties, pour dire mal fondée la demande de la société DCIF tendant à voir constater la méconnaisance par l'Entreprise Savoie de ses engagements contractuels et condamner celle-ci à supporter le préjudice qui en était résulté, sans inviter les parties à présenter au préalable leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, qu'aux termes de la clause n° 6 du protocole d'accord du 29 janvier 1985, il avait été convenu "qu'à compter du 1er mars 1985, la nouvelle société reprendra intégralement les charges du dépôt et des bureaux de Bagneux, toute dette créée à compter de cette date sera à la charge de la nouvelle société" ; qu'en énonçant que, par cette clause, les parties avaient convenu d'exonérer l'Entreprise Savoie de toute responsabilité, la société DCIF ne pouvant dès lors rechercher aucunement la garantie de l'Entreprise Savoie, la cour d'appel a dénaturé la clause précitée du protocole d'accord signé le 29 janvier 1985 et a violé l'article 1134 du Code civil ; Mais attendu qu'interprétant souverainement les termes de la convention conclue le 29 janvier 1985 entre l'Entreprise Savoie et la société DCIF, convention, invoquée dans les débats, qui dispose que toute dette créée à compter du 1er mars 1985 sera à la charge de la société DCIF, la cour d'appel, abstraction faite des motifs critiqués par la première branche, a pu en déduire, sans encourir les griefs des deux dernières branches, que l'action en garantie formée par la société DCIF contre l'Entreprise Savoie n'était pas fondée ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS

: REJETTE le pourvoi ; Condamne la société Devilette Chissadon Ile-de-France aux dépens ; Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Devilette Chissadon Ile-de-France à payer à M. Z..., ès qualités, la somme de 12 000 francs et à la société Savoie-Frères la somme de 12 000 francs ; Condamne la société Devilette Chissadon Ile-de-France à une amende civile de 20 000 francs envers le Trésor public ; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.