Cour de cassation, Troisième chambre civile, 29 janvier 1997, 95-13.536

Synthèse

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
1997-01-29
Cour d'appel de Versailles (4e Chambre)
1995-01-20

Texte intégral

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le pourvoi formé par M. Yves Y..., demeurant ..., en cassation d'un arrêt rendu le 20 janvier 1995 par la cour d'appel de Versailles (4e Chambre), au profit : 1°/ de la société civile immobilière (SCI) La Planchette, dont le siège est ..., 2°/ de la société Entreprise Moisset, SARL, anciennement dénommée Europe agencement, dont le siège est ..., 3°/ de M. Jean-Pierre Z..., demeurant ..., 4°/ de la société Kookoo, dont le siège est ..., 5°/ de la compagnie Les Mutuelles du Mans assurances IARD, dont le siège est ..., 6°/ de la compagnie Union des assurances de Paris (UAP), dont le siège est ..., 7°/ de M. X..., mandataire-liquidateur, pris en sa qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la société Mir-Vitrerie, demeurant ..., défendeurs à la cassation ; La société Entreprise Moisset a formé, par un mémoire déposé au greffe le 15 septembre 1995, un pourvoi incident contre le même arrêt; Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt; La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, quatre moyens de cassation également annexés au présent arrêt; LA COUR, en l'audience publique du 10 décembre 1996, où étaient présents : M. Beauvois, président, M. Villien, conseiller rapporteur, Mlle Fossereau, MM. Fromont, Cachelot, conseillers, M. Nivôse, Mme Masson-Daum, conseillers référendaires, M. Baechlin, avocat général, Mlle Jacomy, greffier de chambre; Sur le rapport de M. Villien, conseiller, les observations de la SCP Philippe et François-Régis Boulloche, avocat de M. Y..., de la SCP Boré et Xavier, avocat de la compagnie Les Mutuelles du Mans assurances IARD, de Me Cossa, avocat de la société Kookoo, de la SCP Célice et Blancpain, avocat de la compagnie UAP, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Entreprise Moisset, de Me Roger, avocat de la SCI La Planchette, les conclusions de M. Baechlin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi;

Sur le premier moyen

du pourvoi principal : Attendu, selon l'arrêt attaqué, (Versailles, 20 janvier 1995), qu'en 1989, la société civile immobilière La Planchette (SCI) et son locataire commercial, la société Kookoo, ont fait procéder au remplacement de deux verrières dans un immeuble; que les travaux ont été exécutés par la société Entreprise Moisset (société Moisset), assurée par l'Union des assurances de Paris (UAP), qui a sous-traité le lot métallerie à M. Z... et le lot vitrerie à la société Mir-Vitrerie, depuis lors en liquidation judiciaire, tous deux assurés par la Mutuelle du Mans assurances IARD (Mutuelle du Mans); que la maîtrise d'oeuvre a été assumée par M. Y..., architecte ; qu'après remplacement du matériau initialement prévu par un matériau plus lourd sans modification des supports, des désordres ont été constatés avant réception et que la SCI a sollicité l'indemnisation de son préjudice;

Attendu que M. Y... fait grief à

l'arrêt de ne pas mentionner le nom du magistrat qui l'a prononcé, alors, selon le moyen, "que le jugement doit être prononcé par l'un des juges qui l'ont rendu et préciser, à peine de nullité, le nom de ce magistrat; que l'arrêt attaqué, qui ne comporte pas cette mention, est entaché d'une violation de l'article 452 du nouveau Code de procédure civile";

Mais attendu

qu'aucun texte n'exige que le nom du magistrat qui a lu l'arrêt lors de son prononcé y soit indiqué et que la décision comportant la mention du nom des juges qui en ont débattu et délibéré est présumée avoir été prononcée par l'un d'entre eux; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal et le premier moyen

du pourvoi incident, réunis :

Attendu que M. Y... et la société Moisset font grief à

l'arrêt de mettre hors de cause la société Kookoo et de retenir que la SCI avait qualité pour agir contre eux, alors, selon le moyen, "1°) que, seul, le maître d'ouvrage a qualité pour engager une action en responsabilité contractuelle contre les constructeurs; qu'il résulte des mentions mêmes de l'arrêt attaqué, d'une part, que la SCI avait délégué à sa locataire le soin de payer l'architecte et les entreprises et de choisir celles-ci, d'autre part, qu'aucune réception des travaux n'ayant été prononcée, l'action en responsabilité ne peut être fondée sur la garantie légale des articles 1792 et suivants du Code civil, mais sur la responsabilité contractuelle de droit commun; qu'en retenant, cependant, que le maître de l'ouvrage, et non le maître d'ouvrage délégué, avait qualité pour mettre en jeu, avant réception, la responsabilité contractuelle de l'architecte, la cour d'appel a violé les articles 1147 du Code civil et 31 du nouveau Code de procédure civile ; 2°) que dans le cas où le propriétaire d'un immeuble délègue à un tiers, preneur, la réalisation de travaux de réfection dans les locaux loués en lui laissant le choix des entreprises et le soin de les payer, le propriétaire bailleur est sans droit pour rechercher la responsabilité de l'entreprise, à défaut de lien de droit avec celle-ci; qu'en mettant hors de cause la société Kookoo, preneur, et en déclarant recevable l'action en responsabilité formée par la SCI contre la société Entreprise Moisset, choisie et payée par la société Kookoo, la cour d'appel a violé les articles 1165 et 1147 du Code civil et l'article 31 du nouveau Code de procédure civile";

Mais attendu

qu'ayant relevé que le preneur n'avait eu aucune latitude pour déterminer les travaux nécessaires, et avait été tenu de faire appel à l'architecte de la SCI, que cette dernière avait précisé les travaux à effectuer, en avait conservé la direction par l'intermédiaire de son maître d'oeuvre, était intervenue en cours de réalisation pour tenter d'imposer ses choix techniques et s'était réservée la réception des ouvrages, la cour d'appel a pu retenir que la SCI, pour le compte de laquelle le preneur avait agi, et qui n'avait délégué à la société Kookoo que le soin de payer les constructeurs et de choisir les entreprises sous le contrôle de l'architecte du bailleur, avait conservé la qualité de maître de l'ouvrage et était seule recevable en son action à l'encontre de l'architecte et de l'entrepreneur; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen

du pourvoi principal :

Attendu que M. Y... fait grief à

l'arrêt de mettre hors de cause M. Z..., alors, selon le moyen, "d'une part, que M. Z..., étant chargé de la fourniture et de la pose de l'armature destinée à recevoir le vitrage, était tenu de vérifier si l'armature qu'il installait était suffisamment solide pour supporter le poids du verre devant y être posé; qu'en écartant, cependant, l'appel en garantie formé par l'architecte contre ce professionnel, motif pris de l'absence de faute de ce dernier, sans avoir recherché s'il avait procédé au contrôle de la résistance de l'armature qu'il installait, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil; d'autre part, que, dans ses conclusions d'appel, M. Z... n'ayant jamais soutenu qu'il n'avait pas eu connaissance des modifications apportées au devis initial, la cour d'appel, qui a soulevé ce moyen d'office, sans avoir invité les parties à s'expliquer sur son bien-fondé, a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile";

Mais attendu

qu'ayant constaté qu'il n'était pas établi que M. Z... avait eu connaissance des modifications apportées au projet initial et qu'il n'était ni démontré, ni même allégué, que l'ouvrage conçu et réalisé par lui n'avait pas été de nature à supporter le poids du vitrage armé prévu à l'origine, la cour d'appel a, statuant sur la responsabilité de l'entrepreneur au vu des éléments de preuve se trouvant dans le débat, sans violer le principe de la contradiction, légalement justifié sa décision de ce chef;

Sur le quatrième moyen

du pourvoi principal :

Attendu que M. Y... fait grief à

l'arrêt de mettre hors de cause la Mutuelle du Mans, assureur de la société Mir-Vitrerie, alors, selon le moyen, "que l'assurance responsabilité civile a pour objet de garantir l'assuré à raison de la responsabilité encourue vis-à-vis de tiers ; que l'arrêt attaqué a retenu que la société Mir-Vitrerie était responsable du dommage invoqué par le propriétaire; qu'en mettant, cependant, hors de cause l'assureur de responsabilité civile de cette société, la cour d'appel a violé les articles 1134 du Code civil et L. 124-1 et suivants du Code des assurances";

Mais attendu

qu'ayant relevé que l'assurance de responsabilité civile, souscrite par la société Mir-Vitrerie auprès de la Mutuelle du Mans, ne couvrait que les dommages causés par les travaux et ouvrages réalisés par l'assurée, et non les désordres présentés par les ouvrages eux-mêmes, la cour d'appel a exactement retenu que les malfaçons affectant les verrières construites par cet entrepreneur n'étaient pas garanties pas son assureur; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le cinquième moyen

du pourvoi principal :

Attendu que M. Y... fait grief à

l'arrêt de le condamner à payer à la SCI la somme de 516 620 francs, comprenant la taxe à la valeur ajoutée, alors, selon le moyen, "d'une part, que les travaux tendant à la construction d'une verrière entrent dans le champ d'application de la garantie décennale, ainsi que les travaux de rénovation importants ou ayant entraîné l'apport d'éléments nouveaux; que la solution proposée par l'expert et écartée par la cour d'appel comportait l'adjonction à la verrière d'éléments nouveaux; qu'en écartant, cependant, cette dernière solution, au motif qu'elle ne permettait pas au maître de l'ouvrage de profiter de la garantie décennale, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil ; d'autre part, que la réparation d'un dommage ne saurait excéder le montant du préjudice; qu'en conséquence, des condamnations ne peuvent être augmentées de la TVA que si leur bénéficiaire a justifié de son absence d'assujettissement à la TVA; qu'en prononçant des condamnations augmentées de la TVA au bénéfice de la SCI, sans que cette société ait justifié ne pas être assujettie à cette taxe, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve, en violation des articles 1315 et 1382 du Code civil et 271 du Code général des impôts";

Mais attendu

qu'ayant constaté que le prix des ouvrages défectueux comprenait la taxe à la valeur ajoutée et qu'il n'était pas justifié que la SCI ait pu en récupérer le montant, et que les travaux de simple reprise des désordres prévus par le premier juge ne présentaient pas pour le maître de l'ouvrage une garantie suffisante de réparation du dommage, la cour d'appel a souverainement retenu, sans inverser la charge de la preuve, que l'indemnisation intégrale du préjudice imposait la réfection totale des verrières et a relevé, à bon droit, que le prix devait inclure le montant de la taxe; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les deuxième et troisième moyens

du pourvoi incident, réunis :

Attendu que la société Moisset fait grief à

l'arrêt d'écarter la responsabilité de la société Kookoo et de retenir sa propre responsabilité, alors, selon le moyen, "1°) que la cour d'appel, qui a constaté, d'une part, que la société Kookoo s'était engagée à réaliser les travaux de réfection selon le devis de la serrurerie du Marais, "à la virgule près", et, d'autre part que ce devis initial n'avait pas été respecté, la nature du verre ayant été modifiée, devait en déduire l'inexécution, par la société Kookoo de ses obligations contractuelles, les options de l'architecte n'ayant pas pour elle le caractère d'une cause exonératoire de responsabilité; qu'en libérant la société Kookoo de toute responsabilité, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil; 2°) que, conformément à l'article 1147 du Code civil, la responsabilité contractuelle d'une partie ne peut être engagée sur le fondement de l'inexécution d'une obligation de résultat que dans le cas où la nature et l'étendue de celle-ci ont été expressément déterminées; que la cour d'appel, qui a retenu la responsabilité contractuelle de l'entreprise Moisset, mais qui n'a pas constaté que celle-ci avait été informée de ce que les travaux exécutés à la demande de la société Kookoo l'étaient pour le compte de la SCI et que celle-ci avait exigé le respect scrupuleux du devis initial établi par la serrurerie du Marais, obligation à laquelle la société Kookoo s'était soustraite, n'a pas justifié sa décision au regard de la disposition susvisée; 3°) que la cour d'appel, qui a relevé que la SCI avait la qualité de maître de l'ouvrage et que son architecte avait ratifié le choix de matériaux différents de ceux arrêtés par le devis initial imposé au preneur par le propriétaire bailleur mais qui a, néanmoins, refusé d'admettre que la société Moisset était en droit de s'exonérer de sa responsabilité en considération de la faute de l'architecte qui présentait pour elle le caractère d'une cause étrangère, a, en statuant ainsi, violé l'article 1147 du Code civil";

Mais attendu

qu'ayant relevé que la société Kookoo, qui n'avait agi que comme mandataire de la SCI maître de l'ouvrage et qui était néophyte en matière de construction, n'avait accepté les modifications du devis initial que sur les conseils de l'architecte, et constaté que la société Moisset connaissait, notamment par les devis présentés par son sous-traitant, le changement de matériau décidé par le maître de l'ouvrage et l'architecte, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a pu retenir qu'aucun reproche ne pouvait être formulé à l'encontre de la société Kookoo et que la société Moisset, tenue d'une obligation de résultat, devait prendre en charge la réparation du dommage, la faute de l'architecte n'exonérant pas l'entrepreneur de sa propre responsabilité; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le quatrième moyen

du pourvoi incident :

Attendu que la société Moisset fait grief à

l'arrêt de mettre hors de cause son assureur l'UAP, alors, selon le moyen, "que la société entreprise Moisset, choisie et payée par la société Kookoo a formé avec celle-ci un contrat d'entreprise couvert par le contrat d'assurance décennale, la société Kookoo ayant, en payant l'entreprise Moisset et en prenant livraison de l'ouvrage, tacitement reçu celui-ci; que la cour d'appel, qui a décidé que la responsabilité contractuelle de la société Entreprise Moisset était engagée, faute pour la SCI d'avoir reçu l'ouvrage et, en conséquence, que les désordres n'étaient pas couverts par l'assurance décennale, a violé les articles 1792 et 1147 du Code civil, ainsi que l'article 1134 du même Code";

Mais attendu

qu'ayant relevé que la SCI avait conservé seule le pouvoir de prononcer la réception des travaux et que celle-ci n'était pas intervenue, le maître de l'ouvrage ayant, au contraire, manifesté sans ambiguïté qu'il n'acceptait pas les verrières, la cour d'appel en a exactement déduit que les désordres relevaient de la responsabilité contractuelle de droit commun et que l'assurance de responsabilité décennale souscrite par la société Moisset auprès de l'UAP ne pouvait trouver application; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS

: REJETTE les pourvois ; Condamne M. Y... aux dépens du pourvoi principal et la société Entreprise Moisset aux dépens du pourvoi incident; Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne M. Y... à payer à la compagnie Les Mutuelles du Mans assurances IARD la somme de 9 000 francs; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept.