Vu la procédure suivante
:
Par une requête et deux mémoires complémentaires, respectivement enregistrés les 25 octobre et 21 novembre 2022, et 27 janvier 2023, la société Europe services déchets (" ESD "), représentée par Me Pezin et Me Cabanes, doit être regardée comme demandant au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de fixer une date de clôture d'instruction en application de l'article
R. 611-11 du code de justice administrative ;
2°) d'annuler la décision du 3 novembre 2022 par laquelle l'établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre a maintenu sont refus de lui communiquer le rapport d'analyse des offres dans une version occultée des seules mentions couvertes par le secret des affaires, notamment les estimations toutes tranches confondues des montants des lots n° 1 à 4 figurant en page 39 et l'intégralité des pages 33 à 37 et 39, et les documents internes ou études réalisées par l'assistant à maîtrise d'ouvrage concernant la valeur estimée du marché 2100034-038 " Collecte des ordures ménagères résiduelles, collecte sélective du verre, des déchets végétaux et des objets encombrants en porte-à-porte " ;
3°) d'enjoindre à l'établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre de lui communiquer les documents sollicités dans un délai de huit jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre une somme de 3 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les documents sollicités sont des documents administratifs communicables en application de l'article
L. 311-1 du code de justice administrative sous réserves des mentions protégées par le secret professionnel, le secret des affaires et de la vie privée ;
- elle a reçu le 3 novembre 2022 la communication des documents sollicités à l'exception des documents budgétaires relatifs au marché 2100034-038 " Collecte des ordures ménagères résiduelles, collecte sélective du verre, des déchets végétaux et des objets encombrants en porte-à-porte " ;
- le rapport d'analyse des offres lui a été communiqué occulté de mentions non couvertes par le secret des affaires, notamment en page 5 sur 39, des estimations toutes tranches confondues des montants des lots n° 1 à 4, en page 33 à 37, des mentions occultées de l'analyse des offres, en page 39, de la mention occultée en conclusion de l'analyse du lot n° 5 ;
- les documents relatifs à l'estimation du marché lui sont communicables.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 janvier 2023, l'établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre, représenté par Me Gauch, conclut au rejet de la requête et demande à ce qu'il soit mis à la charge de la société Europe services déchets la somme de 3 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- il a justifié le montant estimatif du marché dans le cadre du premier référé précontractuel introduit par la requérante le 29 décembre 2021 ;
- il n'existe aucune obligation pour lui d'élaborer et de produire les décisions ou avis fixant une estimation d'un marché en particulier, ainsi que les crédits budgétaires spécifiquement alloués, qui existent rarement et prennent la forme d'études réalisées par les services, accompagnés d'assistants à maîtrise d'ouvrage le cas échéant ;
- la requérante ne saurait prétendre à la communication de documents internes ;
- la requérante a déjà eu connaissance des documents budgétaires généraux de la commune, librement accessibles sur internet.
Le rapport d'analyse des offres, la fiche achat et le document " estimation " du marché ont été communiqués par l'établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre le 2 février 2023 au tribunal pour sa seule appréciation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Gracia, président-rapporteur ;
- les conclusions de Mme Salenne-Bellet, rapporteure publique ;
- les observations de Me Pezin, pour la société Europe services déchets ;
- les observation de Me Larmet, pour l'Établissement public territorial grand-Orly Seine Bièvre.
Considérant ce qui suit
:
1. Par un avis d'appel à concurrence publié le 12 mai 2021 au J.O.U.E., l'établissement public territorial grand-Orly Seine Bièvre a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de la passation d'un marché public relatif à la collecte en porte-à-porte des déchets ménagers et assimilés. Ledit marché est décomposé en 5 lots géographiques correspondant aux 7 bassins définis lors des études d'harmonisation et d'optimisation du service, étant précisé que deux lots rassemblent deux bassins. Par courrier du 19 janvier 2022, l'acheteur a informé la société Europe services déchets du rejet de son offre. La société a alors formé un recours devant le juge des référés statuant en application de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative, qui l'a rejeté par ordonnance du 14 février 2022.
2. Par un courrier du 8 mars 2022, la société Europe services déchets a sollicité de l'établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre la communication, entre autres, de toute décision ou avis fixant une estimation du montant du marché 2100034-038 " Collecte des ordures ménagères résiduelles, collecte sélective du verre, des déchets végétaux et des objets encombrants en porte-à-porte ", ainsi que le rapport d'analyse des offres relatif à ce même marché. A la suite du silence gardé par l'administration, la société requérante a saisi, le 13 avril 2022, la commission d'accès aux documents administratifs (" CADA "), d'une demande d'avis sur le caractère communicable des documents sollicités le 8 mars précédent. Le 7 juin 2022, cette commission a émis un avis favorable à la communication des documents sollicités, dont font partis les documents estimatifs du montant du marché objet du litige et le rapport d'analyse des offres. Par un courrier du 31 octobre 2022, l'établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre a communiqué à la requérante certains des documents sollicités le 8 mars 2022, dont le rapport d'analyse des offres occulté. En revanche, elle a expressément maintenu son refus de lui communiquer certains des documents sollicités, et implicitement maintenu son refus de lui communiquer les documents estimatifs du montant du marché 2100034-038. Par la présente requête, la société Europe services déchets doit être regardée comme demandant au tribunal, dans le dernier état de ses écritures, d'annuler la décision du 31 octobre 2022.
Sur les conclusions tendant à ce qu'une date de clôture d'instruction soit fixée :
3. La mise en œuvre de l'article
R. 611-11 du code de justice administrative est un pouvoir propre du juge. Par suite, les conclusions présentées à cette fin par la société Europe services déchets sont irrecevables et doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. Aux termes de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sous réserve des dispositions des articles
L. 311-5 et
L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article
L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Aux termes de l'article
L. 300-2 du même code : " Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. () ". L'article
L. 311-6 du même code dispose : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article
L. 300-2 est soumise à la concurrence ; () ". Enfin, l'article L. 311-7 du même code dispose que : " Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles
L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ".
5. Il résulte des dispositions citées au point 4 que les marchés publics et les documents qui s'y rapportent, y compris les documents relatifs au contenu des offres, sont des documents administratifs au sens des dispositions de l'article
L. 300-2 précité. Saisis d'un recours relatif à la communication de tels documents, il revient aux juges du fond d'examiner si, par eux-mêmes, les renseignements contenus dans les documents dont il est demandé la communication peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret industriel et commercial et faire ainsi obstacle à cette communication en application de l'article
L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Au regard des règles de la commande publique, doivent ainsi être regardés comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l'ensemble des pièces du marché. Dans cette mesure, si notamment l'acte d'engagement, le prix global de l'offre et les prestations proposées par l'entreprise attributaire sont en principe communicables, ne sont, en revanche, pas communicables les documents qui reflètent la stratégie commerciale de l'entreprise opérant dans un secteur d'activité et sont ainsi susceptibles de porter atteinte au secret commercial, tel le bordereau des prix unitaires de cette entreprise.
6. Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article
L. 311-6 citées au point 4 que doivent être notamment occultées des documents communicables, les mentions relatives aux moyens techniques et humains, à la certification de système qualité, aux certifications des tierces parties ainsi qu'aux certificats de qualification concernant la prestation demandée, ainsi que toutes les mentions concernant le chiffre d'affaire, les coordonnées bancaires et les références autres que celles qui correspondent à des marchés publics.
En ce qui concerne les conclusions relatives au rapport d'analyse des offres, notamment les mentions occultées de l'analyse des offres en pages 33 à 37 et la mention occultée en conclusion de l'analyse du lot 5 en page 39 :
7. Il est constant qu'une version du rapport d'analyse des offres du marché a été reçue par la société requérante le 3 novembre 2022 après occultation de certaines mentions. A cet égard, le tribunal a pris connaissance d'une version non occultée du rapport en cause, que l'établissement public lui a transmis sur sa demande le 2 février 2023. Après avoir comparé cette version du rapport avec la version occultée transmise à la société requérante, il en ressort qu'ont été occultées à bon droit, comme couvertes par le secret des affaires :
- l'ensemble des mentions relatives aux lots nos 1 à 4 dès lors que ces mentions ne font pas l'objet de la demande ;
- les mentions des pages 32 à 39 relatives à l'analyse de l'offre de la société attributaire du lot n° 5, qui comportent des éléments sur les procédés, les matériels et les moyens en personnels mis en place ainsi que le prix du paragraphe " conclusion-LOT 5 " en page 39 relatif aux prestations à bon de commande.
8. Dans ces conditions, le rapport d'analyse des offres a été communiqué à la société Europe services déchets dans le respect du secret des affaires de la société attributaire. Dès lors, les conclusions de la société Europe services déchets relatives à l'insuffisante communication du rapport d'analyse des offres doivent être rejetées comme infondées.
En ce qui concerne les conclusions relatives aux documents internes, ou études réalisées par l'assistant à maîtrise d'ouvrage concernant la valeur estimée du marché 2100034-038 :
9. Pour maintenir son refus de communiquer à la société requérante les documents internes, ou études réalisées par l'assistant à maîtrise d'ouvrage concernant la valeur estimée du marché 2100034-038, l'établissement public fait valoir que la société Europe services déchets ne saurait prétendre à la communication de documents internes.
10. Toutefoins, il ressort des dispositions citées au point 5 que les documents ou études réalisées par l'assistant à maîtrise d'ouvrage concernant la valeur estimée du marché 2100034-038 et notamment le lot n° 5, sont des documents administratifs communicables sous réserve des mentions protégées par les secrets visés aux articles
L. 311-5 et
L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'il s'agisse de documents internes.
11. En l'espèce, après avoir pris connaissance des documents " fiche achat " et " estimation " transmis au tribunal sur sa demande le 2 février 2023, d'une part, l'intégralité du document " estimation " est communicable et, d'autre part, l'ensemble de la fiche achat est communicable à l'exception des mentions concernant les lots n° 1 à 4 qui n'ont pas été demandées. En particulier, la ligne indiquant le montant estimé du lot n° 5 figurant à la septième ligne du tableau en page 1/6 est communicable.
12. Dans ces conditions, la société Europe services déchets est seulement fondée à soutenir que la décision par laquelle l'établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre a maintenu son refus de lui communiquer le document " estimation " la " fiche achat ", relatifs à la valeur estimée du marché 2100034-038, est illégale.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Europe services déchets est seulement fondée à soutenir que de la décision de l'établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre est illégale en tant qu'elle a refusé lui communiquer les documents suivants relatifs à la valeur estimée du marché 2100034-038:
- la fiche achat à l'exception des mentions concernant les lots nos 1 à 4 ;
- le document " estimation ".
14. Dès lors, cette décision doit,dans cette mesure, être annulée.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
15. Le présent jugement implique qu'il soit enjoint à l'établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre de communiquer à la société Europe services déchets, d'une part, la fiche achat à l'exception des mentions concernant les lots n° 1 à 4 , et, d'autre part, le document " estimation ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur la répartition des frais du litige :
16. Les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la société Europe services déchets, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, la somme que l'établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre demande à ce titre. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre la somme de 1 200 euros que réclame la société Europe services déchets à ce même titre.
D E C I D E :
Article 1er : La décision par laquelle l'établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre a maintenu son refus de communiquer à la société Europe services déchets la fiche achat et le document " estimation ", relatifs à la valeur estimée du marché 2100034-038, est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à l'établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre de communiquer à la société Europe services déchets les documents visés à l'article 1er dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Europe services déchets et à l'établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre.
Rendu public par mise à disposition du greffe le 15 juin 2023.
Le président-rapporteur,
J-Ch. Gracia
L'assesseur le plus ancien,
D. IsraëlLa greffière,
C. Mahieu
La République mande et ordonne à la préfète du Val-de-Marne, en ce qui la concerne et à tous commissaires à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution du présent jugement.
Pour expédition conforme,
La greffière,